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La querelle du dimanche des RameauxRéveillez-vous ! 1971 | 22 septembre
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La querelle du dimanche des Rameaux
De notre correspondant en France
les catholiques français divisés sur le passage de Philippiens 2:6
“LE CHRIST est Dieu et non pas une image !” La voix, amplifiée, retentit sous les voûtes gothiques de Notre-Dame de Paris, couvrant momentanément la lecture de l’“Épître”. Les quelque deux mille fidèles, à peine remis de leur étonnement, entendirent ensuite entonner le “Credo” en latin. Presque aussitôt le puissant orgue de la cathédrale résonna, couvrant à son tour cette protestation chantée. Les manifestants quittèrent alors l’édifice et la célébration de la messe se poursuivit.
Des incidents analogues eurent lieu dans d’autres églises parisiennes, dans la cathédrale de Lyon et ailleurs lors des messes du 4 avril 1971, dimanche des Rameaux. Les manifestants n’étaient ni des protestants ni des athées, mais des catholiques traditionalistes ! Pour quelle raison ont-ils recouru à une mesure aussi outrancière que l’interruption de ce qu’ils considèrent comme la principale cérémonie du culte catholique ?
Trois traductions de Philippiens 2:6
L’origine de ces incidents remonte à 1958, quand une Instruction officielle de l’Église sur la musique sacrée et la liturgie autorisa l’emploi de la langue vulgaire pour “la lecture de l’épître et de l’évangile” lors de la célébration de la messe. Il s’agissait de l’application d’un indult (privilège spécial accordé par une autorité religieuse) de Pie XII publié par le Saint-Office le 17 octobre 1956 et qui sanctionnait la lecture “de l’épître et [de] l’évangile d’abord en latin, puis dans la langue du peuple”. En conséquence, en 1959, l’Assemblée des cardinaux et archevêques approuva officiellement la publication d’un lectionnaire latin-français à l’usage des catholiques francophones pendant la messe.
Comme tout catholique pratiquant le sait, l’“Épître” dont on fait la lecture le dimanche des Rameaux est le passage de Philippiens 2:5-11. Le lectionnaire français de 1959 ne troublait nullement les catholiques traditionalistes, car sa traduction de Philippiens 2:6 aurait satisfait Augustin lui-même, trinitaire acharné. Elle disait : “Étant de condition divine, il (le Christ) ne retint pas avidement le rang qui l’égalait à Dieu.” De plus, cette traduction française était rarement employée, car en général la messe continuait d’être célébrée en latin.
Cependant, le 4 décembre 1963, Paul VI promulgua la Constitution sur la Liturgie sacrée, adoptée lors de la deuxième session du concile du Vatican. Cette constitution qui prévoyait un usage beaucoup plus généralisé de la langue vulgaire lors de la célébration de la messe, exigeait une révision du lectionnaire et du missel. C’est pourquoi, en 1969, les évêques francophones autorisèrent la publication d’un nouveau lectionnaire approuvé par le Saint-Siège le 16 septembre 1969. Le passage de Philippiens 2:6 y était rendu comme suit : “Le Christ Jésus est l’image de Dieu ; mais il n’a pas voulu conquérir de force l’égalité avec Dieu.”
Pour citer Le Monde, “cette deuxième traduction a provoqué des protestations dans les rangs de certains exégètes et de vives polémiques parmi certains catholiques conservateurs”. André Feuillet, éminent exégète français, écrivit : “Cette version (...) a suscité un peu partout de vives critiques : ne risquait-elle pas de faire croire aux fidèles que le Christ n’est pas Dieu au sens strict ?” (Esprit et Vie, 17 décembre 1970). Voilà bien le hic ! Les trinitaires se voyaient privés d’un de leurs passages préférés dont ils se servaient, tel qu’il figurait dans les bibles catholiques, pour appuyer l’idée que Jéhovah Dieu, le Père, n’est en aucune manière supérieur à son Fils, Jésus-Christ.
Les trinitaires exercèrent donc une pression sur le haut clergé de France qui finit par consentir à réviser cette deuxième traduction de Philippiens 2:6. La troisième traduction, faite en septembre 1970, figurait sur une liste de corrections à apporter au lectionnaire de 1969. Elle dit : “Le Christ Jésus, tout en restant l’image même de Dieu, n’a pas voulu revendiquer d’être pareil à Dieu.”
“Blasphème !” “Hérésie !”
Lorsqu’ils apprirent que cette troisième traduction de Philippiens 2:6 n’appuyait pas plus la doctrine de la Trinité que la seconde version, et qu’elle serait lue dans toutes les Églises le dimanche des Rameaux, le 4 avril 1971, les catholiques traditionalistes réagirent violemment. Un quotidien parisien écrivit à ce propos : “L’épître de saint Paul aux Philippiens, qui sera lue à la messe du dimanche des Rameaux, va-t-elle être une nouvelle occasion de troubles dans l’Église ? On peut le craindre, certains groupes traditionalistes ayant décidé de s’élever publiquement, et même ‘physiquement’ contre la traduction française du début du texte qui, à leurs yeux, constitue une hérésie.” — L’Aurore, 29 mars 1971.
Itinéraires, revue mensuelle catholique, publia un supplément spécial daté de janvier 1971 et intitulé “La falsification de l’épître du dimanche des Rameaux”. Parlant de la deuxième traduction de Philippiens 2:6, cette revue déclara : “S’il a refusé de la conquérir [l’égalité avec Dieu], c’est donc qu’il ne l’avait pas.” Commentant la troisième traduction, Itinéraires dit que si le Christ “n’a pas voulu revendiquer d’être pareil à Dieu”, on doit en conclure qu’il n’était pas “pareil à Dieu”. De l’avis de cette revue, “la portée pratique d’une telle substitution est équivalente à l’énoncé d’une hérésie et d’un blasphème”. Elle encourageait donc ses lecteurs à manifester leur désapprobation au cours des messes célébrées le dimanche des Rameaux, les invitant à attendre la lecture de l’“Épître”, puis à crier : “Blasphème !”, ou : “Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme”, ou encore à chanter le “Credo”.
Malgré ces menaces, l’épiscopat français maintint sa traduction de Philippiens 2:6. Dans son numéro du 21-22 mars 1971, Le Monde déclara : “Cette traduction (...) qui est l’œuvre de la commission de traduction pour les pays de langue française, dont Mgr Le Cordier suit les travaux, a été acceptée par l’ensemble des évêques francophones. Le conseil permanent de l’épiscopat français, qui vient de se terminer à Paris, lui a donné sa caution : elle sera donc maintenue.” Cependant, pour éviter des troubles pendant la messe du dimanche des Rameaux, plusieurs évêques autorisèrent les prêtres de leur diocèse à utiliser la traduction de 1959.
Malgré cette concession, quelques jours plus tard, le même quotidien français rapporta : “Suivant les consignes de divers mouvements traditionalistes, un certain nombre de catholiques ont manifesté leur réprobation devant la nouvelle traduction de l’Épître de saint Paul aux Philippiens, qui a été utilisée dans de nombreuses églises de France au cours de la messe du dimanche des Rameaux. Des incidents se sont produits à Paris notamment à la cathédrale Notre-Dame, à la basilique Notre-Dame-des-Victoires, à Sainte-Élisabeth du Temple, à la chapelle espagnole (...) — à Lyon, à la cathédrale Saint-Jean et à la Basilique d’Ainay, etc. Tantôt les contestataires ont entonné le Credo en latin ; tantôt ils ont affirmé la divinité du Christ qui, selon eux, est niée implicitement par la nouvelle traduction.” — Le Monde, 6 avril 1971.
Le dilemme des évêques français
Chose curieuse, ces manifestants traditionalistes essayaient d’être de meilleurs catholiques que les évêques et les cardinaux francophones ! En effet, bons catholiques, ils croient à la doctrine de la Trinité selon laquelle le Père, le Fils et le Saint Esprit sont égaux et ne forment qu’un seul Dieu. Ils étaient donc profondément scandalisés par une traduction de Philippiens 2:6, approuvée par l’épiscopat, montrant que le Christ n’a jamais prétendu être “pareil à Dieu”. Ils avaient raison de dire que cette traduction nie que le Christ soit Dieu.
Une question excite toutefois la curiosité : Pourquoi le haut clergé français se sentait-il obligé d’autoriser une traduction si manifestement incompatible avec l’une des doctrines fondamentales du catholicisme ? Mais cela n’est pas tout. N’est-il pas très étrange que ces prélats aient jugé nécessaire de réviser la traduction du passage en question ? Que faut-il penser dans ce cas de toutes les bibles catholiques portant le Nihil Obstat et l’Imprimatur : la Bible de Jérusalem, la Bible de Crampon, la Bible du cardinal Liénart, la Bible de Maredsous, la Bible de Glaire, le Nouveau Testament d’Osty, la Bible de Saci et d’autres encore, toutes reconnues officiellement par l’Église ? Pourquoi faire une nouvelle traduction alors que dans toutes ces bibles le passage en question laisse entendre que Jésus est égal à Dieu ?
La remarque suivante parue dans Le Monde du 6 avril 1971 éclaircit le mystère : “Les exégètes responsables de ce changement — qui a été ratifié par la plupart des évêques français — estiment la deuxième traduction plus fidèle que la première au texte grec [c’est nous qui soulignons].” Et pourtant, la “première”, qui figure dans le lectionnaire de 1959, est conforme à toutes les bibles précitées !
Aussi les cardinaux, les archevêques et les évêques francophones se trouvent-ils devant un dilemme. Ils devront soit se rétracter, c’est-à-dire retirer leur nouvelle traduction de Philippiens 2:6, montrant par là qu’ils sont plus attachés à la doctrine de la Trinité qu’à la fidélité du texte biblique, soit maintenir leur nouvelle traduction officielle de ce passage important, admettant ainsi que les bibles catholiques françaises (sans parler de celles dans d’autres langues) ont mal traduit ce verset et en ont tordu le sens afin qu’il soutienne la doctrine de la Trinité.
Quelle que soit la décision qu’ils prendront, le fait demeure que le haut clergé de France a déclaré que selon le texte original grec de la Bible, “le Christ Jésus (...) n’a pas voulu conquérir de force l’égalité avec Dieu” (traduction approuvée par le Saint-Siège en 1969) et que “le Christ Jésus (...) n’a pas voulu revendiquer d’être pareil à Dieu”. — Traduction officielle de 1970.
La traduction exacte de Philippiens 2:6
De l’aveu général, Philippiens 2:5, 6 est un passage difficile à traduire. Cependant, cela ne suffit pas pour expliquer pourquoi, pour citer un journal français, “toutes les traductions [catholiques françaises] affirment clairement l’égalité du Christ avec son Père”. (L’Aurore, 29 mars 1971.) Il s’agit là, semble-t-il, d’un cas flagrant de traduction tendancieuse. Par exemple, la Bible de Jérusalem rend Philippiens 2:6 comme suit : “Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu.” Cependant, une note au bas de la page dit : “Litt. ‘il ne regarda pas l’état d’égalité avec Dieu comme une proie’ (...) à saisir.” Or, les deux traductions ont un sens opposé. Si cette dernière est la signification littérale du grec, pourquoi la reléguer au bas de la page dans une petite note ?
André Feuillet lui-même critique les traductions de ces bibles. Dans un article traitant de Philippiens 2:6-11 et destiné à défendre la doctrine de la Trinité, il écrit : “La traduction de la Bible de Jérusalem : le Christ ‘ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu’ est, elle aussi, sujette à caution. Elle attribue, en effet, au substantif harpagmos une acception qu’il est assez difficile de justifier. Le verbe harpazein veut dire ‘saisir violemment’, ‘s’emparer’ d’une chose qu’on ne possède pas encore [c’est nous qui soulignons]. (...) Aujourd’hui la grande majorité des commentateurs entendent harpagmos au sens de ‘butin’ ou de ‘proie’ à conquérir.” (Esprit et Vie, 17 décembre 1970, page 739). Dans le même ordre d’idées, le commentaire de la Bible de Pirot et Clamer, importante traduction catholique, sur Philippiens 2:6, fait cet aveu : “Plusieurs modernes, Baur, Deissmann, Holtzmann, Loisy, Sabatier, (...) présentent l’égalité avec Dieu comme une ambition dont le Christ aurait eu ou aurait pu avoir la pensée, à la manière des éons gnostiques, et dont il se défendit.” — Tome XII, page 88.
Il est intéressant de noter qu’en 1950 déjà, Les Écritures grecques chrétiennes — Traduction du monde nouveau, publiées par les témoins de Jéhovah, rendaient Philippiens 2:5, 6 comme suit : “Gardez cette attitude mentale qui était aussi en Christ Jésus qui, bien qu’existant en forme de Dieu, ne songea pas à une usurpation à savoir qu’il fût égal à Dieu.” Cette traduction, qui est en harmonie avec l’exégèse moderne et les connaissances actuelles du grec koïnê, est confirmée par les versions françaises hautement respectées de Segond, de Darby, et de Goguel et Monnier, ainsi que par la Revised Standard Version (approuvée en 1965 par le pape pour l’usage des catholiques d’expression anglaise), la New English Bible et An American Translation.
Le passage de Philippiens 2:6, traduit correctement, montre donc que le Fils, bien qu’il fût en forme de Dieu en ce sens qu’il était esprit tout comme “Dieu est Esprit”, ne se considérait pas comme l’égal de son Père et n’a jamais songé à usurper la position de Dieu. Au contraire, il a manifesté sa soumission à Dieu comme à un Supérieur en s’humiliant sous sa main toute-puissante d’une humiliation suprême, se montrant obéissant jusqu’à la mort sur un poteau de torture. C’est pourquoi Dieu l’exalta à une position supérieure (mais non la plus élevée) afin que toute langue reconnaisse que Jésus-Christ est Seigneur “à la gloire de Dieu le Père”. — Jean 4:24 ; Phil. 2:5-11.
Il est donc évident que si l’Église catholique n’avait pas adopté la conception païenne de la trinité et si les bibles catholiques avaient traduit fidèlement le texte grec de Philippiens 2:6, la querelle du dimanche des Rameaux n’aurait pas eu lieu.
Catholiques sincères, si vous êtes las des disputes qui divisent votre Église et si vous désirez ardemment ‘absorber la connaissance de Jéhovah, le seul vrai Dieu, et de celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ’, acceptez l’aide de la personne qui vous a laissé ce périodique, ou écrivez aux éditeurs de Réveillez-vous ! Faites-le sans tarder, car la connaissance véritable ‘signifie pour vous la vie éternelle’. — Jean 17:3.
[Illustrations, page 3]
INCIDENTS À NOTRE-DAME
DISCORDE AUTOUR DE L’ÉPÎTRE DU DIMANCHE DES RAMEAUX
LE MONDE — 6 avril 1971 — Page 11
RELIGION
La nouvelle traduction d’une épître de saint Paul a provoqué des incidents dans plusieurs églises
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Que penser des études supérieures ?Réveillez-vous ! 1971 | 22 septembre
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Que penser des études supérieures ?
DANS le passé la plupart des gens pensaient que le meilleur moyen de s’assurer le succès et le bonheur était de faire des études supérieures. Aujourd’hui cependant, nombreux sont ceux qui commencent à avoir des doutes à ce sujet.
En ce qui concerne la cause de ce changement d’attitude, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Moins évidents il y a quelques dizaines d’années, ils ont pris aujourd’hui une telle importance que dans beaucoup de pays l’enseignement supérieur traverse une crise.
L’une des études les plus détaillées des problèmes qu’affronte l’enseignement a été effectuée dernièrement par la Carnegie Corporation des États-Unis. Charles Silberman, rédacteur et ancien professeur, qui a participé à cette étude, déclara : “Lorsque nous avons commencé nos travaux, je pensais que les critiques les plus acerbes des écoles exagéraient les faits. Aujourd’hui, je pense qu’elles les amoindrissaient.”
Des cours inadéquats
On a beaucoup critiqué, entre autres, le programme d’études de nombreux établissements d’enseignement supérieur. Certains enseignants sont d’avis que très souvent les cours ne préparent pas les étudiants à la profession qu’ils ont choisie ni même à la vie en général.
La formation des enseignants, par exemple, est un élément fondamental du système d’éducation. Concernant ce domaine d’importance capitale, M. Silberman écrit : “Tous les enseignants que j’ai rencontrés dans les banlieues de classe moyenne estiment que leur formation est loin d’être adéquate. La plupart d’entre eux sont du même avis que Seymour Sarason de l’université Yale, qui déclara que ‘le programme et les techniques utilisés pour la formation des enseignants n’ont aucun rapport avec la tâche qui les attend’.”
On adresse la même critique à d’autres domaines de l’éducation également. Trop souvent les cours n’ont guère de rapport avec la profession que l’étudiant a choisie. Aussi de nombreux enseignants estiment-ils que l’on devrait insister sur la façon d’apprendre plutôt que sur l’acquisition de connaissances qui ne seront jamais utilisées. Cela exige toutefois une habileté considérable de la part des enseignants, et comme le rapport Carnegie le révèle, ceux-ci reconnaissent qu’ils sont mal préparés à leur tâche.
La question est encore compliquée par le fait que l’enseignant moyen a de moins en moins l’occasion d’accorder aux élèves ou aux étudiants l’attention individuelle dont ils ont besoin. À ce sujet on a dit : “Dans les immenses universités modernes, l’individu est noyé dans la masse. L’époque où les professeurs avaient de petites classes et pouvaient s’entretenir par questions et réponses avec une douzaine d’étudiants à la fois, est révolue. Les établissements d’enseignement sont surpeuplés. Les classes sont grandes, les campus sont aussi encombrés que les rues des grandes villes, les dortoirs sont trop exigus
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