États-Unis d’Amérique (1re partie)
Notre récit commence au milieu du dix-neuvième siècle. Des files de chariots traversent les plaines, transportant des pionniers vers l’Ouest. Des troupeaux immenses de bisons, — dont il y avait quelque 20 millions de têtes en 1850, — errent à leur guise entre les Appalaches et les Rocheuses.
De 1861 à 1865, la guerre de Sécession ravage le pays, suivie d’une ère d’industrialisation. L’année 1869 voit l’achèvement du premier chemin de fer transcontinental. L’éclairage électrique et le téléphone entrent en scène pendant les années 1870. Après 1880, les tramways électriques facilitent les déplacements en ville, et avant la fin du siècle, quelques automobiles annoncent bruyamment leur présence.
Le climat religieux à cette époque-là était pour le moins imprévisible. Charles Darwin avait épousé la théorie de l’évolution humaine dans son livre L’origine des espèces, publié en 1859. Alors que l’évolutionnisme, la critique rationaliste de la Bible, l’athéisme, le spiritisme et l’incroyance livrent assaut à la religion organisée, l’Église catholique essaie de renforcer sa position en organisant le premier Concile du Vatican (1869-1870). Divers groupements religieux attendent impatiemment, mais en vain, l’imminent retour charnel du Christ.
Pourtant, “la conclusion du système de choses” s’approchait réellement. Le “blé”, les vrais chrétiens, devait exister quelque part sur la terre, le champ de Dieu en culture. Mais où ?
‘LE JOUR DES PETITES CHOSES’
Nous sommes vers 1870, à Allegheny, ville aux nombreuses églises, qui plus tard deviendra une partie de Pittsburgh, en Pennsylvanie. Un soir, un jeune homme âgé de dix-huit ans se promène dans une rue d’Allegheny. De son propre aveu, il “venait d’être ébranlé dans sa foi à propos de nombreuses doctrines acceptées depuis longtemps” et il était devenu “une proie facile de la logique apparente du rationalisme”. Mais ce soir, attiré par des chants, il entre dans une salle poussiéreuse et mal éclairée. Son but ? Pour reprendre ses propres termes, “pour voir si la poignée de personnes qui s’y réunissait avait quelque chose de plus sensé à offrir que les croyances des grandes Églises”.
Le jeune homme s’assoit et écoute. Jonas Wendell, prédicateur adventiste, prononce son sermon. Notre jeune auditeur devait avouer plus tard : “Bien que son exposé des Écritures ne fût pas tout à fait clair, (...) il n’en fallut pas plus sous la main de Dieu pour rétablir ma foi chancelante en l’inspiration divine de la Bible et me montrer que les textes des apôtres et des prophètes forment un tout indissoluble. Ce que j’entendis me fit reprendre ma Bible afin de l’étudier avec plus de zèle et de soin que jamais auparavant.”
Ce jeune homme curieux s’appelait Charles Taze Russell. Deuxième fils de Joseph et d’Ann Eliza (née Birney) Russell, tous deux d’origine écosso-irlandaise, il vint au monde le 16 février 1852 à Allegheny. Sa mère, qui l’avait voué à l’œuvre du Seigneur dès sa naissance, mourut quand il n’avait que neuf ans. Dès son jeune âge, Charles reçut ses premières impressions religieuses de ses parents, membres de l’Église presbytérienne. Plus tard, il s’affilia à l’Église congrégationaliste, qui possédait un temple dans son quartier, à cause de ses conceptions plus libérales.
Déjà à l’âge de onze ans, Charles devint l’associé de son père dans une affaire de confection pour hommes, et rédigea lui-même les termes de l’accord. À l’âge de quinze ans, il se trouva avec son père à la tête d’un grand magasin. Ils avaient des succursales à Pittsburgh, à Philadelphie, et dans d’autres villes.
Dès sa jeunesse, Charles avait étudié sincèrement les Écritures. Il désirait servir Dieu au mieux de ses possibilités. Un jour, quand il n’avait que douze ans, son père le trouva dans le magasin à deux heures du matin, absorbé dans l’étude d’une concordance de la Bible et inconscient du temps écoulé.
Avec le temps, Russell fut spirituellement troublé, particulièrement par les doctrines des châtiments éternels et de la prédestination. Il raisonnait ainsi : “Un Dieu qui créerait par sa puissance des êtres humains en les prédestinant aux supplices éternels ne serait ni sage, ni juste, ni bienveillant. Sa morale serait inférieure à celle de bien des hommes.” (I Jean 4:8). Néanmoins, le jeune Russell continuait de croire à l’existence de Dieu. Préoccupé par de telles questions doctrinales, il examina les diverses croyances de la chrétienté et étudia les principales religions de l’Orient, mais il alla de déception en déception. Où se trouvait la vérité ?
À en croire l’un de ses proches, à l’âge de dix-sept ans Russell tenait le raisonnement suivant : “Puisqu’il est inutile de chercher des explications logiques concernant l’avenir en examinant les croyances religieuses et même la Bible, je vais simplement oublier tout cela et concentrer toute mon attention sur les affaires. Si je réussis à amasser de l’argent, je pourrai m’en servir pour aider les hommes affligés, même si je ne puis les aider spirituellement.”
Voilà les pensées qui occupaient l’esprit du jeune Russell lorsqu’il entra dans la petite salle d’Allegheny et entendit le sermon qui devait ‘rétablir sa foi chancelante en l’inspiration divine de la Bible’. Il informa plusieurs jeunes hommes de ses amis de son intention d’étudier les Écritures. Bientôt ce groupe, comprenant six personnes, se réunissait chaque semaine pour se livrer à l’étude systématique de la Bible. Grâce à ces réunions régulières qui eurent lieu entre 1870 et 1875, les pensées religieuses de ces hommes subirent des changements profonds. Avec le temps, Jéhovah les bénit en leur accordant davantage de lumière spirituelle et de vérité. — Ps. 43:3 ; Prov. 4:18.
Russell écrivit plus tard : “Nous en sommes venus à saisir la différence entre le Seigneur en tant que l’‘homme qui s’est livré lui-même’, et le Seigneur qui reviendrait en tant qu’être spirituel. Nous avons compris que les êtres spirituels peuvent être présents tout en restant invisibles aux hommes. (...) Nous étions navrés de l’erreur des adventistes qui attendaient le Christ dans la chair et enseignaient que le monde et ses habitants, à l’exception d’eux-mêmes, seraient consumés par le feu en 1873 ou 1874. Leurs fixations de dates, leurs déceptions et leurs idées sommaires sur le but de sa venue et sa manière de revenir jetaient plus ou moins d’opprobre sur nous et sur tous ceux qui attendaient et proclamaient son Royaume tout proche.”
S’efforçant sincèrement de combattre de tels enseignements erronés, en 1873, à l’âge de vingt et un ans, Russell écrivit et publia à ses frais une brochure intitulée “Le but et la manière du retour du Seigneur”, qui fut tirée à quelque 50 000 exemplaires.
Vers janvier 1876, Russell reçut un exemplaire d’un journal religieux intitulé Le messager du matin. Rien qu’en regardant la couverture, il comprit qu’il s’agissait d’une publication adventiste, mais son contenu le surprit. Le rédacteur, un certain Barbour, de Rochester, dans l’État de New York, avait compris que Jésus Christ revenait non pour détruire toutes les familles de la terre, mais pour les bénir, et qu’il reviendrait comme un voleur non dans la chair, mais comme esprit. En fait, se fondant sur les prophéties et la chronologie de la Bible, Barbour pensait que le Christ était déjà présent et que l’œuvre consistant à moissonner le “blé” et l’“ivraie” (la mauvaise herbe) devait commencer. Russell fit le nécessaire pour rencontrer Barbour, à la suite de quoi le groupe d’étude biblique de Pittsburgh, comprenant une trentaine de personnes, s’affilia à celui de Barbour, légèrement plus important, qui se réunissait à Rochester. Comme Le messager était sur le point de cesser de paraître faute de fonds, Russell puisa dans sa propre caisse pour le renflouer, et en devint le co-rédacteur.
En 1877, à l’âge de vingt-cinq ans, Russell commença à se retirer des affaires afin de consacrer tout son temps à la prédication. Son activité consistait alors à voyager d’une ville à l’autre pour y prononcer des discours bibliques dans des salles, dans les rues et dans les églises protestantes. Cette campagne de prédication lui valut le titre de “pasteur Russell”. Il décida de consacrer toute sa vie et toute sa fortune à cette œuvre, d’interdire toute collecte à ces réunions et de compter sur des contributions volontaires pour assurer la continuation de l’œuvre après l’épuisement de ses fonds personnels.
Toujours en 1877, Barbour et Russell publièrent conjointement un livre de 196 pages intitulé Les trois mondes, et la moisson du monde d’à présent. Cet ouvrage, qui parlait du Rétablissement en rapport avec les prophéties chronologiques de la Bible, émit l’opinion que Jésus Christ était présent invisiblement depuis 1874, date à laquelle avaient commencé simultanément une période de quarante ans et une moisson de trois ans et demi.
Signalons avec quelle exactitude remarquable ce livre expliquait la fin des temps des Gentils, “les temps fixés des nations”. (Luc 21:24.) Aux pages 83 et 189, il montrait que les 2 520 années au cours desquelles les nations gentiles ou non juives domineraient la terre sans être gênées par le Royaume de Dieu commencèrent lorsque les Babyloniens renversèrent le royaume de Juda vers la fin du septième siècle avant notre ère, et que cette période prendrait fin en 1914. Mais plus tôt encore, en octobre 1876, Russell avait publié dans le journal Le scrutateur de la Bible un article intitulé “Les temps des Gentils : Quand arrivent-ils à leur terme ?”, où il affirmait : “Les sept temps prendront fin en 1914.” Il avait avec juste raison identifié les temps des Gentils avec les “sept temps” mentionnés dans le livre de Daniel (Dan. 4:16, 23, 25, 32). Conformément à ces calculs, l’année 1914 marqua effectivement la fin de ces temps et la naissance du Royaume de Dieu au ciel avec Jésus Christ investi comme roi. Songez un peu ! Jéhovah dispensa cette connaissance à son peuple presque quarante ans avant la fin de cette période !
Tout alla pour le mieux pendant un certain temps. Puis arriva le printemps de 1878. Barbour pensait que les saints vivant sur la terre devaient alors être emportés corporellement au ciel, afin d’être pour toujours avec le Seigneur. Or, rien de pareil ne se produisit. D’après Russell, Barbour “semblait penser qu’il devait, lui, absolument trouver quelque chose de nouveau pour détourner l’attention des gens du fait que les saints sur la terre n’avaient pas tous été enlevés”. Il ne tarda pas à agir de la sorte. Russell écrivit : “À notre douloureuse surprise, M. Barbour écrivit peu après un article pour Le messager dans lequel il rejetait la doctrine de la rédemption niant que la mort du Christ fût le prix de rachat payé pour Adam et sa descendance. Il affirmait que la mort du Christ ne pouvait pas servir de paiement pour le châtiment des péchés du genre humain, pas plus que des parents terrestres ne considéreraient comme un règlement approprié pour un écart de conduite de leur enfant le fait de percer le corps d’une mouche avec une épingle pour la faire souffrir et mourir.”
Dans Le messager de septembre, Russell publia un article intitulé “La Rédemption”, où il défendait la doctrine de la rançon et réfutait l’erreur de Barbour. Jusqu’en décembre 1878, la controverse se poursuivit dans les pages de ce périodique. Relatant ces événements, Russell devait écrire plus tard : “Il devint maintenant clair pour moi que le Seigneur ne me demandait plus désormais de donner mon appui financier à une chose qui exercerait une influence contraire au principe fondamental de notre sainte religion, ni de m’associer à une telle cause. C’est pourquoi, après un effort prudent mais infructueux en vue de ramener l’égaré, je me retirai entièrement du Messager du matin et de toute association future avec M. Barbour. Mais il ne me semblait pas suffisant de m’être retiré pour démontrer ma loyauté ininterrompue envers notre Seigneur et Rédempteur. (...) Je compris donc que selon la volonté du Seigneur il m’incombait de lancer un nouveau périodique dans lequel la bannière de la Croix serait tenue bien haut, la doctrine de la Rançon défendue et la bonne nouvelle de grandes joies proclamée aussi largement que possible.”
Russell comprit qu’en ce qui le concernait, la volonté du Seigneur était qu’il cesse de voyager et qu’il publie un nouveau journal. Ainsi, en juillet 1879, parut le premier numéro de La Tour de Garde et Messager de la Présence de Christ. Connu aujourd’hui dans le monde entier sous le nom de La Tour de Garde, ce périodique a toujours défendu la doctrine biblique de la rédemption, conformément à ce vœu exprimé par Russell : “Dès le début, ce périodique s’est fait le défenseur particulier de la Rançon ; et, par la grâce de Dieu, nous espérons qu’il le sera jusqu’à la fin.”
Le premier numéro de ce périodique n’ayant été tiré qu’à quelque 6 000 exemplaires, ce fut pour lui sans aucun doute le “jour des petites choses”. (Zach. 4:10.) En sa qualité de président de la classe d’études bibliques de Pittsburgh, Russell était rédacteur en chef et directeur de ce journal, tandis que cinq autres chrétiens mûrs, étudiants de la Bible, devaient rédiger régulièrement des articles. Ce périodique était voué à Jéhovah et aux intérêts de son Royaume. Ses rédacteurs comptaient sur Dieu, comme l’indique cette déclaration publiée dans son deuxième numéro : “‘La Tour de Garde de Sion’ a, nous le croyons, JÉHOVAH comme soutien, et tant qu’il en sera ainsi, elle ne demandera ni ne sollicitera jamais l’appui des hommes. Quand Celui qui dit : ‘Tout l’or et tout l’argent des montagnes sont à moi’ ne daignera plus pourvoir aux fonds nécessaires, nous comprendrons que le moment est venu d’en suspendre la parution.” Or, ce périodique n’a jamais cessé de paraître depuis lors. Bien au contraire, à la fin de 1974, son tirage avait dépassé les 8 500 000 exemplaires par numéro.
Pendant les années 1870, ces étudiants de la Bible s’étaient montrés fermes pour défendre et annoncer les vérités bibliques, ce qui leur avait valu la bénédiction de Dieu. Malgré la croissance de “la mauvaise herbe” dans le monde ou champ, Dieu était intervenu pour identifier le “blé”, les vrais chrétiens (Mat. 13:25, 37-39). Indéniablement, Jéhovah était en train d’appeler certains hommes “des ténèbres à son étonnante lumière”. (I Pierre 2:9.) En 1879 et 1880, Russell et ses compagnons fondèrent environ trente congrégations en Pennsylvanie, dans le New Jersey, et dans les États de New York, de Massachusetts, de Delaware, d’Ohio et de Michigan. Russell visitait toutes ces congrégations en tenant une ou plusieurs réunions bibliques avec chaque groupe.
On appelait ces premières congrégations des “ecclésias” (d’après le grec ékklêsia, mot qui signifie “congrégation”), et parfois on les appelait “classes”. Tous les membres de chaque congrégation devaient se prononcer sur certaines affaires par un vote et également élire un collège d’aînés responsable de la direction de la congrégation. Les ecclésias étaient unies du fait qu’elles acceptaient toutes de suivre le modèle de la congrégation de Pittsburgh, où Russell et d’autres rédacteurs de La Tour de Garde étaient aînés.
Jésus Christ ‘prêcha aux captifs la libération’. (Luc 4:16-21 ; És. 61:1, 2.) Au dix-neuvième siècle, si les hommes au cœur honnête devaient bénéficier de la liberté donnée par Dieu, il fallait dévoiler les erreurs religieuses. C’est ce que faisait La Tour de Garde de Sion, mais dans ce même but, à partir de 1880, Russell et ses collaborateurs rédigèrent des “Tracts des Étudiants de la Bible” (appelés également “Cahiers trimestriels de théologie ancienne”). Ces tracts étaient remis gratuitement aux lecteurs de La Tour de Garde, pour qu’ils les distribuent au public.
Frère Russell et ses compagnons croyaient qu’ils vivaient au temps de la moisson, et ils étaient très peu nombreux, — environ une centaine en 1881. Pourtant, les hommes avaient besoin de la vérité qui affranchit, et Russell était bien décidé à la leur communiquer par la faveur imméritée de Dieu. Aussi, en avril 1881, La Tour de Garde de Sion contenait-elle un article au titre frappant “Recherchons 1 000 prédicateurs”. Aux lecteurs qui pouvaient consacrer la moitié de leur temps ou davantage exclusivement à l’œuvre du Seigneur, cet appel a été lancé : “Allez dans les villes, grandes et petites, selon vos possibilités, comme colporteurs ou évangélistes, à la recherche en tous lieux des chrétiens sincères et convaincus. Vous en trouverez beaucoup qui sont animés de zèle pour Dieu, mais pas selon la connaissance. Cherchez à leur faire connaître les richesses de la grâce de notre Père et les beautés de sa Parole, en leur remettant des tracts.” Entre autres, ces colporteurs (les précurseurs de nos pionniers) devaient obtenir des abonnements à La Tour de Garde. Bien entendu, tous les lecteurs de La Tour de Garde ne pouvaient devenir des prédicateurs à plein temps. Mais les autres n’étaient pas délaissés. Cette invitation leur fut adressée : “Si vous disposez d’une demi-heure ou d’une heure, de deux ou de trois heures, vous pouvez employer ce temps ; et cela sera agréable au Seigneur de la moisson. Qui peut prévoir les bienfaits qui découleront d’une heure de service accomplie sous la conduite de Dieu ?”
L’appel lancé ne produisit pas alors les 1 000 prédicateurs désirés (en 1885, il y avait environ 300 colporteurs). Cependant, les serviteurs de Jéhovah savaient qu’ils devaient annoncer la bonne nouvelle. Aussi, en juillet et en août 1881, La Tour de Garde de Sion publia-t-elle un article qui déclarait : “Prêches-tu, toi aussi ? Nous croyons que nul ne fera partie du petit troupeau, à moins d’avoir été prédicateur. (...) En effet, nous avons été appelés à souffrir avec lui et à proclamer cette bonne nouvelle maintenant, afin qu’en temps voulu nous soyons glorifiés et que nous puissions accomplir les choses que nous prêchons maintenant. Nous n’avons pas été appelés, ni oints pour recevoir des honneurs et amasser des richesses, mais pour les dépenser et pour nous dépenser nous-mêmes, ainsi que pour prêcher la bonne nouvelle.”
Cette même année, 1881, Charles Russell acheva la rédaction de deux grandes brochures dont l’une avait pour titre “Les Figures du Tabernacle”. L’autre, “Nourriture pour les chrétiens réfléchis”, dévoilait certaines erreurs doctrinales et expliquait les desseins divins.
Au début, l’impression des tracts et de La Tour de Garde de Sion était presque entièrement assurée par des imprimeries commerciales. Mais si la diffusion des imprimés devait s’étendre et si les Étudiants de la Bible (comme on appelait alors les témoins de Jéhovah) devaient recevoir des contributions afin de poursuivre leur œuvre, une association déclarée devenait nécessaire. C’est pourquoi, vers le début de 1881, la Zion’s Watch Tower Tract Society fut fondée comme association sans capacité juridique, ayant frère Russell pour directeur. Avec générosité, lui-même et d’autres donnèrent quelque 35 000 dollars pour aider cette association à ouvrir une imprimerie. En 1884, cette association acquit la capacité juridique, et Russell en devint le président. Aujourd’hui, cette association religieuse est connue sous le nom de Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania.
Les statuts de cette association déclaraient : “Le but pour lequel est constituée l’association est la diffusion de vérités bibliques en différentes langues au moyen de la publication de tracts, de brochures, de journaux et d’autres écrits religieux, ainsi que par l’emploi de tout autre moyen légal que son conseil d’administration, dûment constitué, jugera opportun pour atteindre le but précité.”
“La diffusion de vérités bibliques” a été grandement favorisée par la publication d’une série de livres intitulée “L’Aurore du Millénium” (appelée plus tard “Études des Écritures”). Le premier volume, rédigé par frère Russell dans un langage très accessible, parut en 1886. Intitulé d’abord “Le Plan des Âges” et plus tard “Le divin Plan des Âges”, ce livre traitait entre autres des sujets suivants : “Démonstration de l’existence d’un Créateur souverainement intelligent”, “La venue de notre Seigneur — son but, le rétablissement de toutes choses”, “Le jour du jugement”, “Le royaume de Dieu” et “Le jour de Jéhovah”. Au cours d’une période de quarante ans, six millions d’exemplaires de ce livre furent distribués, et grâce à lui, des centaines de gens sincères qui cherchaient la vérité s’affranchirent de la captivité de la fausse religion et trouvèrent la liberté chrétienne.
Par la suite, Russell écrivit cinq autres livres dans la série de “L’Aurore du Millénium”, à savoir : Volume II, Le Temps est proche (1889) ; Volume III, Que ton règne vienne (1891) ; Volume IV, La Bataille d’Harmaguédon (1897 ; premier titre : “Le jour de vengeance”) ; Volume V, La Réconciliation de Dieu avec l’homme (1899) ; Volume VI, La Nouvelle Création (1904). La mort empêcha Russell de rédiger le septième volume.
Ces ouvrages chrétiens produisirent des résultats remarquables. L’esprit de Dieu incita certains lecteurs à agir. Nombre d’entre eux abandonnèrent aussitôt la fausse religion. Après avoir lu un volume de L’Aurore du Millénium, une dame écrivit en 1889 : “Sa vérité s’empara immédiatement de mon cœur. Sans hésiter, j’ai quitté l’Église presbytérienne, où je cherchais depuis longtemps la vérité au milieu des ténèbres, sans la trouver.” En 1891, un ecclésiastique écrivit : “Après avoir prêché pendant trois ans au sein de l’Église méthodiste épiscopalienne, tout en cherchant sincèrement la vérité, grâce à Dieu je suis maintenant à même de ‘sortir d’elle’.” — Rév. 18:4.
Les rédacteurs d’autres lettres reçues par la Société exprimèrent le vif désir de prêcher la bonne nouvelle. Par exemple, en 1891 un homme et sa femme écrivirent : “Nous avons consacré tout ce que nous possédons au Seigneur et à son service, pour sa plus grande gloire ; si c’est la volonté du Seigneur, et que je puisse m’organiser en conséquence, j’essaierai de devenir colporteur, et si encore le Seigneur accepte mon service et me bénit dans son œuvre, alors nous abandonnerons notre maison et ma femme se joindra à moi dans l’œuvre de la moisson.”
En 1894, la Société reçut une lettre intéressante d’un homme qui s’était procuré les volumes de L’Aurore du Millénium auprès de deux femmes colporteurs. Il les lut, en commanda d’autres exemplaires, s’abonna à La Tour de Garde de Sion, et écrivit ce qui suit : “Ma chère femme et moi-même avons lu ces livres avec le plus vif intérêt. Nous considérons comme une grande grâce divine le fait d’avoir eu l’occasion d’entrer en leur possession. Ils sont vraiment un ‘guide’ pour l’étude de la Bible. Les grandes vérités révélées dans les études présentées dans cette série ont tout simplement renversé nos aspirations terrestres. Reconnaissant, dans une certaine mesure tout au moins, la grande occasion qui nous est offerte de faire quelque chose pour le Christ, nous avons l’intention d’en profiter pour distribuer ces ouvrages, d’abord parmi nos propres parents et amis, ensuite parmi les pauvres qui désirent les lire et ne peuvent les acheter.” Cette lettre portait la signature de Joseph Rutherford, qui se voua à Jéhovah douze ans plus tard et finit par succéder à frère Russell comme président de la Société Watch Tower.
LA MAISON DE LA BIBLE
Le siège des Étudiants de la Bible était d’abord situé au 101 Fifth Avenue, à Pittsburgh, puis au 44 Federal Street, Allegheny. Cependant, vers la fin des années 1880, l’accélération de l’œuvre consistant à annoncer la bonne nouvelle et à rassembler les “brebis” rendit indispensable l’agrandissement des locaux. Le peuple de Jéhovah bâtit donc un nouvel édifice. Achevé en 1889, ce bâtiment de trois étages construit en brique coûta 34 000 dollars. Il était situé au 56-60 (plus tard 610-614) Arch Street, Allegheny. Baptisé “Maison de la Bible”, cet immeuble était d’abord la propriété de la Tower Publishing Company, une société privée dirigée par Russell et qui, pendant plusieurs années, imprima à un prix convenu les publications de la Société Watch Tower. Mais en avril 1898, ce bâtiment tout équipé, évalué par son conseil d’administration à 164 033 dollars et 65 cents, fut donné à la Société Watch Tower.
La Maison de la Bible fut le siège de la Société pendant vingt ans.
“À quoi ressemblait la vie dans la Maison de la Bible en 1907?” Sœur Ora Sullivan Wakefield répond à sa propre question en ces termes : “N’étant qu’au nombre de trente, nous formions réellement une ‘famille’. (...) Nous mangions, dormions, travaillions et adorions Dieu tous dans cet immeuble. Sous l’estrade de la chapelle il y avait un bassin pour les baptêmes.”
Songez un peu ! En 1890, la Société Watch Tower ne comptait qu’environ quatre cents ministres actifs. Mais l’esprit saint de Jéhovah était à l’œuvre et produisait d’excellents résultats (Zach. 4:6, 10). En effet, les années 1890 virent un grand accroissement. Ainsi, d’après des rapports incomplets, le 26 mars 1899, 339 groupes se réunirent pour commémorer la mort de Jésus Christ, et il y eut 2 501 participants. Incontestablement, les “brebis” affluaient vers l’“enclos”. — Michée 2:12.
Le voyage que Russell fit à l’étranger en 1891 favorisa grandement l’œuvre de la prédication. Ce périple de quelque 27 000 kilomètres amena le président et son groupe en Europe, en Asie et en Afrique. À la suite de ce voyage, un dépôt d’imprimés fut ouvert à Londres, et des dispositions furent prises pour publier les livres de la Société en allemand, en français, en suédois, en danois, en norvégien, en polonais, en grec et, plus tard, en italien.
“ALLONS À LA MAISON DE JÉHOVAH !”
David se réjouit quand on lui dit : “Allons à la maison de Jéhovah !” (Ps. 122:1). Pareillement, les premiers Étudiants de la Bible étaient toujours très heureux lors de leurs réunions et de leurs congrès (Héb. 10:23-25). Ils y recevaient de grandes récompenses spirituelles. Mais une chose manquait toujours à leurs réunions : Le plateau de quête ! La phrase “Entrée libre, pas de collecte” a toujours caractérisé toutes les réunions et les assemblées des témoins chrétiens de Jéhovah. Cela est normal, puisque Jésus Christ a dit : “Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.” Les contributions volontaires ont toujours couvert tous les frais des réunions organisées par le peuple de Jéhovah. — Mat. 10:8 ; II Cor. 9:7.
Joignons-nous à nos frères dans la foi pendant qu’ils se rendent à leurs réunions hebdomadaires. Ralph Leffler nous dit : “Avant et après 1900, nous avons manqué très peu de réunions. À cette époque-là, il n’y avait pas d’automobiles. Nous vivions à la campagne, à huit kilomètres de la ville, si bien que pour nous rendre aux réunions nous devions soit marcher à pied (...) ou aller en carriole. Combien de dimanches nous avons parcouru les seize kilomètres deux fois dans la journée pour assister aux réunions ! Année après année, l’été comme l’hiver, par tous les temps, nous y sommes allés, conscients du privilège d’affermir notre foi et d’apprendre toujours davantage concernant les vérités de la Bible. Nous ne voulions manquer aucune occasion de fréquenter nos frères dans la foi.” De leur côté, Hazelle et Helen Krull déclarent : “Quand il y avait de la neige, nous allions à la réunion en traîneau, et nous attachions notre cheval dehors, le recouvrant d’une couverture. Il lui arrivait d’attendre patiemment, mais parfois il piaffait dans la neige.”
Comment se déroulaient les réunions à cette époque-là ? L’une était consacrée à l’étude du livre Les figures du Tabernacle, publié par la Société en 1881. Cet ouvrage expliquait la signification prophétique du tabernacle d’Israël et des sacrifices. Même les enfants tiraient un grand profit de ces études. Se rappelant ces réunions tenues dans un foyer, Sara Kaelin écrit : “Le groupe s’était agrandi et parfois les enfants devaient s’asseoir sur l’escalier. Mais ils devaient tous répondre à des questions comme celles-ci : Que représente le jeune taureau ? la cour ? le Saint ? le Très-Saint ? le jour des Propitiations ? le grand prêtre ? les sous-prêtres ? Ces choses étaient gravées si profondément dans notre esprit que nous pouvions imaginer le grand prêtre en train d’officier aux cérémonies, et nous connaissions la signification de celles-ci.”
Une autre réunion, tenue le mercredi soir, prit plus tard le nom de “réunion de prières, de louanges et de témoignages”. Sœur Edith Brenisen en fait la description suivante : “Après un cantique et une prière, le président lisait un passage approprié de l’Écriture et faisait lui-même quelques commentaires, puis il donnait la parole aux assistants. Ces rapports concernaient tantôt un fait de prédication particulièrement réjouissant, tantôt la preuve de la manière dont Jéhovah guidait et protégeait son peuple. Chacun était libre de faire une prière ou de demander le chant d’un cantique dont les paroles exprimaient mieux que lui les pensées de son cœur. Ces soirées offraient l’occasion de méditer sur la protection bienveillante de Jéhovah et de fréquenter étroitement nos frères et sœurs. En écoutant leurs rapports, nous parvenions à mieux les connaître. En observant leur fidélité et en entendant comment ils avaient surmonté leurs difficultés, nous arrivions souvent à résoudre nos propres problèmes.” Cette réunion du mercredi soir était le précurseur de ce qui est devenu la réunion de service tenue chaque semaine par les témoins de Jéhovah, et destinée à les aider dans leur prédication.
En ce temps-là, le vendredi soir se tenaient des études appelées “Cercle de l’aurore” parce que les volumes de la série L’Aurore du Millénium étaient examinés. Ralph Leffler se souvient que le dimanche soir il y avait d’ordinaire une étude de la Bible ou un discours sur les Écritures, par exemple sur la “Carte des âges”. En quoi consistait cette “carte” ? Frère Leffler l’explique en ces termes : “Collé à l’intérieur de la couverture du Volume I des Études des Écritures il y avait un long tableau graphique (...). On pouvait acheter à la Maison de la Bible à Allegheny un agrandissement de ce tableau sous forme de banderole. L’orateur dressait cette ‘Carte des âges’ devant les auditeurs et en expliquait les graphiques sous forme de demi-cercles et de pyramides. Ce tableau représentait les principaux événements bibliques depuis la création de l’homme jusqu’à la fin du millénium et le début des ‘âges à venir’. (...) Grâce à ces discours, prononcés fréquemment, nous apprenions bien des choses sur l’histoire biblique.”
De tels discours sur la “Carte des âges” étaient prononcés dans les salles de réunion du peuple de Jéhovah et dans d’autres salles. Produisaient-ils de bons résultats ? Frère Sillaway écrit : “Il faut croire que ces discours portaient du fruit, car en moins de deux ans notre petit groupe est passé de six à quinze personnes.” Une fois, William Mockridge prononça un discours sur la “Carte des âges” dans une église baptiste à Long Island City. “Il en est résulté que plusieurs membres de cette église acceptèrent la vérité et que le pasteur (...) nommé Erickson l’accepta également et devint l’un des orateurs itinérants de la Société.”
La commémoration annuelle de la mort de Jésus Christ fournit aux Étudiants de la Bible l’occasion d’organiser des congrès (I Cor. 11:23-26). Un tel rassemblement eut lieu du 7 au 14 avril 1892, à Allegheny. Cette assemblée réunit environ 400 serviteurs de Jéhovah et amis de la vérité, venus d’une vingtaine d’États des USA et de la province canadienne du Manitoba. Bien entendu, depuis ce temps-là, le peuple de Dieu a tenu bien des congrès spirituellement enrichissants aux États-Unis et dans le monde entier. Et quel accroissement Jéhovah n’a-t-il pas donné ! À l’Assemblée internationale de la volonté divine, que les témoins de Jéhovah tinrent en 1958, 253 922 personnes représentant 123 pays s’assemblèrent au Yankee Stadium et aux Polo Grounds de New York.
UN CŒUR COURAGEUX DANS LE SERVICE DE DIEU
“On cherche des volontaires !”, — tel fut le titre d’un article publié dans La Tour de Garde de Sion du 15 avril 1899. Cet article proposait une méthode nouvelle pour diffuser les vérités de la Bible, une méthode qui ne pouvait que surprendre le clergé de la chrétienté. Celui qui voulait participer à cette activité avait besoin d’un cœur courageux (Ps. 31:24). L’occasion fut donnée au peuple de Jéhovah de distribuer gratuitement 300 000 exemplaires d’une nouvelle brochure intitulée “La Bible et l’évolution”. Cet imprimé devait être remis aux gens qui venaient d’assister aux offices le dimanche. Des milliers de volontaires chrétiens répondirent de tout cœur à l’appel, si bien qu’un grand travail a été effectué aux États-Unis, au Canada et en Europe.
Ce service de volontaires se poursuivit pendant des années, surtout le dimanche, et finit par inclure la distribution de tracts de maison en maison. Un nouveau tract sortit des presses au moins deux fois par an, de sorte que des millions d’imprimés furent remis aux “fidèles” des Églises. À partir de 1909, la Société Watch Tower publia une nouvelle série de tracts intitulés d’abord “La Tribune du Peuple” (puis “Le Journal pour Tous”, et enfin “L’Étudiant de la Bible”). Ces tracts mensuels démasquaient les erreurs religieuses, expliquaient les vérités de la Bible et attiraient l’attention des nations sur l’année importante de 1914. Des images et des caricatures ajoutaient à leur efficacité. En diffusant ces tracts, les serviteurs de Dieu étaient de plus en plus remarqués par le public, qui les connaissait sous le nom d’Étudiants de la Bible.
Edith Brenisen écrit : “Chaque classe avait un capitaine qui organisait l’activité, et les participants étaient appelés Volontaires. (...) Ce service s’effectuait le dimanche matin. Nous attendions aux portes des églises, et à midi nous remettions des tracts aux personnes qui en sortaient. Puis nous attendions jusqu’à 13 heures, pour en remettre à celles qui étaient restées à l’école du dimanche. Pour ainsi dire tout le monde prenait un tract, mais certains le jetaient par terre et, naturellement, nous le ramassions aussitôt. Ces tracts disaient aux gens : ‘Sortez d’elle, mon peuple.’”
Les frères passaient bien des soirées agréables à préparer les tracts en vue de leur diffusion. Margaret Duth se souvient de telles soirées où ses frères chrétiens venaient chez elle pour préparer ces imprimés. Elle écrit : “Nous mettions les rallonges à la table de la salle à manger, et pendant que certains séparaient les tracts, d’autres les pliaient et un troisième groupe les tamponnait pour indiquer l’adresse et l’heure du discours du dimanche après-midi.”
Pour ce qui est de la distribution, selon Samuel Van Sipma, “pratiquement tous les Étudiants de la Bible ont participé à cette activité”. Il ajoute : “Bon nombre d’entre nous nous levions de bonne heure le dimanche matin [vers cinq heures] pour aller mettre les tracts sous les portes dans le territoire qui nous avait été attribué. En général, nous travaillions par groupe de deux ou de quatre. Bien entendu, on distribuait des tracts à d’autres moments. (...) Non sans raison, certains ont comparé ces tracts distribués de bonne heure le matin à des gouttelettes de rosée, et, en effet, il est certain que bien des personnes ont été rafraîchies par la lecture de ces pages contenant la vérité divine.”
Même des enfants chrétiens prirent part à la diffusion des tracts. Grace Estep se souvient que ses deux frères aînés et elle “s’approchaient des portes sur la pointe des pieds de bonne heure le dimanche matin pour y glisser un tract”. Parfois, ils rencontraient de l’opposition. Sœur Estep poursuit en disant : “Il arrivait que la porte s’ouvre et soudain nous nous trouvions devant un adulte qui, pour nous, était un véritable géant crachant des invectives et nous chassant avec un balai, une canne ou simplement en nous menaçant du poing et en nous interdisant de revenir. (...) De temps à autre, cependant, quelqu’un acceptait le tract avec un sourire, et alors nous rentrions précipitamment à la maison pour le dire à nos parents.”
Les tracts produisirent de bons résultats. Par exemple, Victor Blackwell relate ce qui suit : “Ce fut par un tract que la vérité du Royaume pénétra dans notre foyer. De tels tracts posèrent un fondement solide de vérités bibliques chez mon père, ma mère, les enfants et moi, sans parler de bien d’autres personnes qui acceptèrent le message du Royaume comme le gouvernement pour tous les hommes, message qui leur donnait la foi et l’espérance.”
L’EMPLOI DE LA PRESSE
George Hannan écrit : “Un autre aspect [de l’œuvre] qu’il ne faut pas sous-estimer était la parution des sermons du pasteur Russell dans les journaux.” Un service de presse international fut organisé pour diffuser les sermons de Russell. Même pendant ses voyages, celui-ci rédigeait chaque semaine le texte d’un nouveau sermon assez long pour remplir deux colonnes d’un journal. Il l’envoyait à ce service de presse, composé de quatre membres du bureau central de la Société. Ces frères télégraphiaient le sermon à des journaux aux États-Unis, au Canada et en Europe. La Société payait les frais de télégraphe, mais les journaux publiaient ces sermons gratuitement.
Une publication ayant pour titre “Le Continent” écrivit au sujet de frère Russell : “On dit que ses écrits sont diffusés chaque semaine dans la presse plus que ceux de tout autre écrivain vivant, plus, sans doute, que l’ensemble des écrits de tous les prêtres et prédicateurs de l’Amérique du Nord, même plus que l’ensemble des articles d’Arthur Brisbane, de Norman Hapgood, de George Horace Lorimer, du Dr Frank Crane, de Frederick Haskins et d’une douzaine d’autres écrivains parmi les meilleurs chroniqueurs connus.” Mais ce qui importait n’était pas Russell lui-même. Ce qui comptait, c’était la large diffusion de la bonne nouvelle. La Tour de Garde du 1er décembre 1916 déclarait : “À un moment donné, plus de 2 000 journaux, ayant un total de quinze millions de lecteurs, publiaient ses discours. En tout, plus de 4 000 journaux ont publié ses sermons.” Voilà donc un autre moyen utilisé pour répandre les vérités de la Bible.
“L’ŒUVRE POUR LA FORMATION DE NOUVELLES ECCLÉSIAS”
Les activités courageuses de ces serviteurs de Jéhovah connurent un nouvel élan en 1911, grâce à l’“œuvre pour la formation de nouvelles ecclésias”, consistant en une campagne intense de discours publics. Quarante-huit ministres itinérants parcouraient des itinéraires différents comme orateurs publics. Les Étudiants de la Bible obtenaient le nom et l’adresse des personnes qui avaient manifesté de l’intérêt lors de ces réunions, et ils les visitaient chez elles dans l’intention de les rassembler pour créer de nouvelles congrégations. Les colporteurs aidaient à organiser de nombreuses ecclésias nouvelles. Ainsi, en 1914, il y avait dans le monde 1 200 congrégations qui fonctionnaient en collaboration avec la Société Watch Tower.
Hazelle et Helen Krull écrivent : “Après avoir obtenu une salle pour le discours public, nous faisions publier des annonces dans le journal local et visitions les gens pour les inviter à la réunion. Nous installions à l’entrée de la salle un tableau noir où nous écrivions à la craie le titre de la conférence. Bon nombre de ces salles étaient éclairées avec des lampes à pétrole. Si les gens manifestaient de l’intérêt à la première réunion, nous en organisions d’autres. Nous nous faisions un devoir de saluer chaque personne dans le petit groupe d’assistants (en général il s’agissait effectivement d’un petit groupe), afin de les visiter chez eux et de cultiver l’intérêt qu’ils portaient au message.”
VOYAGEONS AVEC LES PÈLERINS
Dès 1894, vingt et un représentants de la Société Watch Tower furent envoyés pour tenir des réunions publiques et édifier spirituellement les congrégations d’Étudiants de la Bible. Ils suivaient un itinéraire fixé à l’avance, et à mesure que les congrégations augmentaient en nombre, d’autres pèlerins, comme on les appelait, furent envoyés. Les frères pèlerins servirent les intérêts du peuple de Dieu depuis le début des années 1890 jusque vers la fin des années 1920. Leur attitude ressemblait à celle de Paul, qui écrivit aux chrétiens de Rome : “J’ai en effet un vif désir de vous voir pour vous communiquer quelque don spirituel, afin que vous soyez affermis ; ou plutôt pour qu’il y ait parmi vous un échange d’encouragements, chacun se faisant encourager par la foi de l’autre, par la vôtre comme par la mienne.” — Rom. 1:11, 12.
Tout comme les apôtres de Jésus Christ, les pèlerins itinérants avaient des caractères différents (Luc 9:54 ; Jean 20:24, 25 ; 21:7, 8). À ce sujet, Grant Suiter écrit : “Frère Thorn avait un caractère très doux. C’était un petit bonhomme qui portait un bouc taillé minutieusement. Du reste, tous les pèlerins avaient une mise impeccable. (...) Mais, ce qui était plus important encore, ils aidaient leurs auditeurs à développer une foi robuste en la Parole de Dieu.” Frère Harold Duncan se souvient que sa première rencontre avec frère Thorn “me fit une impression durable. Lorsqu’il parla au groupe, c’était comme un père qui donnait des conseils bienveillants à ses fils, à ses filles et à ses petits-enfants. On pensait aux patriarches des temps anciens”.
Voici quelques souvenirs de Grace Estep : “Frère Hersee aimait beaucoup la musique. Dès que nous, les enfants, nous étions couchés, ma mère s’asseyait devant le piano, mon père prenait son violon et frère Hersee chantait les cantiques. (...) Parmi d’autres pèlerins que nous avons connus et aimés, comme frère [Clayton] Woodworth, frère Macmillan et d’autres dont la vie était un bel exemple d’endurance, il y avait frère Van Amburgh, pour lequel nous éprouvions une affection toute spéciale. Il était tellement plein de gentillesse et de tendresse envers ses frères ‘bien-aimés’ que j’ai souvent pensé qu’il devait ressembler à l’apôtre Jean.”
Se rappelant les jours de sa jeunesse, lorsque des frères pèlerins étaient hébergés chez elle, Ethel Rohner déclare : “Ils s’intéressaient toujours aux jeunes, à ma sœur, à mon frère et à moi. Nous avons toujours apprécié leurs visites. En raison de mon jeune âge, j’étais quelque peu impressionnée par leur confiance tranquille et leur foi, par leur façon de tout accepter comme étant la volonté de Jéhovah. Ils ont vraiment donné aux jeunes un bel exemple de courage chrétien et de foi.”
Sans aucun doute, nombre de pèlerins se sont fait aimer par leurs frères parce qu’ils étaient si “naturels”. Voici ce qu’a déclaré Mary Hinds : “Après nous avoir salués, le pèlerin interroge papa au sujet des réunions publiques et lui demande s’il a des questions à poser sur les articles de La Tour de Garde. Il demande comment l’œuvre progresse dans notre petite ville, s’il y a des personnes qui se sont intéressées au message depuis sa dernière visite, et il pose d’autres questions de ce genre. Puis il porte son attention sur nous, les enfants (nous sommes trois), avant de gagner sa chambre. ‘Comme il est gentil de nous parler comme ça !’ Nous sommes enchantés et nous sentons que nous allons apprécier chaque minute de son séjour, qui va durer un ou deux jours. Le frère en question pouvait être Benjamin Barton, qui me donna une carte postale en souvenir du congrès du Chatauqua Lake, tenu en 1910, et au verso de laquelle il avait collé sa photo. Ou bien ce pouvait être frère Bohnet, qui fabriqua pour mon frère un cerf-volant et l’aida à le faire voler. (...) Frère Macmillan aimait aller avec nous au champ de maïs pour choisir six épis pour son dîner.”
Harold Woodworth avoue que “certains des pèlerins avaient des traits de caractère très particuliers et, bien entendu, il fallait en tenir compte, mais ils possédaient aussi des qualités admirables, des dons de l’esprit saint qui laissèrent une impression profonde et durable”. De son côté, sœur Earl Newell déclare : “Je n’oublierai jamais une remarque de frère Thorn, qui m’a aidée jusqu’à ce jour. Un jour il a dit : ‘Lorsqu’il m’arrive de me prendre trop au sérieux, je rentre en moi-même et je me dis : “Eh toi, atome de poussière, as-tu de quoi être si fier ?”’” En effet, c’est là un bon raisonnement, car “le résultat de l’humilité et de la crainte de Jéhovah, c’est la richesse, et la gloire, et la vie”. — Prov. 22:4.
Ces pèlerins itinérants devaient parfois voyager “à la dure”. À propos des déplacements d’Edward, son mari, qui avait rempli cette fonction, Edith Brenisen a écrit : “Pour atteindre certains endroits très à l’écart, il devait souvent voyager par chemin de fer, diligence, véhicules hippomobiles de toutes sortes et à cheval. Certains de ses déplacements étaient fertiles en péripéties. (...) Une famille qu’il devait visiter habitait près de Klamath Falls, dans l’Oregon. Il a dû d’abord prendre le train, puis voyager de nuit dans une diligence jusqu’à une petite ville. Le lendemain, un frère est venu le chercher dans un ‘buckboard’. (Il s’agit d’un véhicule à deux places, composé d’une simple planche montée sans ressorts sur quatre roues. Si quelqu’un ne souffrait pas du dos avant de monter sur ce véritable tapecul, il était sûr d’en souffrir après !) Au bout d’un long trajet dans les montagnes, le frère arriva à sa ferme, bâtie à côté d’un ruisseau dans une vallée verdoyante.”
Comment une telle visite se déroulait-elle ? Sœur Brenisen ajoute : “Bientôt la cour de la ferme fut remplie de véhicules à cheval de toutes sortes, que les frères avaient utilisés pour venir écouter le pèlerin. La réunion commença à quinze heures par un discours de deux heures, après quoi les assistants furent invités à poser des questions, et ils en avaient de nombreuses. Puis il y eut une pause qui permit à tout le monde de prendre le souper que les sœurs avaient préparé, ensuite il y eut un autre discours de deux heures, suivi d’autres questions.” Cette nuit-là les sœurs dormirent dans la maison, et les frères sur du foin dans la grange. Une chambre avait été réservée pour le pèlerin, mais frère Brenisen préféra dormir avec les autres frères dans la grange. Sœur Brenisen poursuit en disant : “Le lendemain matin, après un petit déjeuner copieux, le frère sella trois chevaux, un pour les bagages, un pour le pèlerin et un pour lui-même. Ils durent parcourir presque cent kilomètres à travers les montagnes jusqu’à la gare la plus proche où mon mari devait prendre le train pour visiter la congrégation suivante. Quelque temps après, Edward reçut une lettre de la sœur, lui disant qu’après son départ elle était allée à la grange chercher l’oreiller sur lequel il avait dormi. L’oreiller était toujours là, portant l’impression de la tête du frère, mais lorsqu’elle le ramassa, elle découvrit un grand serpent à sonnette. Apparemment, ce reptile venimeux avait apprécié la chaleur de sa tête ! Il manifesta son indignation lorsqu’il fut dérangé. Qui rien ne sait, de rien ne doute !”
En quoi consistaient les discours des pèlerins ? À propos de ceux de frère Toutjian, frère Ray Bopp écrit : “Ce frère était un bon enseignant. Il enseignait grâce à des illustrations. (...) À l’aide d’une maquette du tabernacle posée sur la table, (...) il expliquait le Saint, le Très-Saint, la cour avec l’autel de l’holocauste et la cuve, entourée d’une clôture de toile et de petites barres métalliques hautes d’environ dix centimètres. [À mesure que frère Toutjian] décrivait la cérémonie et sa signification prophétique sur la base du livre Les figures du Tabernacle, (...) il déplaçait sur la maquette les figurines des prêtres portant leurs vêtements sacerdotaux, selon les fonctions qu’ils accomplissaient.”
Mary Hinds écrivit de son côté : “Le pèlerin donnait toujours un discours public, et souvent il s’agissait d’une explication de la Carte des âges, à propos des ‘dispensations’ et des ‘âges’ indiqués sur ce tableau. Au moins l’un d’eux, frère Herr, faisait un discours à l’aide de projections. Avec des images fixes, il faisait revivre la petite Ruth, en expliquant la résurrection. Oui, ces frères faisaient sur nous des impressions durables. À cette époque-là, ils étaient le maillon entre le siège de l’organisation croissante et les abonnés à La Tour de Garde ou les ‘ecclésias’ en voie de formation.” Sœur Ollie Stapleton a exprimé ainsi ses sentiments à cet égard : “Ces visites étaient des occasions où nous étions édifiés et instruits spirituellement, et aidés à collaborer plus étroitement avec l’organisation de Jéhovah.”
EXPANSION ALORS QUE LES TEMPS DES GENTILS S’APPROCHENT DE LEUR FIN
À mesure que progressait la première décennie du vingtième siècle, les Étudiants de la Bible étaient conscients que le temps se faisait court pour les nations. Depuis longtemps, le peuple de Dieu considérait que l’année 1914 marquerait la fin des 2 520 ans des temps des Gentils (Luc 21:24, Crampon 1905). Dans quelques courtes années, cette date devait arriver, et frère Russell envisagea une campagne à l’échelle mondiale en témoignage aux nations. Or, pour organiser une telle œuvre internationale, la Maison de la Bible à Allegheny était bien trop petite.
Aussi, en 1908, la Société Watch Tower envoya-t-elle à New York plusieurs de ses représentants, y compris Joseph Rutherford (qui était devenu son conseiller juridique), pour acquérir des locaux plus spacieux que Russell avait repérés précédemment. Ils achetèrent l’ancien “Béthel de Plymouth” situé au 13-17 Hicks Street, Brooklyn, New York. Il s’agissait d’une mission bâtie en 1868 et rattachée à l’église congrégationaliste de Plymouth, où Henry Ward Beecher avait été pasteur. Les représentants de la Société acquirent également l’ancien presbytère de Beecher, une maison de trois étages bâtie en grès et située quelques pâtés de maisons plus loin, au 124 Columbia Heights.
L’ancien presbytère de Beecher devint bientôt le nouveau foyer des trente et quelques personnes composant le personnel du siège de la Société. Cette maison fut baptisée “Béthel”, mot qui signifie “maison de Dieu”. Quant au bâtiment de Hicks Street, il fut transformé et reçut le nom de “Tabernacle de Brooklyn”. Les bureaux de la Société y furent installés, et il y avait également une grande salle de réunion. Le 31 janvier 1909, 350 personnes assistèrent à l’inauguration de ce nouveau siège de la Société.
Au Béthel, il y avait le bureau de Russell et, au sous-sol, une salle à manger contenant une table tout en longueur où pouvaient prendre place quarante-quatre personnes. Avant le petit déjeuner, la famille se réunissait ici pour chanter un cantique, lire le “Vœu” et faire une prière. Au début du repas, on lisait un texte biblique tiré de La manne céleste quotidienne pour la maison de la foi, et ce passage fournissait le sujet de la conversation pendant le petit déjeuner.
Aimeriez-vous connaître les termes du vœu que le personnel devait se rappeler chaque jour ? Ce “vœu solennel que je fais à Dieu” était ainsi conçu :
“Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié ! Que ton règne vienne dans mon cœur de plus en plus, et que ta volonté se fasse dans mon corps mortel ! Comptant sur l’aide de la grâce promise pour m’aider chaque fois que j’en aurai besoin, au nom de Jésus Christ notre Seigneur, je fais ce Vœu :
“Tous les jours, devant ton trône de grâce céleste, je me souviendrai des intérêts généraux de l’œuvre de la moisson, et particulièrement de la part que j’ai le privilège d’accomplir, et de mes chers collaborateurs au Béthel de Brooklyn et partout.
“Je fais le vœu d’examiner plus attentivement encore si possible mes pensées, mes paroles et mes actes, afin que je puisse mieux te servir, toi et ton cher troupeau.
“Je te fais le vœu que je resterai vigilant pour résister à tout ce qui ressemble au Spiritisme et à l’Occultisme, et que, me rappelant qu’il n’y a que deux maîtres, je résisterai à ces pièges de l’Adversaire de toutes les manières possibles et raisonnables.
“En outre, je fais le vœu que, sauf les exceptions mentionnées ci-dessous, en tout temps et en tous lieux, dans mes rapports avec l’autre sexe je me conduirai en privé comme je le ferais en public en présence de la congrégation du peuple du Seigneur, et qu’autant que possible et raisonnable, j’éviterai de me trouver seul dans la même pièce qu’un membre de l’autre sexe, à moins que la porte ne soit grande ouverte. (Exceptions pour un frère : sa femme, ses enfants, sa mère et ses sœurs. Exceptions pour une sœur : son mari, ses enfants, son père et ses frères.)”
Plus tard, la récitation de ce vœu fut abandonnée par le peuple de Dieu au Béthel et ailleurs. Néanmoins, les principes élevés qui y sont exprimés sont toujours valables.
À trois pâtés de maisons du Béthel se trouvait le Tabernacle de Brooklyn, édifice curieux bâti en brique rouge et comportant un étage sur rez-de-chaussée et un sous-sol. Dans ce bâtiment, il y avait les bureaux de la Société, une salle de composition, où l’on composait le texte de La Tour de Garde, un entrepôt de publications et un service d’expédition. Au premier étage se trouvait une salle de 800 places, où frère Russell prononçait régulièrement des discours.
Pendant un certain temps, le personnel du siège de la Société habitait au 124 Columbia Heights. Par la suite, l’immeuble à côté, au 122 Columbia Heights, fut acheté afin d’agrandir le Béthel. En 1911, une annexe de huit étages fut ajoutée derrière le Béthel, donnant sur la rue Furman, en contrebas. Entre autres, cette annexe contenait de nombreuses chambres et une nouvelle salle à manger. Auparavant, en 1909, pour pouvoir devenir propriétaires de ces biens immobiliers, les serviteurs de Jéhovah constituèrent l’Association de la Tribune du peuple, connue aujourd’hui sous le nom de Watchtower Bible and Tract Society of New York, Incorporated. Toutes les associations constituées par le peuple de Dieu dans différents pays collaborent ensemble sous la direction du collège central des témoins de Jéhovah.
“PARMI LES FOULES RASSEMBLÉES JE BÉNIRAI JÉHOVAH”
Tout comme les serviteurs de Dieu des temps passés, les Étudiants de la Bible tenaient régulièrement des congrès et d’autres rassemblements publics afin de ‘bénir Jéhovah parmi les foules rassemblées’. (Ps. 26:12.) Comment se déroulaient ces assemblées ? Voici un témoignage :
“Même ici, au dernier balcon de l’Opéra de Chicago, il n’y a plus une seule place de libre. Quand je regarde la scène, six étages plus bas, je me demande si j’aurai besoin de tendre l’oreille pour comprendre. Après les paroles d’introduction du président, Charles Russell se lève, place l’index de sa main gauche dans la paume de sa main droite et commence à parler sur un ton tout à fait naturel. Il n’y a pas de pupitre, et il ne consulte aucune note. Il se déplace librement sur l’estrade. Chaque mot s’entend distinctement, tandis qu’il décrit la fin prophétique des temps des Gentils et l’établissement de l’Âge millénaire.”
C’est là un souvenir de frère Ray Bopp. Ce n’est qu’un exemple. Il aurait pu s’agir du Royal Albert Hall à Londres, où Russell parla devant des assistances nombreuses en mai 1910. Ou bien, cela aurait pu être le célèbre Théâtre Hippodrome de New York, où, le dimanche 9 octobre 1910, Russell parla devant un grand auditoire composé de Juifs. Au sujet de ce discours, le New York American du 10 octobre 1910 écrivit entre autres : “Hier après-midi à l’Hippodrome, on a pu voir le spectacle insolite de 4 000 Hébreux en train d’applaudir avec enthousiasme un prédicateur non juif à la fin d’un sermon sur leur religion. En effet, le pasteur Russell, célèbre chef du Tabernacle de Brooklyn, a conduit un service peu ordinaire.” Des dizaines de rabbins et d’enseignants étaient présents. Ce journal ajouta : “Il n’y avait pas de préliminaires. Le pasteur Russell, homme grand, droit, à la barbe blanche, a traversé l’estrade sans aucune parole d’introduction et, à un signe de sa main, les deux quatuors du Tabernacle de Brooklyn ont commencé à chanter le cantique ‘Jour heureux de Sion’.” D’après ce rapport, l’auditoire finit par ‘se dégeler’, puis par applaudir, enfin par écouter avec enthousiasme. Son discours achevé, Russell fit de nouveau signe au groupe de chanteurs, qui entonna “la mélodie curieuse et exotique du cantique de Sion intitulé ‘Notre espérance’, l’un des chefs-d’œuvre du poète excentrique Imber”. Quel en fut l’effet ? L’article poursuit en disant : “Le spectacle sans précédent de chrétiens en train de chanter l’hymne des Juifs a produit un effet extraordinaire de surprise. Pendant quelques instants, les auditeurs hébreux n’en croyaient pas leurs oreilles. Puis, lorsqu’ils ont compris que c’était bel et bien leur hymne, ils se sont mis à applaudir à tout rompre, couvrant momentanément la musique, et à la deuxième strophe, des centaines d’entre eux ont commencé à chanter. Au paroxysme de l’enthousiasme suscité par l’effet de surprise qu’il avait ménagé, le pasteur Russell a quitté la scène, et la réunion s’est clôturée à la fin de l’hymne.”
Les temps ont changé, et il en est de même de l’intelligence des prophéties bibliques que les chrétiens pensaient alors pouvoir appliquer aux Juifs charnels. Grâce à une lumière accrue venant de Dieu, son peuple a compris que ces prophéties annoncent les bienfaits que doit recevoir l’Israël spirituel, l’“Israël de Dieu”, les disciples oints de Jésus Christ (Rom. 9:6-8, 30-33 ; 11:17-32 ; Gal. 6:16). Mais notre narration concerne le début du vingtième siècle et nous tenons compte des croyances de ce temps-là.
Puisque frère Russell était si connu et parlait devant des auditoires si importants, vous seriez peut-être curieux de connaître l’impression qu’il produisait sur ses auditeurs. C. Tvedt en parle en ces termes : “Quelle différence avec le prédicateur moyen ! Aucun effet oratoire ! Nul appel aux émotions ! Il possédait quelque chose de bien plus puissant que tous ces artifices. Il s’agit de l’explication simple, tranquille et confiante de la Parole de Dieu, en permettant à un passage d’en éclairer un autre, le tout étant lié comme par un aimant. Voilà comment frère Russell captait l’attention de ses auditeurs.” Ralph Leffler dit qu’avant de commencer son discours frère Russell s’inclinait plusieurs fois devant l’auditoire. Quand il parlait, en règle générale il se tenait sur l’estrade sans pupitre, en se déplaçant et en faisant des gestes. Frère Leffler écrit : “Il ne se servait jamais de notes (...) ; il improvisait toujours et parlait du fond du cœur. Sa voix, qui n’était pourtant pas puissante, portait d’une manière extraordinaire sans aucun moyen de sonorisation (il n’en existait pas à cette époque-là). Il se faisait entendre et comprendre par des auditoires immenses, tenant ses auditeurs sous le charme pendant une, deux et parfois trois heures d’affilée.”
Cependant, l’homme importait peu. Ce qui comptait, c’était le message, la vérité de la Bible annoncée aux multitudes. À cette époque-là, de nombreux chrétiens capables annonçaient la bonne nouvelle, et certaines personnes les écoutaient avec reconnaissance. Comme il fallait s’y attendre, les serviteurs de Jéhovah avaient de nombreux adversaires qui cherchaient parfois à faire prévaloir leurs idées contraires à la Bible par le moyen de débats publics contradictoires.
Dans un effort pour discréditer les explications bibliques de Russell, le 10 mars 1903, l’Alliance des pasteurs de Pittsburgh envoya le Dr Eaton, ministre de l’église épiscopalienne de North Avenue, pour qu’il défie Russell de le rencontrer dans une série de débats qui devait durer six jours. Cette confrontation eut lieu l’automne suivant, dans la Salle Carnegie, à Allegheny. Dans l’ensemble, Russell sortit victorieux de ces débats. Entre autres, il prouva à l’aide des Écritures que les âmes des morts sont inconscientes et que leurs corps sont dans la tombe, et que le but du second avènement du Christ et du millénium est de bénir toutes les familles de la terre. Russell a également nié énergiquement, Bible à l’appui, la doctrine des supplices de l’enfer. On a relaté qu’après le dernier débat, un ecclésiastique vint voir Russell et lui dit : “Je suis content de vous voir arroser l’enfer pour en éteindre les flammes.” Il est intéressant de noter qu’après ce débat, de nombreux membres de la congrégation d’Eaton devinrent Étudiants de la Bible.
Un autre débat important eut lieu du 23 au 28 février 1908, à Cincinnati. Russell y rencontra un nommé White, représentant les Disciples du Christ. Au cours de ce débat, qui eut lieu devant des milliers de personnes, Russell défendit courageusement ce qu’enseignent les Écritures au sujet de l’état d’inconscience de l’âme depuis la mort jusqu’à la résurrection, du second avènement du Christ comme devant précéder le millénium, et du but de sa présence et de son règne, qui est de bénir toutes les familles de la terre. Les sœurs Hazelle et Helen Krull assistèrent à ce débat. Elles relatent les faits suivants : “La beauté et l’harmonie de la vérité et les bons arguments bibliques présentés pour chaque sujet du débat faisaient contraste avec la confusion des enseignements humains. À un moment donné, White, qui défendait le point de vue opposé, déclara en désespoir de cause qu’il se souvenait d’une enseigne de forgeron qui disait : ‘Ici on forge n’importe quoi.’ Mais les gens honnêtes qui cherchaient la vérité constataient que Russell ‘maniait bien la parole de la vérité’ [II Tim. 2:15], et qu’il en résultait une grande harmonie.” Les sœurs Krull affirment que Jéhovah bénit frère Russell en lui accordant son esprit, pour lui permettre de présenter habilement la vérité. D’après elles, il s’agissait du “triomphe de la vérité sur l’erreur”.
En sa qualité de représentant de la Société Watch Tower, frère Rutherford accepta un débat avec le baptiste Troy. Cette série de réunions se tint pendant quatre soirées en avril 1915, dans la Salle Trinity de Los Angeles, devant un auditoire de 12 000 personnes (environ 10 000 personnes avaient été renvoyées faute de place). Rutherford défendit courageusement la vérité de la Bible et remporta la victoire.
Au cours des douze années qui suivirent les débats entre Eaton et Russell, d’autres adversaires des serviteurs de Dieu voulurent engager des débats avec eux, mais le plus souvent, peut-être par peur, au dernier moment ils se désistèrent. Personnellement, Russell n’aimait pas les débats, car il était conscient que les vrais chrétiens se trouvaient désavantagés. Dans La Tour de Garde, édition anglaise du 1er mai 1915, il expliqua, entre autres choses, que ‘ceux qui sont de la vérité sont liés par la Règle d’or, et leurs arguments doivent être absolument loyaux, tandis que leurs adversaires semblent ne s’imposer aucune restriction’. Il ajouta : “N’importe quel argument, peu importe le contexte et au mépris de la Règle d’or et de toutes les autres règles, est considéré comme permis. (...) Quant au rédacteur de ce journal, il n’éprouve aucun désir de s’engager dans d’autres débats. Il n’approuve pas les réunions contradictoires, car il est persuadé qu’elles accomplissent rarement du bien et que souvent elles suscitent la colère, la malveillance, l’amertume, etc., chez les orateurs et chez les auditeurs. Il préfère présenter le message de la Parole du Seigneur à ceux qui désirent l’entendre, sous forme de discours et d’imprimés, laissant à ses adversaires le soin de présenter l’erreur comme ils le peuvent et comme ils le jugent bon. — Hébreux 4:12.”
Les discours fournissaient une meilleure occasion de présenter les vérités de la Bible, et frère Russell parla souvent devant des auditoires importants. De 1905 à 1907, il voyagea dans tous les États-Unis et le Canada par train ou wagon spécial, pour tenir une série de congrès d’un jour. Son discours public avait pour titre “Voyage en enfer et retour”. Cette conférence, prononcée devant des salles combles dans presque toutes les grandes villes des deux pays, consistait en un voyage imaginaire et humoristique jusqu’en enfer et retour. Louise Cosby se souvient que Russell accepta de faire ce discours à Lynchburg, en Virginie, et elle relate : “Mon père fit faire de grandes affiches annonçant cette conférence et il reçut l’autorisation de les coller sur le devant des tramways. C’était vraiment amusant, car les passagers demandaient : ‘Si ce tramway nous transporte en enfer, est-il sûr qu’il nous en ramène ?’”
Frère Russell prononça des discours bibliques également lors de ses voyages à l’étranger. En 1903, il avait visité pour la deuxième fois l’Europe, où il s’était adressé à des auditoires dans plusieurs villes. Puis, de décembre 1911 à mars 1912, il fit le tour du monde à la tête d’un comité de sept hommes dont le but était d’étudier les missions étrangères de la chrétienté. Le groupe visita les îles Hawaii, le Japon, la Chine, le sud de l’Asie, l’Afrique et l’Europe, avant de rentrer à New York. De nombreux discours furent prononcés, semant des graines de vérité, lesquelles, avec le temps, amenèrent de nouveaux groupes de chrétiens oints à une activité féconde jusqu’aux confins de la terre. Outre ce tour du monde, Russell voyageait régulièrement en Europe ainsi qu’en Amérique du Nord, où il se déplaçait par trains spéciaux, accompagné par de nombreux collaborateurs.
À BORD D’UN “TRAIN DES CONGRESSISTES”
Avec le temps, Russell était de plus en plus sollicité pour présenter des conférences. Pour s’acquitter de ses engagements d’orateur, dans le passé il s’était fait accompagner par un petit groupe de personnes qui voyageait en train avec lui dans un wagon spécial appelé “voiture des congressistes”. Mais par la suite, à mesure que le groupe qui l’accompagnait grandissait, jusqu’à compter 240 personnes, il fallait prévoir plusieurs wagons spéciaux formant un “train des congressistes”. Ce train amenait le groupe d’une ville à l’autre, selon un itinéraire établi d’avance. Dès leur arrivée dans une ville, les compagnons de Russell annonçaient son discours en distribuant des invitations. Lors de la réunion, ils accueillaient les personnes qui étaient venues, en relevant le nom et l’adresse de celles qui s’intéressaient au message. Ensuite, dans la mesure du possible, ils rendaient visite à ces personnes en vue de former une nouvelle congrégation. Ces “trains des congressistes” visitaient assez souvent les grandes villes des États-Unis et du Canada.
Montons à bord d’un “train des congressistes” avec un joyeux groupe de nos frères chrétiens. En juin 1913, un train spécial fut réservé pour plus de 200 Étudiants de la Bible qui devaient accompagner frère Russell dans un voyage l’amenant de Chicago au Texas, en Californie, au Canada, puis à Madison, dans le Wisconsin, avec un détour à Rockford, dans l’Illinois. Voici le récit de sœur Malinda Keefer : “Notre train devait quitter la gare Dearborn le 2 juin à midi. Ce jour-là, les frères commencèrent à arriver vers dix heures, et nous étions tous heureux et émus, car nous rencontrions de vieux amis que nous n’avions pas vus depuis longtemps, et nous faisions connaissance avec d’autres. En peu de temps nous formions une grande famille (...) et pendant un mois le train allait être notre foyer.”
Enfin arriva l’heure du départ. Sœur Keefer poursuit son récit : “Pendant que le train quittait la gare au début de son voyage de quelque 12 800 kilomètres, les frères qui étaient venus nous dire au revoir chantaient les cantiques ‘Béni soit le lien qui unit’ et ‘Que Dieu soit avec vous en attendant votre retour !’, tout en agitant leur chapeau ou leur mouchoir jusqu’à ce qu’ils nous aient perdus de vue. Notre voyage mémorable avait commencé. Quelques frères sont montés à bord à Saint Louis et dans quelques autres villes, si bien que nous étions finalement deux cent quarante. Frère Russell s’est joint à nous à Hot Springs, où un congrès de huit jours avait commencé.”
Poursuivant le récit de ce voyage si édifiant spirituellement, sœur Keefer écrit : “Dans chaque ville où nous nous arrêtions, il y avait un congrès, qui, en général, durait trois jours. Nous restions un jour à chaque congrès. Ce jour-là, frère Russell donnait deux discours, l’un qu’il prononçait l’après-midi à l’intention des frères, et le soir, un discours public intitulé ‘Au-delà de la tombe’.” Exprimant l’impression que ce voyage lui laissa, sœur Keefer conclut en ces termes : “Je ne puis trouver les mots pour dire combien j’ai apprécié la compagnie des frères tout au long du voyage, ainsi que les discours et les conseils spirituellement édifiants que je reçus. Je suis reconnaissante à Jéhovah d’avoir pu jouir de ce privilège.”
À ces premiers congrès du peuple de Dieu, les choses se passaient autrement qu’aujourd’hui. Par exemple, il y avait l’“agape”. De quoi s’agissait-il ? Se rappelant cette partie des premières assemblées, J. Ashelman écrit : “Certaines pratiques superflues ont été abandonnées ; pourtant, elles semblaient être une bénédiction à cette époque-là. Par exemple, les orateurs se mettaient en ligne devant l’estrade, chacun tenant une assiette remplie de petits morceaux de pain, et les auditeurs défilaient devant eux pour leur serrer la main et prendre un morceau de pain, tout en chantant le cantique ‘Béni soit le lien qui unit nos cœurs dans l’amour chrétien’.” Voilà en quoi consistait l’“agape”. C’était un moment émouvant. Sœur Edith Brenisen déclare de son côté : “L’amour pour nos frères remplissait notre cœur et débordait, si bien que souvent nous pleurions de joie. Nous n’avions pas honte de nos larmes et nous ne faisions rien pour les retenir.”
Les premiers chrétiens tenaient parfois des “agapes” ou “banquets d’amour”, mais la Bible n’en fournit aucune description (Jude 12). Certains pensent qu’il s’agissait de banquets auxquels les chrétiens matériellement prospères invitaient leurs frères dans la foi moins fortunés. Mais quelle que fût la nature de ces “agapes”, les Écritures n’en font pas une pratique obligatoire, de sorte que les vrais chrétiens ne les tiennent pas aujourd’hui.
UNE NOUVELLE MÉTHODE POUR ANNONCER LA BONNE NOUVELLE
Les Étudiants de la Bible étaient pleinement conscients de cette prophétie de Jésus Christ : “Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations. Alors viendra la fin.” (Mat. 24:14, Segond). Ainsi, à mesure que s’approchait l’année importante de 1914, le peuple de Dieu entreprit une campagne intense à l’échelle mondiale, une œuvre d’instruction et d’avertissement sans précédent. Il employa une méthode nouvelle et courageuse pour annoncer la bonne nouvelle.
Imaginons que nous sommes en 1914, assis parmi ces centaines de personnes dans une salle plongée dans l’obscurité. Devant, il y a un grand écran. À notre grande surprise, un homme aux cheveux blancs, en jaquette, apparaît sur l’écran et, sans consulter aucune note, se met à parler. Bien sûr, nous avons vu d’autres films. Mais celui-ci est différent. L’écran n’est pas muet, car l’homme parle et nous l’entendons bien. Il s’agit d’une projection spéciale, aussi bien du point de vue technique qu’en ce qui concerne le message annoncé. Nous sommes très impressionnés. Quel est cet homme ? C’est Charles Russell. Et quel est le nom du film ? C’est le “Photo-Drame de la Création”.
Russell avait compris que les projections animées seraient un moyen excellent pour atteindre des foules de gens. Aussi, en 1912, commença-t-il à préparer le Photo-Drame de la Création. Une fois achevée, cette œuvre comportait huit heures de projections fixes et animées, en couleur et sonorisées. Présenté en quatre séances, le Photo-Drame transportait les spectateurs au temps de la création, puis à travers toute l’histoire humaine jusqu’au point culminant des desseins de Dieu à l’égard de la terre et de ses habitants, à la fin du règne millénaire de Jésus Christ. Les projections fixes et animées étaient synchronisées avec des disques sur lesquels étaient enregistrés des discours et de la musique. Des expériences avaient déjà été faites pour produire des films en couleur et sonorisés, mais il fallut attendre des années avant qu’ils puissent être exploités commercialement avec succès. En effet, ce ne fut qu’en 1922 qu’un long métrage en couleur fut projeté, et les clients des cinémas durent attendre 1927 avant de voir un film commercial accompagné de la parole et de la musique. Pourtant, le Photo-Drame de la Création était non seulement en couleur, mais comportait et la parole et de la musique. Il était très en avance sur son époque, et des millions de personnes l’ont vu, et cela gratuitement !
La production du Photo-Drame de la Création a coûté à la Société quelque 300 000 dollars, — une fortune à l’époque. À propos des efforts que sa production a exigés, Russell écrivit : “Dans sa bonté, Dieu nous a voilé les yeux quant à la somme de travail qu’exigerait le DRAME. Si nous avions pu prévoir combien de temps, d’argent et de patience sa mise en chantier allait nous coûter, nous ne l’aurions jamais entrepris. Or, nous ne savions pas non plus d’avance quel grand succès serait réservé au DRAME.” De beaux enregistrements de musique et quatre-vingt-seize disques reproduisant des discours furent préparés. De belles images d’art illustrant l’histoire du monde furent utilisées, mais il fallait en outre faire à la main des centaines d’autres images et croquis peints sur verre. Tous ces verres et films durent être coloriés à la main, ce travail ayant été assuré en partie par le service artistique de la Société. Et n’oubliez pas que tout ce travail devait être répété à maintes reprises, puisque au moins vingt séries complètes en quatre parties furent préparées, de façon à pouvoir projeter une partie du Drame dans quatre-vingts villes le même jour.
Mais comment se déroulait la projection du Photo-Drame de la Création ? Alice Hoffman écrit à ce sujet : “Le Drame commença par un film montrant frère Russell. Au moment où il apparut sur l’écran et que ses lèvres se mirent à bouger, un phonographe fit entendre sa voix, que nous écoutions avec plaisir.”
Parmi les scènes inoubliables du Photo-Drame, citons l’épanouissement d’une fleur et l’éclosion d’un œuf de poule. Ces exemples de prises de vues à l’accéléré ne manquèrent pas d’impressionner les spectateurs. Karl Klein ajoute : “Les images étaient accompagnées de beaux morceaux de musique, tels que la célèbre Humoresque.”
Les spectateurs en ont gardé bien d’autres souvenirs. Martha Meredith évoque le souvenir suivant : “À présent, je vois Noé et sa famille entrer dans l’arche, accompagnés des animaux. Maintenant, c’est l’image d’Abraham et d’Isaac avançant vers le mont Morija, où Abraham va offrir son fils en sacrifice. Quand je vois Abraham étendre son fils sur l’autel, ce fils qu’il aime tant, je ne puis retenir mes larmes. On comprend pourquoi Jéhovah appela Abraham son ami. (...) Il savait qu’Abraham obéirait à sa voix en tout temps.” — Jacq. 2:23.
Outre le Photo-Drame de la Création, il y avait deux séries de conférences qui portaient le nom d’“Eurêka-Drame”. L’une comportait quatre-vingt-seize disques reproduisant des discours et de la musique, l’autre réunissait les disques et la projection d’images fixes. Même sans films, l’Eurêka-Drame remporta un grand succès dans les régions moins peuplées.
En 1914, le Photo-Drame de la Création fut présenté gratuitement un peu partout aux États-Unis. Cela entraîna des dépenses considérables aussi bien pour la Société que pour les Étudiants de la Bible de chaque ville, qui couvrirent les frais de location des salles. De ce fait, au bout d’un certain temps, il n’était plus possible de montrer le Photo-Drame à de grands auditoires. Mais il avait accompli une œuvre remarquable, en faisant connaître la Parole et les desseins de Dieu à bien des gens.
Par exemple, une personne écrivit ce qui suit à frère Russell : “Ma femme et moi remercions sincèrement notre Père céleste de la bénédiction inestimable qu’il nous a procurée par votre moyen. Car c’est grâce à votre beau Photo-Drame que nous avons compris et accepté la vérité.” De son côté, sœur Lily Parnell écrit : “Cette présentation visuelle des desseins de Jéhovah envers les hommes éveilla l’intérêt de bien des gens réfléchis, si bien que la congrégation [de Greenfield, dans le Massachusetts] connut de l’accroissement. En effet, ces images rendirent la Bible vivante et prouvèrent aux personnes raisonnables que notre Dieu a pris des dispositions précieuses en vue du salut de ceux qui acceptent d’en bénéficier.”
Non sans raison, Demetrius Papageorge, qui a été longtemps membre du personnel du siège de la Société, a déclaré : “Quand on se souvient du petit nombre d’Étudiants de la Bible et des finances relativement limitées dont ils disposaient, il faut reconnaître que le Photo-Drame était un véritable chef-d’œuvre. Incontestablement, il a joui du soutien de l’esprit de Jéhovah !”
DES COLPORTEURS “ENFLAMMÉS DE L’ESPRIT”
Pendant de nombreuses années avant 1914, des colporteurs chrétiens zélés, — des hommes et des femmes “enflammés de l’esprit”, — répandaient partout la bonne nouvelle (Rom. 12:11). Le service de colporteur commença en 1881, lorsque La Tour de Garde de Sion publia l’article intitulé “Recherchons 1 000 prédicateurs”. À ceux qui n’avaient personne à charge et qui pouvaient consacrer la moitié de leur temps ou davantage à l’œuvre du Seigneur, la suggestion a été faite d’aller dans les villes, grandes et petites, comme colporteurs ou évangélistes. Dans quel but ? La Tour de Garde leur disait : “[Recherchez] en tous lieux les chrétiens sincères. (...) Cherchez à leur faire connaître les richesses de la grâce de Notre Père et les beautés de sa Parole.” Ces colporteurs devaient diffuser des imprimés bibliques, et l’argent qu’ils recevaient en échange des publications et pour les abonnements à La Tour de Garde servait à couvrir leurs frais.
La Tour de Garde de Sion de mai 1887 contenait d’excellentes suggestions sur ce que les colporteurs pouvaient dire aux portes. Ce numéro disait aussi : “Ayez un grand cœur rempli d’amour pour Dieu et pour ceux que vous désirez conduire vers la lumière ; soyez remplis de foi en Dieu et en ses promesses, et d’espérance, confiants qu’il plaira à Dieu de vous utiliser à sa gloire, dès maintenant et dans l’avenir.”
Puisqu’ils ont travaillé dur dans le service de Jéhovah, les colporteurs ont laissé leur marque sur toutes les villes et tous les villages qu’ils ont visités. Vers la fin des années 1890, un rédacteur d’un journal religieux (The Gospel Messenger) écrivit : “Dans la ville de Birmingham [Alabama], il y a plusieurs personnes qui se disent ‘chrétiens non sectaires’. (...) Elles sont allées de maison en maison pour vendre les volumes de l’AURORE DU MILLÉNIUM et pour diffuser d’autres imprimés. Elles parlent de leur religion à chaque occasion, et elles prêchent le dimanche. Elles se disent ‘colporteurs’. Elles ont placé plus de deux mille exemplaires de leurs livres dans notre ville. (...) Or, pourquoi ne pouvons-nous pas diffuser nos imprimés et nos doctrines bibliques, telles que nous les comprenons, de la même façon ? Je crains qu’en fait nos méthodes ne soient dans un état de stagnation et que Dieu ne soit en train de nous dire indirectement que si nous n’allons pas de l’avant, nous nous trouverons relégués au second plan.”
Se souvenant des colporteurs, Henry Farnick écrit : “Oui, à cette époque-là, les villes et les territoires ruraux étaient visités par des colporteurs. Parfois, ils troquaient les livres contre des produits laitiers, des poulets, du savon, etc., marchandises qu’ils gardaient ou vendaient à d’autres personnes. Dans les régions peu habitées, il leur arrivait de passer la nuit chez des cultivateurs, des éleveurs de bétail ou même dans une grange. (...) Ces fidèles chrétiens persévérèrent pendant des années, jusqu’à ce que l’âge les oblige à s’arrêter.”
Au cours des années, Jéhovah pourvut aux besoins des fidèles colporteurs. Il ne leur manquait donc rien d’indispensable (Ps. 23:1). À ce sujet, frère Clarence Huzzey a déclaré : “Nous avons vécu frugalement avec les contributions que nous avons reçues en plaçant les imprimés. Il nous fallait la foi en Jéhovah et en son amour, et je dois dire honnêtement que pendant les nombreuses années que nous avons passées dans le ministère à plein temps, nous n’avons jamais eu faim et nous avons toujours eu le gîte et de quoi nous vêtir (Ps. 37:25). Jéhovah pourvut merveilleusement à nos besoins !”
Le coût de la vie n’était pas très élevé à cette époque-là, mais néanmoins les colporteurs ne pouvaient se permettre d’être dépensiers. Par exemple, en 1910, sœur Malinda Keefer était colporteur dans la ville de Council Bluffs. Elle écrit : “Council Bluffs était un territoire plus difficile, mais grâce à une attitude positive, nous avons pu persévérer. Il est vrai qu’il fallait moins d’argent pour vivre à cette époque-là. Nos déplacements (à pied) et nos repas ne coûtaient pas cher : un pain coûtait 5 cents, et avec la même somme on achetait une livre de sucre ; le bifteck était à 50 cents le kilo, et c’était un vrai régal quand on pouvait se permettre d’en acheter. Les loyers étaient raisonnables, et le tramway ne coûtait que 5 cents. Quelle différence avec le monde que nous connaissons maintenant, dans les années 1970!”
Vers la fin de 1921, George Hannan entra dans le service de colporteur. À propos du coût de la vie, il a écrit : “Mes repas revenaient à 4 dollars par semaine. Je prenais un repas chaud par jour, et pour les deux autres, je mangeais des fruits secs et des légumes contre lesquels j’avais troqué des livres. Lorsqu’on me demandait ce que je ferais quand je n’aurais plus d’argent, je répondais : ‘J’attendrai pour voir ce que Jéhovah fera pour moi.’ J’avais entendu parler de certains colporteurs qui abandonnaient le service quand ils n’avaient plus que 50 dollars. D’après moi, Jéhovah n’avait pas besoin d’intervenir tant qu’on avait 50 dollars, 10 dollars, voire seulement un dollar. J’avais confiance qu’il m’aiderait à pourvoir à mes besoins, mais non à mes fantaisies.”
De quels moyens de transport les colporteurs se servaient-ils ? Charles Capen se souvient d’avoir parcouru pedibus (à pied) plusieurs comtés en Pennsylvanie. D’autres colporteurs se déplaçaient à bicyclette. LaRue Witchey déclare : “Entre 1911 et 1914, des colporteurs visitaient notre région de l’État d’Ohio. Ils travaillaient dur et parcouraient des kilomètres à vélo, chargés de nombreux exemplaires des ‘Études des Écritures’.” Naturellement, monter à bicyclette pour la première fois à cette époque-là était tout une aventure !
D’autres colporteurs eurent recours au cheval. Malinda Keefer se souvient affectueusement d’un vieux cheval du nom de Dobbin. Elle dit : “Dobbin était un cheval docile ; je n’ai jamais eu besoin de l’attacher. Il m’attendait pendant que je parlais à une porte, puis il me suivait jusqu’à la prochaine maison.”
Bien entendu, tous les chevaux ne ressemblaient pas au bon vieux Dobbin, comme l’apprirent les deux sœurs colporteurs Anna Zimmerman et Esther Snyder. Imaginez deux femmes dans une carriole qu’elles avaient louée et qui était tirée par un cheval non dressé ! Sœur Zimmerman déclare que ce cheval “ne permettait à rien de la dépasser, pas même le train, qui longeait la route sur plusieurs kilomètres. J’ai crié au conducteur : ‘Pourriez-vous vous arrêter à la prochaine gare et nous laisser le temps de rentrer à l’écurie avant de vous remettre en route ?’ Il répondit : ‘D’accord. Prenez votre temps.’ Le cheval continua sa course folle jusqu’à l’écurie, où le propriétaire nous présenta ses excuses. Il était à table lorsque nous avions loué la carriole, et le garçon d’écurie qui devait dresser le cheval, mais qui en avait peur, me l’avait loué sans rien me dire !”
Ensuite, quelques années plus tard, certains colporteurs se servaient d’automobiles. Aujourd’hui, les routes sont goudronnées presque partout aux États-Unis. Mais il n’en était pas ainsi à l’époque qui nous intéresse. Voyager en voiture pouvait donc présenter des problèmes. Hazelle et Helen Krull écrivent à ce sujet : “Une fois, notre voiture s’est enfoncée jusqu’au pont arrière. Nous avions l’habitude de la dégager à l’aide d’une pelle, mais cette fois-ci, rien n’y faisait. Un homme aimable amena son mulet, et nous avons cherché le long de la route des bûches et des branches d’arbres pour soulever l’arrière de la voiture. Ainsi, avec un mulet qui tirait à l’avant, le moteur qui marchait au milieu et nos propres efforts vigoureux à l’arrière, après bien des essais infructueux, nous avons eu la joie de voir la voiture sortir de son trou. Mais ce jour-là, nous avons aussi connu des joies. Avant cet incident, nous avions fait des visites intéressantes, dont certaines dans des maisons situées loin de la route et que nous avions atteintes à pied. On voit donc que nos difficultés étaient compensées par nos joies. Avec David, nous avons souvent prié du fond du cœur : ‘Entends, ô Dieu, mon cri suppliant. Prête attention à ma prière.’ — Ps. 61:1.”
Cependant, la prédication effectuée par les colporteurs était infiniment plus importante que tous ces incidents. Voyons un peu ce qu’ils faisaient lorsqu’ils visitaient les gens. William Mockridge se joignit à Vincent Rice comme colporteur en 1906, à Schenectady. Nous rappelant cette époque-là, il écrit : “Le premier jour, je n’ai pas placé un seul livre, et pourtant je passais pour être un représentant hors pair. Cette nuit-là, j’ai prié Jéhovah pour qu’il m’aide à chasser de mon esprit les méthodes que j’employais pour vendre de l’amiante, et à apprendre les méthodes plus humbles et aimables de frère Rice, qui avait toujours un mot gentil pour la personne qui ouvrait la porte. Bientôt, j’ai commencé à placer de nombreux livres, à l’aide d’un ‘prospectus’ fourni par la Société. (...) Nous prenions des ‘commandes’ pour les trois premiers volumes [des Études des Écritures] contre 98 cents, ou pour les six volumes, contre 1 dollar 98 cents. En général, nous livrions ces commandes le jour de la paie, en principe le 1er ou le 15 du mois.”
Avez-vous remarqué que frère Mockridge parle du “prospectus” ? Ce dépliant était utilisé pendant des années par les colporteurs et les autres Étudiants de la Bible qui prêchaient de porte en porte. Il s’agissait d’une reproduction des couvertures des six volumes de L’Aurore du Millénium (Études des Écritures), qui s’étirait comme un accordéon. Le colporteur dépliait ce prospectus sur le bras allongé et présentait le sujet traité dans chaque volume. Il prenait des commandes, et livrait les ouvrages plus tard.
Sœur Pearl Wright écrit : “Les jours des livraisons étaient durs, car une valise remplie de livres est très lourde.” Pour comprendre le problème, il suffit de savoir qu’un colporteur pouvait avoir des commandes pour cinquante volumes des Études des Écritures. Or, ce nombre de livres pesait environ dix-huit kilos, une charge assez lourde pour une femme, et même pour certains hommes. Avec le temps cependant, James Cole, lui-même colporteur, inventa un petit chariot à deux roues que l’on pouvait attacher à une valise.
Sœur Anna Zimmerman déclare que ce petit engin ne manquait pas d’“attirer les regards”. Elle écrit : “Je me souviens qu’un jour, quand j’étais colporteur à Hollidaysburg, en Pennsylvanie, j’ai dû transporter ma valise à travers le quartier commerçant de la ville en plein midi. Cela ne me plaisait pas du tout, mais je roulais ma valise à côté de moi quand, soudain, un monsieur très bien habillé s’est approché de moi et m’a dit poliment : ‘Me permettez-vous d’essayer ? J’aimerais voir comment marche cet engin. Vous semblez avancer si facilement !’ Eh bien, il a tiré ma valise à travers le centre de la ville et jusqu’à ma destination. Plus tard, j’ai appris que cet homme était le rédacteur en chef du journal local.” Le lendemain, ce quotidien contenait un article relatant en détail cet incident.
Poussés par des mobiles désintéressés, les fidèles colporteurs travaillèrent avec zèle, en comptant sur Jéhovah. Et leurs efforts furent récompensés. Des congrégations furent formées grâce à leur activité. Ces chrétiens éprouvaient une satisfaction profonde et recevaient d’abondantes récompenses spirituelles. Edythe Kessler et sa sœur Clara entreprirent joyeusement le service de colporteur en 1907. Elles durent beaucoup marcher, et les valises étaient lourdes les jours des “livraisons”. Bien entendu, elles connurent la fatigue, mais Edythe exprime sans doute les sentiments de tous les fidèles colporteurs de ces temps-là, lorsqu’elle dit : “Nous étions jeunes et heureux dans le service, et c’est avec joie que nous dépensions nos forces pour servir Jah.”
‘AUCUNE ARME FORMÉE CONTRE TOI NE RÉUSSIRA’
Pendant toutes ces années où les fidèles colporteurs et les autres Étudiants de la Bible annonçaient avec zèle la bonne nouvelle, Satan le Diable ne s’est jamais relâché dans ses efforts pour les écraser et les détruire. Nul doute qu’il n’eût réussi si ces chrétiens n’avaient pas bénéficié de la protection divine (I Pierre 5:8, 9 ; Héb. 2:14). Ils ont pu se rendre compte de la véracité de cette promesse que Dieu fit jadis à son peuple : “Toute arme qui sera formée contre toi sera vouée à l’insuccès, et toute langue qui se dressera contre toi dans le jugement, tu la condamneras.” — És. 54:17.
Jésus Christ fut persécuté, et ses disciples peuvent s’attendre à l’être de la part de ceux qui pratiquent la fausse religion et par le monde en général (Jean 15:20). Parfois, cependant, l’attaque de Satan vient de l’intérieur, provenant de gens sans scrupules au sein de l’organisation chrétienne, gens qui en fait “n’étaient pas des nôtres”. — I Jean 2:19.
On se souvient que dans les années 1870, Russell s’était séparé de Barbour, rédacteur du Messager du matin, parce que cet homme avait renié la doctrine biblique de la rédemption, que Russell défendait courageusement. Ensuite, après 1890, certains membres influents de l’organisation essayèrent de s’emparer malhonnêtement de la direction de la Société Watch Tower. Ces intrigants préparèrent des coups destinés à produire l’effet de véritables “bombes”, afin de mettre un terme à la popularité de Russell et à ses fonctions comme président de la Société. Après avoir couvé pendant presque deux ans, la conspiration éclata en 1894. La plupart des griefs et des fausses accusations concernaient des pratiques malhonnêtes que Russell aurait employées dans ses affaires. Certaines de ces accusations avaient trait à des futilités, et trahissaient les intentions de leurs auteurs : calomnier Russell. Un groupe de frères impartiaux firent une enquête et trouvèrent Russell innocent. Cette conspiration destinée à “faire sauter en l’air M. Russell et son œuvre” échoua donc complètement. Ainsi, comme l’apôtre Paul, frère Russell connut des “dangers parmi les faux frères”, mais cette épreuve était manifestement venue de Satan, si bien que ces conspirateurs furent désormais considérés comme indignes de jouir de la compagnie des frères chrétiens. — II Cor. 11:26.
Mais, comme il fallait s’y attendre, ce ne fut pas la fin des épreuves et des difficultés pour frère Russell. Une situation qui s’était développée au sein de sa propre maison devait le toucher personnellement. Pendant la crise de 1894, Mme Russell (née Maria Frances Ackley, que Russell avait épousée en 1879) fit une tournée de conférences qui devait l’amener de New York à Chicago, en visitant les congrégations des Étudiants de la Bible pour prononcer des discours au nom de son mari. Femme instruite et intelligente, elle fut bien accueillie par les congrégations.
Mme Russell était une administratrice de la Société Watch Tower et remplissait également les fonctions de secrétaire et de trésorier. D’autre part, elle écrivait régulièrement des articles pour La Tour de Garde de Sion, et pendant un certain temps elle était même co-rédactrice de ce périodique. Finalement, elle chercha à augmenter son pouvoir de décider de ce qui devait être publié dans La Tour de Garde. Son ambition était comparable à celle de Miriam, sœur de Moïse, qui se rebella contre son frère comme chef d’Israël soumis à Dieu, et s’efforça de se mettre en valeur, ce qui lui valut la défaveur divine. — Nomb. 12:1-15.
Qu’est-ce qui avait favorisé cette attitude de la part de Mme Russell ? En 1906, son mari écrivit : “À l’époque, je ne m’en rendais pas compte, mais j’appris par la suite que les intrigants avaient essayé de semer la discorde dans le cœur de ma femme, en la flattant et en utilisant comme argument les ‘droits des femmes’, etc. Cependant, lorsque la crise éclata [en 1894], grâce à la providence du Seigneur l’humiliation de voir ma femme parmi les conspirateurs m’a été épargnée (...). Mais dès que les choses commencèrent à revenir à un état normal, les idées sur les ‘droits des femmes’ et l’ambition personnelle revenaient à la surface chez Mme Russell, et je me suis aperçu que la campagne active qu’elle avait menée pour me défendre et le bon accueil que les chers frères lui avaient réservé pendant son voyage (...) lui avaient été nuisibles, en flattant son amour-propre. (...) Peu à peu, elle semblait conclure que seuls ses articles méritaient de paraître dans LA TOUR DE GARDE, et elle ne cessa de me tracasser en me suggérant continuellement des changements que je devais apporter aux miens. J’ai été peiné de voir croître cette attitude si éloignée de l’humilité qui avait caractérisé ma femme pendant les treize premières années heureuses de notre mariage.”
Mme Russell devenait de plus en plus intraitable, et leurs relations étaient toujours tendues. Mais au début de 1897, elle tomba malade, et son mari lui prodigua ses soins. Il le fit avec dévouement, pensant que cette attention toucherait le cœur de sa femme et lui redonnerait l’affection et la tendresse qu’elle avait perdues. Mais une fois guérie, elle convoqua un comité qui devait se réunir avec son mari. Celui-ci écrivit : “Le but de cette réunion était d’amener les frères à m’informer que [Mme Russell] avait autant de droits que moi de décider de ce qui paraîtrait dans les colonnes de LA TOUR DE GARDE, et que je la lésais en refusant de lui accorder cette liberté.” En fait, les membres du comité l’informèrent que ni eux ni personne d’autre n’avaient le droit de se mêler de la façon dont son mari gérait La Tour de Garde. Mme Russell répondit en substance que, tout en ne partageant pas l’avis du comité, elle s’efforcerait d’adopter son point de vue. Le rapport de Russell se poursuit en ces termes : “Puis, en leur présence, je lui ai demandé de me serrer la main. Elle hésita, mais elle finit par me tendre la main. Ensuite, j’ai ajouté : ‘Et maintenant, chérie, embrasse-moi pour manifester ton changement d’attitude.’ De nouveau, elle hésita, mais finalement elle m’embrassa et manifesta un renouveau d’affection en présence du Comité qu’elle avait convoqué.”
Ainsi, les Russell s’étaient réconciliés. Par la suite, à la demande de Mme Russell, son mari organisa une réunion hebdomadaire pour “les sœurs de l’Église d’Allegheny”, présidée par sa femme. Cela créa d’autres difficultés, donnant lieu à des calomnies à l’adresse de Russell. Mais ce problème aussi fut finalement résolu.
À la longue, cependant, sa rancune croissante amena Mme Russell à rompre toutes relations avec la Société Watch Tower et avec son mari. Sans préavis, elle le quitta en 1897, après presque dix-huit années de vie commune. Pendant sept années elle vécut séparée de Russell, qui lui procura un logement et pourvut à ses besoins. En juin 1903, elle intenta une action en justice devant un tribunal de Pittsburgh, demandant la séparation. L’affaire fut jugée en avril 1906, devant le juge Collier et un jury. Presque deux ans plus tard, le 4 mars 1908, une ordonnance fut rendue en ces termes : “La présente ordonnance décrète que Maria F. Russell, la requérante, et Charles T. Russell, le défendeur, soient séparés de corps et de biens.” “Séparés de corps et de biens” est la phrase qui figure aussi bien dans l’ordonnance que dans l’enregistrement du jugement par le greffier du tribunal. Il s’agit donc d’une séparation judiciaire et non d’un divorce, comme certains l’ont prétendu à tort. Selon un dictionnaire juridique (Bouvier’s Law Dictionary, Banks-Baldwin Law Publishing Company, 1940) il s’agit d’“une sorte de divorce incomplet aux termes duquel les époux sont séparés et ne doivent plus cohabiter, sans toutefois que le mariage soit annulé. 1 Bl. Com. 440”. (Page 314.) À la page 312, cet ouvrage dit qu’il serait plus exact de qualifier cette action de “séparation judiciaire”.
Russell comprenait bien que le tribunal n’avait pas rendu une ordonnance de divorce, mais qu’il s’agissait d’une séparation judiciaire. En 1911, pendant qu’il voyageait en Irlande, on lui demanda à Dublin : “Est-il vrai que vous êtes divorcé d’avec votre femme ?” Relatant sa réponse, Russell devait écrire plus tard : “‘Je ne suis pas divorcé d’avec ma femme. L’ordonnance rendue par le tribunal n’était pas celle d’un divorce, mais d’une séparation, le jury compatissant déclarant dans ses motifs que nous serions tous deux plus heureux si nous vivions séparés. Ma femme m’a accusé de sévices, mais le seul exemple qu’elle pût citer fut mon refus, un jour, de l’embrasser alors qu’elle me l’avait demandé.’ J’ai donné l’assurance à l’auditoire que j’avais nié l’accusation de sévices et que j’étais convaincu que nulle femme au monde n’a été mieux traitée par son mari. Les applaudissements ont attesté que l’auditoire approuvait mes déclarations.”
Un incident qui se produisit à l’enterrement de Russell à Pittsburgh en 1916 est instructif à ce sujet. Sœur Anna Gardner, dont les souvenirs correspondent à ceux d’autres témoins présents, écrit : “Un incident qui eut lieu juste avant le service funèbre à la Salle Carnegie réfute les mensonges publiés par la presse au sujet de frère Russell. La salle était pleine bien avant l’heure du service, et un silence régnait lorsqu’une femme voilée remonta l’allée, s’approcha du cercueil et posa quelque chose dessus. Ceux qui étaient devant pouvaient voir que c’était un bouquet de muguet, la fleur préférée de frère Russell. Le ruban portait cette inscription : ‘À mon époux bien-aimé.’ La femme était Mme Russell. Ainsi, elle reconnaissait publiquement qu’elle n’avait jamais été divorcée d’avec lui.”
Mais on peut imaginer les peines de cœur et la fatigue émotionnelle que frère Russell a dû subir à cause de ces épreuves familiales. Dans une lettre manuscrite et non datée qu’il envoya à Mme Russell à un moment donné de leurs difficultés conjugales, il écrivit : “Lorsque tu recevras cette lettre, une semaine se sera écoulée depuis que tu as abandonné celui que tu as promis devant Dieu et les hommes d’aimer et de servir ‘pour le meilleur ou pour le pire, jusqu’à la mort’. Sans aucun doute, ‘l’expérience nous apprend de bonnes leçons’. Elle seule pouvait m’apprendre cela de toi, dont je peux vraiment dire qu’auparavant on n’aurait pu trouver de conjoint plus affectueux et dévoué. S’il en avait été autrement, je suis confiant que le Seigneur ne t’aurait pas confiée à moi. Il fait bien toutes choses. Je le remercie encore de sa providence à mon égard sous ce rapport, et je me souviens avec émotion et plaisir de l’époque où tu m’embrassais au moins trente fois par jour et me disais sans cesse que tu ne voyais pas comment tu pourrais vivre sans moi ; tu craignais que je meure avant toi (...) et je suis en train de me dire que certains de ces témoignages d’amour ne datent que d’il y a dix-huit mois, encore que pendant une année auparavant, ton amour ait été moins fervent, à cause de ta jalousie et de tes soupçons, malgré l’assurance de l’ardeur de mon amour pour toi, répétée cent fois, et que j’affirme encore aujourd’hui.”
Russell avait le sentiment que le grand Adversaire “tenait fermement” sa femme. Il déclara : “J’ai prié sincèrement le Seigneur en ta faveur.” Il chercha à l’aider. Il lui écrivit, entre autres : “Je ne veux pas t’accabler de mon chagrin ni essayer d’éveiller ta compassion en décrivant l’émotion que je ressens lorsque, de temps à autre, je vois tes robes ou des objets me rappelant comment tu étais : si pleine d’amour, de compassion et de serviabilité, bref, de l’esprit du Christ. Mon cœur s’écrie : ‘Si seulement je l’avais enterrée, ou qu’elle ait pu m’enterrer pendant que nous étions heureux !’ Mais apparemment les épreuves n’étaient pas achevées. (...) Je te supplie de considérer dans la prière ce que je suis sur le point de dire. Sois assurée que l’acuité de ma douleur ne vient pas de la solitude que j’éprouverai tout le reste de ma vie, mais vient, ma chérie, de ta chute, de ta perte éternelle, pour autant que je puisse en juger.”
AUCUNE IMMORALITÉ
Comme si les difficultés conjugales de Russell ne suffisaient pas pour le mettre à l’épreuve, ses ennemis s’abaissèrent jusqu’à formuler contre lui des accusations ignobles au sujet de sa moralité. Ces mensonges malicieux concernaient principalement l’histoire de la “méduse”. Au cours du procès d’avril 1906, Mme Russell affirma que d’après une certaine Mlle Ball, Russell aurait dit un jour : “Je suis comme une méduse. Je flotte çà et là. Je touche à l’une et à l’autre, et quand il y en a une qui répond à mon invite, je la prends. Sinon, je flotte vers d’autres.” À la barre du tribunal, Russell nia énergiquement avoir jamais raconté cette histoire de la “méduse”, et cette question a été rayée du procès-verbal de l’audience. Le juge déclara aux membres du jury : “Ce petit incident au sujet de cette jeune fille qui habitait avec eux ne figure pas dans le libellé de la plainte et n’a rien à voir avec cette affaire.”
La jeune fille en question, une orpheline, avait été recueillie par les Russell en 1888, alors qu’elle était âgée d’environ dix ans. Ils la traitaient comme si elle était leur enfant, et elle embrassait M. et Mme Russell chaque soir avant de se coucher. (Procès-verbal, pages 90 et 91.) Mme Russell attesta que l’incident évoqué se produisit en 1894, donc lorsque l’enfant n’avait qu’une quinzaine d’années. (Procès-verbal, page 15.) Après cela, Mme Russell cohabita avec son mari pendant trois années, puis elle vécut séparée de lui pendant sept années avant de demander la séparation judiciaire. Dans sa demande de séparation, elle n’avait fait aucune allusion à cette affaire. D’autre part, Mlle Ball vivait encore, et Mme Russell connaissait son adresse. Pourtant, elle ne fit rien pour la faire comparaître comme témoin et elle ne présenta de sa part aucune déclaration écrite. Quant à Russell lui-même, on ne peut lui reprocher de ne pas avoir cité Mlle Ball comme témoin, puisqu’il ignorait que sa femme allait évoquer cette affaire. En outre, trois ans après l’incident en question, Mme Russell ne fit aucune allusion à cette histoire de la “méduse” quand elle convoqua le comité devant lequel elle et son mari discutèrent de leurs problèmes. En demandant la pension alimentaire pour sa cliente, l’avocat de Mme Russell déclara : “Nous ne formulons aucune accusation d’adultère.” De plus, la feuille d’audience (page 10) montre que Mme Russell elle-même n’avait jamais cru que son mari avait une conduite immorale. Lorsque son avocat lui demanda : “Voulez-vous dire que votre mari est coupable d’adultère ?”, elle répondit : “Non.”
Pendant toute cette période de difficultés conjugales et d’autres épreuves, Jéhovah soutint Charles Russell par le moyen de son esprit saint. Dieu continua de l’employer durant toutes ces années non seulement pour rédiger des articles de La Tour de Garde de Sion, mais encore pour assumer d’autres grandes responsabilités et pour écrire trois volumes de L’Aurore du Millénium (ou Études des Écritures). Quel encouragement pour les chrétiens de nos jours qui continuent d’accomplir la volonté divine tout en subissant des épreuves ! Les fidèles disciples oints de Jésus sont particulièrement fortifiés par ces paroles de Jacques : “Heureux l’homme qui endure l’épreuve, parce que, quand il deviendra un homme approuvé, il recevra la couronne de vie que Jéhovah a promise à ceux qui continuent à l’aimer.” — Jacq 1:12.
LE BLÉ MIRACLE
Les ennemis de frère Russell ne se contentèrent pas d’exploiter ses difficultés conjugales, mais ils se servirent d’autres “armes” contre lui. Par exemple, ils l’accusèrent d’avoir vendu une grande quantité de blé commun sous le nom de “Blé miracle” au prix de un dollar la livre, ou soixante dollars le boisseau. Ils prétendirent que Russell en tira d’énormes profits personnels. Or, ces accusations sont tout à fait fausses. Quels sont les faits ?
En 1904, un certain M. Stoner remarqua dans son jardin à Fincastle, en Virginie, une plante bizarre comportant 142 tiges se terminant par un épi de blé. En 1906, il donna à cette variété le nom de “Blé miracle”. Avec le temps, d’autres cultivateurs se procurèrent des graines de ce blé, et obtinrent des récoltes extraordinaires. Ce “Blé miracle” obtint des prix à plusieurs foires agricoles. Or, Russell s’intéressait à tout ce qui touchait de près ou de loin aux prophéties bibliques annonçant que “le lieu stérile sera dans l’allégresse, et fleurira comme la rose” et que “la terre donnera ses produits”. (És. 35:1, Da ; Ézéch. 34:27, AC.) Le 23 novembre 1907, M. Miller, expert agronome auprès du gouvernement des États-Unis, soumit au ministère de l’Agriculture un rapport favorable sur ce blé cultivé par M. Stoner. Ce rapport défraya la chronique des journaux d’un bout à l’autre du pays. Son attention ayant été attirée sur ce rapport, Russell publia dans La Tour de Garde de Sion (du 15 mars 1908, page 86) des commentaires de la presse et des extraits du rapport gouvernemental sur ce blé. En guise de conclusion, il écrivit : “Même si l’on n’obtenait que la moitié des résultats publiés dans ce rapport, celui-ci constituerait une nouvelle preuve que Dieu pourra pourvoir aux nécessités de la vie lors des ‘temps du rétablissement de toutes choses dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes de tout temps’. — Actes 3:19-21.”
Pas plus que d’autres personnes qui firent des expériences avec le “Blé miracle”, M. Stoner n’était ni un Étudiant de la Bible ni un associé de frère Russell. Cependant, en 1911, deux lecteurs de La Tour de Garde, J. Bohnet, de Pittsburgh, et Samuel Fleming, de Wabash, firent don à la Société Watch Tower d’environ trente boisseaux de ce blé, en suggérant qu’il soit vendu à un dollar la livre et que la Société se serve de l’argent recueilli pour poursuivre son œuvre religieuse. La recette de cette opération rapporta à la Société la somme totale d’environ 1 800 dollars. Russell n’empocha pas un cent. Il ne fit que publier dans La Tour de Garde un avis informant les lecteurs qu’on avait donné ce blé à la Société, et que l’on pouvait s’en procurer au prix de un dollar la livre. La Société ne vanta jamais les qualités de ce blé, et l’argent recueilli fut employé pour l’œuvre des missionnaires chrétiens. Lorsque d’aucuns critiquèrent cette vente, tous les acheteurs furent informés que s’ils étaient mécontents de leur acquisition, leur argent leur serait remboursé. À cet effet, la somme totale reçue en échange de ce blé fut mise en réserve pendant une année, mais personne ne demanda à être remboursé. La conduite de frère Russell et de la Société en cette affaire du “Blé miracle” était en tous points honnête.
Du fait que Charles Russell enseignait la vérité de la Parole de Dieu, il était haï et calomnié, souvent par les membres du clergé. Mais les chrétiens des temps modernes s’attendent à être traités ainsi, car Jésus et ses apôtres subirent les mêmes choses de la part de leurs ennemis religieux. — Luc 7:34.
“JÉHOVAH NE DÉLAISSERA PAS SON PEUPLE”
Jéhovah est un Dieu fidèle. Conseillant aux membres du peuple d’Israël de servir Dieu de tout leur cœur, le prophète Samuel déclara : Jéhovah ne délaissera pas son peuple, à cause de son grand nom, parce que Jéhovah a pris sur lui de faire de vous son peuple.” — I Sam. 12:20-25.
Les Étudiants de la Bible eurent l’occasion de vérifier l’exactitude de cette déclaration. Certaines des choses qu’ils vécurent, par exemple entre 1914 et 1916, leur causèrent des déceptions et du chagrin. Néanmoins, Jéhovah soutint son peuple et ne l’abandonna jamais. — I Cor. 10:13.
DE GRANDES ESPÉRANCES
À cette époque-là, il y avait également des raisons de se réjouir. Depuis des années, le peuple de Dieu avait annoncé 1914 comme l’année qui marquerait la fin des temps des Gentils. Son attente ne fut pas déçue. Le 28 juillet 1914, la Première Guerre mondiale éclata, et à mesure que le temps avançait vers le 1er octobre, un nombre toujours croissant de nations et d’empires s’engagèrent dans ce conflit. Comme les témoins chrétiens de Jéhovah le savent grâce à leurs études des Écritures, la période ininterrompue de la domination du monde par les Gentils prit fin en 1914, lors de la naissance du Royaume céleste de Dieu et du roi Jésus Christ (Rév. 12:1-5). Mais d’autres espérances encore se rattachaient à 1914. À ce propos, frère Macmillan écrivit dans son livre La foi en marche : “Je me souviens bien que le 23 août 1914, le pasteur Russell entreprit un voyage qui commençait par le nord-ouest du pays, et devait l’amener le long de la côte du Pacifique et à travers les États du Sud, jusqu’à Saratoga Springs, dans l’État de New York, où un congrès était prévu du 27 au 30 septembre. C’était un moment critique, car bon nombre d’entre nous pensaient sérieusement que nous serions appelés au ciel pendant la première semaine d’octobre.”
En effet, l’idée d’aller au ciel en 1914 était fortement enracinée chez certains Étudiants de la Bible. Sœur Dwight Kenyon écrit : “Nous pensions que la guerre dégénérerait en révolution et en anarchie. Alors, les oints ou consacrés mourraient et seraient glorifiés. Une nuit, j’ai rêvé que toute l’ecclésia (ou congrégation) se trouvait dans un train qui allait je ne sais où. Il y avait du tonnerre et des éclairs et, tout à coup, les frères commencèrent à mourir autour de moi. Je trouvais cela bien, mais quant à moi, je n’arrivais pas à mourir. Quelle déception ! Puis, soudain, je mourus, à mon grand soulagement ! Je vous raconte cela pour montrer combien nous étions sûrs que tout allait bientôt finir pour ce qui est du présent monde, et que le reste du ‘petit troupeau’ allait être glorifié. — Luc 12:32.”
Hazelle et Helen Krull se rappellent qu’en 1914 les discussions à la table du Béthel tournaient souvent autour de la fin des temps des Gentils. De temps à autre, frère Russell faisait de longs commentaires pour nous encourager à rester fidèles, et il nous expliqua que la chronologie avait été vérifiée à nouveau et que tout semblait juste. Il précisa cependant que “si nous attendions plus que ce qui était annoncé dans les Écritures, nous serions obligés de nous soumettre à la volonté de Jéhovah et de modifier nos pensées et notre cœur, en ayant foi en sa voie et en attendant fidèlement l’accomplissement des événements annoncés”.
Un incident qui se produisit en 1914, au congrès de Saratoga Springs, souligne ce que frère Macmillan entendait par “partir pour la dernière demeure” en cette année-là. Il écrivit : “Le mercredi (30 septembre), on m’invita à parler sur le sujet ‘La fin de toutes choses est proche ; soyons donc sobres et veillons pour prier’. Eh bien, ce sujet était tout à fait dans mes cordes, comme on dit. En effet, je croyais sincèrement que l’église devait aller dans sa ‘demeure’ en octobre. Pendant ce discours, j’ai eu le malheur de dire : ‘Vraisemblablement, ce sera le dernier discours public que je prononcerai, car nous allons bientôt partir vers notre demeure à nous.’”
Le lendemain matin 1er octobre 1914, environ cinq cents Étudiants de la Bible firent une agréable promenade en bateau sur l’Hudson, d’Albany à New York. Les congressistes se rendaient à Brooklyn, où l’assemblée devait prendre fin le dimanche suivant. Bon nombre de délégués logèrent au Béthel, et, bien entendu, les membres du personnel étaient présents avec eux pour le petit déjeuner le vendredi matin 2 octobre. Tout le monde était assis à table lorsque frère Russell entra dans la salle à manger. Suivant son habitude, il nous dit avec bonne humeur : “Bonjour à tous !” Mais ce matin-là était tout de même différent. Au lieu d’aller prendre immédiatement sa place il tapa dans ses mains et annonça joyeusement : “Les temps des Gentils ont pris fin, les rois ont eu leur jour.” Sœur Cora Merrill précise : “Nous avons tous applaudi à tout rompre.” “Nous étions très émus, avoue frère Macmillan, et je n’aurais pas été surpris si à l’instant même nous avions commencé à monter au ciel, comme si ses paroles donnaient le signal. Naturellement, il n’est rien arrivé de pareil.” Sœur Merrill ajoute : “Après une courte pause, il [Russell] demanda : ‘Êtes-vous déçus ? Pas moi ! Tout progresse exactement comme prévu !’ Nous avons de nouveau applaudi.”
Frère Russell fit quelques remarques, mais bientôt il attira l’attention sur frère Macmillan. Il déclara sans méchanceté : “Nous allons apporter quelques changements au programme prévu pour dimanche. À 10 h 30 dimanche matin, frère Macmillan nous fera un discours.” Tout le monde éclata de rire. Le mercredi précédent, frère Macmillan n’avait-il pas prononcé ce qu’il avait qualifié de ‘vraisemblablement mon dernier discours public’ ? Des années plus tard, Macmillan devait écrire : “Eh bien, j’ai dû vite chercher quelque chose à dire. J’ai trouvé Psaume 74:9, qui dit : ‘Nous n’avons pas vu nos signes ; il n’y a plus de prophètes, et il n’y a personne parmi nous qui sache jusqu’à quand.’ Voilà qui était différent. Dans ce discours, je me suis efforcé d’expliquer aux frères que sans doute certains d’entre nous étaient allés un peu trop vite en besogne en pensant que nous irions immédiatement au ciel. À présent, il nous appartenait de rester occupés dans le service du Seigneur en attendant qu’il décide quand ses serviteurs approuvés devaient rejoindre leur demeure au ciel.”
Frère Russell avait prévenu les frères de ne pas se livrer à des conjectures personnelles. Par exemple, dans La Tour de Garde du 1er décembre 1912, après avoir parlé de la fin des temps des Gentils, il écrivit : “Enfin, n’oublions pas que nous ne nous sommes pas consacrés [voués] jusqu’en octobre 1914, ni jusqu’en octobre 1915, ni jusqu’à une autre date, mais ‘jusqu’à la mort’. Si, pour une raison quelconque, le Seigneur nous a permis de faire de faux calculs sur la base des prophéties, les signes des temps nous donnent l’assurance que l’erreur de calcul ne peut être bien grande. Si la grâce et la paix du Seigneur sont avec nous à l’avenir comme dans le passé, conformément à sa promesse, nous nous réjouirons tout autant de nous en aller à n’importe quel moment ou de rester, et d’être dans son service de ce côté-ci du voile ou de l’autre côté [sur la terre ou au ciel], selon le bon plaisir de notre Maître.”
Au début de cette année décisive, Russell écrivit dans La Tour de Garde du 1er janvier 1914 : “Sans doute ne lisons-nous pas les points chronologiques avec la même certitude absolue que les points doctrinaux, car les choses temporelles ne sont pas définies dans les Écritures aussi clairement que les doctrines fondamentales. Nous marchons encore par la foi, non par la vue. Cependant, nous ne sommes pas sans foi et incrédules, mais fidèles et dans l’expectative. S’il devait s’avérer plus tard que l’Église n’a pas été glorifiée en octobre 1914, nous nous efforcerons d’être heureux d’accomplir la volonté du Seigneur, quelle qu’elle soit.”
Ainsi, beaucoup d’Étudiants de la Bible avaient de grandes espérances en 1914. Pourtant, ils avaient reçu de nombreux conseils dans les pages de La Tour de Garde. Certains chrétiens s’attendaient à aller au ciel en automne de cette année-là. À ce sujet, frère Woodworth écrit : “Vint le 1er octobre 1914, et rien ne se passa, puis les années se succédèrent après cette date, avec les oints toujours présents sur la terre. Certains cédèrent à l’amertume et quittèrent la vérité. Mais ceux qui se confiaient en Jéhovah voyaient en 1914 une année vraiment marquée, — le ‘commencement de la fin’, — tout en se rendant compte que l’idée qu’ils avaient eue précédemment concernant la ‘glorification des saints’, telle qu’elle avait été énoncée, était erronée. Ils comprenaient maintenant qu’un grand travail restait à faire pour les fidèles oints, dont mon père [Clayton Woodworth] faisait partie.”
Mais la déception de ne pas avoir été enlevé au ciel en 1914 était vraiment peu de chose à côté des grandes espérances qui se réalisèrent cette année-là. Depuis longtemps, les Étudiants de la Bible avaient annoncé que les temps des Gentils arriveraient à leur terme en 1914, mais durant les six premiers mois, rien de spécial ne se produisit parmi les nations. C’est pourquoi les chefs religieux et d’autres encore tournèrent en ridicule frère Russell et la Société Watch Tower. Mais Jéhovah n’avait pas abandonné son peuple et il ne l’avait pas induit en erreur. Poussés par l’esprit saint, les serviteurs de Dieu poursuivirent leur œuvre de témoignage, puisqu’ils n’attendaient pas la fin des temps des Gentils avant l’automne. À mesure que les mois passaient, la tension grandissait en Europe, et pourtant on continuait de se moquer de plus belle du message du Royaume. Mais tout changea lorsque l’une après l’autre les nations se trouvèrent prises dans l’engrenage de la Première Guerre mondiale. Tout à coup, l’œuvre des témoins chrétiens de Jéhovah attira davantage l’attention du public.
À titre d’exemple, citons un article intitulé “Fin de tous les royaumes en 1914”, qui parut le 30 août 1914 dans le supplément dominical du journal new-yorkais The World (Le Monde), où l’on pouvait lire entre autres :
“L’effroyable guerre qui vient d’éclater en Europe accomplit une prophétie extraordinaire. Il y a un quart de siècle, les ‘Étudiants de la Bible’, mieux connus sous le nom d’‘Auroristes du Millénium’, se sont mis à proclamer au monde, par la voix de prédicateurs et par la presse, que le Jour de la Colère prophétisé dans la Bible poindrait en 1914. ‘Attention à 1914!’, tel a été le cri des centaines d’évangélistes itinérants qui, représentant cette croyance singulière, ont parcouru le pays dans tous les sens pour publier la doctrine selon laquelle ‘le Royaume de Dieu est proche’. (...)
“Le Rév. Charles T. Russell est l’homme qui avance cette interprétation des Écritures depuis 1874. (...) ‘En présence de ces fortes preuves de la Bible, écrivit le Rév. Russell en 1889, nous considérons comme une vérité bien établie que la fin des royaumes de ce monde et l’entier établissement du Royaume de Dieu auront lieu en 1914.’ (...)
“Mais dire que la détresse doit atteindre son point culminant en 1914, voilà qui est étrange. Pour une raison bien curieuse — peut-être parce que le Rév. Russell écrit d’une manière très posée, dans un style de mathématicien réfléchi plutôt que dans celui d’un harangueur fougueux — le monde n’a en général guère daigné tenir compte de lui. Quant aux Étudiants qui se réunissent au ‘Tabernacle de Brooklyn’, ils disent qu’il fallait s’y attendre, que le monde n’écoute jamais les avertissements divins et ne les écoutera jamais, jusqu’à ce que le jour de détresse soit passé. (...)
“Et voilà qu’en 1914 vient la guerre, la guerre que tout le monde redoutait, et dont tout le monde pensait qu’elle ne se produirait pas en fin de compte. Le Rév. Russell ne déclare pas : ‘Je vous l’avais bien dit’, et il ne révise pas les prophéties pour les adapter au cours de l’Histoire. Lui et ses Étudiants se contentent d’attendre, d’attendre jusqu’en octobre qu’ils estiment être la fin réelle de 1914.”
Certes, les Étudiants de la Bible ne rejoignirent pas “leur demeure” au ciel en octobre 1914. Néanmoins, les 2 520 années des temps des Gentils arrivèrent à leur terme. D’autre part, comme ils devaient s’en rendre compte de plus en plus, les serviteurs de Jéhovah avaient encore un grand travail à accomplir sur la terre, pour prêcher la bonne nouvelle du Royaume établi de Dieu. Apparemment, une foule d’autres hommes allaient accepter la vérité de la Bible. À ce propos, Russell écrivit dans La Tour de Garde du 15 février 1915 : “Certains signes indiquent qu’à l’heure actuelle le Seigneur a une grande œuvre à confier à son peuple, ses saints vigilants. (...) Quelques-uns des enfants du Seigneur semblent croire que ‘la porte est fermée’, et qu’il n’est plus possible de le servir. Aussi négligent-ils son œuvre. Nous n’avons pas de temps à perdre en nous imaginant que la porte est fermée ! Il y a des gens qui cherchent la vérité et qui sont dans l’obscurité. Aucune époque n’a été comparable à ce temps-ci. Jamais autant de personnes n’ont été disposées à entendre le bon Message. Pendant les quarante ans du temps de la Moisson, on n’a jamais eu des occasions de proclamer la vérité comme maintenant. La grande guerre actuelle et les sinistres signes des temps sont en train de réveiller les gens, si bien que bon nombre d’entre eux cherchent à comprendre ces choses. Le peuple du Seigneur devrait donc être très diligent et faire de toutes ses forces tout ce que sa main trouve à faire.”
“UNE GRANDE ŒUVRE RESTE À FAIRE”
En somme, le peuple de Dieu avait reçu comme conseil de rester inébranlable et de ‘travailler de plus en plus à l’œuvre du Seigneur’. (I Cor. 15:58, AC.) Comme preuve supplémentaire que frère Russell était persuadé que les serviteurs de Jéhovah avaient encore une grande œuvre à accomplir, citons un incident relaté des années plus tard par frère Macmillan. Frère Russell passait toutes ses matinées, de huit heures à midi, à préparer des articles pour La Tour de Garde et à d’autres travaux de rédaction et de recherches bibliques. Macmillan a écrit : “Personne ne s’approchait de son bureau pendant ce temps-là, à moins qu’il ne fût convoqué ou qu’il n’eût quelque chose de très important à lui dire. Un matin, vers huit heures cinq, un frère sténographe descendit l’escalier quatre à quatre et me dit : ‘Frère Russell désire te voir dans son bureau.’ Je me dis : ‘Qu’est-ce que j’ai fait ?’ On n’était jamais convoqué à son bureau le matin, sauf pour des affaires importantes.” Lisons la suite du récit de frère Macmillan :
“Je montai au bureau et il me dit : ‘Entre, frère. Va t’asseoir dans le salon.’ Cette pièce était contiguë à son bureau. Là, il déclara : ‘Frère, t’intéresses-tu à la vérité autant qu’au début ?’ J’étais surpris. Il ajouta : ‘Ne t’étonne pas, je voulais simplement voir ta réaction.’ Puis il me parla de sa condition physique, et je connaissais assez bien les signes diagnostiques de son état pour savoir qu’il ne vivrait que quelques mois si on ne le soulageait pas. Puis il dit : ‘Eh bien, frère, je voulais simplement te dire que je ne suis plus à même d’assurer tout mon travail, et pourtant une grande œuvre reste à faire.’ (...)
“Je lui répondis : ‘Frère Russell, ce que tu as dit là ne cadre pas. Cela n’a pas de sens.’
“Il me demanda : ‘Que veux-tu dire, frère ?’
“Je précisai : ‘Tu dis que tu vas mourir et que l’œuvre doit se poursuivre. Eh bien, moi, je te dis que quand tu mourras, il ne nous restera qu’à nous croiser les bras et à attendre de monter au ciel avec toi. Nous nous en irons en même temps.’
“Il me répliqua : ‘Frère, si c’est ce que tu penses, tu n’as rien compris. Cette œuvre n’est pas celle d’un homme. À côté d’elle, je ne suis pas important. La lumière croît. Une grande œuvre reste à faire.’ (...)
“Après avoir expliqué l’œuvre future, frère Russell ajouta : ‘J’ai besoin de quelqu’un qui saura assumer mes responsabilités. Je dirigerai toujours l’œuvre, mais je ne pourrai plus m’en occuper comme par le passé.’ Nous parlâmes de différentes personnes. Enfin, au moment où je passai par la porte coulissante pour sortir dans le hall, il me dit : ‘Une minute ! Va dans ta chambre et parle de cette affaire au Seigneur, puis reviens me voir pour me dire si frère Macmillan est disposé à accepter cette tâche.’ Il ferma la porte sans attendre ma réaction. J’étais comme cloué au sol, abasourdi. Que pouvais-je faire pour aider frère Russell dans sa tâche ? Il fallait un homme rompu aux affaires, et moi je ne savais que prêcher la religion. Mais je me mis à réfléchir, et plus tard je revins pour lui dire : ‘Frère, je ferai tout mon possible. Peu importe où tu me placeras.’”
Convaincu que le peuple de Dieu devait encore accomplir un grand travail, Russell conseilla à ses proches collaborateurs de se préparer en vue de l’accroissement. Pour consolider l’organisation, il y apporta quelques changements et en recommanda d’autres pour quand il ne serait plus là. Il chargea frère Macmillan de la direction du bureau et du Béthel. Puis en automne 1916, malgré sa santé qui déclinait rapidement et ses souffrances physiques, il partit pour effectuer une tournée de conférences déjà prévue.
SON DERNIER VOYAGE
Après avoir quitté New York le 16 octobre 1916, frère Russell et son secrétaire, Menta Sturgeon, se rendirent à Detroit, en passant par le Canada. Puis, ayant visité Chicago, les deux hommes traversèrent le Kansas et descendirent jusqu’au Texas. Russell était si malade que plusieurs fois son secrétaire dut prendre la parole à sa place. Le mardi soir 24 octobre, à San Antonio, il prononça son dernier discours public, intitulé “Le monde en feu”. Par trois fois il dut quitter l’estrade et laisser à son secrétaire le soin de continuer.
Frère Russell et son secrétaire passèrent la nuit de ce même mardi dans un train qui les amenait en Californie. Malade, Russell resta couché toute la journée de mercredi. À un moment donné, son compagnon de voyage prit sa main et lui dit : “Je n’ai jamais vu une main qui ait démoli tant de dogmes que celle-là !” Russell répondit qu’il ne pensait pas qu’elle démolirait d’autres dogmes.
Les deux hommes furent retardés toute une journée à Del Rio au Texas, par la construction d’un pont de fortune pour remplacer celui qui venait de brûler. Ils quittèrent Del Rio le jeudi matin. Le vendredi soir, ils durent changer de train dans une gare de jonction en Californie. Toute la journée du samedi, Russell souffrit atrocement et s’affaiblissait de plus en plus. Ils arrivèrent à Los Angeles le dimanche 29 octobre, et c’est là, le soir, que frère Russell prononça son dernier discours devant une congrégation. Il était alors si faible qu’il dut prononcer son discours assis. Après avoir dit : “Je regrette de ne pas pouvoir parler puissamment”, il demanda à celui qui présidait d’enlever le pupitre et de lui apporter une chaise, tout en disant aux assistants : “Excusez-moi d’être obligé de m’asseoir.” Il parla pendant quarante-cinq minutes environ, puis il répondit à quelques questions. Dwight Kenyon évoque cette circonstance, en disant : “J’ai eu le privilège d’assister au dernier discours que frère Russell prononça à Los Angeles le 29 octobre 1916. Il était très malade et resta assis pendant tout son exposé sur Zacharie 13:7-9. Comme je fus impressionnée par son texte de clôture : Nombres 6:24-26 !”
Se rendant compte que sa santé ne lui permettrait pas d’aller plus loin, Russell décida d’annuler le reste de sa tournée de conférences et de rentrer aussitôt que possible au Béthel de Brooklyn. Le mardi 31 octobre, frère Russell agonisait. À Panhandle, au Texas, un médecin alerté par télégraphe monta dans le train et constata que sa condition était critique. Puis le train poursuivit son voyage. Peu de temps après, au début de l’après-midi du 31 octobre 1916, alors que le train se trouvait à Pampa, au Texas, Charles Taze Russell mourut, à l’âge de soixante-quatre ans.
“DIEU EST TOUJOURS À LA BARRE”
Les nombreuses épreuves, ses activités comme prédicateur, ses responsabilités comme rédacteur et ses autres devoirs avaient épuisé les forces vitales de Charles Russell. Pendant environ trente-deux ans, il fut président de la Société Watch Tower. On dit qu’il parcourut plus d’un million et demi de kilomètres en tant que conférencier et qu’il prononça plus de 30 000 sermons. Ses écrits comptent plus de 50 000 pages au total. Certains mois, il dictait jusqu’à mille lettres. Il fit tout cela, tout en dirigeant personnellement une œuvre d’évangélisation mondiale qui employait jusqu’à 700 prédicateurs. Enfin, Russell élabora la représentation biblique la plus extraordinaire que l’on ait jamais vue jusque-là : Le Photo-Drame de la Création.
Étant donné que frère Russell avait joué un rôle si important dans l’œuvre consistant à annoncer la bonne nouvelle, sa présence manqua beaucoup à nombre d’Étudiants de la Bible. Frère Macmillan écrivit plus tard : “Lorsque, au petit déjeuner le lendemain matin, je lus devant la famille du Béthel le télégramme annonçant sa mort, il y eut des gémissements d’un bout à l’autre de la salle à manger.” Parmi le peuple de Dieu en général, il y eut des réactions diverses. Frère Arden Pate, qui était placeur au Théâtre Majestic de San Antonio lorsque frère Russell prononça son dernier discours public, a déclaré : “D’aucuns ont dit : ‘C’est fini !’, et pour eux, c’était effectivement fini, parce qu’ils ne comprenaient pas que Jéhovah dirigeait son peuple. Ils comptaient trop sur un seul homme.” Lors du service funèbre célébré le dimanche 5 novembre 1916, au City Temple de New York, plusieurs de ses proches collaborateurs, tout en évoquant la perte cruelle que constituait sa mort, exhortèrent les assistants à demeurer fidèles. Le 6 novembre, à 14 heures, un autre service fut célébré dans la Salle Carnegie, à Pittsburgh. Le même jour, à la nuit tombante Russell fut enterré dans la concession appartenant à la famille du Béthel, au cimetière de Rosemont, à Allegheny. Pendant le service funèbre célébré à New York, frère Macmillan révéla la conversation qu’il avait eue avec frère Russell avant sa mort, en précisant les mesures que Russell avait prises par rapport au travail effectué au siège de la Société. Puis, entre autres, Macmillan déclara : “Une grande œuvre reste à faire, mais le Seigneur nous donnera la grâce et la force nécessaires pour l’accomplir. (...) Certains ouvriers pusillanimes pensent peut-être que le moment est arrivé où nous devons poser nos outils du moissonnage et attendre que le Seigneur nous appelle à lui. Mais ce n’est pas le moment d’écouter les paresseux. C’est l’heure de passer à l’action, — avec plus de détermination que jamais auparavant !”
Vers la fin du discours qu’il prononça au service du soir, frère Rutherford déclara : “Mes chers frères, qu’allons-nous faire, nous qui sommes ici et nos frères du monde entier ? Allons-nous nous relâcher dans notre zèle pour la cause de notre Seigneur et Roi ? Non ! Par sa grâce, nous augmenterons notre zèle et notre énergie, afin d’achever notre course avec joie. Nous n’allons ni craindre, ni chanceler, mais nous allons nous serrer les coudes, combattre pour la foi et nous réjouir du privilège que nous avons de proclamer le Message de son Royaume.”
Lors du service funèbre célébré pour frère Russell, le secrétaire-trésorier de la Société, frère Van Amburgh, fit ces remarques intéressantes : “Cette œuvre mondiale n’est pas l’œuvre d’un seul homme. Elle est bien trop vaste. C’est l’œuvre de Dieu et elle ne change pas. Dieu a employé de nombreux serviteurs dans le passé, et sans doute fera-t-il appel à bien d’autres dans l’avenir. Nous ne nous sommes pas consacrés à un homme, ni à une œuvre humaine, mais à l’accomplissement de la volonté de Dieu, telle qu’il nous la révèle par sa Parole et sa providence. Dieu est toujours à la barre.”
C’étaient là des jours difficiles pour le peuple de Dieu, mais il chercha son secours en Jéhovah (Ps. 121:1-3). Dieu susciterait sûrement d’autres frères pour assumer les charges principales au sein de son organisation. L’œuvre de la prédication devait se poursuivre.
Les serviteurs de Jéhovah venaient de traverser une période d’épreuves, mais des années de crise les attendaient. Lorsque Charles Russell mourut le 31 octobre 1916, la Société Watch Tower se trouvait sans président. En attendant la réunion annuelle prévue pour le 6 janvier 1917, un comité exécutif géra les affaires de la Société. Naturellement, pendant cette période, la question de la présidence fut soulevée. Un jour, frère Van Amburgh demanda à frère Macmillan : “Frère, qu’en penses-tu ?” Macmillan répondit : “Que cela te plaise ou non, il n’y a qu’une seule personne qui convienne. Je ne vois qu’un seul homme qui soit capable de prendre en main l’œuvre à l’heure actuelle ; il s’agit de frère Rutherford.” Prenant la main de Macmillan, frère Van Amburgh déclara : “Je suis d’accord avec toi.” Frère Rutherford ignorait tout de cette conversation et ne fit rien pour s’attirer les votes. Mais lors de la réunion annuelle de la Société tenue le 6 janvier 1917, il fut proposé et élu président de la Société Watch Tower.
Acceptant humblement ses nouvelles responsabilités, frère Rutherford parla brièvement à cette occasion, en demandant à ses frères dans la foi de l’assurer de “leurs prières unies, de leur compassion et de leur coopération sans réserve”. De son côté, il leur dit : “Celui qui nous a conduits jusqu’ici continuera de nous conduire. Que nos cœurs soient courageux, que notre esprit soit vigilant et que nos mains soient volontaires ! Ayons une confiance absolue dans le Seigneur, et cherchons toujours sa direction. Il nous conduira à une victoire certaine. Renouvelons aujourd’hui l’Alliance que nous avons contractée avec lui, et unis par les liens sacrés de l’amour chrétien, puissions-nous aller de l’avant pour proclamer au monde que ‘le Royaume des cieux est proche’ !”
LES ORIGINES DE RUTHERFORD
Rutherford a combattu courageusement pour la vérité. Il est né le 8 novembre 1869, de parents baptistes, dans une ferme à Morgan County, dans le Missouri. De sœur Ross, la sœur aînée de Joseph Franklin Rutherford, frère Schroeder a appris ce qui suit : “Leur père était un baptiste convaincu dans le Missouri où la famille habitait. Son plus jeune frère, Joseph, n’a jamais pu accepter la doctrine baptiste de l’enfer de feu. Même avant que la famille ne connaisse la vérité, cette question a fait l’objet de chaudes discussions au foyer. Son frère a toujours été un homme aux convictions fermes, qui possédait un sens profond de la justice. Tout jeune, il voulait déjà être avocat et juge, mais leur père préférait le voir rester à la ferme plutôt que d’aller à l’université étudier le droit. Joseph a donc dû emprunter de l’argent à un ami afin de payer à la fois ses études de droit et la personne qu’il avait engagée pour le remplacer à la ferme.”
Joseph Rutherford a donc réussi à payer toutes ses études lui-même. Entre autres choses, il a appris la sténographie dont il s’est servi par la suite avec une grande maîtrise pour noter les pensées qui lui venaient à l’esprit en vue de la rédaction d’articles bibliques et autres. Alors qu’il était étudiant, il travaillait comme sténographe près un tribunal. Cette occupation lui a permis de payer ses derniers cours et d’acquérir une expérience pratique. Ses études achevées, Rutherford a fait un stage de deux ans dans le cabinet du juge Edwards. Puis, à l’âge de vingt ans, il a été nommé rapporteur officiel près les tribunaux de la Quatorzième Circonscription judiciaire du Missouri. À vingt-deux ans, il a été admis au barreau du Missouri. D’après les archives du tribunal de circonscription de Cooper, Rutherford fut autorisé à ouvrir une étude d’avocat dans l’État du Missouri le 5 mai 1892. Il commença donc à exercer à Boonville en qualité d’avocat plaidant du cabinet Draffen et Wright.
Par la suite, il a rempli pendant quatre ans les fonctions de procureur général de Boonville, puis celles de juge spécial de cette Quatorzième Circonscription judiciaire du Missouri. En cette qualité, il lui est arrivé de siéger comme juge suppléant dans de nombreux procès, en remplacement du juge titulaire. Il a donc commencé à être connu sous le nom de “Juge” Rutherford.
Hazelle et Helen Krull se souviennent que Rutherford leur a raconté comment il s’est intéressé à la vérité proclamée par les serviteurs de Jéhovah. Elles nous ont rapporté cela en ces termes : “Au cours de l’une de ses visites, frère Rutherford nous proposa une promenade au clair de lune dans la campagne. Tout en marchant, il nous parla de sa jeunesse et de la manière dont il s’était intéressé à la vérité. Il a été élevé dans une ferme, mais il désirait étudier le droit. Son père lui fit comprendre qu’il avait besoin de son aide, mais il consentit finalement à le laisser partir à condition qu’il paie lui-même ses études ainsi que l’ouvrier qui ferait le travail de la ferme à sa place. Durant les vacances d’été il vendit des livres, afin de tenir l’engagement qu’il avait pris. (...) Il se promit que si quelqu’un se présentait à son bureau pour lui vendre des livres lorsqu’il serait avocat, il les achèterait. C’est ce qui se produisit [en 1894], mais ce fut son associé qui reçut les visiteurs. Il s’agissait d’un ‘colporteur’ — sœur Elizabeth Hettenbaugh — qui proposait trois volumes de la série L’Aurore du Millénium. N’étant pas intéressé par ces livres, l’associé de Rutherford congédia la sœur [et sa compagne sœur Beeler, également colporteur]. Mais frère Rutherford sortit de son bureau privé ; il avait entendu parler de livres et s’était souvenu de sa promesse. Il rappela donc sœur Hettenbaugh, prit les livres et les plaça dans sa bibliothèque, chez lui, où ils restèrent pendant quelque temps. Mais un jour, alors qu’il se remettait d’une longue maladie, il ouvrit l’un de ces livres et en commença la lecture. C’est ainsi qu’il s’intéressa à la vérité, s’attacha à Dieu et le servit sa vie durant, sans jamais se relâcher.”
Il n’y avait pas de réunions des Étudiants de la Bible près de chez lui. Mais Clarence Beaty raconte : “À partir de 1904, les réunions se sont tenues chez nous. Sœur Rutherford et le juge Rutherford venaient de Boonville, dans le Missouri, pour le Mémorial [de la mort du Christ]. (...) C’est chez nous qu’il participa pour la première fois au Mémorial et prononça son premier discours de pèlerin, devant les amis réunis. À Boonville, ils étaient les seuls à avoir accepté la vérité.”
Mais comment Rutherford devint-il prédicateur de la bonne nouvelle ? Eh bien, grâce à l’aide de frère Macmillan. Celui-ci rencontra Rutherford en 1905, à Kansas City, à l’occasion d’un voyage qu’il effectuait en compagnie de frère Russell à travers les États-Unis. Quelque temps plus tard, frère Macmillan rendit visite au juge Rutherford, chez qui il resta un ou deux jours. Une de leurs conversations fut à peu près la suivante :
“Juge, vous devriez prêcher la vérité ici.”
“Je ne suis pas prédicateur, mais avocat.”
“Très bien. En ce cas, je vais vous montrer ce que vous pouvez faire. Prenez un exemplaire de la Sainte Bible et rassemblez un petit groupe de personnes ; enseignez-les au sujet de la vie, de la mort et d’autres choses encore. Expliquez-leur d’où vient la vie, pourquoi nous mourons et ce que la mort signifie. Prenez les Écritures à témoin et terminez en disant : ‘Telles sont mes conclusions’, exactement comme si vous vous adressiez à un jury dans un tribunal.”
“Cela me paraît intéressant.”
Que se passa-t-il ensuite ? Rutherford suivit-il ce conseil ? Frère Macmillan rapporte : “Il y avait un Noir qui exploitait une petite ferme dans la ville voisine de celle de Rutherford, à la limite de la ville. Entre quinze et vingt Noirs se réunirent chez lui, et Rutherford leur présenta un sermon sur ‘La vie, la mort et l’au-delà’. Tandis qu’il parlait, ces gens ne cessaient de dire : ‘Que le Seigneur soit loué, Juge ! Où avez-vous appris tout cela ?’ Quelle joie ce fut pour lui ! C’était son tout premier discours biblique.”
Peu de temps après, en 1906, Rutherford symbolisa l’offrande de sa personne à Jéhovah Dieu. Frère Macmillan écrivit : “J’ai eu le privilège de le baptiser à Saint Paul, dans le Minnesota. Il fut l’une des 144 personnes que j’ai personnellement baptisées dans l’eau ce jour-là. J’ai donc été particulièrement heureux lorsque j’ai appris qu’il devenait président de la Société.”
En 1907, Rutherford est devenu l’avocat-conseil de la Société Watch Tower et il travaillait au bureau central de Pittsburgh. Il a eu le privilège de négocier le transfert du bureau central de la Société à New York, en 1909. À cet effet, il a postulé et obtenu son admission au barreau de l’État de New York. Le 24 mai de la même année, il a été admis, en cette nouvelle qualité, à plaider devant la Cour suprême des États-Unis.
Frère Rutherford a prononcé de très nombreux discours en qualité de pèlerin ou représentant itinérant de la Société Watch Tower. Orateur biblique, il a beaucoup voyagé à travers les États-Unis, parlant, après en avoir fait la demande, dans de nombreuses écoles secondaires et universités, et il s’est adressé également à de vastes auditoires un peu partout en Europe. Rutherford a visité l’Égypte et la Palestine, et en 1913, accompagné de sa femme, il s’est rendu en Allemagne où il a prononcé des discours en plusieurs endroits devant 18 000 personnes au total.
SA PERSONNALITÉ
Jésus Christ a dit que tous ses disciples sont “frères” et que ‘le plus grand parmi eux devra être leur ministre’. (Mat. 23:8-12.) Par conséquent, aucun vrai chrétien n’accorde à un compagnon de service une importance qui ne lui revient pas. Pourtant, la Bible révèle les traits de caractère de certains serviteurs de Dieu. Moïse, par exemple, était connu pour son humilité, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, pour leur fougue (Nomb. 12:3 ; Marc 3:17 ; Luc 9:54). Puisque Joseph Rutherford s’est vu confier de très grandes responsabilités au sein de l’organisation terrestre de Jéhovah, il serait intéressant de connaître sa personnalité et ses qualités.
Frère Macmillan dit : “Rutherford a toujours témoigné d’un profond amour chrétien pour ses collaborateurs, et il était très bon ; toutefois, il n’était pas de nature aussi douce et calme que Russell. Il était brusque, franc et ne cachait pas ses sentiments. Son langage direct, même lorsqu’il était exprimé avec amabilité, était parfois mal compris. Il était président depuis peu lorsqu’il s’est avéré que le Seigneur avait choisi l’homme qu’il fallait pour la tâche à accomplir.”
L’incident qui se produisit le 18 avril 1924 à Londres, à l’ancien Tabernacle des Étudiants de la Bible, à l’occasion du discours du Mémorial, nous donnera une meilleure idée de la personnalité de Rutherford. À ce propos, sœur William Heath écrit : “Le Tabernacle était une ancienne église épiscopalienne que la Société avait achetée pour une bouchée de pain ; il servait en quelque sorte de Salle du Royaume, car on y tenait les réunions du dimanche. (...) La chaire réservée à l’orateur était très haute, à environ six mètres du sol, et seule sa tête était visible lorsqu’il s’adressait à l’assistance. C’est probablement la raison pour laquelle frère Rutherford l’appelait ‘l’abreuvoir’. Il refusa de parler de là-haut, et il scandalisa même les frères en redescendant pour se mettre à leur niveau.”
À l’époque où frère Rutherford est devenu président de la Société Watch Tower, il fallait quelqu’un de courageux, de fidèle et de déterminé. Il manifesta ces qualités. Esther Morris se souvient d’un discours prononcé par Rutherford lorsqu’il était pèlerin, devant une assistance nombreuse réunie dans ce qui était alors le plus grand théâtre de Boise, dans l’État d’Idaho. Elle dit : “Son exposé sur la fausse religion suscita la colère de plusieurs membres du clergé de la localité, qui tentèrent de l’interrompre et de soulever une controverse ; mais ses paroles énergiques : ‘Asseyez-vous ! Je demande la protection de la loi !’ lui permirent de poursuivre. Les Étudiants de la Bible de villes voisines étant venus, nous avons loué une salle dans laquelle nous avons tenu une petite assemblée. Frère Rutherford faisait savoir avec hardiesse que ce message et ce ministère étaient des plus importants.”
Sœur Anna Elsdon nous révèle un trait touchant de la nature de frère Rutherford. Se souvenant du temps de sa jeunesse, elle écrit : “Nous avons souvent eu l’occasion de bavarder avec frère Rutherford. Un jour que nous étions réunis à plusieurs jeunes, il est venu vers nous. Nous lui avons posé beaucoup de questions sur l’école, le salut au drapeau, etc., et il nous a parlé longuement. Au moment de partir, il a gardé affectueusement nos cinq mains dans les siennes, qui étaient grandes ; il avait les larmes aux yeux. Il était très heureux et touché de voir des jeunes comme nous parler des choses profondes de la vérité. Je me souviendrai toujours de cet instant. Si frère Russell avait de l’amour, frère Rutherford aussi, et nous en avons eu un témoignage.”
AU TRAVAIL !
Frère Rutherford était décidé à faire activer l’œuvre de prédication du Royaume. Pendant des années, sous la direction de l’esprit saint de Jéhovah, les Étudiants de la Bible avaient déployé une activité remarquable pour proclamer la vérité divine. En effet, de 1870 à 1913, ils avaient diffusé 228 255 719 tracts et dépliants, et 6 950 292 livres. Rien qu’en l’année cruciale de 1914, les serviteurs de Jéhovah ont distribué 71 285 037 tracts et dépliants, et 992 845 livres. Malheureusement, au cours des années 1915 et 1916, l’activité se ralentit à cause de l’extension de la Première Guerre mondiale et de la rupture des communications. Mais en 1917, l’œuvre commença de prendre un nouvel essor. Pourquoi cela ?
Le nouveau président de la Société a promptement réorganisé le bureau central à Brooklyn, et il s’est mis à réanimer l’œuvre du champ. Les changements qu’il a apportés et les programmes qu’il a établis correspondaient tout à fait à ceux que Russell avait amorcés de son vivant. Le nombre des représentants de la Société, appelés pèlerins, est passé de soixante-neuf à quatre-vingt-treize. Les frères ont également été exhortés à distribuer gratuitement des tracts certains dimanches devant les églises, et régulièrement de maison en maison. Rien qu’en 1917, il a été distribué 28 665 000 exemplaires gratuits d’un nouveau tract de quatre pages, intitulé L’Étudiant de la Bible.
Une autre activité, qui avait commencé avant la mort de Russell, a également été intensifiée. Il s’agissait de “l’œuvre pastorale”, qui annonçait en quelque sorte les nouvelles visites accomplies aujourd’hui par les témoins chrétiens de Jéhovah. Du vivant de Russell, cette activité se limitait à quelque 500 congrégations qui l’avaient élu comme leur pasteur. Dans une lettre adressée à ces groupements, il avait décrit cette activité comme une “œuvre importante permettant de rester en contact avec les personnes qui ont laissé leur adresse lors des conférences publiques et des représentations du Photo-Drame, ou qui figurent sur les listes dressées par les colporteurs, etc. — personnes qui s’intéressent certainement aux questions religieuses et qui sont plus ou moins susceptibles d’accepter la vérité”.
Les femmes de la congrégation qui désiraient accomplir cette œuvre devaient élire l’une d’elles comme présidente et une autre comme secrétaire-trésorière. Il fallait diviser la ville en territoires et les attribuer à chaque sœur, qui s’engageait à rendre visite aux personnes dont on avait relevé le nom. Le but de ces visites était de prêter des livres à celles qui désiraient les lire et les étudier. “Ainsi, personne n’avait l’excuse de dire : ‘Je n’ai pas d’argent’, car ce prêt était gratuit”, nous dit Esther Morris. À la fin de la visite, la sœur annonçait qu’une conférence sur le Divin Plan des Âges serait donnée dans le quartier, et que toutes les personnes que cela intéressait étaient encouragées à y assister. Une fois qu’elles étaient venues, on les revisitait dans l’intention de commencer une étude à l’aide du premier volume des Études des Écritures, intitulé “Le divin Plan des Âges”. Ainsi, le but de ce programme était de rassembler des personnes pour former des “classes” ; tout d’abord, elles écoutaient des conférences basées sur le tableau ou “carte des âges”, puis elles étaient rassemblées en groupes ou “classes béréennes”. — Actes 17:10, 11.
D’autres dispositions ont été prises par le nouveau président de la Société pour réanimer l’œuvre de prédication. Le service des colporteurs a été élargi, et leur nombre est passé de 373 à 461. Pour les seconder dans leur activité, au début de 1917, la Société a commencé à publier un feuillet appelé “Le bulletin”. Il renfermait des instructions de service émanant du bureau central. À partir d’octobre 1922, Le Bulletin a été mis chaque mois à la disposition des Étudiants de la Bible en général. (Il a également été appelé “L’instructeur”, “Informateur” et finalement “Notre ministère du Royaume”.) Sœur Gambill dit que par la suite “on y trouva des témoignages, que nous étions encouragés à apprendre par cœur en vue de les utiliser dans le service du champ. Ma belle-sœur (...) me suivait partout, s’efforçant de retenir chaque mot, tant elle désirait présenter correctement le message”. Parlant des Bulletins qui contenaient des témoignages tout prêts, Elizabeth Elrod dit : J’appréciais ces témoignages, car à l’époque il n’était pas prévu qu’un proclamateur accompagne un nouveau pour le former et l’aider à devenir à son tour un proclamateur expérimenté. Cette disposition unifiait le message que nous prêchions.”
Dans le cadre de cette campagne de rajeunissement, en 1917 d’autres mesures ont été prises par la nouvelle administration. Par exemple, on a tenu plusieurs réunions régionales dans le but d’encourager les Étudiants de la Bible à poursuivre l’œuvre et à ne pas se lasser de faire le bien.
Juste avant 1914, Russell avait mis l’accent sur un programme de conférences publiques. Le moment était maintenant venu de prendre des dispositions pour que d’autres orateurs qualifiés représentent la Société Watch Tower devant le grand public. Ce résultat devait être atteint grâce aux questions VDM. Ces initiales viennent du latin Verbi Dei Minister et signifient “ministre de la Parole de Dieu”. Il s’agissait, en l’occurrence, d’un questionnaire accessible à tous les hommes et femmes qui faisaient partie de la congrégation des Étudiants de la Bible.
Voici quelques-unes des questions qui étaient posées. Pourriez-vous y répondre ? 1) Quelle fut la première création de Dieu ? 4) Quel châtiment divin sanctionne le péché, et qui sont les pécheurs ? 6) De quelle nature était l’homme Jésus Christ, de sa naissance à sa mort ? 7) Quelle est la nature de Jésus depuis sa résurrection, et quelle position occupe-t-il par rapport à Jéhovah ? 13) Quelle récompense ou bénédictions attend le monde des hommes qui obéit au Royaume messianique ? 16) Vous êtes-vous détourné du péché pour servir le Dieu vivant ? 17) Avez-vous fait la consécration entière de votre vie, de vos forces et de vos dons au Seigneur et à son service ? 18) Avez-vous symbolisé cette consécration par l’immersion dans l’eau ? 22) Croyez-vous avoir une connaissance importante et durable de la Bible qui fera de vous un serviteur du Seigneur efficace durant toute votre vie ?
Ceux qui envoyaient leur questionnaire dûment rempli au service V. D. M. du bureau central recevaient une lettre renfermant “quelques suggestions et conseils aimables”, compte tenu de leurs réponses. Entre autres choses, il était demandé au candidat de répondre en ses propres termes.
À propos de ces questionnaires, George Hannan écrit : “Ces questions permettaient de déterminer dans quelle mesure le candidat avait compris les doctrines élémentaires de la Bible. Toute personne ayant obtenu 85 pour cent des points était qualifiée pour enseigner. De tels frères étaient reconnus aptes à prononcer des discours publics. Ces questions encourageaient tous les membres de la Société à lire les six volumes des Études des Écritures, en vérifiant les références bibliques.”
Ainsi Rutherford, nouveau président de la Société Watch Tower, prit immédiatement des dispositions pour activer l’œuvre de prédication de la bonne nouvelle du Royaume de Dieu. Celles-ci furent bénies. L’année 1917 a connu un accroissement de l’activité ministérielle à la louange de Jéhovah Dieu.
“NE VOUS LAISSEZ PAS DÉCONCERTER PAR L’INCENDIE QUI EST AU MILIEU DE VOUS”
Toutefois, certains membres de l’organisation n’avaient pas accepté avec joie l’élection de Rutherford à la présidence. En fait, au début de 1917, quelques ambitieux ont cherché à prendre en main le contrôle administratif de la Société. Ils ont refusé de coopérer. C’est alors qu’a commencé l’incendie qui devait servir d’épreuve. Bien sûr, les chrétiens s’attendaient à rencontrer de l’opposition et à être persécutés par les adversaires appartenant au monde. Mais les épreuves suscitées au sein même de la congrégation chrétienne sont souvent inattendues et plus difficiles à surmonter. Toutefois, grâce à Dieu il est possible d’endurer de telles tribulations. Pierre dit à ses compagnons chrétiens : “Bien-aimés, ne vous laissez pas déconcerter par l’incendie qui est au milieu de vous et qui vous advient pour servir d’épreuve, comme s’il vous arrivait quelque chose d’étrange. Bien au contraire, continuez à vous réjouir puisque vous avez part aux souffrances du Christ.” — I Pierre 4:12, 13.
Jéhovah et son “messager de l’alliance” sont venus inspecter le temple spirituel en 1918. Alors ont commencé le jugement de “la maison de Dieu” et une période d’épuration et de purification (Mal. 3:1-3 ; I Pierre 4:17). Mais il s’est également passé autre chose. Des hommes, qui possédaient les traits caractéristiques d’un “méchant esclave”, sont sortis de l’ombre et se sont mis à battre, figurativement parlant, leurs compagnons d’esclavage. Jésus Christ avait annoncé ce qu’il adviendrait de ces esclaves méchants, précisant aussi que la classe de “l’esclave fidèle et avisé” se manifesterait et dispenserait la nourriture spirituelle. — Mat. 24:45-51.
L’identification de “l’esclave fidèle et avisé” était une question très importante à cette époque-là. En 1881, Russell écrivit : “Nous croyons que chaque membre de ce corps du Christ est engagé, soit directement ou indirectement, dans cette œuvre bénie qui consiste à donner la nourriture au temps convenable à la famille de la foi. ‘Quel est donc le serviteur fidèle et prudent, que son maître a établi sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable ?’ N’est-ce pas ce ‘petit troupeau’ de serviteurs consacrés qui accomplissent fidèlement leur vœu de consécration, — le corps du Christ, — et n’est-ce pas tout le corps qui, individuellement et collectivement, dispense la nourriture au temps convenable à toute la maison de la foi, aux nombreux croyants ?”
Ainsi, il était entendu que le “serviteur” utilisé par Dieu pour dispenser la nourriture spirituelle est une classe. Mais avec le temps, beaucoup ont cru que Russell était le “serviteur fidèle et prudent”. Cette conception a fait tomber certains dans le piège du culte de la créature. Ils étaient persuadés que toutes les vérités que Dieu désirait révéler à son peuple l’avaient été au moyen de frère Russell, et que désormais il n’y aurait plus aucune révélation. Annie Poggensee écrit à ce sujet : “Cela provoqua une grande séparation d’avec ceux qui avaient choisi de s’en tenir aux œuvres de Russell.” En février 1927, cette pensée erronée selon laquelle Russell était “l’esclave fidèle et prudent” était redressée.
Peu après l’élection de frère Rutherford à la présidence de la Société Watch Tower, certains ont fomenté une véritable conspiration. La graine de la rébellion était semée, et elle s’est vite répandue. Jugez-en plutôt vous-même.
Quand la Première Guerre mondiale a éclaté, Russell a vu la nécessité d’envoyer un frère en Angleterre pour y affermir les Étudiants de la Bible. Il avait eu l’intention d’y envoyer Paul Johnson, d’origine juive, qui avait quitté le judaïsme pour se faire pasteur luthérien avant de connaître la vérité. Homme très capable, Johnson avait servi la Société en qualité d’orateur itinérant. Respectant le vœu de Russell, le comité provisoire qui gérait la Société avant l’élection de Rutherford a envoyé Johnson en Angleterre, lui fournissant des papiers qui faciliteraient son entrée dans ce pays. Il avait pour consigne de se renseigner sur le fonctionnement de l’œuvre en Angleterre et d’envoyer un rapport complet à ce sujet à la Société ; toutefois, il n’était pas autorisé à procéder à des changements parmi les membres du bureau de Londres. Il semble que l’accueil qui lui a été réservé dans ce pays en novembre ait faussé son jugement, ce qui lui a fait perdre son bon sens au point que, rapporte Macmillan, “il en arriva à la conclusion ridicule qu’il était le ‘régisseur’ de la parabole du denier prononcée par Jésus. Par la suite il s’est pris pour le grand prêtre du monde”. Dans les discours qu’il prononça devant les Étudiants de la Bible un peu partout en Angleterre, Johnson se prétendait le successeur de Russell, disant que le manteau du pasteur Russell avait été jeté sur ses épaules tout comme le “vêtement officiel” d’Élie était tombé sur Élisée. — II Rois 2:11-14.
Il semble que Johnson ait développé ces tendances bien avant cela, selon ce qui ressort du témoignage suivant d’Edythe Kessler : “En 1915, j’ai quitté le Béthel. Avant de me rendre en Arizona, j’ai visité un couple d’amis de longue date. Pendant mon séjour, ils ont reçu un pèlerin du nom de Johnson. Satan laissa voir à cette occasion les voies souterraines qu’il employait pour avoir, peu importe comment, la haute main sur l’organisation. Johnson me dit : ‘Je voudrais te parler. Asseyons-nous dans la salle de séjour’ ; ce que nous avons fait. Il poursuivit en disant : ‘Nous savons que frère Russell peut mourir d’un moment à l’autre, mais nos amis ne doivent pas s’inquiéter lorsque cela arrivera. Je peux le remplacer et prendre la relève sans que l’œuvre soit interrompue.’”
Durant son séjour en Angleterre, il a tenté de faire passer sous son contrôle personnel toute l’activité du champ déployée dans ce pays, essayant, sans en avoir reçu l’ordre, de démettre de leurs fonctions certains membres du bureau central de Londres. La confusion était telle que le surveillant de la filiale s’est vu contraint de s’en plaindre à frère Rutherford. Celui-ci a immédiatement nommé une commission d’enquête, composée de plusieurs frères qui ne faisaient pas partie du Béthel. Cette commission s’est donc réunie. Après avoir dûment considéré les faits, elle a exprimé l’avis qu’il vaudrait mieux rappeler Johnson en Amérique. Rutherford a donc demandé à Johnson de rentrer. Au lieu de cela, cherchant à se justifier, celui-ci a envoyé des lettres et des câbles qui accusaient la commission d’être prévenue à son endroit. Pour se rendre indispensable en Angleterre, il s’est servi de certains papiers que la Société lui avait fournis, et il a bloqué les fonds de la filiale déposés dans une banque de Londres. Il a même fallu, par la suite, intenter un procès contre lui pour que la Société puisse de nouveau disposer de cet argent.
Johnson a finalement dû regagner New York, où il a tout essayé pour persuader Rutherford de le renvoyer en Angleterre, mais en vain. Convaincu que Rutherford n’était pas à la hauteur de sa tâche, Johnson pensait que c’était plutôt à lui-même que revenait la fonction de président de la Société. Il a donc cherché appui auprès des membres du comité directeur. Sur les sept directeurs, quatre se sont finalement laissé convaincre par Johnson que Rutherford n’avait pas l’étoffe d’un président. Tous quatre se sont opposés au président de la Société, au vice-président et au secrétaire-trésorier, cherchant à priver le président du pouvoir administratif.
Rutherford s’est réuni avec les dissidents et a essayé de leur faire entendre raison. Macmillan dit que Rutherford “est même venu voir plusieurs d’entre nous pour demander : ‘Est-ce que je dois démissionner de ma fonction de président et laisser la place aux adversaires ?’ Nous lui avons tous répondu : ‘Frère, le Seigneur t’a mis à cette place ; démissionner ou l’abandonner équivaudrait à commettre un acte d’infidélité envers le Seigneur.’ En outre, le personnel du bureau a menacé de partir si ces hommes en prenaient la direction”.
À l’occasion d’une longue session de la réunion annuelle de la Société en 1917, les quatre directeurs dissidents ont tenté de présenter une résolution proposant un amendement aux statuts de la Société. Cela aurait pour but de confier les pouvoirs administratifs aux membres du comité directeur. Cette proposition était contraire à la fois aux dispositions qui existaient sous la présidence de frère Russell et à la volonté des sociétaires ; Rutherford l’a donc rejetée et le complot a échoué. L’opposition s’est faite plus violente par la suite, mais une surprise attendait les dissidents.
“LE MYSTÈRE ACCOMPLI”
Tout au long de son administration en tant que président de la Société, frère Russell avait pris, conjointement avec le vice-président et le secrétaire-trésorier, des décisions concernant les nouvelles publications. En tant que groupe, le comité directeur n’avait pas été consulté. Frère Rutherford agissait de même. C’est ainsi que le jour arriva où les trois administrateurs de la Société prirent une décision d’une grande portée.
Charles Russell avait écrit six volumes de la série L’Aurore du Millénium ou Études des Écritures et il avait souvent parlé d’en écrire un septième. Il avait dit : “Dès que j’en trouverai la clé, j’écrirai un septième volume, et si le Seigneur donne la clé à quelqu’un d’autre, que celui-là l’écrive.” Les administrateurs de la Société ont pris des dispositions pour que deux Étudiants de la Bible, Clayton Woodworth et George Fisher, compilent un livre qui renfermerait des commentaires sur la Révélation, le Cantique de Salomon et le livre d’Ézéchiel. Les deux co-rédacteurs ont rassemblé tout ce que Russell avait écrit sur le sujet, et le fruit de cette compilation a été publié sous le titre “Le mystère accompli”, septième volume des Études des Écritures. Celui-ci contenait en grande partie les pensées et les commentaires de Russell ; on le désigna donc comme étant l’“œuvre posthume du pasteur Russell”.
Vers le milieu de 1917, le moment était venu d’annoncer la parution du nouveau livre. Cela se passait le 17 juillet. Martin Bowin rapporte : “J’étais de service dans la salle à manger [du Béthel de Brooklyn] lorsque le téléphone s’est mis à sonner. Nous procédions aux derniers préparatifs pour le repas de midi. Comme j’étais le plus près du téléphone, j’ai répondu. Frère Rutherford était à l’autre bout du fil ; il dit : ‘Qui est avec toi ?’ ‘Louis’, lui ai-je répondu. Il nous dit de monter immédiatement à son bureau, ‘sans prendre la peine de frapper à la porte’. On nous a remis une pile de livres, avec la consigne d’en mettre un à chaque place, et cela avant que les membres de la famille n’arrivent pour le repas de midi.” La famille ne tarda pas à être réunie au complet dans la salle à manger.
Frère Bowin poursuit en disant : “Comme à l’accoutumée, la prière a été prononcée. Puis tout a commencé ! Provoquée par (...) Johnson, (...) une vive controverse a éclaté, visant notre cher frère Rutherford. Proférant à haute voix des accusations méchantes, les opposants marchaient de long en large, s’arrêtant près de la table de frère Rutherford pour lui montrer le poing et lui jeter d’autres critiques au visage. (...) Cette démonstration hostile a duré cinq heures. Puis, tous les membres de la famille se sont levés de table ; ils n’avaient pratiquement pas touché aux plats ; les jambes coupées, les serveurs ont alors débarrassé et mis en ordre la salle à manger.”
Cette controverse a montré que certains membres de la famille du Béthel éprouvaient de la sympathie pour les opposants. Si cette opposition persistait, elle risquait de paralyser complètement le fonctionnement même du Béthel. Aussi frère Rutherford a-t-il pris les mesures qui s’imposaient. Bien que connaissant parfaitement les statuts de la Société, Rutherford a consulté un avocat-conseil de Philadelphie, en Pennsylvanie, à propos des clauses relatives au comité directeur. La réponse écrite a révélé que les quatre dissidents n’étaient pas légalement membres du comité directeur. Pourquoi cela ?
Russell avait nommé ces hommes aux fonctions de directeur, mais les statuts de la Société exigeaient que ces derniers soient élus par un vote des sociétaires. Rutherford lui avait fait remarquer que ces nominations n’avaient pas été confirmées par un vote émis par l’assemblée lors de la réunion annuelle, mais Russell ne s’en était pas inquiété. Ainsi, seuls les administrateurs qui avaient été élus à la réunion annuelle de Pittsburgh avaient été régulièrement constitués membres du comité. Quant aux quatre opposants, ils n’étaient pas légalement membres du comité. Rutherford s’est gardé de révéler ce fait, car, tout au long de cette période de difficultés, il espérait que ces hommes cesseraient leur opposition. Mais leur attitude a montré qu’ils n’étaient pas qualifiés pour les fonctions de directeur. Rutherford les a donc destitués et a désigné quatre nouveaux membres, dont la nomination serait confirmée par l’assemblée générale suivante, tenue au début de 1918.
Néanmoins, frère Rutherford n’a pas expulsé purement et simplement de l’organisation chrétienne ces directeurs destitués. Il leur a offert des postes importants comme frères pèlerins, mais ils ont refusé et ont quitté volontairement le Béthel. Ils se sont ensuite mis à faire connaître leur opposition au moyen d’une vaste campagne de conférences et de lettres qui a couvert les États-Unis, le Canada et l’Europe. Le résultat, c’est que, dès l’été de 1917, il y avait dans le monde entier de nombreuses congrégations divisées en deux clans : ceux qui demeuraient fidèlement attachés à l’organisation de Jéhovah, et les autres, qui s’étaient assoupis spirituellement et s’étaient laissé prendre au langage doucereux des opposants. Ces derniers ont refusé de coopérer et de participer à l’œuvre de prédication de la bonne nouvelle du Royaume de Dieu.
UN EFFORT DÉSESPÉRÉ EST TENTÉ POUR S’EMPARER DE LA DIRECTION
En août 1917, les Étudiants de la Bible devaient tenir une assemblée à Boston, dans le Massachusetts. Les dissidents se sont figurés qu’ils arriveraient à faire passer cette assemblée sous leur contrôle. Mary Hannan, qui a assisté à ce congrès, rapporte ce qui suit : “Conscient de ce fait, à aucun moment frère Rutherford ne leur a donné l’occasion de prendre la parole. Il a assuré en permanence la présidence de cette assemblée.” Ce congrès a été une grande réussite, toute à la louange de Jéhovah, et les opposants ont essuyé un échec cuisant.
Frère Rutherford savait que l’assemblée générale ordinaire de la Société, qui devait se tenir le 5 janvier 1918, offrirait aux dissidents une autre occasion de s’emparer de la direction de l’œuvre. Il était à peu près certain que les Étudiants de la Bible dans leur ensemble n’approuveraient pas une telle initiative. Pourtant, ils ne pourraient pas se prononcer au sujet de l’élection, car seuls les membres de la Watch Tower Bible and Tract Society, légalement constituée, avaient le droit de vote. Que pouvait donc faire Rutherford ? Il pourrait permettre à tous les serviteurs voués de Jéhovah de se prononcer. Ainsi, La Tour de Garde du 1er novembre 1917 (angl.) a suggéré à chaque congrégation de procéder à un référendum. Le 15 décembre, 813 congrégations avaient envoyé leurs votes, et les résultats étaient les suivants : sur 11 241 voix, 10 869 confirmaient Rutherford dans sa fonction de président de la Société. Entre autres choses, le référendum a également démontré que l’on préférait tous les membres fidèles du comité directeur, remanié en juillet 1917, aux rebelles qui prétendaient faire partie de ce comité.
Voici les noms des sept frères qui ont recueilli le plus grand nombre de voix à l’occasion de la réunion annuelle des sociétaires, le samedi 5 janvier 1918 : Rutherford, Anderson, Van Amburgh, Macmillan, Spill, Bohnet et Fisher. Aucun des opposants n’a réussi à entrer dans le comité directeur. Les représentants de la Société ont ensuite été élus par les directeurs régulièrement constitués ; Rutherford a recueilli l’unanimité des voix pour la fonction de président, Anderson pour celle de vice-président et Van Amburgh pour celle de secrétaire-trésorier. Ainsi, ces hommes avaient été élus dans les règles comme administrateurs de la Société. Le dernier effort tenté par les opposants pour s’emparer de la direction avait complètement échoué.
Le désaccord entre les fidèles et les opposants était tel que la réconciliation n’était plus possible. Les dissidents ont formé leur propre organisation dirigée par ce qu’ils appelaient le “Comité des sept”. Au moment du Mémorial, le 26 mars 1918, la scission était vraiment achevée, car les dissidents ont préféré célébrer la mort du Christ en dehors des congrégations fidèles du peuple de Dieu. L’unité des opposants fut cependant de courte durée, car à l’occasion de leur assemblée tenue en été 1918, des divergences ont provoqué la scission du groupe. Johnson a alors fondé son propre mouvement, dont le siège était à Philadelphie, en Pennsylvanie, d’où il publia La vérité présente et le messager de l’épiphanie du Christ. Il s’est d’ailleurs établi dans cette ville et a pris le titre de “souverain sacrificateur de la terre”, qu’il a gardé jusqu’à sa mort. À partir de 1918, d’autres dissensions allaient amener des scissions. Pour finir, le groupe primitif qui s’était séparé de la Société Watch Tower s’est désintégré, donnant naissance à un certain nombre de sectes schismatiques.
Beaucoup de ceux qui s’étaient retirés au cours des années qui avaient suivi la mort de Russell ne se sont jamais opposés activement à leurs anciens compagnons chrétiens. Certains sont revenus, se sont repentis de leurs actions passées et ont de nouveau fréquenté le peuple de Dieu. Ce fut un temps d’épreuve sévère, comme le souligne Mabel Philbrick : “Je fus accablée de chagrin lorsque je me suis rendu compte que mon père et ma mère adoptive, que j’aimais tendrement, abandonnaient la vérité après avoir couru pour la récompense céleste. J’ai lutté, j’ai versé de nombreuses larmes, puis je me suis fait une raison ; mais c’était dur, car je savais que quiconque perd sa couronne perd également toute espérance de vie. La pensée qu’ils subiraient la seconde mort m’était intolérable. Mais un jour que je priais, Jéhovah m’a beaucoup réconfortée, car je commençais à désirer sincèrement que sa volonté se fasse. J’ai compris tout à coup que son amour et sa justice étaient de loin supérieurs aux miens, et que s’il ne les jugeait pas dignes de recevoir la vie, je ne pouvais pas désirer les conserver, car mon père et ma mère n’étaient pas différents des autres parents. À partir de ce jour-là, mon esprit a connu le repos.”
Ainsi, ceux qui se sont séparés des fidèles serviteurs de Jéhovah en ce temps-là ont non seulement formé des sectes, mais dans la plupart des cas leur nombre a diminué et leurs activités sont devenues insignifiantes ou ont cessé. De toute évidence, ils n’obéissent pas à l’ordre que Jésus a donné à ses disciples de prêcher la bonne nouvelle sur toute la terre et de faire des disciples. — Mat. 24:14 ; 28:19, 20.
À combien s’élève le nombre de ceux qui ont abandonné le vrai christianisme au cours des années critiques de 1917 et de 1918? Le rapport partiel du Mémorial de la mort de Jésus Christ, célébré le 5 avril 1917, mentionnait une assistance de 21 274 personnes. (En raison des difficultés qui ont marqué l’année 1918, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation, les chiffres concernant l’assistance n’ont pas été recueillis cette année-là.) Pour le Mémorial célébré le 13 avril 1919, le rapport partiel indiquait une assistance de 17 961 personnes. Quoique incomplets, ces chiffres montrent clairement que le nombre de ceux qui avaient cessé de marcher du même pas que leurs fidèles compagnons de service était de loin inférieur à 4 000.
LES CHRÉTIENS DANS LE CREUSET DE L’ÉPREUVE
De 1917 à 1919, les Étudiants de la Bible ont également fait l’objet d’une conspiration internationale fomentée en premier lieu par le clergé de la chrétienté. Le mystère accompli, septième volume des Études des Écritures, a excité son courroux. À peine sept mois après sa parution, la diffusion de ce volume avait atteint un chiffre record. La Société passait commande de 850 000 exemplaires aux imprimeurs qui travaillaient pour elle. À la fin de 1917, ce livre était disponible en suédois et en français, et la traduction en d’autres langues était en cours.
Le 30 décembre 1917 commença la diffusion massive de 10 000 000 d’exemplaires d’un nouveau tract mensuel de quatre pages intitulé L’Étudiant de la Bible. Cette édition avait pour titre “La chute de Babylone”, et les intertitres étaient les suivants : “L’antique Babylone est le type — La Babylone mystique est l’antitype — Pourquoi la chrétienté doit souffrir à présent — L’issue finale”. Elle contenait des extraits du septième volume qui faisaient directement allusion au clergé. Sur la dernière page apparaissait une caricature représentant l’écroulement d’un mur dont certaines pierres portaient entre autres ces inscriptions : “Protestantisme”, “Théorie des tourments éternels”, “Doctrine de la trinité”, “Succession apostolique” et “Purgatoire”. À l’aide des Écritures, le tract montrait que la grande majorité des membres du clergé “se sont montrés infidèles, déloyaux, injustes”, et que plus que toute autre classe sur la terre, ils sont responsables de la guerre, qui faisait rage à l’époque, et du grand trouble qui s’ensuivrait. Afin de soutenir cette campagne, le même jour et sur le même sujet on prononça une conférence annoncée à grand renfort de publicité.
Aimeriez-vous participer à la diffusion d’un tel tract ? Frère Tvedt dit qu’il ‘n’oubliera jamais ce jour particulier’ et précise : “Il faisait un froid intense ce jour-là, mais le message que je diffusais était brûlant. (...) J’avais mille tracts à glisser sous les portes et à remettre en mains propres, lorsqu’il m’arrivait de rencontrer les habitants de la maison. Je reconnais que je préférais glisser les tracts sous les portes, car je comprenais que ce message était enflammé et qu’il aurait des conséquences explosives.”
Vers la fin de 1917 et au début de 1918, la diffusion du Mystère accompli allait croissant. Furieux, les membres du clergé ont prétendu à tort que certaines déclarations de ce livre avaient un caractère séditieux. Ils voulaient ‘frapper’ la Société Watch Tower, mais à l’exemple des chefs religieux juifs du temps de Jésus, ils désiraient que l’État agisse à leur place (voir Matthieu 27:1, 2, 20). Le clergé catholique et protestant a accusé faussement les Étudiants de la Bible d’être des agents du gouvernement allemand. Par exemple, le docteur Case, de l’école de théologie de l’université de Chicago, a publié ce qui suit sur l’œuvre accomplie par l’Association des Étudiants de la Bible : “Ils dépensent deux mille dollars par semaine pour propager leur doctrine. D’où vient cet argent ? Nous l’ignorons, mais nous soupçonnons fort qu’il provient de sources allemandes. À mon avis, il serait utile que le gouvernement enquête sur l’origine de ces fonds.”
La Tour de Garde du 15 avril 1918 (angl.) publia ce qui suit : “Cette accusation, renforcée par d’autres du même genre formulées par des ecclésiastiques, explique probablement pourquoi des officiers du service du contre-espionnage américain ont saisi les livres de comptes du trésorier de la Société. De toute évidence, les autorités pensaient trouver des preuves justifiant l’accusation selon laquelle notre Société travaille pour le gouvernement allemand. Il va sans dire que les livres de comptabilité n’ont fourni aucune preuve de ce genre ; tout l’argent utilisé par notre Société provient uniquement des contributions faites par les personnes qui s’intéressent à la prédication de l’Évangile de Jésus Christ et de son Royaume.” La publicité donnée par les journaux du pays à la confiscation des livres de la Société visait à encourager la suspicion.
Le 12 février 1918 fut une date marquante dans l’histoire du peuple de Dieu au Canada. La Société Watch Tower fut interdite dans tout le pays. Une dépêche parue dans les journaux disait entre autres : “Le Secrétaire d’État, s’autorisant des prescriptions sur la censure, a publié des ordres interdisant la possession au Canada d’un certain nombre de publications, parmi lesquelles figure le livre publié par l’Association internationale des Étudiants de la Bible, intitulé ‘ÉTUDES DES ÉCRITURES — Le mystère accompli’, généralement reconnu comme la publication posthume du pasteur Russell. De même, la diffusion de L’Étudiant de la Bible, publié également par cette Association, est interdite au Canada. La possession de l’un quelconque de ces livres prohibés expose son possesseur à une amende pouvant aller jusqu’à 5 000 dollars et à cinq ans de prison.”
Pourquoi cette interdiction ? La Tribune de Winnipeg (Canada) nous laisse entrevoir la raison en ces termes : “On accuse ces publications de contenir des déclarations séditieuses et contre la guerre. C’est le Rév. Charles G. Paterson, pasteur de l’Église St-Étienne, qui, il y a quelques semaines, condamna du haut de la chaire des extraits de l’un des récents numéros de L’Étudiant de la Bible. Par la suite, le procureur général Johnson envoya chercher un exemplaire de la publication chez le Rév. Paterson. On croit que l’ordre de la censure en est le résultat direct.”
Peu de temps après l’interdiction survenue au Canada à l’instigation du clergé, le caractère international de la conspiration devint évident. En février 1918, le service du contre-espionnage de l’armée des États-Unis à New York perquisitionna au siège de la Société Watch Tower. On avait non seulement accusé à tort celle-ci d’entretenir des relations avec l’ennemi allemand, mais on avait également prétendu mensongèrement auprès du gouvernement des États-Unis que le Béthel de Brooklyn servait de centre de transmission pour les messages destinés au gouvernement allemand. Enfin, la presse annonça que les agents du gouvernement avaient saisi au Béthel un poste émetteur prêt à fonctionner. Mais quels étaient exactement les faits ?
En 1915, Russell s’était vu offrir un petit poste récepteur sans fil. Il n’y trouva pas grand intérêt ; néanmoins, une petite antenne a été posée sur le toit du Béthel, et des frères plus jeunes ont ainsi pu apprendre à se servir de cet appareil afin de capter des messages, sans grand succès d’ailleurs. Lorsque les États-Unis sont entrés en guerre, on a exigé que toutes les installations de TSF soient démontées. Par conséquent, l’antenne a été retirée et ses différents éléments ont été utilisés à d’autres fins ; quant au récepteur, il a été soigneusement emballé et remisé. Il n’avait pas servi depuis plus de deux ans, lorsque deux membres du service du contre-espionnage ont appris l’existence de ce récepteur en parlant avec un membre de la famille du Béthel. Les frères les ont conduits sur le toit afin de leur montrer l’ancien emplacement de l’antenne. Puis on leur a fait voir l’appareil tout emballé. Ces deux hommes ont accepté de l’emporter, car nous n’en avions pas l’utilisation au Béthel. C’était en fait un récepteur et non un poste émetteur ; par conséquent aucun message n’a jamais pu être envoyé, le seul appareil que nous ayons eu étant un poste récepteur.
Néanmoins, l’opposition contre le peuple de Jéhovah ne cessa de croître. Le 24 février 1918, frère Rutherford prononça un discours public à Los Angeles, en Californie, devant une assistance de 3 500 personnes. Le lendemain matin, la Tribune de Los Angeles publiait un compte rendu d’une page sur la conférence, ce qui a provoqué l’indignation des membres du clergé de la localité. L’association des ministres du culte a donc tenu une réunion le lundi et a fait demander aux directeurs du journal, par l’intermédiaire de son président, pourquoi ils avaient fait paraître un aussi long article au sujet de cette conférence. Le jeudi suivant, des agents du bureau du contre-espionnage de l’armée se sont emparés des locaux appartenant aux Étudiants de la Bible de Los Angeles et ont également confisqué un grand nombre des publications de la Société.
Le lundi 4 mars 1918, Clayton Woodworth (l’un des compilateurs du Mystère accompli) était arrêté à Scranton, en Pennsylvanie, ainsi que plusieurs autres frères. On les a faussement accusés de conspiration et emprisonnés en vue de leur faire subir un simulacre de jugement en mai. En outre, à la suite des pressions croissantes exercées contre la Société, plus de vingt Étudiants de la Bible étaient détenus dans certains camps et prisons militaires, parce qu’on leur avait refusé l’exemption. Quelques-uns d’entre eux sont passés en cour martiale et ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement. Finalement, le 14 mars 1918, le ministère de la Justice des États-Unis décréta que la diffusion du Mystère accompli constituait une transgression de la Loi sur l’espionnage.
Le peuple de Dieu se devait de riposter à cette attaque. Il fallait dénoncer l’opposition du clergé à l’œuvre chrétienne des Étudiants de la Bible. En conséquence, le 15 mars 1918, la Société Watch Tower publia un tract de deux pages, du format d’un journal, intitulé Nouvelles du Royaume No 1. Son titre était frappant : “Intolérance religieuse — Les disciples du pasteur Russell persécutés parce qu’ils annoncent la vérité au peuple — La manière dont les Étudiants de la Bible sont traités rappelle l’‘âge des ténèbres’.” Ce tract démasquait le clergé, responsable de la persécution infligée aux témoins chrétiens de Jéhovah en Allemagne, au Canada et aux États-Unis. On en diffusa des millions d’exemplaires.
Ce tract disait entre autres : “Nous reconnaissons, dans le gouvernement des États-Unis, une institution politique et économique qui, de par sa foi fondamentale, détient le pouvoir et l’autorité de déclarer la guerre et d’enrôler ses citoyens pour accomplir un service militaire. Nous ne sommes pas qualifiés pour faire obstacle à la conscription ou à la guerre de quelque manière que ce soit. Le fait que certains de nos membres aient cherché à tirer profit de la protection offerte par la loi a servi de prétexte à une autre vague de persécution.”
Les Nouvelles du Royaume No 2 ont paru le 15 avril 1918. L’audacieux en-tête disait : “‘Le mystère accompli’ et la raison de son interdiction”. Sous l’intertitre “Les membres du clergé s’en mêlent”, ce tract dévoilait l’action du clergé qui encourageait les instances gouvernementales à harceler la Société, à procéder à des arrestations, à s’élever contre Le mystère accompli et à pousser les Étudiants de la Bible à supprimer certaines pages (247-253) du livre. Ce tract expliquait également pourquoi le clergé s’opposait aux serviteurs de Jéhovah, et il définissait leur position vis-à-vis de la guerre et leurs croyances sur la véritable Église.
En relation avec la distribution de ce numéro des Nouvelles du Royaume, les frères ont fait circuler une pétition. Adressée à Wilson, Président des États-Unis, elle était ainsi conçue : “Nous, les Américains soussignés, estimons que toute intervention du clergé dans l’étude biblique indépendante est un acte d’intolérance non chrétien et contraire à l’esprit de l’Amérique, et que toute tentative pour unir l’Église et l’État est une erreur fondamentale. Dans l’intérêt de la liberté religieuse et de la liberté tout court, nous protestons solennellement contre la suppression du Mystère accompli et prions le Gouvernement de lever toutes les restrictions concernant son utilisation, de sorte qu’il soit permis aux gens, sans molestation ou ingérence de la part de qui que ce soit, d’acheter, de vendre, de posséder et de lire ce guide biblique.”
Le 1er mai 1918, soit six semaines après la parution du premier numéro, paraissaient les Nouvelles du Royaume No 3, qui portaient cet en-tête : “Deux grandes batailles font rage — La chute de l’autocratie est certaine”, et cet intertitre : “La stratégie satanique vouée à l’échec”. Ce tract traitait du conflit qui oppose la Postérité promise à la postérité de Satan (Gen. 3:15). Décrivant l’antichrist depuis sa naissance jusqu’aux agissements actuels des membres apostats du clergé tant protestant que catholique, ce tract révélait que le Diable se servait de ces agents pour essayer de détruire le reste des disciples oints de Jésus Christ encore sur la terre.
Il fallait du courage pour diffuser les Nouvelles du Royaume publiées à cette époque-là. Certains Étudiants de la Bible ont été arrêtés et il est arrivé que des stocks de tracts Nouvelles du Royaume soient temporairement confisqués. Dans le creuset de l’opposition et de la persécution, les serviteurs de Jéhovah sont restés fidèles à Dieu et ont poursuivi leur œuvre chrétienne.
DES ATROCITÉS SONT COMMISES
À mesure que croissait l’opposition du clergé et des laïcs, des atrocités se commettaient contre les serviteurs de Jéhovah. Donnant un compte rendu partiel des incroyables persécutions subies par les Étudiants de la Bible, une publication éditée plus tard par la Société Watch Tower disait entre autres :
“Le 12 avril 1918, à Medford, dans l’Oregon, frère Taliaferro a été molesté et chassé de la ville pour avoir prêché l’évangile, et George Maynard a été dépouillé de ses vêtements, couvert de peinture et conduit hors de la ville pour avoir permis qu’une étude de la Bible se tienne dans sa maison. (...)
“Le 17 avril 1918, à Shawnee, dans l’Oklahoma, frères Fenn, George Brown, Rogers, Glass, Grier et Tull ont été emprisonnés. Au cours du procès l’avocat général a déclaré : ‘Je me moque de votre Bible ; vous devriez aller en enfer, les reins brisés ; vous devriez être pendus.’ Lorsque frère Wilson, d’Oklahoma City, tenta d’intervenir pour défendre les accusés, il fut également arrêté. Chacun a été condamné à 55 dollars d’amende et aux dépens ; le délit était d’avoir répandu des ouvrages protestants. Le juge incita les gens à fomenter une émeute après le procès, mais la tentative des agitateurs échoua. (...)
“Le 22 avril 1918, à Kingsville, au Texas, frères Davis et Daniel Toole ont été poursuivis par des gens et conduits devant le maire et un juge près du tribunal de première instance ; ils ont ensuite été arrêtés et mis en prison sans mandat de dépôt. En mai 1918, à Tecumseh, dans l’Oklahoma, frère May a été arrêté et détenu pendant treize mois dans un asile d’aliénés sur l’ordre d’un juge, après avoir été menacé et injurié. Sa famille a été tenue dans l’ignorance de ces faits. (...)
“Le 17 mars 1918, à Grand Junction, dans le Colorado, une réunion pour l’étude de la Bible a été interrompue par des gens parmi lesquels il y avait le maire, des rédacteurs de journaux et d’autres hommes d’affaires bien connus. (...)
“Le 22 avril 1918, à Wynnewood, dans l’Oklahoma, Claud Watson a d’abord été emprisonné puis relaxé à dessein entre les mains d’agitateurs comprenant des prédicateurs, des hommes d’affaires et d’autres, qui l’ont battu, fait fouetter par un Noir et, lorsqu’il a eu en partie recouvré ses esprits, ils l’ont fait fouetter de nouveau. Ensuite, ils l’ont enduit de goudron et l’ont couvert de plumes, lui frottant toute la tête avec du goudron. Le 29 avril 1918, à Walnut Ridge, dans l’Arkansas, frère Duncan, âgé de 61 ans, Edward French, Charles Franke, un certain Monsieur Griffin et Madame Van Hoesen ont été emprisonnés. La foule a fait irruption dans la prison et, utilisant le langage le plus vil et le plus obscène qui soit, elle les a fouettés, les a recouverts de goudron et de plumes et les a chassés de la ville. Ces gens ont obligé frère Duncan à parcourir à pied les quarante-deux kilomètres qui le séparaient de son domicile, et il a failli en mourir. Monsieur Griffin a pratiquement été rendu aveugle et, quelques mois plus tard, il devait mourir des suites de ces événements.”
Encore aujourd’hui, frère Siebenlist se souvient très bien de ce qui est arrivé à son père, à Shattuck, dans l’Oklahoma. Il écrit :
“En septembre 1917 j’ai commencé à aller à l’école ; tout a bien été jusqu’en mars [1918] lorsqu’on obligea les enfants à acheter un insigne de la Croix-Rouge. Je suis donc revenu le midi à la maison avec un mot écrit. Papa travaillait et maman ne lisait que l’allemand à cette époque-là. Mais frère Howlett, un pèlerin qui visitait justement la ‘classe’, a pris la chose en mains. Nous n’avons pas acheté d’insigne.
“Peu de temps après, des agents sont venus chercher mon père au travail ; ils ont voulu le faire sauter à pieds joints sur le livre Le mystère accompli et saluer le drapeau — et cela dans la rue principale de Shattuck. Puis ils l’ont conduit en prison. (...)
“Quelque temps plus tard, il a été repris et emprisonné pendant trois jours. Il n’a pratiquement rien eu à manger. Cette fois, il serait plus difficile d’obtenir sa libération. Vers minuit, trois hommes ont ‘fait irruption’ dans la prison. Ils ont jeté un sac sur la tête de mon père et l’ont conduit, pieds nus, à la limite ouest de la ville. Le terrain était accidenté et plein de plantes épineuses. Arrivés sur les lieux, ils l’ont dévêtu jusqu’à la ceinture et fouetté avec un fouet à l’extrémité duquel il y avait de l’acier. Ils l’ont ensuite couvert de goudron chaud et de plumes, le laissant pour mort. Mon père s’est efforcé de se mettre debout et de marcher, en titubant, en direction du sud-ouest de la ville. Il avait l’intention de se diriger ensuite vers le nord et de rentrer à la maison. Mais un ami l’a rencontré et ramené chez nous. Je ne l’ai pas vu cette nuit-là, mais ce fut un choc terrible pour ma mère qui venait d’accoucher de mon frère John quelques jours auparavant seulement, et ma grand-mère Siebenlist s’est évanouie d’émotion en le voyant. Mais ma mère a très bien supporté cette épreuve, ne perdant pas de vue que Jéhovah peut nous protéger. (...)
“Grand-mère et tante Katie, la demi-sœur de papa, l’ont pour ainsi dire rendu à la vie. Le goudron et les plumes avaient pénétré dans sa chair ; elles ont donc utilisé de la graisse d’oie pour guérir ses plaies, et petit à petit le goudron est parti. (...) Papa n’avait pas vu le visage de ses assaillants, mais il avait reconnu leur voix et les avait identifiés. Il ne le leur a jamais dit. En fait, il n’a que très rarement parlé de cette affaire ; pourtant il a emporté ses cicatrices dans la tombe.”
PRUDENTS COMME DES SERPENTS
L’interdiction qui frappait Le mystère accompli et certaines autres publications chrétiennes a mis les serviteurs de Jéhovah dans une situation difficile. Toutefois, Dieu leur avait confié une tâche et ils l’accompliraient, se montrant “prudents comme des serpents, mais innocents comme des colombes”. (Mat. 10:16.) Ainsi, on cachait parfois les manuels d’étude biblique dans des endroits divers : au grenier, dans la réserve à charbon, sous les lattes du plancher ou dans un meuble.
Frère Miller nous dit à ce propos : “Comme notre maison servait de centre de réunion pour les Étudiants de la Bible de la localité, c’est au milieu de la nuit que les frères venaient en camion apporter les publications. Nous cachions les cartons de livres dans une cage à poules ; ils étaient ainsi dissimulés par le feuillage et les poules.”
Se souvenant d’un incident survenu à cette époque-là, frère Reusch écrit : “Chez la famille Reed, les livres étaient cachés dehors, derrière la maison ; à mesure que les agents s’approchaient de la cachette, les Reed retenaient leur respiration. Tout à coup, une grande plaque de neige tomba du toit et recouvrit entièrement cet emplacement.”
‘ON DONNE FORME AU TOURMENT PAR DÉCRET’
Il y a des siècles de cela, le psalmiste a écrit : “Est-ce qu’il sera allié à toi, le trône qui provoque des adversités, alors qu’il donne forme au tourment par décret ?” (Ps. 94:20). Les serviteurs de Jéhovah obéissent toujours aux lois des nations qui ne sont pas en contradiction avec les lois de Dieu. Mais comme nous pouvons nous y attendre, quand il y a conflit entre les exigences de simples hommes et les lois de Dieu, les chrétiens adoptent la même attitude que les apôtres et ‘obéissent à Dieu, comme à un chef, plutôt qu’aux hommes’. (Actes 5:29.) Il arrive que de bonnes lois soient appliquées d’une mauvaise manière dans le but de faire cesser leur activité. En d’autres circonstances, les ennemis ont réussi à faire adopter des décrets qui ont fait beaucoup de mal au peuple de Dieu.
Le Congrès des États-Unis a voté une loi sur le service militaire obligatoire le 15 juin 1917. Elle prévoyait le recrutement d’hommes valides et aussi l’exemption de ceux qui, en raison de leurs croyances religieuses, ne pouvaient prendre part à la guerre. De nombreux jeunes gens dans tout le pays ont écrit à la Société Watch Tower pour demander au juge Rutherford quelle était la ligne de conduite à suivre. Voici ce qu’il révéla par la suite à ce sujet : “Beaucoup de jeunes hommes dans le pays m’ont demandé quelle position il fallait prendre en cette affaire. Invariablement je répondais à ces jeunes gens : ‘Si votre conscience ne vous permet pas de prendre part à la guerre, l’article 3 de la loi sur le recrutement vous permet de demander l’exemption. Faites-vous enregistrer et remplissez une demande d’exemption, en expliquant clairement la raison de cette requête, et le bureau de recrutement fera suivre votre demande.’ Je n’ai jamais rien fait de plus que de leur recommander de profiter de l’occasion offerte par l’Acte du Congrès. J’ai toujours mis l’accent sur le fait qu’un citoyen doit obéir aux lois du pays aussi longtemps que celles-ci ne sont pas en contradiction avec la loi de Dieu.”
Mais revenons à l’époque de la Première Guerre mondiale, où une conspiration ourdie contre les serviteurs de Jéhovah a été éventée. Dans le but de favoriser ce complot, en 1917 de nombreux membres du clergé ont tenu une conférence à Philadelphie, en Pennsylvanie. À cette occasion, ils ont nommé un comité chargé de se présenter aux autorités de Washington, capitale de la nation, afin de demander que soient révisées la Loi sur le service militaire obligatoire et la Loi sur l’espionnage. Le comité s’est donc adressé au ministère de la Justice. À la demande des membres du clergé, John Lord O’Brian, fonctionnaire attaché à ce ministère, a été désigné pour préparer un amendement à la Loi sur l’espionnage et il devait le soumettre au Sénat des États-Unis. Selon cet amendement, tous les délits constituant une transgression de la Loi sur l’espionnage devraient être jugés par un tribunal militaire et les coupables subiraient la peine de mort. Mais ce projet de loi ne fut pas adopté.
Au moment où le Congrès préparait l’amendement à la Loi sur l’espionnage, un autre projet de loi, appelé “Amendement France”, voyait le jour. Selon cet amendement, toute personne disant “la vérité, avec de bons mobiles et à des fins justifiables” ne tombait pas sous le coup de la Loi sur l’espionnage.
Cependant, le 4 mai 1918, le sénateur Overman recevait un mémoire du procureur général, qui a paru dans le Congressional Record (4 mai 1918, pages 6052, 6053). On y lisait entre autres :
“Le Service du contre-espionnage s’est prononcé contre l’amendement à la Loi sur l’espionnage, en ce sens que l’article 3, alinéa 1, ne s’appliquera pas à ceux qui disent ‘la vérité, avec de bons mobiles et à des fins justifiables’.
“L’expérience nous enseigne qu’un tel amendement annulerait, dans une grande mesure, la valeur de la loi et transformerait chaque jugement en un débat académique sur des questions insolubles visant à définir la vérité. Les mobiles humains sont trop complexes pour être discutés, et le terme ‘justifiable’ est trop élastique pour avoir un usage pratique. (...)
“L’un des exemples les plus dangereux de cette sorte de propagande est le livre intitulé ‘Le mystère accompli’ qui a été rédigé dans un langage religieux extrémiste et diffusé en un très grand nombre d’exemplaires. Il a uniquement eu pour effet d’amener les soldats à discréditer notre cause et les familles à se montrer hostiles vis-à-vis du service militaire.
“Les Nouvelles du Royaume de Brooklyn font paraître une pétition demandant que soient levées les restrictions frappant ‘Le mystère accompli’ et autres publications du même genre, ‘de sorte qu’il soit permis aux gens, sans molestation ou ingérence de la part de qui que ce soit, d’acheter, de vendre, de posséder et de lire ce guide biblique’. L’acceptation de cet amendement ouvrirait de nouveau nos camps à cette influence nuisible.
“L’Association internationale des Étudiants de la Bible prétend être animée de mobiles purement religieux ; pourtant nous avons appris que son bureau central est connu depuis longtemps comme un repaire d’agents allemands. (...)
“L’acceptation de cet amendement affaiblirait grandement l’efficacité américaine et ne ferait qu’aider l’ennemi. Dans la guerre, ce sont les résultats qui comptent et non les mobiles ; par conséquent, la loi et ceux qui sont chargés de la faire respecter devraient produire de bons résultats et empêcher tout ce qui pourrait nuire, laissant les mobiles et la miséricorde aux juges ou à la perspicacité des historiens.”
À la suite des efforts déployés par le ministère de la Justice, l’amendement à la Loi sur l’espionnage fut adopté le 16 mai 1918, et l’“Amendement France” rejeté.
“NOUS SAVONS COMMENT VOUS ATTEINDRE ET NOUS NOUS Y EMPLOIERONS !”
À peu près à la même époque, des jeunes hommes, rattachés aux Étudiants de la Bible, ont été appelés au service militaire et, comme objecteurs de conscience, on les a envoyés au Camp Upton, à Long Island, New York. Ce camp était sous le commandement du général James Franklin Bell. Celui-ci vint voir Rutherford à son bureau pour l’inciter à convaincre ces jeunes hommes d’accepter tout service que Bell leur confierait de l’autre côté de l’océan ou ailleurs. Rutherford refusa. Le général insista ; finalement, Rutherford écrivit une lettre qui disait en substance : “Chacun d’entre vous doit décider pour lui-même s’il participera ou non à des activités militaires. Faites ce que vous considérez être votre devoir et ce qui est juste aux yeux du Dieu Tout-Puissant.” Cette lettre ne plut pas du tout à Bell.
Quelques jours plus tard, frères Rutherford et Van Amburgh rendirent visite au général Bell, au Camp Upton. En la présence de son aide de camp et de Van Amburgh, Bell parla à Rutherford de la conférence d’ecclésiastiques qui s’était tenue à Philadelphie. Il lui dit que John Lord O’Brian avait été désigné pour soumettre le cas au Sénat, et proposer un amendement selon lequel toute transgression de la Loi sur l’espionnage serait jugée devant un tribunal militaire et sanctionnée de la peine de mort. Selon Rutherford, le général Bell “était en grande colère. Sur son bureau, il y avait une pile de documents ; en les désignant il se tourna vers moi et dit avec ressentiment : ‘Ce projet de loi n’est pas passé, car Wilson s’y est opposé, mais nous savons comment vous atteindre et nous nous y emploierons !’ Je lui répondis alors : ‘Vous savez où me trouver, général.’”
COUP MORTEL POUR LES “DEUX TÉMOINS”
Dès octobre 1914, les disciples oints du Christ ont proclamé que les temps des Gentils avaient pris fin et que les nations marchaient vers leur destruction à Har-Maguédon (Luc 21:24 ; Rév. 16:14-16). Ces “deux témoins” symboliques annoncèrent ce message de tristesse aux nations pendant 1 260 jours ou trois ans et demi (des 4/5 octobre 1914 aux 26/27 mars 1918). Puis, le système politique bestial du Diable l’emporta sur les “deux témoins” de Dieu, et les tua. Autrement dit, il mit fin aux tourments que ces “deux témoins” provoquaient en prophétisant “vêtus de sacs”, au grand soulagement de leurs ennemis d’entre les chefs religieux, politiques ou militaires et les magistrats (Rév. 11:3-7 ; 13:1). C’est ce que la prophétie annonçait, et elle s’est accomplie. Comment cela ?
Le 7 mai 1918, le tribunal du district est de New York lança des mandats d’arrêt contre les principaux serviteurs de la Société Watch Tower. Il s’agissait du président Rutherford, du secrétaire-trésorier Van Amburgh, de Clayton Woodworth et de George Fisher (les deux compilateurs du Mystère accompli), de Robison (membre du comité de rédaction de La Tour de Garde), de Macmillan, de Martin et de Giovanni DeCecca.
Le lendemain, soit le 8 mai 1918, ceux d’entre ces frères qui se trouvaient au Béthel de Brooklyn furent arrêtés et mis en prison. Peu après, ils furent traduits devant le tribunal fédéral que présidait le juge Garvin. Tous se trouvèrent devant un acte d’accusation qui avait été renvoyé précédemment par le Grand Jury, les accusant
“1, 3) [du] crime d’avoir provoqué illégalement, traîtreusement et volontairement l’insubordination, la déloyauté et le refus d’obéissance aux forces navales et militaires des États-Unis d’Amérique au moyen de sollicitations personnelles, de lettres, de discours publics, en distribuant et en faisant circuler parmi le public un certain livre appelé ‘Volume sept — ÉTUDES DES ÉCRITURES — Le mystère accompli’, et en distribuant et faisant circuler parmi le public dans tous les États-Unis certains articles imprimés dans des tracts appelés ‘L’ÉTUDIANT DE LA BIBLE’, ‘LA TOUR DE GARDE’, ‘NOUVELLES DU ROYAUME’ et d’autres pamphlets non désignés, etc. ;
“2, 4) Le crime d’avoir provoqué illégalement, traîtreusement et volontairement l’opposition au recrutement et à l’enrôlement dans le service des États-Unis quand ces derniers étaient en guerre.”
Cette accusation était principalement fondée sur un paragraphe du livre Le mystère accompli qui disait : “Nulle part dans le Nouveau Testament le patriotisme (haine mesquine des autres peuples) n’est encouragé. Partout et toujours, le meurtre a été interdit, sous toutes ses formes. Pourtant, sous le couvert du patriotisme, les gouvernements de la terre exigent que des hommes qui aiment la paix se sacrifient, eux et ceux qui leur sont chers, et réclament le sang de leurs semblables, proclamant cela comme un devoir exigé par les lois célestes.”
Frères Rutherford, Van Amburgh, Macmillan et Martin ont dû faire face à un second acte d’accusation de collaboration avec l’ennemi, basé sur le fait que les responsables de la Société avaient envoyé une somme de 500 dollars au directeur de la filiale suisse de la Société à Zurich. Les frères condamnés furent retenus en prison jusqu’au paiement d’une caution fixée à 2 500 dollars par chef d’accusation, après quoi ils furent relâchés et convoqués devant le tribunal le 15 mai 1918. Ils passèrent en jugement le 3 juin 1918 devant le tribunal du district est de New York. Ils plaidèrent “non coupables” pour les deux chefs d’accusation, et se savaient innocents de tous les crimes dont on les accusait.
Comme le juge Garvin n’avait pas caché ses sentiments au cours des auditions préliminaires, les accusés firent une déposition exposant ses préventions contre eux. Le juge Harland Howe du tribunal de district des États-Unis fut donc désigné comme président du tribunal. D’après frère Macmillan, les accusés ne connaissaient pas les idées préconçues de Howe ; par contre, le gouvernement savait qu’il “était particulièrement en faveur de la mise en application de la loi et contre les accusés à qui l’on reprochait de l’avoir transgressée”. Macmillan dit également : “Mais nous ne sommes pas restés longtemps dans les ténèbres. Dès la première conférence des avocats dans le cabinet du juge avant que ne commençât le jugement, son animosité se manifesta, et il dit sèchement : ‘Je vais infliger à ces coupables ce qu’ils ont cherché.’ Toutefois, il était trop tard pour que nos avocats déposent une plainte contre le juge pour ses préventions contre les accusés.”
Macmillan dit que l’accusation, telle qu’elle a été retournée à l’origine, reprochait aux accusés d’avoir commencé à conspirer entre le 6 avril 1917, date à laquelle les États-Unis sont entrés en guerre, et le 6 mai 1918. À la suite d’une motion, le gouvernement a déterminé que le crime reproché avait été commis entre le 15 juin 1917 et le 6 mai 1918.
SCÈNES DANS LA SALLE D’AUDIENCE
Les États-Unis étaient en guerre. Un procès intenté contre les Étudiants de la Bible accusés de sédition ne manquerait pas d’attirer fortement l’attention. Quels étaient les sentiments du public en général ? Il approuvait tout ce qui favorisait les intérêts de la guerre. À l’extérieur du tribunal, des fanfares jouaient et des soldats défilaient dans les rues près de Borough Hall, à Brooklyn. Dans le prétoire, les débats se poursuivaient, — ils durèrent quinze jours, — accumulant un monceau de témoignages. Mais entrons plutôt dans la salle d’audience et voyons comment cela se passe.
Frère Macmillan, l’un des accusés, nous dépeint l’ambiance qui y règne ; il écrivit en effet par la suite : “Pendant le jugement, le gouvernement décréta que quiconque se tiendrait au coin d’une rue et réciterait le Notre Père dans l’intention de décourager les hommes d’entrer dans l’armée serait emprisonné. Vous voyez donc avec quelle facilité les autorités interprétaient toute intention. Ces hommes se croyaient capables de lire dans les pensées, et c’est en fonction de cela qu’ils se sont retournés contre nous, bien que nous leur ayons certifié qu’à aucun moment nous n’avons conspiré ou fait quoi que ce soit contre le service militaire ou pour encourager l’insoumission. Mais nos affirmations ne servirent à rien. Certains chefs religieux de la chrétienté et leurs alliés politiques étaient déterminés à nous abattre. Avec l’accord du juge Howe, l’action engagée a abouti à un jugement de condamnation, soulignant que nos mobiles étaient irrecevables et que nos actions avaient été commises délibérément. J’ai été condamné pour le simple fait d’avoir contresigné un chèque, dont la destination n’a pu être déterminée, et d’avoir apposé ma signature sur une déclaration écrite qui avait été lue par frère Rutherford lors d’une réunion du comité directeur. Même là, on ne pouvait prouver qu’il s’agissait bien de ma signature. Cette injustice nous aida par la suite lorsque nous avons fait appel.”
À un moment donné, un ancien représentant de la Société a été appelé à la barre. Après avoir examiné un document portant deux signatures, il prétendit reconnaître celle de frère Van Amburgh. Voici ce que dit à ce sujet la minute du tribunal :
“Q. Voici la pièce no 31 que vous voudrez bien identifier ; je vous demande d’examiner les deux signatures, ou prétendues signatures, de MacMillan et de Van Amburgh. Commençons par celle de Van Amburgh ; d’après vous, s’agit-il d’une copie de sa signature ? R. Je le crois, en effet.
“Q. Et celle de MacMillan ? R. La sienne n’est pas aussi facile à identifier, mais je pense qu’il s’agit bien de sa signature.”
Plus tard, frère Macmillan écrivit ce qui suit à propos de la défense présentée par les accusés :
“Après le réquisitoire du représentant du gouvernement, nous avons présenté notre défense. En bref, nous avons montré que la Société est une organisation essentiellement religieuse ; que ses membres acceptent les enseignements de la Sainte Bible, tels qu’ils sont expliqués par Charles Russell, comme fondement de leurs croyances ; que de son vivant Russell écrivit et publia six volumes intitulés Études des Écritures, et que dès 1896 il promit d’écrire un septième volume basé sur les livres d’Ézéchiel et de la Révélation ; que sur son lit de mort il dit que quelqu’un d’autre rédigerait ce septième volume ; que peu de temps après sa mort, la direction autorisa Clayton Woodworth et George Fisher à écrire et à soumettre leur manuscrit à l’approbation de la direction sans aucune promesse de publication, que le manuscrit sur la Révélation était terminé avant que les États-Unis n’entrent en guerre et que le manuscrit du livre tout entier (à l’exception du chapitre sur le Temple) avait été remis à l’imprimeur avant que ne soit édictée la Loi sur l’espionnage ; par conséquent, l’accusation de conspiration contre cette loi n’était pas fondée.
“Nous avons certifié qu’à aucun moment nous n’avons manigancé ou conspiré pour faire quoi que ce soit contre le service militaire ou pour entraver l’action du gouvernement dans la poursuite de la guerre, et que telle n’a jamais été notre intention ; que nous n’avons jamais projeté de faire obstacle à la guerre, de quelque façon que ce soit ; que notre activité était essentiellement religieuse et en aucun cas politique ; que nous n’avons jamais invité, conseillé ou encouragé nos membres à refuser le service militaire ; que les lettres écrites ont été envoyées à ceux que nous savions être des chrétiens voués, autorisés par la loi à recevoir des conseils ; que nous ne nous opposions pas à ce que la nation entre en guerre, mais qu’en qualité de chrétiens voués nous ne pouvions participer à un combat à mort.”
Mais la franchise n’a pas toujours été le trait dominant de ce procès. Frère Macmillan rapporta ce qui suit par la suite : “Certains des nôtres qui assistaient au jugement m’ont dit plus tard que l’un des avocats du gouvernement était sorti de la salle d’audience pour avoir un entretien à voix basse avec quelques-uns de ceux qui avaient pris la tête du mouvement d’opposition au sein de la Société. Ceux-ci lui dirent : ‘Ne le [Macmillan] relâchez pas ; c’est le pire de la bande. Il poursuivra la lutte si vous ne le frappez pas comme les autres.’” N’oublions pas qu’à cette époque-là des hommes ambitieux cherchaient à s’emparer de la direction de la Société Watch Tower. Rien d’étonnant à ce que frère Rutherford adressât ensuite cette mise en garde aux frères responsables du Béthel : “On nous a fait savoir que sept personnes qui s’étaient opposées à la Société et à son œuvre au cours de l’année dernière ont assisté au jugement et aidé nos accusateurs. Nous vous mettons en garde, bien-aimés, contre les efforts insidieux de certaines d’entre elles pour vous flatter servilement maintenant, afin d’essayer de mettre la main sur la Société.”
Finalement, après un jugement qui avait traîné en longueur, le jour attendu du verdict arriva. Le 20 juin 1918, vers 17 heures, le jury entra en délibération. Rutherford rapporta plus tard : “Les membres du jury hésitèrent longtemps avant de se prononcer. Finalement, le juge Howe leur adressa un message pour leur dire qu’ils devaient rendre un verdict de culpabilité, selon ce que nous apprit par la suite l’un des jurés.” Après quelque quatre heures et demie de délibération à 21 h 40 le jury revint et se prononça — “Coupable”.
La sentence fut annoncée le 21 juin. La salle d’audience était pleine. Lorsqu’on leur demanda s’ils avaient quelque chose à dire, les accusés gardèrent le silence. Alors le juge Howe prit la parole. Il dit avec colère : “La propagande religieuse à laquelle se livrent ces hommes est plus nuisible qu’une division de soldats allemands. Ils sont non seulement entrés en contestation avec les représentants du gouvernement et du service du contre-espionnage de l’armée, mais ils ont aussi condamné tous les ministres des Églises. Leur châtiment devrait être sévère.”
Il le fut. Sept des accusés furent condamnés à quatre-vingts ans de prison (vingt années par chef d’accusation, qui étaient au nombre de quatre, avec confusion des peines). La condamnation de Giovanni DeCecca fut retardée, mais finalement il fut condamné à quarante années de prison, soit dix ans par chef d’accusation. Les accusés devaient purger leur peine à la prison fédérale d’Atlanta, en Georgie.
Le procès avait duré quinze jours. On avait recueilli de très nombreux témoignages et la procédure avait souvent été arbitraire. En fait, il a été démontré par la suite que le procès renfermait au moins 125 vices de forme. Quelques-uns seulement auraient suffi à la Cour d’appel pour condamner toute la procédure comme étant arbitraire.
James Gwin Zea, qui a été témoin oculaire, dit : “J’ai assisté à ce procès et j’ai souffert d’un bout à l’autre avec les frères que l’on avait soumis à cette dure épreuve. J’entends encore le juge refuser à frère Rutherford l’occasion de présenter une défense. ‘La Bible n’a rien à voir dans ce tribunal’, dit-il. Cette nuit-là, je suis resté au Béthel avec frère Howlett ; vers 22 heures, nous avons appris que nos frères avaient été déclarés coupables. Leur sentence a été prononcée le lendemain.”
Les accusations injustes et les peines sévères n’avaient pas réussi à ébranler frère Rutherford et ses compagnons. Il est intéressant de noter le compte rendu suivant publié le 22 juin 1918 par le New York Tribune : “Joseph F. Rutherford et six autres ‘Russellistes’, convaincus d’avoir violé la Loi sur l’espionnage, ont été condamnés hier, par le juge Howe, à vingt ans de réclusion à la prison d’Atlanta. ‘C’est le plus beau jour de ma vie, a déclaré M. Rutherford sur le chemin conduisant du tribunal à la prison ; subir un châtiment terrestre pour sa croyance religieuse est l’un des plus grands privilèges qu’un homme puisse avoir.’ Les familles et les amis intimes des accusés se sont livrés à la plus étrange des démonstrations qu’on ait jamais vues au bureau du greffier du tribunal fédéral de Brooklyn, aussitôt après que les prisonniers eurent été amenés devant le Grand Jury. Tout le groupe fit résonner le vieux bâtiment aux accents de ‘Béni soit le lien qui unit’. ‘C’est la volonté de Dieu’, se disaient-ils, et leurs visages rayonnaient presque. ‘Un jour le monde saura ce que tout cela signifie. En attendant, soyons reconnaissants envers Dieu pour sa grâce qui nous a soutenus à travers nos épreuves, et attendons avec joie le Grand Jour qui doit venir.’”
Après avoir interjeté appel, les frères ont essayé à deux reprises d’obtenir leur mise en liberté provisoire sous caution, mais ils ont été déboutés, d’abord par le juge Howe, et plus tard par le juge Martin Manton. Entre-temps, ils étaient détenus dans la prison de la rue Raymond, à Brooklyn, “le trou le plus infect que j’aie jamais connu”, dit Macmillan. Clayton Woodworth l’appelait en plaisantant l’“Hôtel de Raymondie”. Après avoir passé une semaine désagréable en cet endroit, on les conduisit à la prison de la ville de Long Island, où ils demeurèrent également une semaine. Finalement, le 4 juillet, jour de la fête nationale aux États-Unis, ces hommes injustement condamnés prirent le train pour la prison d’Atlanta, en Georgie.