Le rôle de l’Église orthodoxe en Russie
EN 1847, Vissarion Bielinsky, critique littéraire russe, écrivit à un auteur qui avait fait l’éloge de l’Église orthodoxe russe : “Pourquoi faites-vous allusion au Christ ? Qu’avez-vous trouvé de commun entre lui et les Églises, particulièrement l’Église orthodoxe ? Il a été le premier à enseigner aux hommes une doctrine de liberté, d’égalité et de fraternité, et, avec son martyre, il a mis le sceau à la vérité de son enseignement.” Y avait-il vraiment une grande différence entre le véritable christianisme et la religion orthodoxe russe ?
Dans son livre La maison sans toit (angl.), Maurice Hindus fait cette remarque : “À l’époque des tzars, les paysans constituaient 80 pour cent de la population, mais l’Église ne s’efforça jamais d’amener le moujik [paysan russe] à renoncer aux superstitions qui venaient du paganisme. Le clergé traitait avec nonchalance les sorcières, les sorciers, les magiciens et les charmeurs qui infestaient les villages et profitaient de la crédulité et de l’ignorance du moujik. Le batouchka [prêtre] du village était souvent lui-même un homme ignorant, adonné à la vodka et qui n’hésitait pas à séduire une jolie paroissienne. (...) Le moujik, principale colonne de l’Église ne serait-ce qu’en raison de son importance numérique, restait relativement ignorant quant à la foi dans laquelle il était né. Il était rarement un lecteur de la Bible. Il était terriblement illettré. Il en apprenait davantage concernant le bien et le mal en écoutant les récits et les ballades des mendiants ambulants et des pèlerins qu’auprès du prêtre de la paroisse.”
Pourquoi en était-il ainsi ? Pourquoi l’Église orthodoxe ne mettait-elle pas plus l’accent sur la religion et les principes élevés de la Parole de Dieu ? Hindus ajoute : “La faute capitale de l’Église russe réside dans sa soumission totale à l’État tsariste qui, selon les termes de Milioukov, ‘étouffait dans l’œuf tout essor religieux’.”
“Mais, penseront certains, les choses ont certainement dû changer ; ce n’est plus pareil aujourd’hui.” Après avoir examiné lui-même la situation pendant de nombreuses années, Hindus parle ainsi de l’Église orthodoxe russe de nos jours :
“La constitution exclut l’Église de la politique et limite ses fonctions aux pratiques religieuses. Cependant, quand le Kremlin l’appelle, elle répond sur-le-champ en accordant sa bénédiction à la politique étrangère soviétique quelle qu’elle soit. Bien que le Kremlin ne parle plus de la sainte Russie, aux yeux de l’Église très nationaliste, la sainte Russie a toujours raison, et ses ennemis, réels ou imaginaires, désignés par le Kremlin, ont toujours tort.”