La vie d’un chirurgien
LA CARRIÈRE de chirurgien, que j’ai choisie, est l’une des professions les plus anciennes. Les documents égyptiens et babyloniens montrent qu’on pratiquait la chirurgie il y a quatre mille ans. Certaines découvertes archéologiques indiquent que la chirurgie est même plus ancienne encore.
En fait, je pense que la chirurgie est aussi vieille que l’homme lui-même, car la Bible nous dit, en Genèse 2:21, 22: “Aussi Jéhovah Dieu fit-il tomber un profond sommeil sur l’homme, et pendant que celui-ci dormait, il prit une de ses côtes et puis referma la chair à sa place. Alors Jéhovah Dieu bâtit en femme la côte qu’il avait prise de l’homme et il l’amena vers l’homme.” On remarquera avec intérêt que Dieu anesthésia Adam avant de l’opérer et qu’ensuite il ‘recousit’ l’incision. Nous savons qu’au moins au temps d’Abraham, l’homme accomplit une intervention chirurgicale de moindre importance. En obéissance au commandement de Dieu, Abraham fut circoncis ainsi que tous les mâles de sa maison. — Gen. 17:10-14, 22-27.
Un professeur américain de chirurgie déclara un jour : “La formation d’un chirurgien est la plus rigoureuse et la plus exigeante qui soit, et elle comporte les responsabilités les plus lourdes.” Qu’est-ce qui me poussa à choisir cette profession ? D’une part mon éducation, et d’autre part le fait qu’elle promettait d’apporter des satisfactions autant que des gageures.
Mon père était un médecin de campagne. Il habitait une petite ville de l’Oklahoma et soignait les fermiers et autres villageois à des kilomètres à la ronde. Nous étions cinq garçons à la maison, et j’étais l’aîné.
En ces jours lointains, mon père utilisait un petit cabriolet attelé d’un cheval pour faire ses visites dans la campagne. Plus tard, quand il eut une Ford modèle T, je l’accompagnais. En fait, même avant d’avoir douze ans, je lui servais parfois de chauffeur et d’assistant.
Tandis que les années passaient, je devins de plus en plus capable de l’aider en ces jours où les opérations se faisaient souvent sur la table de la cuisine. Un cas mémorable fut celui d’un fermier que son mulet avait frappé à la tête d’un coup de sabot et presque scalpé. Mon père fit l’opération sous un arbre, avec moi comme assistant fasciné. Parfois, quand le patient devait être anesthésié, j’avais pour tâche de lui faire respirer quelques bouffées de chloroforme pendant que mon père opérait. Aujourd’hui, bien sûr, on emploie de meilleurs anesthésiques et on procède rarement à des interventions chirurgicales sous un arbre.
Je deviens chirurgien
Après l’école secondaire, je suis allé à l’université. Tout naturellement, j’ai décidé de suivre les cours de médecine. Mon père ne m’a jamais poussé à entreprendre cette profession, et ce n’était pas nécessaire. Son exemple, sa bienveillance, sa bonté compatissante et secourable, de même que le respect qu’on lui vouait, étaient plus éloquents que des paroles et m’ont donné le désir d’être médecin.
Pour commencer j’ai suivi deux années de cours prémédicaux à l’Université de l’Oklahoma et ensuite les quatre années normales à l’école de médecine de l’université. Les diverses matières au programme, comme l’anatomie, la physiologie, la biochimie et l’histologie étaient difficiles, mais elles me plaisaient. Quand j’eus terminé la première partie des cours, j’ai reçu ma licence en sciences. Plus tard, les cours comprenaient également des travaux pratiques à l’hôpital et des accouchements au domicile des femmes trop pauvres pour se permettre un séjour à l’hôpital.
L’espièglerie de la jeunesse remontait par moments à la surface, malgré le sérieux des études médicales. Un jour, lors d’un accouchement à domicile, une jeune mère entendit un autre étudiant et moi-même employer le mot “placenta”. Ce mot sonnait bien à ses oreilles, aussi le proposa-t-elle comme prénom pour sa petite fille. Sans un mot d’explication, nous avons rempli le certificat de naissance selon ses désirs. Mais bientôt nos professeurs, aussi bien que l’État civil, ont fait cesser la plaisanterie. Nous nous sommes donc excusés auprès de la mère et nous l’avons aidée à trouver un prénom plus acceptable que “Placenta”.
Quand j’ai eu mon diplôme, j’ai fait un an d’internat à l’hôpital de Baltimore. Durant cette année, je suis passé par tous les services : médecine générale, pédiatrie, chirurgie, obstétrique et gynécologie, et psychiatrie. J’ai pu ainsi mieux comprendre ces divers champs d’activité. À la fin de l’année, j’ai choisi la chirurgie ; c’est ce qui me passionnait le plus. J’ai poursuivi ma formation dans un hôpital d’une petite ville du Tennessee, mais peu après j’ai dû le quitter car j’étais atteint de tuberculose. J’avais probablement contracté cette maladie en soignant des malades à Baltimore. Je suis allé dans un sanatorium pendant quelques mois, puis je suis resté chez moi pendant environ un an, jusqu’à ma guérison.
Ensuite, je suis entré comme chirurgien à l’hôpital Santa Barbara en Californie. Au bout d’un an, je me suis associé comme chirurgien à un groupe de vingt-quatre médecins dans une clinique privée. Puis j’ai pris un congé de deux ans afin de pouvoir étudier avec le professeur Owen H. Wangensteen, un des meilleurs chirurgiens d’Amérique, aux hôpitaux de l’Université du Minnesota. Finalement, après quatorze ans de cours prémédicaux et médicaux, de formation théorique et pratique dans des hôpitaux, j’ai réalisé mon ambition et suis devenu chirurgien général qualifié.
Mais il s’est produit quelque chose qui a changé à la fois ma conception de la vie et mon avenir en tant que chirurgien. La question des transfusions sanguines et la position des témoins de Jéhovah à ce sujet ont eu une grande part dans ces changements.
La question de la transfusion sanguine
La profession de mon père a certes influencé considérablement mes premières années, mais de plus mes parents étaient tous deux témoins de Jéhovah — les seuls à des kilomètres à la ronde. J’ai donc grandi en ayant un grand respect pour la Bible, mais en réalité ma connaissance de ce Livre était plutôt limitée. Sans aucun doute, cela était dû en partie au fait que mon père était très occupé par son travail. De plus, à l’époque, les témoins de Jéhovah n’insistaient pas comme aujourd’hui sur la nécessité de l’étude familiale. Quand j’ai quitté la maison pour aller à l’université, j’étais un garçon de la campagne décidé à devenir médecin et fortement influencé par les principes bibliques, mais je n’allais apprécier véritablement ces derniers que plusieurs années plus tard.
Alors que j’étais à l’école de médecine, j’ai vu faire pour la première fois des transfusions. Elles se faisaient directement du donneur au patient, et généralement on n’enregistrait aucun résultat positif. Mais la Seconde Guerre mondiale, avec ses terribles effusions de sang, donna une nouvelle impulsion aux transfusions. De nombreux médecins de mon âge servaient dans les forces armées ; je voulus m’engager comme chirurgien, mais on me refusa parce que j’avais eu la tuberculose. Plus tard j’ai essayé d’entrer dans la Marine, sans parler de la maladie dont j’avais souffert, mais ce fait fut néanmoins découvert et la Marine non plus ne voulait pas de moi. J’ai donc poursuivi ma carrière de chirurgien civil.
Jusqu’à la mort de mon père en 1950, ma profession était la chose la plus importante dans ma vie. Mais sa mort et le discours de funérailles me donnèrent un choc qui me fit réfléchir sérieusement à la religion.
Mes parents avaient toujours été tournés en ridicule à cause de leur religion, ce qui me gênait quelque peu. J’admirais leur fermeté dans leur croyance, mais après avoir quitté la maison je n’avais plus guère pensé à cette question. Puis à l’enterrement de mon père j’ai entendu parler des vérités bibliques concernant la vie, la mort et le Royaume de Dieu, le seul espoir pour l’avenir. Mon enfance m’est revenue en mémoire. Pour ses convictions religieuses, mon père avait été considéré comme un fanatique par nombre de ses anciens amis et comme un fou par certains. Je savais que c’était un homme intelligent, instruit, artiste et sensible aux besoins des autres. Il n’aurait accepté aucune doctrine sans études ni recherches. Ses jugements étaient bien pesés. Il était scrupuleux et honnête. Il m’était impossible de l’imaginer fondant sa vie sur quelque chose qui soit sans valeur. Ce n’était pas un hypocrite religieux. J’ai éprouvé un besoin profond d’examiner consciencieusement les conceptions de mon père sur Dieu et les desseins divins envers l’homme.
Pour la première fois de ma vie j’ai commencé à étudier sérieusement la Bible, principalement parce que mon père avait eu tant de confiance dans ce Livre. Je l’ai lue d’un bout à l’autre en un mois, de même que toutes les publications de la Société Watch Tower sur lesquelles j’ai pu mettre la main. J’ai été convaincu que la Bible est bien la vérité de Dieu, et que mon père, en tant que témoin de Jéhovah, la comprenait correctement. Je savais que je devais faire quelque chose. J’ai donc symbolisé l’offrande de ma personne à Dieu par le baptême dans l’eau à l’assemblée des témoins de Jéhovah qui s’est tenue au Yankee Stadium en 1950. Deux de mes frères, qui avaient eux aussi été poussés à examiner la Bible par le discours des funérailles de notre père, se firent baptiser en même temps que moi.
Convaincu que la Bible dit vrai, j’ai facilement accepté ce qu’elle déclare concernant la sainteté du sang. J’avais pourtant participé à des centaines de transfusions et j’avais vu le procédé se développer techniquement. “S’abstenir (...) du sang”, devenait pour moi un réel problème (Actes 15:20, 29). J’avais de bons amis parmi les médecins de Santa Barbara et je pouvais espérer diriger un jour le service de chirurgie. Cependant, en ces jours-là, la médecine et la chirurgie ne se concevaient pas sans transfusions sanguines, alors que la Bible condamne l’emploi du sang. Si je voulais rester fidèle en toutes choses au vœu que j’avais fait à Dieu, je n’avais pas le choix. J’ai donc donné ma démission.
Que faire à présent ? J’avais une femme et deux petits enfants, et de plus je n’avais pas encore remboursé les dettes que j’avais contractées pour payer mes études. J’ai donc cherché une agglomération qui avait grand besoin d’un médecin. J’ai aussi pensé qu’en tant que chirurgien je pourrais aider des témoins de Jéhovah à qui on refusait une intervention chirurgicale à cause de leur position concernant le sang.
J’ai bientôt entendu parler de Loyalton, dans le nord de la Californie ; c’était une petite agglomération de bûcherons. Il y avait là un nouvel hôpital d’une quinzaine de lits, bien équipé, mais il manquait un médecin. Leur besoin d’un médecin était vraiment très grand, car il n’y en avait pas un seul dans tout le comté. À ce moment-là, on me prenait pour un original médico-religieux, mais je me disais qu’une communauté qui avait un tel besoin de médecin m’accepterait sûrement. C’est en effet ce qui arriva.
Pendant quatre ans j’ai pratiqué la médecine générale et la chirurgie dans cet hôpital, et en même temps j’ai acquis de l’expérience dans la prédication de maison en maison. Mes voisins pouvaient deviner ce que je faisais d’après le genre de serviette que je portais. Ma famille et moi-même nous nous plaisions dans cette localité, et nous avons trouvé de nombreuses personnes qui désiraient étudier régulièrement la Bible avec nous. En une certaine occasion, sept ont été baptisées.
Le message des témoins de Jéhovah était nouveau dans les petits villages de cette région isolée, et nous avons vécu quantité de faits intéressants. Une patiente bien connue dans la ville, et que je venais d’opérer, s’éveilla de son anesthésie en proclamant bien haut qu’elle savait qu’elle n’était pas morte parce que les morts “ne savent rien”, que même si elle était morte elle n’aurait pas été dans un enfer de feu, car l’enfer est tout simplement la tombe. Dans sa demi-conscience elle disait que quiconque désirait plus de détails n’avait qu’à s’en référer à moi. Quelque temps après sa guérison, elle aussi fut baptisée.
Intolérance médicale
Pourquoi ai-je quitté Loyalton où j’étais si bien ? Un représentant itinérant de la Société Watch Tower me demanda si j’étais d’accord de me rendre là où mes services seraient plus nécessaires. Il s’agissait de mes services en tant que surveillant-président d’une congrégation de témoins de Jéhovah. J’ai accepté volontiers et je me suis donc rendu à Lodi, en Californie.
Je n’étais pas là depuis six mois que je me trouvais confronté avec les médecins de la localité sur la question des transfusions sanguines. Un témoin âgé habitant hors de la ville vint me demander de l’aider. Son cas était grave ; il souffrait d’une tumeur abdominale qui nécessitait une opération en deux étapes. Avant que je ne puisse procéder à la première étape, j’ai rencontré l’opposition du service de l’anesthésie et des représentants du personnel médical. Ils m’informèrent qu’à moins que le patient ne reçoive du sang, il ne pourrait subir l’intervention dont il avait tant besoin. Je leur fis observer que sur la base de ses croyances religieuses le malade avait demandé de façon expresse de ne pas recevoir de sang, mais ils firent la sourde oreille. Ils ne prirent pas non plus en considération le fait que l’opération pouvait être accomplie rapidement et pratiquement sans risque, ni que le patient acceptait les conséquences éventuelles de sa décision. Ce dernier dut quitter l’hôpital.
Il s’ensuivit des réunions et des débats au cours desquels je dus subir la colère du personnel médical, des directeurs et des administrateurs de l’hôpital. On n’accepta aucune de mes explications et on me congédia sans plus de cérémonies. Les sociétés médicales du comté, de l’État et nationale me rayèrent de leurs listes. Je ne pouvais plus faire partie du personnel médical d’aucun hôpital accrédité des États-Unisa.
C’était une terrible épreuve pour quelqu’un qui avait pensé que la pratique de la médecine était une mission humanitaire exigeant de la compassion. Mon expérience passée m’avait peut-être fait voir les choses de façon trop idéaliste. À présent, on me stigmatisait comme un insensé et un meurtrier. Ironiquement, beaucoup de ceux qui me critiquaient le plus avaient été considérés comme de soi-disant missionnaires médicaux. Le respect que j’avais pour les médecins avait pratiquement disparu.
En guise de message d’adieu, on me notifia que le conseil d’administration avait décidé que ni les témoins de Jéhovah ni personne d’autre refusant les transfusions sanguines ordonnées par un médecin, ne seraient admis dans cet hôpital. Quelques semaines plus tard, j’ai pu constater à quel point ce règlement était inflexible. Ma mère vint nous rendre visite, et tandis qu’elle était chez moi elle eut une crise cardiaque. L’hôpital ne voulut pas l’accepter, bien qu’il ne fût question ni d’opération ni de transfusion. J’ai donc dû l’emmener dans une autre ville, et là je pus la faire admettre à l’hôpital. Le jour suivant elle mourut.
Le témoin en tant que malade
De nouveau j’en étais à me demander ce que j’allais faire. J’entendis bientôt parler d’un petit hôpital dont le personnel se composait d’ostéopathes. Il était situé à Stockton, à quelque 18 kilomètres de Lodi où j’habitais. J’ai présenté mes qualifications et défini ma position concernant les transfusions sanguines. La direction me répondit que je pourrais utiliser les installations de l’hôpital, car les ostéopathes n’étaient pas tenus par le boycottage des sociétés médicales. Disons en passant que les installations de cet hôpital se sont considérablement améliorées et agrandies au cours des années. Pendant les quatorze années suivantes, j’ai donc pratiqué la chirurgie dans cet établissement. De plus en plus, mes patients étaient des témoins de Jéhovah que d’autres médecins et hôpitaux n’avaient pas voulu soigner à cause de leur position concernant le sang.
Durant toutes ces années je n’ai jamais administré une seule transfusion de sang. À ma connaissance, aucun malade n’est mort faute de transfusion, bien qu’un grand nombre ait dû subir des interventions compliquées. C’était une joie pour moi d’avoir sous les yeux les preuves de l’exactitude des directives bibliques concernant le sang. Progressivement la profession médicale elle-même a dû reconnaître que le sang n’était pas un remède inoffensif. Les transfusions sont à présent considérées comme un procédé dangereux — autant que la transplantation de n’importe quel organe. Les journaux médicaux parlent plus des risques du procédé qu’ils ne parlaient autrefois des avantages. Si j’avais couramment donné des transfusions sanguines durant mes vingt-trois ans de pratique, il est très vraisemblable que nombre de mes malades auraient souffert de l’une ou l’autre complication à présent reconnue.
Les témoins qui venaient vers moi de tous côtés pour être opérés suscitaient mon respect et mon admiration. À cause de leurs scrupules chrétiens, ils acceptaient de risquer leur vie et celle des êtres qui leur étaient chers. Le personnel de l’hôpital avait une haute opinion d’eux. Il reconnaissait que c’étaient des gens respectueux, prêts à coopérer et toujours pleins de considération pour les infirmières et les autres aides. Les témoins avaient finalement acquis une telle réputation que l’hôpital les acceptait sans procéder à l’enquête d’usage pour s’assurer s’ils étaient capables de payer.
Ceux qui venaient se faire opérer n’étaient pas seuls à rendre témoignage par leur conduite exemplaire. Dans la localité vivait une dame témoin de Jéhovah qui se rendait chaque jour à l’hôpital pour visiter les témoins qui y étaient soignés. Ses visites étaient très appréciées, car les malades venaient souvent de très loin et n’avaient donc pas d’autres visiteurs. La bienveillance de cette dame et ses prévenances impressionnaient considérablement le personnel de l’hôpital, car il se rendait compte qu’elle ne connaissait aucun malade personnellement.
Un témoin habitant à plus de 1 500 kilomètres vint me trouver pour subir une grave opération. Son infirmière se demandait pourquoi il était venu de si loin. Connaissait-il le chirurgien personnellement ? Non ! Le connaissait-il de réputation ? Oui, en effet, mais la véritable raison c’est que le chirurgien et lui-même servaient le même Dieu, Jéhovah. En me rapportant ce fait, l’infirmière reconnut que seul ce culte commun expliquait les relations étroites qui unissaient les témoins de Jéhovah.
Les études se poursuivent
Le Collège américain des chirurgiens fait volontiers état d’une description des qualités que doit posséder un chirurgien et qui fut écrite au quatorzième siècle. Nous y lisons :
“Le chirurgien doit remplir quatre conditions. Premièrement, il doit être savant ; deuxièmement, il doit être habile ; troisièmement, il doit être ingénieux, et quatrièmement, il doit être capable de s’adapter.
“Que le chirurgien soit hardi quand il y a sécurité, et plein de crainte quand il y a danger ; qu’il évite toute pratique ou tout traitement erroné. Il doit être aimable avec les malades, prévenant pour ses assistants, prudent dans ses diagnostics. Qu’il soit modeste, respectable, doux, compatissant et miséricordieux ; qu’il ne soit ni avide ni extorqueur ; que sa rémunération soit proportionnée à son travail, aux moyens du patient, à la qualité du résultat et selon sa propre dignité.”
Sans aucun doute, pour atteindre ces buts élevés, il faut sans cesse se perfectionner, sans cesse étudier. Il existe une avalanche de publications médicales dont certaines doivent être examinées attentivement si l’on veut se tenir au courant des progrès accomplis. Il est aussi important d’assister à des réunions et à des séminaires. La compétence technique s’améliore avec l’expérience et la pratique, aussi un bon chirurgien accomplit-il parfois plusieurs opérations par jour.
Tout effort couronné de succès porte en soi sa récompense, et c’est particulièrement le cas pour un médecin. On éprouve beaucoup de satisfaction quand on a pu contribuer à la guérison d’un grand malade. On en retire un enseignement, mais il est également vrai qu’on retire un enseignement de ses erreurs. L’erreur d’un chirurgien peut avoir des conséquences graves, aussi un bon chirurgien est-il un chirurgien prudent. Il doit cependant être honnête avec lui-même et admettre qu’il lui est impossible d’éviter entièrement de se tromper. Lui comme ses patients peuvent bénéficier de ces expériences malheureuses. Heureusement que de nos jours le code d’Hammourabi n’est plus en vigueur, car il ne permettait pas à un chirurgien de tirer profit de ses erreurs : celui qui se trompait avait les mains coupées !
Un bon jugement est une qualité essentielle pour être un bon chirurgien. Selon une autobiographie bien connue, la décision entre pour une grande part dans le travail du chirurgien. Celui-ci espère s’améliorer dans ce domaine grâce à son application à l’étude, à son expérience et à son habileté technique. De nombreux médecins insistent sur la nécessité de traiter “l’homme tout entier” au lieu de s’intéresser seulement à la partie malade. Le bon chirurgien doit lui aussi apprendre à considérer son patient comme un tout. Il accordera son attention non seulement aux parties du corps qu’il doit opérer, mais aussi aux sentiments du malade, à ses craintes, à ses espoirs et à sa conscience. On peut traiter avec succès une maladie et en même temps faire un tort considérable au patient si l’on ne tient pas compte de sa conscience. Un chirurgien qui impose de force un traitement à son malade peut se croire justifié à agir ainsi à cause de ses connaissances. Mais son incapacité à prendre en considération la conscience de son patient est une lacune dans sa formation, et son jugement en est faussé. Il ne traite pas “l’homme tout entier”.
Les exploits de la chirurgie moderne
La chirurgie moderne s’est développée d’une façon vraiment remarquable. Loin de se contenter d’enlever les parties malades du corps, elle a fait d’énormes progrès dans le domaine de la reconstitution et de la correction. Des extrémités amputées peuvent être regreffées ; on construit de nouvelles articulations ; on peut corriger des déformations congénitales du cœur ou du pied. De nouvelles méthodes permettent de maîtriser facilement les hémorragies. Il y a quantités de procédés chirurgicaux compliqués qui emploient le rayon laser. De plus, les chirurgiens bénéficient du concours de l’anesthésiste et des autres membres de l’équipe opératoire. Des spécialistes ont inventé de nouveaux instruments et perfectionné l’équipement.
Aujourd’hui on a aussi fait beaucoup de progrès dans le domaine des transplantations d’organes — reins, cœur, poumons et foie. Mais à ce sujet, je me rappelle un commentaire que fit mon père. Je venais de quitter l’école de médecine et j’avais procédé à une vasectomie sur un de ses patients qui avait demandé à être stérilisé. J’étais fier de ma technique nouvellement apprise et j’ai demandé à mon père ce qu’il en pensait. Il répliqua : “Le patient est certainement content, mais je me demande ce que le Créateur pense de cela.” Étant donné l’opinion que le Créateur doit avoir concernant les transplantations d’organes, j’émets de sérieuses réserves à leur endroit.
Nous ne pouvons faire de la chirurgie sans tenir compte du Créateur. Comme l’a bien dit le Dr Alexis Carrel dans son livre L’homme, cet inconnu, “grâce à l’ingéniosité de ses méthodes, elle [la chirurgie moderne] a dépassé les espoirs les plus ambitieux de la médecine d’autrefois”. Il n’en reste pas moins, comme le reconnaît cet auteur, que même “dans les hôpitaux les plus perfectionnés (...) la guérison des blessures dépend, avant tout, des fonctions adaptives”. En d’autres termes, tout dépend des facultés de guérison dont le Créateur a doté le corps humain.
Mon activité de ministre chrétien
Aussi remarquables que soient les réalisations de la chirurgie moderne, en tant que ministre chrétien et chirurgien je reconnais avec Jésus que les valeurs spirituelles sont plus importantes que les valeurs matérielles ou le bien-être physique (Mat. 16:26). Cela signifie que le ministre chrétien qui dirige les gens vers l’espérance de la vie éternelle fait davantage pour eux que le meilleur chirurgien, qui peut tout au plus les aider à prolonger leur vie de quelques années. C’est pourquoi il y a des années j’avais abandonné mon poste pourtant très rémunérateur à Santa Barbara. En outre, je me rends compte que bientôt cette profession sera inutile. Si je devais recommencer ma vie, je n’entreprendrais pas la longue période d’étude et de formation nécessaire pour devenir chirurgien. Je choisirais de vouer tout mon temps exclusivement au ministère chrétien.
Aujourd’hui, ma vie est heureuse et bien remplie. Mes deux enfants sont mariés et ministres chrétiens ; l’un est aîné dans une congrégation, l’autre est missionnaire dans un pays lointain. Ma femme et moi-même travaillons à présent comme ministres chrétiens à plein temps au siège principal de la Société Watch Tower, aidant nos frères chrétiens quand ils en ont besoin. Tous ces privilèges m’ont apporté de grands bienfaits ; aussi puis-je reprendre à mon compte les paroles de Proverbes 10:22: “La bénédiction de Jéhovah — voilà ce qui enrichit, et il n’ajoute aucune douleur avec elle.”
— D’un de nos lecteurs
[Note]
a Douze ans plus tard, après plusieurs refus, j’ai été invité à introduire une nouvelle demande et je suis de nouveau reconnu par les sociétés médicales.