États-Unis d’Amérique (2e partie)
LES ENNEMIS SE RÉJOUISSENT
L’incarcération de ces témoins chrétiens de Jéhovah était pour ainsi dire un coup mortel, qui réjouissait et soulageait leurs ennemis. Les paroles suivantes de Révélation 11:10 s’étaient accomplies : “Et ceux qui habitent sur la terre se réjouissent à leur sujet et se divertissent, et ils s’enverront des présents les uns aux autres, car ces deux prophètes tourmentaient ceux qui habitent sur la terre.” Les ennemis de ces “deux témoins”, qu’ils soient politiques, militaires ou de la magistrature, se sont ‘envoyé des présents’ les uns aux autres en ce sens qu’ils se félicitèrent mutuellement du rôle qu’ils avaient joué dans la victoire sur leurs tourmenteurs.
Dans son livre Preachers Present Arms, Ray Abrams analysa le jugement de Rutherford et de ses associés et fit cette remarque :
“Une analyse du procès nous amène à la conclusion que les Églises et le clergé ont été à l’origine de l’action entreprise pour écraser les Russellistes. (...)
“Quand les éditeurs de la presse religieuse ont appris les différentes condamnations à vingt ans, presque tous, grands et petits, se sont réjouis. Je n’ai trouvé aucune parole de sympathie dans l’un quelconque des journaux religieux. ‘Il n’y a pas de doute, a conclu Upton Sinclair, que la persécution (...) est due en partie au fait que [les Russellistes] se sont attiré la haine des grandes Églises.’ Là où les efforts conjugués des Églises ont échoué, le gouvernement semble avoir réussi, écrasant éternellement pour elles ces ‘prophètes de Baal’.”
OPTIMISTES MALGRÉ LA ‘CAPTIVITÉ BABYLONIENNE’
De 607 à 537 avant Jésus Christ, les Juifs ont langui en captivité dans la Babylone antique. Pareillement, les adorateurs de Jéhovah, oints de l’esprit saint, ont été exilés et ont subi la captivité babylonienne durant la Première Guerre mondiale, de 1914 à 1918. Ils ont particulièrement ressenti cet esclavage lorsque les huit frères fidèles du siège de la Société ont été incarcérés à la prison fédérale d’Atlanta.
Néanmoins, pendant toute cette période difficile, pas un numéro de La Tour de Garde n’a manqué de paraître. Un comité de rédaction dûment nommé a veillé à la diffusion du périodique. De plus, au sein des tribulations endurées à cette époque, les fidèles Étudiants de la Bible ont eu une conduite exemplaire. Frère Sullivan dit : “J’ai eu le privilège de visiter le Béthel de Brooklyn à la fin de l’été 1918, alors que les frères étaient emprisonnés. Ceux à qui avait été confiée la direction de l’œuvre au Béthel n’étaient en aucune façon craintifs ou abattus. En fait, c’était plutôt l’inverse. Ils étaient optimistes et convaincus que Jéhovah accorderait finalement la victoire à son peuple. J’ai eu le privilège de me trouver à la table du Béthel le lundi matin, lorsque les frères qui avaient été envoyés durant le week-end dans les congrégations ont présenté leur rapport. La situation était très bonne. Dans tous les cas, les frères étaient confiants et s’en remettaient à Jéhovah qui dirigerait leurs activités futures.”
Fait intéressant, un matin, après le jugement de frère Rutherford et de ses associés, frère Barber reçut un appel téléphonique de Rutherford lui demandant d’aller à la gare Pennsylvania de New York, où lui-même et les autres frères attendaient depuis plusieurs heures un rapide pour Atlanta. Sans perdre un instant, frère Barber et quelques autres se sont rendus à la gare. Là, frère Rutherford leur dit que dans le cas où les frères du siège subiraient de trop fortes pressions de la part de la police, ils devraient vendre le Béthel et le Tabernacle de Brooklyn, et s’installer soit à Philadelphie, à Harrisburg ou à Pittsburgh, puisque la Société Watch Tower était enregistrée en Pennsylvanie. Il suggéra que le Béthel soit vendu pour 60 000 dollars et le Tabernacle pour 25 000 dollars.
Comment les choses se sont-elles passées ? Les frères nommés responsables ont rencontré de nombreux problèmes, tels que la pénurie de papier et de charbon. Le patriotisme était exalté et beaucoup considéraient injustement les témoins chrétiens de Jéhovah comme des traîtres. À Brooklyn, on manifestait beaucoup d’animosité à l’égard de la Société, à tel point qu’il paraissait impossible de continuer à diriger l’œuvre à partir de là. Par conséquent, le comité exécutif nommé pour diriger le siège consulta d’autres frères, et il fut décidé qu’il était préférable de vendre le Tabernacle de Brooklyn et de fermer le Béthel. Pour autant que frère Barber s’en souvienne, le Tabernacle a finalement été vendu pour 16 000 dollars. Puis, toutes les dispositions nécessaires ont été prises, à l’exception du transfert de fonds, pour vendre le Béthel au gouvernement. Mais l’armistice a entravé la transaction, et la vente n’a jamais été réalisée.
Néanmoins, le 26 août 1918, les bureaux de la Société ont été transférés de Brooklyn, dans l’État de New York, à Pittsburgh, en Pennsylvanie. ‘Quand j’y pense, dit Hazel Erickson, je me rends compte que malgré leur accablement dû à l’emprisonnement des frères, les Étudiants de la Bible n’ont jamais cessé de prêcher. Tout au plus prenaient-ils davantage de précautions.’ Sœur Dixon se souvient que “la foi de tous nos amis était forte et que les réunions se tenaient régulièrement”. Les témoins chrétiens de Jéhovah ne cessaient de manifester leur foi en Dieu. Certes, ils étaient dans le creuset de l’épreuve et de la persécution, mais l’esprit saint de Dieu reposait sur eux. S’ils enduraient fidèlement, Dieu les arracherait à leurs persécuteurs et les délivrerait de leur ‘captivité babylonienne’.
EN PRISON PENDANT PLUSIEURS MOIS
C’est au milieu de l’année 1918 que Rutherford et ses sept compagnons ont été incarcérés à la prison fédérale d’Atlanta, en Georgie. Une lettre écrite le 30 août 1918 par frère Macmillan nous renseignera sur les conditions de détention. Une copie de cette lettre qui nous a été remise par Melvin Sargent dit entre autres :
“Tu seras certainement heureux de connaître notre situation en prison. Voici brièvement relatés quelques faits relatifs à notre vie ici. Frère Woodworth et moi partageons la même cellule, qui est bien aérée et convenablement éclairée. Elle fait 3 mètres de long sur 1,80 m de large et 2,10 m de haut, et comprend deux couchettes sur lesquelles il y a un matelas de paille, deux draps, des couvertures et des oreillers ; nous avons aussi deux chaises, une table, des serviettes de toilette et du savon en quantité plus que suffisante, et une armoire pour y ranger nos affaires de toilette. (...)
“Tous les frères travaillent ensemble à l’atelier de confection. C’est une pièce de 18 mètres sur 12 mètres, bien aérée et bien éclairée. Frère Woodworth et moi, nous faisons des boutonnières et cousons des boutons sur les chemises et les vestes que portent les prisonniers. Frères Van Amburgh, Robison, Fisher, Martin et Rutherford aident à la confection des vestes et des pantalons. Une centaine d’hommes environ travaillent dans ce service. De ma place, j’aperçois tous les frères, et je puis t’assurer qu’il est amusant de voir frère Van Amburgh devant sa machine en train d’assembler le devant et le derrière d’un pantalon. (...) Quant à frère Rutherford, il a presque renoncé à savoir un jour assembler une veste. Je ne crois pas qu’il soit parvenu à en monter une, bien qu’il y travaille déjà depuis trois semaines. À le voir, il semble occupé, mais en réalité je pense qu’il passe la plus grande partie de son temps à essayer d’enfiler une aiguille. [Un gardien s’est montré si déraisonnable vis-à-vis de lui que d’autres prisonniers ont pris la veste et l’ont terminée. Finalement, frère Rutherford a été transféré à la bibliothèque, où il est davantage dans son élément.] (...)
“Dès que nous regagnons notre cellules après souper, nous lisons les journaux de l’après-midi. Puis, pendant une heure, six ou sept prisonniers, quiconque le désire, peuvent jouer de la musique avec les instruments qu’ils possèdent. Quelle cacophonie ! Je pense que tous les instruments sont représentés, à l’exception de la harpe des Juifs ; j’ai donc l’intention de m’en procurer une, car c’est le seul instrument dont je sache jouer, excepté la harpe à dix cordes. Pendant cette heure récréative que frère Woodworth appelle ‘l’enfer de Dante’, nous jouons aux dominos. Après cela, nous lisons les Aurores ou la Bible jusqu’à 22 heures, heure à laquelle toutes les lumières doivent être éteintes. Le lendemain nous suivons le même programme, et ainsi jusqu’au samedi. Le samedi après-midi, tous les pensionnaires sortent dans la cour. Un match de base-ball est organisé et très bien joué d’ailleurs ; les hommes le suivent avec beaucoup d’intérêt. En ce qui me concerne, je passe généralement l’après-midi à jouer au tennis. Les autres frères bavardent tout en se promenant. Les hommes des différentes classes forment de petits groupes — anarchistes, socialistes, faussaires, trafiquants d’alcool, pro-allemands, caissiers de banque, avocats, pharmaciens, médecins, voleurs expérimentés, cambrioleurs, ministres du culte (ils sont plus nombreux qu’on ne le pense), etc., etc., etc. L’orchestre de la prison exécute également plusieurs œuvres au cours de l’après-midi.”
Les huit Étudiants de la Bible emprisonnés ont eu l’occasion de prêcher la bonne nouvelle du Royaume aux autres détenus. Le dimanche matin, tous les prisonniers étaient tenus d’assister à un service religieux, et ceux qui le désiraient pouvaient y rester pour profiter des cours de l’école du dimanche. Nos huit frères ont créé une classe pour l’étude et la fréquentation fraternelle. Avec le temps, d’autres détenus se sont joints à eux, et les frères ont enseigné la classe à tour de rôle. Certains membres du personnel pénitentiaire sont même venus écouter. L’intérêt a grandi au point que l’auditoire s’est élevé à quatre-vingt-dix personnes.
Le pouvoir transformateur de la vérité de Dieu a eu un profond effet sur quelques détenus. L’un d’eux a fait ce commentaire : “Je suis âgé de soixante-douze ans, et il a fallu que je sois emprisonné pour entendre parler de la vérité. C’est pour cela que je suis heureux d’avoir été mis en prison. Pendant cinquante-sept ans j’ai questionné les ministres du culte sans jamais recevoir une réponse valable. À chacune des questions que j’ai posées à ces hommes [les Étudiants de la Bible emprisonnés], j’ai obtenu une réponse satisfaisante.”
La grippe espagnole faisant des ravages à ce moment-là, les cours de l’école du dimanche ont pris fin. Toutefois, juste avant que les huit Étudiants de la Bible ne soient libérés de la prison d’Atlanta, tous les groupes qu’ils avaient instruits ont été réunis, et frère Rutherford leur a parlé pendant environ quarante-cinq minutes. Certains responsables de l’administration pénitentiaire étaient présents et de nombreux détenus ont versé des larmes de joie à l’idée que les humains seraient un jour libérés grâce au Royaume. Lorsqu’ils sont partis, les Étudiants de la Bible ont laissé en prison un petit groupe qui est demeuré fidèle.
TÉMOIGNAGES DE CONFIANCE
L’armistice fut signé le 11 novembre 1918. La Première Guerre mondiale avait pris fin. Or, nos huit Étudiants de la Bible se trouvaient toujours en prison. Ils y étaient encore quand leurs compagnons dans la foi tinrent une assemblée à Pittsburgh, du 2 au 5 janvier 1919. C’est durant cette assemblée que devait avoir lieu la très importante réunion annuelle de la Société Watch Tower, le samedi 4 janvier 1919.
Rutherford n’ignorait pas qu’à l’occasion de cette réunion les adversaires au sein de l’organisation n’hésiteraient pas à les remplacer, lui et les autres administrateurs, par des hommes de leur choix. Or, ce samedi-là, le 4 janvier, Macmillan faisait une partie de tennis dans l’enceinte de la prison. Rutherford s’avança vers lui et, selon Macmillan, voici quelle fut leur conversation :
“Rutherford m’a dit : ‘J’aimerais te parler.’
“‘À quel sujet ?’
“‘Je voudrais t’entretenir de ce qui se passe à Pittsburgh.’
“‘Laisse-moi d’abord terminer la partie.’
“‘Alors, ça ne t’intéresse donc pas, tout ce qui se passe ? Ne sais-tu pas que c’est aujourd’hui qu’on va élire les administrateurs ? Il se pourrait fort bien que tu ne sois pas réélu et, alors, ce n’est pas demain qu’on sera sorti d’ici.’
“‘Frère Rutherford, lui ai-je répondu, laisse-moi te dire une chose à laquelle tu n’as peut-être pas pensé. C’est la première fois depuis que la Société a été constituée qu’il est possible de voir nettement qui Jéhovah veut pour président.’
“‘Que veux-tu dire ?’
“‘Eh bien, je veux dire que frère Russell détenait la majorité des voix et c’est donc lui qui nommait les administrateurs. Et maintenant que nous autres, nous ne sommes apparemment plus en fonction, les choses ont changé. Par contre, si jamais nous sortions d’ici à temps pour nous rendre à l’assemblée et assister à cette réunion, il est à peu près certain que tout le monde serait d’accord pour que nous prenions la place de Russell, avec les mêmes honneurs que ceux qu’il a reçus. Cela aurait alors l’air d’être l’œuvre de l’homme et non de Dieu.’
“Rutherford s’en retourna, tout songeur.”
Ce jour-là fut un jour mémorable à Pittsburgh. “Quand sonna l’heure de la réunion, la tension était grande, nous a dit Mary Hannan, qui s’en souvenait. Nous avions remarqué la présence de gens de l’opposition. Ils espéraient faire élire leur homme.”
On donna lecture d’une lettre de frère Rutherford. Il adressait à l’assistance ses salutations et l’expression de son amour et rappelait que les armes principales de Satan sont l’orgueil, l’ambition et la crainte. Manifestant le désir de se soumettre à la volonté de Jéhovah, il proposait humblement plusieurs hommes qualifiés, au cas où l’on élirait d’autres administrateurs de la Société.
La discussion se poursuivait depuis pas mal de temps, quand frère Sexton prit la parole et dit :
“Je viens d’arriver. Mon train a eu quarante-huit heures de retard, à cause de la neige. J’ai quelque chose à dire et, pour ma satisfaction personnelle, je préfère le dire tout de suite. Mes chers frères, je suis venu ici, tout comme vous autres, avec certaines idées en tête, pour et contre. Disons, avec tout le respect que l’on doit à nos amis du monde juridique, que nous nous sommes adressés à d’autres avocats encore. Comme j’ai pu le constater, ils ressemblent beaucoup aux médecins. En effet, il leur arrive, à eux aussi, de se contredire. Toutefois j’ose croire que ce que je vais dire concordera en tous points avec ce qu’ils ont dit. Il n’y a pas d’obstacle juridique. Si nous voulons réélire nos frères du Sud à telles ou telles fonctions qui leur conviennent, je ne vois pas, à en juger par tous les avis qui m’ont été donnés, comment cette réélection pourrait en aucune manière peser sur la tournure que peut prendre leur affaire devant le Tribunal fédéral ou devant le public.
“À mon avis, le plus grand compliment que l’on puisse faire à notre cher frère Rutherford, ce serait de le réélire comme président de la Watch Tower Bible and Tract Society. Je ne crois pas qu’il y ait doute quelconque dans l’esprit du public quant à notre position sur ce point. Si nos frères ont pu théoriquement tomber sous le coup d’une loi qu’ils ne comprenaient pas, nous savons que leurs mobiles sont purs. Et devant le Dieu Tout-Puissant ils n’ont jamais violé aucune loi divine ni aucune loi humaine. Nous ferions preuve d’une très grande confiance en réélisant frère Rutherford comme président de l’Association.
“Je ne suis pas avocat, mais lorsqu’il s’agit de légalité, je peux parler en connaissance de cause de la loi des hommes loyaux. La loyauté est une exigence divine. Je ne vois pas comment nous pourrions manifester une confiance plus grande qu’en ayant une élection et en réélisant frère Rutherford comme président.”
Il y eut la présentation des candidats. On passa au vote et Rutherford fut élu comme président, Wise comme vice-président et Van Amburgh comme secrétaire-trésorier. Se reportant à l’époque, Anne Gardner a dit : “À l’issue de la réunion, on était profondément heureux de voir de nouveau que Jéhovah dirigeait invisiblement son peuple.”
Transportons-nous maintenant à la prison d’Atlanta. On est le dimanche 5 janvier 1919. Rutherford frappe quelques coups au mur de la cellule de Macmillan et dit : “Sors ton bras !” Il lui passe alors un télégramme. Que disait-il ? Que Rutherford avait été réélu comme président. Ce même jour, mais un peu plus tard, frère Rutherford dit encore à Macmillan : “J’aimerais te dire quelques mots. Hier tu m’as dit quelque chose qui me travaille l’esprit. D’après toi, si nous étions allés à Pittsburgh, nous aurions été installés à la place de Russell et nous aurions influencé l’élection, et le Seigneur, lui, n’aurait pas eu l’occasion de montrer qui il voulait. Eh bien, frère, si jamais je sors d’ici, par la grâce de Dieu j’extirperai le culte de la créature. Je prendrai aussi le couteau de la vérité et je lui mettrai les tripes à l’air, à la vieille Babylone ! Ils nous ont fourré ici, mais on en sortira.” Rutherford ne plaisantait pas. Il a tenu parole. Depuis le jour de sa libération jusqu’à l’heure de sa mort, au début de 1942, il a démasqué sans trêve la méchanceté de la fausse religion.
ON CHERCHE À OBTENIR LEUR LIBÉRATION
En février 1919, certains journaux du pays commencèrent à travailler l’opinion publique pour qu’on remette en liberté Rutherford et ses compagnons. Les Étudiants de la Bible adressèrent des milliers de lettres à des directeurs de journaux, des membres du Congrès, des sénateurs et des gouverneurs, les pressant d’intervenir en faveur des huit chrétiens incarcérés. Parmi les destinataires de ce flot de requêtes, beaucoup se déclarèrent pour la mise en liberté et laissèrent entendre qu’ils ne s’en tiendraient pas là.
Par exemple, dans une lettre, un membre du Congrès, M. Saunders, écrivait ceci : “J’accuse réception de votre lettre au sujet de l’affaire des Étudiants de la Bible actuellement emprisonnés à Atlanta. J’ai l’honneur de vous faire savoir que je suis pour la grâce de ces hommes et que je m’associerai très volontiers à toute recommandation à cet effet. Ces gens ne sont pas des criminels, dans le sens usuel du mot, même si théoriquement ils ont pu tomber sous le coup de la loi. La guerre est finie et nous devrions nous appliquer à en chasser l’image le plus vite possible.” Et Henry Kiel, maire de Saint Louis, a écrit à Woodrow Wilson, Président des États-Unis, en ces termes : “Permettez-moi de joindre ma requête personnelle à toutes celles qui vous sont parvenues et qui demandent que Monsieur Rutherford et ses amis, de l’Association internationale des Étudiants de la Bible, soient mis en liberté provisoire en attendant que les instances supérieures aient définitivement statué sur leur sort ; et que, si possible, ils soient graciés.”
En mars 1919, on tenta de nouveau d’obtenir la mise en liberté de frère Rutherford et de ses compagnons. On fit circuler dans tout le pays une pétition qui recueillit 700 000 signatures. Ce fut la plus grande pétition de l’époque. Elle ne fut jamais présentée au Président Wilson ni au gouvernement parce que, entre-temps, une mesure avait été prise pour que fussent libérés les huit Étudiants de la Bible. Mais la pétition fut un grand témoignage.
À propos de l’activité liée à la pétition, voici ce que dit sœur Arthur Claus : “Naturellement, nous étions reçus de façon très variable. Certains signaient volontiers et nous pouvions donner le témoignage, tandis que d’autres se montraient hostiles et disaient : ‘Qu’ils y restent et y pourrissent !’ Cette activité aurait pu être humiliante, mais nous sentions que l’esprit de Jéhovah nous dirigeait. Nous y prenions donc plaisir et nous avons persévéré jusqu’au bout.”
REMIS EN LIBERTÉ
Le 2 mars 1919, celui qui avait présidé lors de leur procès, le juge de district fédéral Harland Howe, envoya un télégramme au procureur général Gregory de Washington. Il lui recommandait la “commutation immédiate” des peines qui avaient été infligées aux huit Étudiants de la Bible. Quant à Gregory, il avait envoyé un télégramme à Howe. Il voulait que ce soit lui qui fasse ce geste. Il semble bien que cette mesure a été prise parce que les frères incarcérés avaient fait appel. Or ni le procureur général ni Howe ne voulaient voir les instances supérieures se saisir de l’affaire. (Les huit frères se trouvaient en prison alors qu’ils étaient en instance d’appel, et cela uniquement parce que le juge Howe et par la suite le juge Manton avaient refusé leur mise en liberté provisoire.) La lettre que le juge Howe adressa le 3 mars 1919 au procureur général est fort intéressante. En voici la teneur :
“L’honorable Procureur général,
Washington, D.C.
“Cher Monsieur,
“En réponse à votre télégramme du 1er courant, je vous ai envoyé ce soir la dépêche suivante :
“‘Recommande commutation de peine immédiate pour Joseph Rutherford, William Van Amburgh, Robert Martin, Fred Robison, George Fisher, Clayton Woodworth, Giovanni DeCecca, Hugh Macmillan. Ils étaient tous accusés dans le même procès du District est de New York. J’estime qu’il faut nous montrer généreux à présent que la guerre est finie. Ils ont causé beaucoup de tort en prêchant et en diffusant leurs doctrines religieuses.’
“Tous les accusés ont été condamnés à la peine sévère de vingt ans, à l’exception de DeCecca qui a reçu dix ans. Je tenais surtout à faire un exemple qui serve de leçon aux autres et je ne doutais pas que le Président les gracierait une fois la guerre terminée. Comme je l’ai dit dans mon télégramme, ils ont causé beaucoup de tort et on serait même justifié à les garder plus longtemps. Mais comme ils ne pourront plus causer de tort maintenant, j’estime qu’il faut se montrer aussi clément que j’ai été sévère en les condamnant. À mon avis, la plupart d’entre eux, sinon tous, sont sincères, et, selon moi, il ne faut pas garder ces gens en prison, puisqu’ils n’ont plus l’occasion de faire de l’agitation. Leur affaire n’est pas encore venue devant la cour d’appel de la circonscription.
“Respectueusement,
(signé) Harland Howe,
Juge de district des États-Unis.”
Le 21 mars 1919, le juge Louis Brandeis, de la Cour suprême des États-Unis, ordonna la mise en liberté provisoire des huit frères et prescrivit de leur accorder le droit à un jugement en appel le 14 avril de la même année. On les relâcha promptement. Le mardi 24 mars ils quittèrent la prison d’Atlanta et prirent le train. Quand ils furent de retour à Brooklyn, le 26 mars, les autorités fédérales les mirent en liberté provisoire moyennant une caution de 10 000 dollars chacun, en attendant un nouveau jugement.
JOYEUX RETOUR
“Grande fut la joie des frères quand ils apprirent leur mise en liberté et tous étaient là pour les accueillir”, a déclaré Louise Paash, qui a ajouté : “Ils ont promptement organisé un grand banquet au Béthel de Brooklyn. Je me souviens que mon père s’est rendu à Brooklyn pour aider à préparer les chambres et avoir lui aussi la joie d’accueillir les frères.”
Ce furent là de bons moments. Mabel Haslett écrit ceci : “Je me souviens d’avoir fait une centaine de beignets que les frères semblaient aimer beaucoup. (...) Je revois encore frère Rutherford en prendre quelques-uns. Ce fut un moment inoubliable quand ses compagnons et lui racontèrent tout ce qu’ils avaient vécu. Je me souviens aussi de frère DeCecca, qui était de petite taille. Je le revois debout sur une chaise pour que tout le monde puisse le voir et l’entendre.” Giusto Battainon raconte ceci : “On nous a servi du poulet, mais nous étions si nombreux qu’il a fallu manger debout. Quelle joie que d’entendre les frères raconter ce qui leur était arrivé ! (...) Entre autres choses, frère DeCecca a dit : ‘Plus grandes sont les difficultés, plus grandes sont les bénédictions.’ Et vraiment je voyais que Jéhovah bénissait abondamment son peuple.”
Le soir du 1er avril 1919, un autre banquet fut offert aux frères libérés, cette fois par le personnel du bureau de la Watch Tower, à l’hôtel Chatham de Pittsburgh. Voici ce qu’a rapporté Sullivan : “Elle ne connaissait pas de limites, la joie qui gagna le peuple de Jéhovah quand nos frères quittèrent la prison fédérale d’Atlanta, le 25 mars 1919. (...) Leur attachement à Jéhovah se vit encore dans le fait qu’ils se mirent aussitôt au travail pour faire connaître au peuple de Dieu en tous lieux la délivrance de Jéhovah, grâce au congrès de Cedar Point, celui de 1919.”
TOUT À FAIT DISCULPÉS
L’affaire des huit Étudiants de la Bible devait être jugée en appel le 14 avril 1919. Ils comparurent devant la cour d’appel du deuxième district fédéral, à New York. Le 14 mai 1919, leurs condamnations, injustes, furent annulées. Ce jour-là présidaient les juges Ward, Rogers et Manton. Voici ce que déclara le juge Ward dans le jugement qui fut rendu, quand il renvoya l’affaire à plus tard pour un nouveau procès : “Dans cette affaire, les défendeurs n’ont pas été jugés avec modération et impartialité, ce à quoi ils avaient droit ; c’est pour cette raison que le jugement précédent a été cassé.”
Le juge Martin Manton n’était évidemment pas d’accord. Le 1er juillet 1918, ce juge catholique, sans donner aucune raison, avait refusé de mettre en liberté provisoire Rutherford et ses compagnons, ce qui eut pour conséquence une détention injuste de neuf mois, alors qu’ils étaient en instance d’appel. À propos, le juge Manton fut fait par la suite, par le pape Pie XI, “chevalier de l’ordre de St-Grégoire le Grand”. Mais le mépris que Manton avait pour la justice devait finalement devenir manifeste. Le 3 juin 1939, il fut condamné à la peine maximum de deux ans de prison, plus une amende de 10 000 dollars, pour avoir honteusement abusé de ses fonctions de juge fédéral en acceptant des dons d’un montant de 186 000 dollars pour six jugements.
Ainsi le 14 mai 1919 les condamnations qui avaient été injustement infligées aux huit Étudiants de la Bible furent annulées. Cela voulait dire qu’ils étaient libres, à moins que le gouvernement décide d’engager de nouvelles poursuites. Mais la guerre était finie et les autorités comprirent que, vu les faits, il serait impossible d’obtenir une condamnation. Aussi, en plein tribunal de Brooklyn, le 5 mai 1920, l’avocat du gouvernement annonça la cessation des poursuites. L’accusation fut abandonnée par acte de nolle prosequi (abandon des poursuites). C’est ainsi que ces huit chrétiens, victimes d’un jugement injuste, furent tout à fait innocentés.
Le jugement ayant été annulé et l’accusation abandonnée, Rutherford et ses sept compagnons étaient complètement blanchis. Il en est qui ont parlé du juge Rutherford comme d’un “ancien détenu”, mais sans aucune raison. Le jugement du 14 mai 1919 établit nettement que lui et ses compagnons avaient été emprisonnés sur une accusation illégale. Que frère Rutherford n’était pas considéré comme un ancien détenu, on en a la preuve dans le fait que plus tard il plaida comme avocat devant la Cour suprême des États-Unis, ce qui eût été impossible à un ancien détenu. Vingt ans plus tard, soit en automne 1939, les neuf juges de la Cour suprême écoutèrent sa plaidoirie dans l’affaire Schneider contre New Jersey. La Cour rendit, par 8 voix contre 1, un jugement en faveur du client de Rutherford, Clara Schneider, une dame témoin de Jéhovah.
Au cours des années décisives de 1918 et 1919, le peuple de Jéhovah dut affronter de grandes difficultés. Mais avec l’aide de Dieu, il endura (Rom. 5:3-5). Satan, malgré ses armes, n’avait pas réussi à fermer la bouche de ceux qui chantaient les louanges de Dieu. Combien était juste donc le texte annuel pour 1919 : “Toute arme forgée contre toi sera sans effet (...). Tel est l’héritage des serviteurs de l’Éternel.” — És. 54:17, Bible Segond.
PERSPECTIVE NOUVELLE
Après la période d’épreuve 1917-1919, le peuple de Jéhovah s’examina. Comprenant qu’il n’avait pas toujours suivi des voies divinement approuvées, il chercha par la prière à se faire pardonner, car il se repentait de sa conduite antérieure. Cela lui a valu le pardon et la bénédiction de Jéhovah. — Prov. 28:13.
L’un des compromis avait consisté à amputer le livre Le mystère accompli de plusieurs pages, afin de plaire à ceux qui s’étaient arrogé le droit de censurer. Un autre compromis eut lieu quand on publia dans La Tour de Garde du 1er juin 1918 les lignes suivantes : “Conformément à la résolution du Congrès du 2 avril et à la proclamation du Président des États-Unis, celle du 11 mai, il est demandé au peuple du Seigneur en tous lieux de faire du 30 mai une journée de prières et de supplications.” Les commentaires qui suivaient faisaient l’éloge des États-Unis et étaient inconciliables avec la neutralité chrétienne. — Jean 15:19 ; Jacq. 4:4.
Pendant la Première Guerre mondiale, il se posa parmi les Étudiants de la Bible des questions sur l’attitude à adopter vis-à-vis du service militaire. Il en est qui refusèrent toute forme de service, tandis que d’autres acceptèrent de servir comme non-combattants. Et les bons de la défense nationale ? Fallait-il en acheter ? Ceux qui n’en achetaient pas étaient parfois l’objet de persécutions et se faisaient même brutaliser. Quand les serviteurs de Jéhovah de notre temps considèrent le programme et les activités des nations, ils se conforment aux principes bibliques énoncés en Ésaïe 2:2-4 qui conclut en disant : “Et ils devront forger leurs épées en socs de charrue et leurs lances en cisailles à émonder. Une nation ne lèvera pas l’épée contre une nation, et ils n’apprendront plus la guerre.”
Une perspective nouvelle, voilà ce qui s’ouvrait devant le peuple de Jéhovah au seuil des années 1920. Il avait traversé des années difficiles, mais les disciples oints du Christ, les “deux témoins” symboliques, avaient repris vie spirituellement et étaient prêts à l’action. Comment cela s’était-il fait ? Que s’était-il passé dans les mois qui suivirent la mise en liberté de frère Rutherford et de ses huit compagnons ?
D’EXCELLENTS RÉSULTATS
Quand Rutherford est sorti de prison, il avait l’esprit préoccupé par une importante question : Quel intérêt porte-t-on au message du Royaume ? C’était un homme malade et il n’aurait pas été étonnant de le voir s’occuper en premier lieu de sa santé, mais il voulait à tout prix connaître la réponse à cette question importante.
À la prison d’Atlanta, Rutherford et Van Amburgh se trouvaient dans la même cellule. Or, par suite d’une ventilation défectueuse, il n’y avait pas de circulation d’air dans leur cellule. Insuffisamment alimentés en oxygène, leurs organismes s’intoxiquèrent. C’est là d’ailleurs que frère Rutherford fut atteint aux poumons pour le reste de ses jours. Peu après sa mise en liberté il fit une pneumonie. Il fut si malade qu’on se demanda s’il en réchapperait. Étant donné son état et comme il avait de la famille en Californie, il se rendit dans cette région.
Voulant savoir à quel point on s’intéressait au message du Royaume, frère Rutherford prit les dispositions nécessaires en vue de tenir une réunion publique au Clune’s Auditorium de Los Angeles, le dimanche 4 mai 1919. Dans les nombreuses annonces qu’il fit paraître dans la presse, il promettait d’expliquer dans son discours pourquoi les administrateurs de la Société Watch Tower avaient été condamnés illégalement.
Le clergé de la ville pensait qu’on en avait fini avec les Étudiants de la Bible et la Société et que personne ne viendrait au discours qui avait pour thème “Un espoir pour l’humanité affligée”. Or, il se trompait. On dénombra trois mille cinq cents assistants et, faute de place, il fallut renvoyer environ six cents personnes. Rutherford leur promit de prendre la parole le lundi soir. Bien qu’il eût été souffrant toute la journée, il prononça le même discours devant un auditoire de mille cinq cents personnes. Mais il fut si malade qu’au bout d’une heure il dut se faire remplacer. Cependant cette tentative à Los Angeles avait donné d’excellents résultats. On s’intéressait beaucoup au message du Royaume.
“LE BÉTHEL SERA-T-IL RESTAURÉ ?”
Il y avait encore une autre question importante qui se posait. Le Tabernacle de Brooklyn avait été vendu. Le Béthel, lui, était toujours la propriété de la Société, mais il était sans mobilier ou presque. Le siège avait été transféré à Pittsburgh. Là les frères n’avaient pas beaucoup d’argent et les pièces qu’ils occupaient dans la Federal Street ne se prêtaient guère au travail d’expansion. Il n’y avait pas de local pour l’imprimerie ; d’autre part, nombre de clichés pour l’impression des publications de la Société avaient été détruits. Les perspectives étaient sombres.
Pendant le séjour de Rutherford en Californie, il se produisit quelque chose d’intéressant au siège de la Société, à Pittsburgh. Un beau matin, un chrétien, George Butterfield, entra au siège. C’était un homme riche. Macmillan l’accueillit dans la pièce affectée à la réception et lui apprit que Rutherford se trouvait en Californie ; alors, selon Macmillan, voici ce qui se passa :
“Il m’a dit : ‘Disposez-vous d’une pièce particulière ?’
“‘Si tu veux, je vais aller verrouiller la porte et nous serons entre nous. Qu’est-ce que tu veux faire, George ?’
“Il s’était mis en devoir de retirer sa chemise pendant que je lui parlais. Je croyais qu’il avait perdu la raison. Il avait l’air un peu fripé et semblait fatigué du voyage, alors que d’ordinaire il était toujours très propre et très soigné de sa personne. Quand il fut en maillot de corps, il demanda un couteau. Il défit alors une petite pièce qui y était cousue et sortit un paquet d’argent. C’était environ dix mille dollars en billets de banque.
“Il posa le paquet sur la table et dit : ‘Voilà qui vous aidera à mettre l’œuvre en route. Je n’ai pas voulu envoyer un chèque, car j’ignorais qui était ici. Je n’ai pas voyagé en wagon-lit, parce que je ne voulais pas que quelqu’un vienne me dépouiller de cette somme, si jamais on avait soupçonné que j’en étais porteur. Je n’ai donc pas fermé l’œil de la nuit. J’ignorais qui était responsable de l’œuvre, mais maintenant que je vois ici des frères que je connais et en qui j’ai confiance, je suis content d’être venu !’ (...) Ce fut certes une agréable surprise et un encouragement.”
Quand frère Rutherford fut de retour au siège de Pittsburgh, il pria Wise, vice-président de la Société, de se rendre à Brooklyn pour voir s’il était possible de rouvrir le Béthel et de louer des locaux susceptibles de servir d’imprimerie. Voici comment se déroula la conversation :
“Va voir si c’est la volonté du Seigneur que nous retournions à Brooklyn.”
“Comment saurais-je si c’est la volonté du Seigneur que nous y retournions ?”
“C’est parce qu’en 1918 nous n’avons pu nous approvisionner en charbon que nous avons dû quitter Brooklyn et revenir à Pittsburgh. Que le charbon soit donc un signe. Va commander du charbon.” [À New York le charbon était encore rationné à la fin de la guerre.]
“À ton avis, combien de tonnes dois-je commander pour qu’on puisse y voir un signe ?”
“Eh bien, fais qu’il n’y ait pas de doute sur ce signe ; commande cinq cents tonnes.”
Frère Wise s’exécuta. Il fit une demande auprès des autorités et reçut un bon pour cinq cents tonnes de charbon. Aussitôt il télégraphia à Rutherford. Voilà qui couvrirait les besoins de la Société pour des années. Mais où mettre tout ce charbon ? Il fut stocké dans le sous-sol du Béthel. On considéra que la façon dont les choses avaient tourné était une indication, un signe que c’était bien la volonté du Seigneur que l’on retourne à Brooklyn. Le retour eut lieu le 1er octobre 1919.
JOYEUSES RETROUVAILLES
Peu avant la réouverture du Béthel, le peuple de Jéhovah en général se rassembla en congrès. Ce furent de joyeuses retrouvailles. Quelque temps après les réunions publiques qu’il avait tenues à Los Angeles, en mai 1919, Rutherford décida qu’on ferait un grand congrès. On finit par choisir pour lieu de rassemblement Cedar Point. Cette assemblée, qui eut lieu du 1er au 8 septembre 1919, se révéla être une assemblée particulièrement bienfaisante sur le plan spirituel.
Les hôtels de Cedar Point pouvaient accueillir environ trois mille personnes. Les Étudiants de la Bible avaient retenu toutes leurs chambres pour le lundi 1er septembre, premier jour du congrès, à partir de midi. Or un millier de personnes seulement vinrent pour la session d’ouverture, ce qui causa une petite déception. Mais les gens continuaient d’arriver par trains spéciaux et par d’autres moyens. Bientôt on vit se former de longues files d’attente. C’étaient des délégués qui voulaient une chambre. Et qui s’affairait derrière le comptoir pour les servir ? Deux anciens détenus de la prison d’Atlanta : Macmillan et Martin ! Rutherford, lui, s’activait de son côté, ainsi que beaucoup d’autres. Ils portaient les valises et conduisaient les congressistes à leurs chambres. Cela dura jusqu’après minuit.
Les délégués, tous pleins d’allégresse, continuaient d’arriver. Trois mille étaient présents au soir du premier jour, mais le vendredi ils étaient six mille. Au discours public du dimanche on dénombra sept mille personnes. À l’occasion de cette joyeuse assemblée deux cents assistants prirent le baptême, symbolisant leur offrande de soi.
Au sujet du discours public “Un espoir pour l’humanité affligée”, voici ce qu’écrit Arden Plate : “Il fut décidé que le discours public se ferait dehors et frère Rutherford prit la parole (...). Vu le petit nombre, on n’eut pas trop de peine à entendre.”
LES MYSTÉRIEUSES LETTRES “GA”
Dès leur arrivée sur les lieux de l’assemblée, les congressistes remarquèrent quelque chose qui les intrigua. Ursula Serenco s’en souvient. Voici ce qu’elle nous a raconté : “Nous avons vu un grand calicot tendu au-dessus de l’estrade et qui portait deux énormes lettres : ‘GA’. Nous sommes restés perplexes toute la semaine, essayant de deviner ce que pouvait bien signifier ce sigle. C’est alors que frère Macmillan gagna l’estrade. Avec l’humour qui lui était propre, il dit à l’assistance que lui aussi avait été intrigué par ces deux lettres mystérieuses. Puis il ajouta : ‘À mon avis, cela doit signifier : “Devinez encore.”’ (En anglais : Guess Again). Tout le monde éclata de rire.”
Ce n’est pas avant le vendredi 5 septembre, lors de la “Journée des Collaborateurs”, que fut satisfaite la curiosité des congressistes. Imaginez que vous vous trouvez au milieu de cette foule joyeuse au moment où Rutherford fait son discours “Proclamez le Royaume”. C’est au cours de ce discours qu’il annonça la parution d’un nouveau journal périodique : L’Âge d’Or.
Ainsi il n’y avait plus de mystère. Le sigle “GA” désignait L’Âge d’Or (en anglais : Golden Age). Après Rutherford, c’est Martin qui prit la parole. Il expliqua les méthodes à employer pour une activité nouvelle, celle qui consistait à recueillir des abonnements pour L’Âge d’Or. Paraissant tous les quinze jours, ce journal de trente-deux pages présentait beaucoup de textes religieux qui expliquaient les événements de notre temps à la lumière des prophéties divines. Le premier numéro, daté du 1er octobre 1919, traitait de sujets tels que le travail, l’économie l’industrie, les mines, la finance, le commerce, les transports, l’agriculture, la science, les inventions et la religion, sans oublier un article biblique qui avait pour titre “Les vivants peuvent-ils parler avec les morts ?”
Le rédacteur en chef de L’Âge d’Or était l’un des frères qui avaient été emprisonnés en même temps que Rutherford. Il s’appelait Clayton Woodworth. Son fils, James Woodworth, raconte ceci : “Mon père nous avait redonné un foyer à Scranton et lorsque, en 1919, L’Âge d’Or commença à paraître aux côtés de La Tour de Garde, la Société le nomma rédacteur en chef du nouveau périodique. Comme il lui fallait passer une bonne partie de son temps à Brooklyn, la Société fit le nécessaire pour qu’il pût travailler quinze jours à Brooklyn et quinze jours chez lui. Cela dura des années. J’entends encore le crépitement matinal de sa machine à écrire. En effet, il devait souvent se lever à cinq heures du matin pour écrire ou préparer des articles qui étaient expédiés à Brooklyn par le premier courrier.”
Clayton Woodworth s’acquitta fidèlement de ses fonctions de rédacteur en chef de L’Âge d’Or et du journal qui lui succéda et qui fut appelé Consolation (périodique qui parut du 6 octobre 1937 jusqu’au 31 juillet 1946). En raison de son âge, il fut déchargé de cette tâche quand, avec le numéro du 22 août 1946, le nouveau périodique Réveillez-vous ! remplaça Consolation. Frère Woodworth demeura fidèle dans d’autres fonctions requises par le service de Dieu jusqu’au jour de sa mort, le 18 décembre 1951, à l’âge de quatre-vingt-un ans.
“NOUS ALLIONS NOUS METTRE AU TRAVAIL”
En 1919, le congrès de Cedar Point donna aux frères de l’époque une plus vive conscience de l’étendue universelle de l’œuvre de prédication que devait accomplir le peuple de Jéhovah. Ou, pour reprendre les termes de Macmillan : “Cette idée commença donc à prendre corps en nous : ‘Maintenant il faut faire quelque chose.’ Nous n’allions plus rester là à attendre notre départ pour le ciel ; nous allions nous mettre au travail.”
À coup sûr, le peuple de Dieu ‘allait se mettre au travail’. On prit des mesures énergiques et toutes destinées à faire progresser la pure adoration. Ainsi, l’année 1919 fut témoin de la renaissance de l’œuvre des colporteurs. Au printemps de cette année-là il y en avait 150 qui étaient actifs dans cette forme de service, mais en automne on en dénombra 507.
Le service des pèlerins fut également mis en route. Les représentants itinérants et à plein temps de la Société furent bientôt au nombre de quatre-vingt-six. Ils furent envoyés dans les congrégations pour rassembler ceux qui avaient été dispersés pendant les persécutions du temps de guerre. Ils excitèrent l’intérêt en rétablissant, par leur service, des liens étroits avec le siège de l’organisation terrestre de Jéhovah. En ce domaine aussi les affaires de la pure adoration progressaient.
TOUS DANS LE CHAMP !
Dans La Tour de Garde des 1er et 15 août 1919 parut l’article en deux parties “Heureux ceux qui ne craignent pas”. Cet article faisait ressortir la nécessité de passer à l’action avec courage et fidélité dans le service de Dieu. Comment le peuple de Dieu accueillit-il cet appel à l’action ? Avec enthousiasme et sans crainte. Plein de zèle, il s’attela à l’œuvre du Royaume, à la tâche qui l’attendait. Les serviteurs de Dieu reprirent vie spirituellement dans le service actif de Jéhovah, en tant qu’ambassadeurs. C’est ainsi que se réalisa l’image prophétique de la résurrection des “deux témoins” de Dieu dont il est question en Révélation 11:11, 12.
En 1920, la responsabilité individuelle par rapport à la prédication fut plus vivement ressentie quand ceux qui prenaient part au témoignage commencèrent à remettre un rapport hebdomadaire. Avant 1918 il n’y avait que les colporteurs qui faisaient un rapport d’activité. De plus, pour faciliter le travail de la prédication, les congrégations se virent attribuer des territoires déterminés. Quels furent les effets ? En 1920 il y avait 8 052 “ouvriers d’ecclésia” et 350 colporteurs. En 1922, sur plus de 1 200 congrégations aux États-Unis, 980 avaient été entièrement réorganisées pour le service du champ. Ces dernières comptaient 8 801 ouvriers qui remettaient des publications aux gens contre une contribution. La moyenne hebdomadaire était de 2 250.
Quand commença la diffusion de L’Âge d’Or, on présenta cette activité comme suit : “L’œuvre de L’Âge d’Or consiste à passer de maison en maison avec le message du Royaume, en proclamant le jour de vengeance de notre Dieu et en consolant les affligés. De plus, on tâchera de laisser un Âge d’Or dans chaque foyer, même si l’abonnement est refusé. On recevra des numéros spécimens (...). Les ouvriers d’ecclésia pourront se procurer les numéros spécimens auprès du Directeur.” Les congrégations qui désiraient prendre part à l’activité se firent inscrire auprès de la Société Watch Tower comme organisations de service. La Société, de son côté, nomma un membre de chacune de ces congrégations aux fonctions de “Directeur”. Étant nommé, le “Directeur” n’était pas l’objet d’une élection locale annuelle, comme les “anciens” ou “aînés” de l’époque.
Joignons-nous un instant à la diffusion de L’Âge d’Or. Voici ce que nous raconte Elva Fisher : “En 1919 nous parvenait le premier envoi du nouveau journal L’Âge d’Or. (...) Personne d’entre nous n’avait une automobile à l’époque. Mon mari et son frère charnel, Audie Bradshaw, prirent donc notre petit cabriolet à une place, le chargèrent de périodiques et partirent annoncer la bonne nouvelle, avec une voiture attelée d’un cheval ! Ma belle-sœur restait à la maison pour s’occuper du bétail et de nos enfants, car nous habitions tous des fermes. Les hommes passèrent deux journées entières à diffuser le périodique, car on devait laisser un Âge d’Or dans chaque foyer. Quelle n’était pas notre joie pour cette possibilité de prendre part à l’œuvre de prédication !”
“On demandait des volontaires pour aller recueillir des abonnements”, nous dit Fred Anderson, qui ajoute : “Je me proposai donc et bientôt je connus ma première joie réelle, celle que l’on éprouve à donner le témoignage. Depuis lors j’ai recueilli de nombreux abonnements et répandu des centaines de numéros de ce journal, qui s’appelle aujourd’hui Réveillez-vous ! Quel puissant instrument pour réveiller les gens, pour leur faire prendre conscience des temps décisifs que nous vivons et pour leur donner la merveilleuse espérance de vie et de paix sur une terre purifiée !”
LA DIFFUSION DU “ZG”
Le 21 juin 1920, une édition non cartonnée du livre Le mystère accompli fut mise à la disposition des frères en vue de sa diffusion. On appelait ordinairement cette publication le “ZG”. (“Z” voulait dire Zion’s Watch Tower, première dénomination de la Watch Tower [La Tour de Garde], et “G”, septième lettre de l’alphabet, désignait ce septième volume des Études des Écritures.) Cette édition spéciale de la Watchtower (1er mars 1918) avait été mise en réserve quand le livre fut interdit et pouvait être maintenant diffusée pour 20 cents l’exemplaire.
Se souvenant de son activité avec le “ZG”, Beulah Covey déclare : “Il y avait à l’intérieur une image qui représentait une église (...) avec deux ecclésiastiques qui s’avançaient chacun sur un des bas-côtés, tenant d’une main un pistolet et de l’autre le plateau pour la quête. Pour placer le livre ‘ZG’, il suffisait de montrer cette image. C’était chose courante de répandre quarante ou cinquante livres par jour dans le champ.”
L’activité avec cette édition sous forme de périodique du Mystère accompli fut très féconde. Par exemple, Annie Poggensee écrit ceci : “Je frappai à la porte d’une dame qui me prit le ‘ZG’ et referma la porte. J’étais loin de soupçonner quels allaient être les effets. Quelques semaines plus tard, on laissa à sa porte une feuille d’invitation pour un discours. Voyant qu’il s’agissait de la même œuvre, elle vint au discours. Elle continua de venir aux réunions et finalement son mari et ses deux filles commencèrent à y assister. Peu après la famille Andreson était dans la vérité.”
LE “GA” No 27
Vint le jour où parut L’Âge d’Or No 27 (en angl. Golden Age). “C’était le numéro du 29 septembre 1920, qui relatait en détail les persécutions et les mauvais traitements que subirent les frères et sœurs durant la période d’oppression”, écrit Roy Hendrix, qui prit part à sa diffusion. Amelia et Elizabeth Losch ajoutent ceci : “Le journal parlait des persécutions impies qui furent infligées aux Étudiants internationaux de la Bible pendant la Première Guerre mondiale par les ecclésiastiques de la chrétienté et leurs alliés politiques et militaires. (...) Neuf membres de la congrégation refusèrent de prendre part à cette œuvre et signèrent une pétition en ce sens. Ils manquaient de foi en l’‘esclave fidèle et avisé’. Quant à nous, nous avons, ainsi que trois autres, maintenu la foi, et nous avons répandu 25 000 exemplaires en quinze jours. À la fin de la campagne nous étions fatigués mais heureux, sachant que nous marchions fidèlement dans la lumière de la Parole de Dieu.”
L’Âge d’Or No 27 fut tiré à quatre millions d’exemplaires. On les distribuait gracieusement ou on les remettait contre une contribution volontaire de dix cents. La diffusion se faisait surtout de maison en maison.
L’ŒUVRE DANS LES AUTRES PAYS
Les demandes de publications bibliques ne cessaient de croître. Cela se vérifiait au Canada, par exemple, où la censure qui frappait les publications de la Watch Tower fut levée le 1er janvier 1920. La persécution en ce pays semblait donner au peuple de Dieu encore plus de zèle pour annoncer la parole et faire progresser la pure adoration.
Le 12 août 1920, Rutherford et quelques collaborateurs s’embarquèrent pour l’Europe. Des assemblées eurent lieu à Londres, à Glasgow et dans d’autres villes anglaises. Accompagné d’un petit groupe, Rutherford se rendit en Égypte et en Palestine. On visita différents bureaux et des classes bibliques, qui furent spirituellement affermies. On fonda une filiale de la Société à Ramallah. Dans un rapport de fin d’année, frère Rutherford révéla que la Société était en train d’établir un bureau européen chargé de superviser l’œuvre de prédication en Suisse, en France, en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Autriche et en Italie.
LA “CAMPAGNE DES MILLIONS D’HOMMES”
Pour stimuler l’œuvre consistant à faire des disciples, une nouvelle activité de prédication fut inaugurée : la “Campagne des millions d’hommes”. On devait offrir au public durant cette campagne, contre une contribution de 25 cents, le livre de 128 pages qui avait pour titre Des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais. La diffusion du livre devait se faire pendant qu’aurait lieu une série de discours publics, programme qui commença le 25 septembre 1920 et qui avait pour thème un discours particulier (à l’origine il avait pour titre “Le monde a pris fin — Des millions d’hommes actuellement vivants peuvent ne jamais mourir”), celui que Rutherford avait fait à Los Angeles le 24 février 1918 et qui fut publié dans le nouveau livre en 1920.
Jetant un coup d’œil rétrospectif sur l’époque, Lester Roper déclare : “Puis ce fut à mon tour de faire un discours public sur le sujet ‘Élevez un étendard pour les peuples : des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais’. J’avais l’habitude du public, mais cette fois c’était autre chose. J’avais l’impression qu’à tout moment la salle allait se lever et se mettre à me conspuer. Il faut dire qu’il fallait avoir le cœur bien accroché, car à l’époque nous n’étions dans le monde qu’une toute petite poignée d’hommes à être dans la vérité, et voilà qu’on annonçait au public que des ‘millions d’hommes actuellement vivants ne mourraient jamais’ !”
Le livre Des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais fut traduit par la suite en différentes langues. À la différence de l’“œuvre pastorale” qui consistait à prêter des livres au public, on plaçait le nouveau livre contre une contribution. Ceux qui s’intéressaient à la question pouvaient se procurer par la suite des volumes des Études des Écritures. La “Campagne des millions d’hommes” dura pendant un certain temps et un grand témoignage fut donné. Pour attirer l’attention du public, on fit paraître des avis dans la presse et on utilisa l’affiche. La campagne avait pris une telle ampleur qu’on s’en souvenait encore des années plus tard.
Se rappelant l’effet de la “Campagne des millions d’hommes”, Rufus Chappell écrit ceci : “Nous avons présenté le livre Des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais dans la ville de Sion (dans l’Illinois, aux États-Unis) et aux environs, avec de bons résultats. Je me souviens d’une grande enseigne lumineuse au-dessus de la teinturerie de la North Sheridan Road, à huit kilomètres environ de Sion. Elle disait : ‘We dye for the millions now living who will never die.’ (Jeu de mots intraduisible en français et portant sur l’homonymie de “dye” qui veut dire “teindre” et “die” qui signifie “mourir”. Traduction littérale : “Nous teignons pour les millions d’hommes actuellement vivants qui ne mourront jamais.”) On en a beaucoup parlé à l’époque et nombre de personnes, s’étant posé des questions, ont appris la vérité dans ce livre.”
UN INSTRUMENT DE PROGRÈS
Pendant des années les Étudiants de la Bible avaient lu et largement diffusé les Études des Écritures. En 1921 parut un nouveau livre : La Harpe de Dieu, de la main de Rutherford. Avec le temps son tirage s’éleva à 5 819 037 exemplaires, en 22 langues. “Quelle bénédiction quand parut La Harpe de Dieu ; ce fut une réponse à nos prières”, écrit Carrie Green, qui poursuit en disant : “Le livre rendait la vérité, toute la vérité, bien plus simple, les différents sujets étant présentés sous l’image des ‘cordes de la harpe’.”
Le livre présentait le dessein de Jéhovah comme “les dix cordes de la Harpe de Dieu, la Bible”. Voici les “dix cordes” ou titres des chapitres de l’ouvrage : La Création, La Justice manifestée, La Promesse abrahamique, La Naissance de Jésus, La Rançon, La Résurrection, Le Mystère révélé, Le Retour de notre Seigneur, La Glorification de l’Église, Le Rétablissement. C’était un manuel à l’usage de ceux qui commencent à étudier la Bible. En allant de maison en maison, les Étudiants de la Bible proposaient en même temps que ce livre un cours complet par correspondance. Les douze questionnaires qui composaient le cours étaient envoyés par la poste, un questionnaire par semaine. Il arrivait qu’une congrégation ordinaire envoyait jusqu’à 400 au 500 questionnaires par semaine. Cette œuvre se poursuivit pendant des années et fut très utile. Voici ce que dit Hazel Burford : “On faisait aussi des études au domicile des personnes intéressées, ce qui ressemblait à nos études à domicile de notre temps, avec cette différence, cependant, que tout un groupe de proclamateurs y assistait, comme dans nos études de livre de la congrégation.”
INSTALLATION D’UNE IMPRIMERIE
Dans l’année qui suivit la Première Guerre mondiale, la Société Watch Tower désira acheter une grande rotative. Il n’en existait que quelques-unes dans le pays, mais aucune n’était disponible. Apparemment, il n’y avait guère de chance qu’on pût s’en procurer une avant de nombreux mois. Mais la main de Jéhovah n’est pas trop courte et, en 1920, une grande rotative fut installée et commença à fonctionner. On l’avait affectueusement surnommée “le vieux cuirassé”. Avec les années, des millions de périodiques, de brochures et d’autres imprimés sont sortis de cette machine.
Après l’achat du “vieux cuirassé”, la Société loua un bâtiment à Brooklyn (35 Myrtle Avenue). Dès leur arrivée au Béthel, le 22 janvier 1920, on demanda aux frères Pelle et Kessler d’aller y travailler. Voici ce que nous raconte Pelle : “Au 35 Myrtle Avenue, on dut d’abord laver les murs. Ce fut bien le travail le plus sale que j’aie jamais eu à faire, mais c’était différent. On était heureux. En effet, c’était l’œuvre du Seigneur et cela valait donc la peine. Il nous a fallu trois jours pour tout nettoyer et le local pouvait accueillir maintenant le service de la correspondance. Au sous-sol on était en train d’assembler la rotative et au premier étage on installait la presse plate, la plieuse et l’agrafeuse.”
Bientôt tout fut installé et les machines se mirent en marche. Frère Pelle poursuit en disant : “Deux frères, qui étaient des ajusteurs et des ouvriers imprimeurs expérimentés, surveillaient la presse plate, Kessler, lui, était à la plieuse et moi, à l’agrafeuse. Vint l’instant émouvant où nous vîmes sortir de notre presse à nous le tout premier numéro de La Tour de Garde, le 1er février 1920. Peu de temps après jaillissait de la rotative du sous-sol L’Âge d’Or No 27. Un petit commencement, certes, mais il n’y a jamais eu de fin à l’accroissement.”
L’œuvre de la prédication se développait. En 1922, les demandes de publications étaient plus nombreuses que jamais. C’est pourquoi, le 1er mars 1922, la Société fit transporter son imprimerie dans un immeuble de cinq étages au 18 Concord Street (Brooklyn). Au début quatre étages furent occupés et, finalement, tout le bâtiment. C’est là que pour la première fois la Société commença à imprimer elle-même les livres cartonnés. Quant au bâtiment de la Myrtle Avenue, il servit d’entrepôt pour le papier et les publications.
Le transport des machines de la Myrtle Avenue jusqu’à la Concord Street posait des problèmes, dont le plus gros était le déménagement du “vieux cuirassé”. Voici comment on vint à bout de la difficulté, selon ce que nous a raconté un jour Lloyd Burtch :
“C’est le 1er mars 1922 que nous avons déménagé l’imprimerie. Il s’agissait de tout emmener de la Myrtle Avenue jusqu’au grand bâtiment au 18 Concord Street. Avec un petit camion nous avions pu transporter la plupart des pièces lourdes. Mais quand on a voulu déménager les gros cylindres de la rotative, on a constaté qu’ils étaient bien trop lourds pour le camion. On n’avait pas pensé à cela ! Comment faire pour les transporter dans le nouveau bâtiment ? Le lendemain matin, à notre réveil, le problème était résolu.
“Subitement il était tombé durant la nuit plusieurs centimètres de neige et, du coup, il n’y a plus eu de problème. En effet, nous avons construit une sorte de traîneau et avons roulé dessus les cylindres. Accrochant l’engin au camion, nous l’avons fait glisser doucement sur la neige jusqu’au nouveau bâtiment. Là, on a introduit les cylindres dans le sous-sol, les faisant passer par la fenêtre. Des années plus tard, frère Martin, le responsable de l’imprimerie, racontait encore avec plaisir aux frères, lors des congrès, comment cette soudaine chute de neige avait résolu notre problème de déménagement.”
Le “vieux cuirassé” ne tarda pas à faire tourner ses cylindres dans la nouvelle imprimerie de la Concord Street. Il fallait voir comme il faisait trembler le bâtiment. D’où cette remarque de frère Martin : ‘Il n’y a pas de doute, ce sont bien les anges qui tiennent les murs debout !’
GRÂCE À JÉHOVAH
“Quand on voit des hommes sans grande expérience ou même sans expérience du tout réussir à imprimer livres et Bibles sur des rotatives, on a la preuve que c’est bien Jéhovah qui dirige les choses”, déclare Charles Fekel. Il est au Béthel depuis 1921 et a vu tout ce qui s’est passé au siège depuis plus d’un demi-siècle. Il nous dit : “On a toujours trouvé des hommes pour chaque tâche, sans gaspillage d’efforts. Ce qu’on avait projeté d’avance, si grands que fussent les travaux, a toujours été mené à terme, malgré l’opposition de Satan.”
En 1922, quand la Société transporta l’imprimerie au 18 Concord Street, elle fit l’acquisition de tout le matériel nécessaire pour la composition, la galvanoplastie, l’impression et la reliure. La plupart des machines étaient neuves. Le président d’une importante entreprise qui avait fait une bonne partie du travail d’impression de la Société vint jeter un coup d’œil et déclara : “Vous avez là une imprimerie de tout premier ordre et personne ici n’a l’air de savoir s’en servir. Dans six mois vous aurez tout démoli et vous apprendrez par l’expérience que les seuls gens capables de faire votre travail, ce sont les gens de métier.”
Certes, les problèmes qui se posaient étaient énormes, mais, grâce à Jéhovah, les frères firent des progrès incroyables. En voici un exemple : Il y a quelques années il a fallu à un monteur spécialisé venu d’Allemagne et à ses aides deux mois pour monter une grosse presse achetée par la Société. Moins de deux ans plus tard, une autre presse de même type et de même taille a été montée en trois semaines par un seul frère et quelques assistants du Béthel.
Au siège de la Société les frères se sont appliqués. Ils ont beaucoup appris et il ne leur a pas fallu longtemps avant de savoir fabriquer des livres bien solides. Au début, ils ne parvenaient à en cartonner que deux mille. Mais en 1927, leur production quotidienne était de 10 000 à 12 000 livres.
DE RETOUR À CEDAR POINT
L’imprimerie de la Concord Street ne tournait que depuis peu de temps quand le peuple de Dieu se réunit en assemblée internationale du 5 au 13 septembre 1922. Où ? De nouveau à Cedar Point, là où les Étudiants de la Bible avaient tenu congrès en 1919. Dans l’intervalle il y avait eu de l’accroissement. Les délégués qui assistèrent à l’assemblée de 1922 venaient des États-Unis, du Canada et de l’Europe. Chaque jour 10 000 personnes en moyenne étaient présentes et le dimanche on en dénombra un bien plus grand nombre : entre 18 000 et 20 000. Ceux qui se firent baptiser furent au nombre de trois cent soixante et un. Des réunions en anglais et en d’autres langues eurent lieu simultanément et, à un moment donné, on en compta jusqu’à onze.
Imaginez que vous vous êtes rendu à Cedar Point pour assister à une assemblée qui fut particulièrement enrichissante. Voyez les grands calicots, les pancartes fixées aux arbres et les écriteaux accrochés aux poteaux. Tous portent les lettres “A D V”. Que signifient-elles ? Selon certains : “Après la mort, la victoire !” (After Death Victory) ; en effet, à l’époque, les membres oints du reste songeaient beaucoup à leur départ pour le ciel, leur demeure. Selon d’autres, cela voulait dire “Engagez le Diable à abandonner la partie.” (Advise the Devil to Vacate).
On fut dans l’attente jusqu’au vendredi 8 septembre, qui avait été appelé “Le Jour”. Le juge Rutherford prononça alors un discours sur “Le Royaume”. Voici ce qu’a déclaré à ce sujet frère Sullivan : “Ceux qui ont eu le privilège d’assister à cette assemblée revoient encore frère Rutherford prier quelques personnes, que la grosse chaleur empêchait de rester à leurs places, de bien vouloir ‘S’ASSEOIR’ et ‘ÉCOUTER’ à tout prix le discours.” Entre autres choses, frère Rutherford a parlé de la fin des temps des Gentils en 1914 et a cité la déclaration blasphématoire du Conseil fédéral des Églises, déclaration par laquelle ce Conseil saluait la Société des Nations comme “l’expression politique du royaume de Dieu sur la terre”. Imaginez que vous êtes au milieu de l’assistance au moment où Rutherford arrive à la conclusion émouvante de son discours. Vous l’écoutez de toutes vos oreilles quand il déclare :
“(...) Depuis 1914 le Roi de gloire a saisi sa puissance et commencé son règne. Il a purifié les lèvres des membres de la classe du temple et il les envoie avec ce message. On ne saurait trop souligner l’importance du message du royaume. C’est le message entre tous. C’est le message de l’heure. Il incombe à tous ceux qui appartiennent au Seigneur de l’annoncer. Le royaume du ciel est proche ; le Roi règne ; l’empire de Satan croule ; des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais.
“Croyez-vous cela ? (...)
“S’il en est ainsi, retournez au champ, ô vous, fils du Dieu très-haut ! Revêtez votre armure ! Soyez sobres, vigilants, actifs, vaillants ! Marchez de l’avant dans le combat jusqu’à ce que chaque lieu de Babylone soit devenu désert. Répandez le message en tous lieux. Le monde doit connaître que Jéhovah est Dieu et que Jésus-Christ est le Roi des rois et Seigneur des seigneurs. Ceci est le jour de tous les jours. Voici, le Roi règne ! Vous êtes ses hérauts. C’est pourquoi : Proclamez, proclamez, proclamez le roi et son royaume.”
À ce moment, un calicot en trois couleurs et de onze mètres de long fut déroulé au-dessus de l’estrade. On y voyait une grande image du Christ, au milieu, ainsi que les mots “Proclamez le Roi et le Royaume”. Tout devenait clair. Les lettres “A D V” signifiaient “PROCLAMEZ” (en angl. ADVERTISE). Et que fallait-il proclamer ? Eh bien, “le Roi et le Royaume” ! “Imaginez l’enthousiasme, s’exclame George Gangas, la joie et l’excitation des frères. Jamais rien de tel n’était survenu dans leur vie. (...) C’est une chose qui s’inscrivit en caractères indélébiles dans mon esprit et dans mon cœur et que je n’oublierai pas tant que je vivrai.” James Woodworth, qui avait seize ans à l’époque et faisait partie de l’orchestre, raconte ceci : “Ce fut sensationnel. Quel tonnerre d’applaudissements ! Le vieux frère Pfannebecker brandit son violon au-dessus de sa tête et, se tournant vers moi, il dit avec force : ‘Ach ya ! Et maintenant nous allons faire cela, n’est-ce pas ?’”
INCITÉS À PROCLAMER LE ROYAUME
Et on fit cela ! Oui, les serviteurs de Dieu le font depuis lors. Ils proclament courageusement le Roi et le Royaume. En quittant Cedar Point, les Étudiants de la Bible étaient enflammés de l’esprit et pleins d’enthousiasme pour l’œuvre de prédication qui les attendait. “Les mots ne sauraient décrire ce besoin d’aller de l’avant, de rentrer chez nous et de proclamer”, déclare Ora Hetzel. Quant à sœur James Bennecoff, elle dit : “Nous nous sentions incités à ‘proclamer, proclamer, proclamer le Roi et son Royaume’. Oui, avec plus de zèle et plus d’amour dans notre cœur que jamais.”
D’ailleurs, les congressistes eurent l’occasion de proclamer le Royaume avant même de quitter Cedar Point. Le lundi 11 septembre 1922 était le “Jour du Service”. Plusieurs centaines d’automobiles se trouvaient là, chacune avec cinq passagers ou davantage et une bonne provision de publications. Tous étaient prêts à proclamer le Royaume dans le service du champ. “Ma carte d’‘Instructions à l’usage des Ouvriers’ portait le No 144, se rappelle Dwight Kenyon. Ma carte portait ces mots : ‘Les autos se rangeront le long du lac (Cedar Point), suivant le numéro fixé au radiateur, à 6 h 30 précises. Ton auto porte le No 215 et tu es l’Ouvrier No 5 (...).’ Je me trouvais dans un groupe de sept personnes. Notre territoire était Milan, dans l’Ohio, à quelques kilomètres de l’endroit où nous étions. Je me souviens que frère Rutherford était là à cette heure matinale, pour le départ.”
Oui, Rutherford était là ‘pour le départ’. Mais il ne se borna pas à cela. “Frère Rutherford se trouvait dans la première automobile qui démarra ce matin-là”, se rappelle Sara Kaelin. John Fenton Mickey ajoute : “La voiture de frère Rutherford était la première. Il avait invité ma femme et moi-même, ainsi que la sœur de ma femme, Clara Myers, et Richard Johnson et sa femme. Je ne pus partir avec eux, car notre petite fille était tombée malade (...). Eh bien, le territoire de la première voiture était la route entre Cedar Point et Sandusky. Frère Rutherford prit la première maison, Clara Myers la deuxième, et ainsi de suite jusqu’à la fin du service. Puis tous retournèrent à l’assemblée.”
APPELS POUR UN SERVICE ACCRU
Les serviteurs de Jéhovah prêchaient de maison en maison depuis des années. Ce travail allait s’accélérer. Après octobre 1922, l’activité de porte en porte fut rendue plus facile grâce aux conseils d’une feuille d’instructions de service qui paraissait chaque mois.
Aux réunions des Étudiants de la Bible on continuait à dispenser une abondante nourriture spirituelle. C’est en 1922 qu’on organisa pour la première fois des études en groupe de La Tour de Garde. Dans les réunions chrétiennes on tenait compte de l’accent qui était mis sur le service du champ. C’est ainsi que fut modifiée la réunion du milieu de la semaine, réunion de prières, de louanges et de témoignages. Pendant longtemps on y avait chanté des cantiques, dit des prières et donné des témoignages. Mais quelque temps après 1920 intervint un changement qui n’était pas sans lien avec la proclamation du Royaume de maison en maison. À ce sujet, voici ce qu’écrit James Gardner : “Le 1er mai 1923 devait marquer une étape nouvelle. En effet, le premier mardi de chaque mois fut réservé comme ‘Journée de service’, afin de permettre aux ouvriers d’ecclésia d’aller dans le service du champ avec le ‘Directeur’ nommé par la Société. Pour donner plus d’impulsion à l’œuvre et plus d’encouragement aux frères, il fut décidé que dans les réunions de prières qui se tenaient le mercredi soir on consacrerait la moitié du programme à relater des témoignages et des faits de prédication.” Frère Siebenlist ajoute ceci : “Au cours de la réunion du mercredi soir, on commença à examiner, par la suite, le Bulletin, feuille de service imprimée par la Société. Aussi, quand on commença à mettre l’accent sur le service du champ, le groupe [congrégation] de Shattuck, dans l’Oklahoma, s’attela à la tâche de la prédication et apprit par cœur les témoignages qui paraissaient dans le Bulletin.”
En 1923 la Société commença aussi à consacrer plusieurs dimanches par an à un “témoignage universel”. Il fallait à ces occasions conjuguer tous les efforts pour tenir par toute la terre et en même temps des réunions publiques. On invitait tous les Étudiants de la Bible à annoncer des réunions telles que “Chute de l’empire de Satan — Des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais”.
Aux États-Unis, c’est au début de 1927 qu’on a commencé à diffuser, le dimanche et contre une contribution, des livres et des brochures de maison en maison. “Certains se sont demandé comment cela allait se passer, sachant que le monde nous était hostile”, raconte James Gardner, qui ajoute : “Cela a déclenché une vague de persécutions en certains endroits. Mais c’était l’‘esclave fidèle et avisé’ qui nous demandait de le faire, alors pourquoi hésiter ? C’est volontiers que nous sommes sortis, et s’il en est qui se sont plaints de nous ‘voir arriver le dimanche avec des livres’, etc., on n’a pas tardé à constater que Jéhovah dirigeait son peuple dans le monde entier. Encore de nos jours le dimanche est un jour propice pour sortir, et nous le faisons constamment.”
AUX PORTES
Aimeriez-vous vous joindre à ceux qui, à cette époque, faisaient connaître le Royaume dans la prédication de maison en maison ? Expliquant en quoi consistait le travail, voici ce que dit Myrtle Strain : “Le plus souvent nous expliquions ce que contenaient les livres, et nous n’ignorions pas l’art de vendre. Souvent on nous demandait d’entrer et alors, si la personne marquait de l’intérêt, nous lui donnions un aperçu du dessein de Dieu, depuis la chute d’Adam jusqu’au relèvement de l’homme. Parfois on restait une heure et davantage dans une même maison.”
“Ces temps-là nous ont laissé des souvenirs inoubliables, raconte Marthe Holmes. Je revois encore notre petit groupe de cinq personnes en train de visiter des bourgs éloignés dans la région de Des Moines. Il nous arrivait de partir avant l’aube et de rester jusqu’au crépuscule. À cette époque, notre auto n’avait ni toit rigide, ni freins hydrauliques, ni direction assistée, ni climatiseur, ni chauffage. La plupart du temps nous roulions sur des routes non goudronnées. Quand la voiture s’embourbait, nous glissions des planches sous les roues pour pouvoir repartir. Le véhicule était muni de rideaux latéraux que nous abaissions en cas de pluie ou de neige. Nous emportions avec nous de quoi nous restaurer et nous mangions dans la voiture, même par une température glaciale. Un jour, après avoir fait plusieurs heures de prédication à Newton, à cinquante kilomètres environ de Des Moines, une violente tempête s’est abattue sur nous. Nous avions beaucoup de peine à maintenir notre automobile sur la route, car le vent soufflait avec force. Le toit en toile avait été rabattu vers l’arrière par les rafales de la tempête et il claquait au vent. Nous sommes finalement arrivés à Des Moines, trempés jusqu’aux os. Ceux qui nous ont vus ont dû se dire : ‘Ils sont fous, ces gens-là !’”
Souvent leurs efforts étaient récompensés. Par exemple, Julia Wilcox n’a pas oublié le jour — c’était dans les années 20 — où elle a débuté dans le travail de maison en maison à Washington, dans la Caroline du Nord. Elle tomba sur une dame qui s’intéressait à la brochure Les vivants peuvent-ils parler avec les morts ? et qui accepta quelques publications. Voici ce que dit sœur Wilcox :
“Ne voulant pas la retarder, je m’apprêtais à partir, mais elle ne voulait pas me laisser aller. Voici son histoire :
“‘Je sais que le Seigneur vous a envoyée ici aujourd’hui. Vous êtes la réponse à nos prières. Ma mère et moi avons demandé à Dieu de nous conduire à la lumière. Nous avons été membres de l’Église méthodiste durant toute notre vie, mais depuis quelque temps nous n’allons plus au culte, parce que nous restons toujours sur notre faim. On n’y entend parler que d’argent et d’argent et d’argent. L’autre jour, ma mère a vu dans une revue une annonce à propos d’un livre sur le spiritisme et la manière de parler directement à Dieu. Elle m’a dit de le commander pour voir ce que cet ouvrage pouvait nous apprendre. Eh bien, pour une raison quelconque j’ai oublié de poster ma commande. [Cette lettre n’a jamais été envoyée.] Maintenant je vais d’abord lire vos livres, et quand ma mère reviendra chez moi elle les lira, elle aussi. S’il vous plaît, n’oubliez pas de repasser.’
“Bien entendu, je promis de revenir. À l’époque, on n’encourageait personne à faire des nouvelles visites. Ce qu’on demandait surtout, c’était de visiter le territoire et de laisser des publications. En tout cas, j’ai tenu parole et je suis repassée le jour où sa mère était présente. Toutes deux avaient ‘dévoré’ les publications que je leur avais laissées et elles en réclamaient d’autres. À partir de ce jour, elles ont accepté toutes les publications qu’éditait la Société (...). J’ai la grande joie de vous apprendre que sœur [Sophie] Carty, ma première nouvelle visite, a été fidèle dans le service et assidue aux réunions jusqu’au jour de sa mort survenue en 1963.”
SEPT ANGES SONNENT DE LA TROMPETTE
Dans les années 20, les serviteurs de Jéhovah étaient occupés à proclamer le Roi et le Royaume, avec d’excellents résultats. D’autre part, bien qu’à l’époque le peuple de Dieu ne s’en rendît pas compte, il eut part à l’accomplissement de certaines prophéties apocalyptiques. Tandis que sept anges sonnaient de la trompette, les vrais chrétiens jouaient un rôle dans des événements qui se produisaient sur la terre et ils continuent d’y jouer un rôle encore de nos jours. — Rév. 8:1 à 9:21 ; 11:15-19.
Depuis l’époque où le premier ange a sonné de la trompette, la chrétienté a été criblée par une grêle dévastatrice, autrement dit par de puissants messages basés sur la vérité de la Bible (Rév. 8:7). Tout a commencé pendant le congrès de Cedar Point, en septembre 1922. À cette occasion, le peuple de Dieu adopta avec enthousiasme une résolution intitulée “Un défi”. C’était une courageuse condamnation de l’infidélité du clergé, qui avait participé à la guerre et qui a ensuite répudié le Royaume messianique en saluant la Société des Nations comme l’expression politique du Royaume de Dieu. En octobre 1922, plus de quarante-cinq millions d’exemplaires d’un tract contenant cette résolution et des arguments à l’appui commencèrent à être diffusés dans le monde entier. Depuis cette époque, la chrétienté (les clergés catholique et protestant, ainsi que les membres des Églises) est convaincue de mensonge quand elle affirme suivre le Christ.
Sous la direction du deuxième ange à la trompette, les Étudiants de la Bible ont tenu un congrès régional à Los Angeles, du 18 au 26 août 1923. C’est à cette occasion qu’ils ont adopté avec enthousiasme la résolution historique intitulée “Un avertissement”. Cette résolution dévoilait le comportement du clergé de la chrétienté, lequel s’abstenait de prendre part à la proclamation du Royaume, et elle invitait les “brebis” à se tourner non vers la Société des Nations soutenue par le clergé, mais vers le Royaume de Dieu, le “seul remède aux maux nationaux et individuels”. Le comportement du clergé sous ce rapport a été dans une large mesure responsable de la montée des éléments extrémistes et révolutionnaires figurés par la “mer” agitée. Mais ces éléments non plus ne peuvent donner la vie à l’humanité, pas plus que ne saurait donner la vie tout sang qui se déverserait du corps humain. En décembre 1923, on commença à imprimer le tract “Proclamation — Un avertissement à tous les chrétiens”, qui reproduisait le texte de la résolution. Outre les millions d’exemplaires qui parurent dans les autres pays, 13 478 400 exemplaires furent imprimés aux États-Unis. La diffusion en masse de cette Proclamation n’était qu’un commencement. Encore de nos jours, les disciples oints de Jésus font des proclamations préconisant le Royaume de Dieu. — Rév. 8:8, 9.
Quand le troisième ange a sonné de la trompette, le tiers des eaux s’est changé en absinthe (Rév. 8:10, 11). Il est significatif qu’à l’occasion du congrès que les Étudiants de la Bible tinrent à Columbus du 20 au 27 juillet 1924, le peuple de Dieu ait adopté par acclamation une résolution ayant pour titre “Acte d’accusation”. Cette résolution dévoilait les doctrines mensongères et blasphématoires du clergé apostat et montrait que le chemin sur lequel le clergé et ses amis politiques conduisent les hommes est un chemin qui mène à la mort. En effet, le clergé fait boire aux gens des eaux amères comme l’absinthe, une boisson qui provoque leur mort spirituelle et causera finalement leur destruction. Le texte de cette résolution parut dans le tract intitulé “Acte d’accusation contre le clergé”. Aux États-Unis 13 545 000 exemplaires de ce tract sortirent des presses. Des millions d’autres furent imprimés ailleurs, en langues étrangères. Finalement 50 000 000 d’exemplaires de ce tract furent répandus. L’“Acte d’accusation” parut également dans les colonnes de La Tour de Garde. Mais là aussi ce ne fut qu’un commencement. Sur les ondes et au moyen de livres, de brochures, de périodiques et de témoignages oraux, les serviteurs de Jéhovah continuent à montrer que les enseignements du clergé ne sont pas des eaux qui donnent la vie, mais des eaux qui mènent à la mort.
Vint l’année 1925 et le quatrième ange à la trompette se tint prêt à en sonner. Il fit retentir sa trompette et le tiers du soleil, de la lune et des étoiles fut frappé et enténébré (Rév. 8:12). Au cours d’un congrès régional qui s’est tenu à Indianapolis du 24 au 31 août 1925, les serviteurs de Dieu adoptèrent avec force une résolution intitulée “Message d’espérance”. C’était une résolution empreinte d’amour, mais qui montrait que dans la chrétienté, qui se dit la lumière spirituelle du monde, les gens avaient sombré dans les ténèbres. La Tour de Garde et L’Âge d’Or publièrent le texte de la résolution. Par la suite, des millions d’exemplaires de cette résolution sortirent des presses sous forme de tract, en plusieurs langues. Voilà comment les hommes furent informés que la chrétienté ne baigne pas dans la lumière de la vérité céleste et de la faveur divine.
L’assaut des sauterelles symboliques fut annoncé quand le cinquième ange sonna de la trompette, au printemps de 1926 (Rév. 9:1-11). Cette année-là, du 25 au 31 mai, les Étudiants de la Bible tinrent un congrès international à Londres. À cette occasion, ils adoptèrent avec enthousiasme une résolution qui avait pour titre “Un témoignage aux dirigeants du monde”. Cette résolution, ainsi que le discours public que Rutherford prononça le dimanche 30 mai devant un immense auditoire réuni au Royal Albert Hall, discours qui avait pour sujet “Pourquoi les puissances du monde chancellent-elles ? — Le remède”, tout cela montra qu’à l’origine de la Société des Nations se trouvait Satan et que le clergé ne soutenait pas le Royaume messianique de Dieu. Des explications analogues paraissaient dans le nouveau livre Délivrance et dans la nouvelle brochure L’étendard pour les peuples. Le lundi matin, le Daily News de Londres consacrait une page entière à la résolution, ainsi qu’au discours public du dimanche, et annonçait un autre discours de Rutherford pour lundi soir. Cette page du journal avait été achetée pour une somme considérable, et un million d’exemplaires de cette édition touchèrent le public.
Finalement 50 000 000 d’exemplaires de la résolution “Un témoignage” furent répandus par toute la terre, sous forme de tract et en de nombreuses langues. On dévoilait ainsi les projets humains qui étaient conçus contre le Royaume de Dieu au nom de la religion. Cette condamnation causait du tourment, comme celui que provoque la piqûre du scorpion, et elle continue à en causer.
Quand le sixième ange sonna de la trompette, quatre anges symboliques furent détachés et deux cents millions de chevaux symboliques sortirent “afin de tuer le tiers des hommes”. Ces “chevaux” figurent les moyens dont on se sert pour annoncer un terrible message de jugement, et plus particulièrement le moyen que représente l’imprimé. L’action commença en 1927, lors d’un événement important, c’est-à-dire à l’occasion d’un congrès international des Étudiants de la Bible qui se tint à Toronto, au Canada (Rév. 9:13-19). C’est là que le dimanche 24 juillet environ 15 000 personnes, réunies au Colisée, entendirent Rutherford leur donner lecture d’une résolution adressée “Aux peuples de la chrétienté”, peuples qui composent approximativement le tiers de l’humanité. La résolution demandait instamment à tous les cœurs sincères d’abandonner la chrétienté, afin de ne pas subir son sort. Les peuples étaient invités à se soumettre à Jéhovah Dieu, ainsi qu’à son Roi et à son Royaume. Quand Rutherford termina son discours public “Liberté pour les peuples”, discours qui appuyait la résolution, l’assistance se leva et adopta la résolution par acclamation. Des millions de personnes purent suivre le programme sur les ondes, grâce à une chaîne internationale de cinquante-trois stations, le plus grand réseau de l’époque. “Une gigantesque chaîne radiophonique transmet le discours de Rutherford”, voilà ce qu’a déclaré le 25 juillet 1927 le New York World. “Un immense réseau radiodiffuse dans toutes les parties du monde un discours qui condamne le clergé organisé.”
Comme les amis et soutiens de la chrétienté ont dû se tordre sous la morsure du feu de certaines des déclarations de cette énergique résolution ! Cette résolution et le discours public furent publiés dans la brochure Liberté pour les peuples. Des millions d’exemplaires furent remis entre les mains des gens et des dirigeants. Voilà comment des millions de “chevaux” symboliques partirent à l’assaut de la chrétienté, sous la direction des membres oints du reste, les “quatre anges”. Avec les années, les publications chrétiennes de ce genre se sont multipliées, devenant des centaines de millions, et des milliers d’hommes, ayant lu leur message, ont abandonné Babylone la Grande, l’empire mondial de la fausse religion. — Rév. 9:13-19 ; 18:2, 4, 5.
Des événements dramatiques se produisirent quand le septième ange sonna de la trompette. “Et il s’est produit dans le ciel des voix fortes qui disaient : ‘Le royaume du monde est devenu le royaume de notre Seigneur et de son Christ, et il régnera à tout jamais.’” Bien que le royaume du monde des hommes lui appartienne légitimement, depuis 607 avant notre ère Dieu avait permis que la royauté de la descendance ointe du roi David fût interrompue pendant “sept temps”, soit 2 520 ans. Cette période s’est terminée aux environs du 4/5 octobre 1914. Il fallait que les hommes sachent que Jéhovah régnait par l’entremise du Royaume qui fut alors instauré, qu’il ‘saccagerait bientôt ceux qui saccagent la terre’ et que ceux qui craignent son nom seraient collaborateurs avec lui pour transformer la terre en paradis. — Rév. 11:15-18.
Quand ces choses seraient-elles annoncées au monde, comme par la sonnerie de la ‘trompette du septième ange’ ? Cette proclamation commença en 1928, quand les Étudiants de la Bible se rassemblèrent en congrès à Detroit, du 30 juillet au 6 août. Le dimanche 5 août fut une journée marquante. En effet, ce jour-là, les délégués entendirent l’émouvante résolution intitulée “Déclaration contre Satan et pour Jéhovah”, ainsi que le discours “Chef des peuples” que Rutherford prononça à l’appui de la résolution. Entre autres choses, il était dit dans la résolution que Satan refusera de se dessaisir de sa domination méchante sur les nations et les peuples, et que Jéhovah, par le moyen de son agent exécutif Jésus Christ, passera à l’action contre le Diable et les forces du mal, ce qui aura pour conséquence le renversement de toute son organisation et l’emprisonnement de Satan. Il était encore déclaré dans la résolution que Dieu, par l’entremise du Christ, établira la justice sur la terre, délivrera l’humanité du mal et comblera de bienfaits toutes les nations de la terre. “C’est pourquoi, était-il dit en conclusion, le temps est venu où tous ceux qui aiment la justice doivent se ranger du côté de Jéhovah et lui obéir et le servir d’un cœur pur, afin de recevoir les innombrables bénédictions que le Dieu Tout-Puissant leur réserve.”
Des extraits de la “Déclaration contre Satan et pour Jéhovah” et du discours public prononcé à l’appui parurent dans les colonnes de L’Âge d’Or et de La Tour de Garde. D’autre part, la résolution et le discours furent publiés dans la brochure Le Bienfaiteur de l’homme, dont des millions d’exemplaires furent diffusés en plusieurs langues. Voilà comment un message qui soutenait le Royaume de Dieu et de Jésus Christ et contestait la domination du monde par Satan et ses agents résonna telle une sonnerie de trompette il y a plus de quarante ans. Cependant, grâce aux imprimés et aux discours publics il retentit depuis lors avec une force toujours plus grande, tandis que les serviteurs de Jéhovah portent sans relâche aux peuples de la terre le message du Royaume de Dieu.
UNE DES TOUTES PREMIÈRES STATIONS DE RADIO FAIT ENTENDRE SA VOIX
“La radio annonce au monde l’avènement du Millénium”, écrivait le 17 avril 1922 un journal de Philadelphie (The Record). Il ajoutait ceci : “La conférence du juge Rutherford a été transmise depuis le Metropolitan Opera. L’orateur a parlé dans le micro et le message a été porté sur des kilomètres de fils téléphoniques Bell jusqu’à la station de Howlett.” C’est par ces mots que commençait un article de presse sur la première allocution radiodiffusée de Rutherford, allocution qu’il prononça le 16 avril 1922 au Metropolitan Opera de Philadelphie. Quel en était le sujet ? “Des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais.” Son auditoire visible paraissait bien petit par rapport à tous ceux qui en Pennsylvanie, dans le New Jersey et le Delaware entendirent le discours chez eux, sur des postes rudimentaires. On les évalua à 50 000.
On était aux tout premiers jours de la radio-communication. Aux États-Unis, ce n’est pas avant 1920 que furent faites depuis la station KDKA de Pittsburgh et la station WWJ de Detroit des radiodiffusions commerciales régulières. On pouvait alors acheter des postes à galène munis d’écouteurs, mais ce n’est pas avant les années 1930 que commencèrent à paraître sur le marché les postes avec haut-parleurs et antennes incorporés.
En 1920 et dans les années qui suivirent, le peuple de Jéhovah fut en petit nombre. En 1924 il n’y avait en moyenne aux États-Unis que 1 064 Étudiants de la Bible qui prêchaient chaque semaine de maison en maison. Aussi, durant cette période, le peuple de Dieu, se rendant compte du rôle que pouvait jouer la radio, vit en elle un excellent moyen de faire connaître aux masses le message du Royaume.
En 1922, Rutherford et quelques conseillers commencèrent par acheter une dizaine d’hectares de terres à Staten Island, qui fait partie de New York. À ce sujet, voici ce qu’a dit un jour Lloyd Burtch : “Un samedi après-midi, frère Rutherford a emmené quelques-uns d’entre nous à Staten Island. Quand nous sommes arrivés sur la propriété qui avait été achetée, il désigna un certain endroit au milieu des bois qui couvraient le terrain et dit : ‘Parfait ! C’est là que nous allons commencer à creuser. Nous allons construire une station de radio sur notre propre terrain.’ Avec quel acharnement nous avons creusé ! Cet été-là, nous étions au travail tous les week-ends.” Pendant tout l’hiver et une partie de l’été, les frères ont abattu beaucoup de besogne. Nombre de jeunes gens du siège de Brooklyn venaient leur donner un coup de main les week-ends.
En 1923, Ralph Leffler donnait des cours de radio dans un établissement scolaire de l’Ohio (Alliance). Un jour il reçut une lettre du bureau du président de la Société Watch Tower. Voici ce qu’elle disait : “Puisque tu donnes des cours de radio (...) n’aimerais-tu pas consacrer tout ton temps au service du Seigneur en ce domaine ?” Frère Leffler vit distinctement ici la main de Jéhovah et, par conséquent, il accepta. À la mi-octobre il arriva au Béthel et on le mit à la vaisselle. “‘Comme si je n’avais pas fait assez de vaisselle à l’armée !’ Voilà ce que je me disais.” Et il ajoute ceci : “Mais je me suis alors souvenu de ce passage de l’Écriture : ‘Le Seigneur, votre Dieu, vous éprouve, pour savoir si vous aimez le Seigneur, votre Dieu, de tout votre cœur et de toute votre âme.’ (Deut. 13:3, Version autorisée). J’en ai conclu que c’était là une nouvelle épreuve.” Un mois plus tard, il commença son travail d’installation radiophonique. “On trouva dans la ville un émetteur de 500 watts qu’on acheta pour la station”, nous dit frère Leffler. Il l’installa rapidement et bientôt tout fut près pour la première émission.
“Nous étions tous très émus, reconnaît frère Leffler. La première émission serait-elle un succès ? Parviendrait-on à la capter ? On avait reçu du gouvernement l’autorisation nécessaire et la station s’était vu attribuer les lettres WBBR. Tout était donc prêt pour la première émission. Elle eut lieu le dimanche soir 24 février 1924. J’eus le privilège de mettre l’installation sous tension pour notre première émission et il ne restait plus qu’à espérer que tout irait pour le mieux.”
Cette première émission de la WBBR dura deux heures, de 20 h 30 à 22 h 30. On donna des solos de piano, des chants et ce qui constituait la partie essentielle du programme, un discours de Rutherford sur le sujet “Radio et prophétie divine”. Ensuite chaque soir, de 20 h 30 à 22 h 30, et le dimanche, de 15 h à 17 h, on diffusait de la belle musique et des discours d’enseignement.
On eut également l’occasion de donner des dramatiques sur la WBBR. Maxwell Friend joua un rôle en ce domaine. Il avait suivi des cours d’art dramatique dans le célèbre théâtre de la ville de Zurich. Des années plus tard, Jéhovah accorda à frère Friend le privilège inattendu de créer et de diriger des drames bibliques, ainsi que des scènes qui reproduisaient ce qui se passait dans l’enceinte des tribunaux quand des témoins de Jéhovah comparaissaient devant des juges et des procureurs influencés par le clergé. Ces drames les confondaient publiquement et mettaient hors de cause les serviteurs de Dieu. Les acteurs et les musiciens qui intervenaient dans ces pièces formaient ce qu’on appelait “Le Théâtre du Roi.”
En 1928, à South Amboy, dans le New Jersey, des serviteurs de Jéhovah furent arrêtés pour avoir annoncé la bonne nouvelle le dimanche. Ces arrestations marquèrent le début de la “Bataille du New Jersey”, bataille qui dura dix ans. “Le Théâtre du Roi” joua un rôle dans ce combat. Au cours des procès, souvent les juges catholiques ne cachaient pas leur parti pris. Ils usaient d’un langage grossier et révélaient parfois sans le vouloir quels étaient certains de leurs alliés du monde ecclésiastique, alliés qui cherchaient à rester dans l’ombre. Ce qui se disait au tribunal était pris en sténo. De bons acteurs assistaient aux procès et étudiaient la voix et les intonations du juge, du procureur etc. Quelques jours plus tard, “Le Théâtre du Roi” reproduisait les scènes du tribunal avec un réalisme stupéfiant. Voilà comment les ondes servirent à démasquer l’ennemi. Les magistrats finirent par avoir tellement peur d’être mis en vedette, eux ainsi que les policiers et les procureurs qu’on avait abusés, qu’ils se montrèrent plus prudents lorsqu’il s’agissait d’affaires impliquant le peuple de Jéhovah.
Pendant trente-trois ans environ la WBBR glorifia le nom de Jéhovah et diffusa la vérité biblique. La station commença à fonctionner avec un émetteur de 500 watts. Trois ans plus tard, la Société fit l’acquisition d’un nouvel émetteur de 1 000 watts. En 1947, la Commission fédérale des communications autorisa la WBBR à porter sa puissance à 5 000 watts, à condition de ne pas gêner les stations qui, en divers points des États-Unis, opéraient sur la même fréquence. L’antenne directionnelle fut la solution et l’on put ainsi porter la puissance de 5 000 watts à 25 000 en direction du nord-est, dans des régions où la population était la plus dense. La WBBR était captée dans la région de New York, dans le New Jersey et le Connecticut. Mais on recevait, à propos de ses programmes, des lettres d’Angleterre, de l’Alaska, de Californie et d’autres lieux lointains.
La Société vendit la station le 15 avril 1957. Pourquoi ? Eh bien, quand la station commença ses émissions en 1924, il n’y avait qu’une seule congrégation de deux cents proclamateurs pour les cinq quartiers de New York, ainsi que pour Long Island et même pour certaines parties du New Jersey. Or, en 1957 on comptait 62 congrégations dans New York même et un maximum de 7 256 proclamateurs, sans compter 322 prédicateurs à plein temps. Un excellent témoignage était donc donné. D’autre part, on obtenait plus de résultats en parlant aux gens dans leurs foyers. Ils pouvaient poser des questions et faire ainsi plus de progrès dans la connaissance de la Parole de Dieu. L’argent que coûtaient les émissions pouvait être utilisé d’une autre manière pour faire fructifier les intérêts du Royaume de Dieu.
Mais la Société a encore fait des choses dans le domaine radiophonique. Un jour, frère Rutherford pénétra dans la chambre de Ralph Leffler, déplia sur la table une carte des États-Unis et, pointant son index, il dit : “Je songe à mettre des stations là, là et là. Serais-tu disposé à t’occuper de la construction de ces stations ?” La réponse fut : “Très volontiers.” Donc, quand arriva novembre 1924, frère Leffler était en route pour la région de Chicago, afin de travailler à la construction d’une autre station qui serait la propriété de la Société et qui devait recevoir le nom de WORD. Frère Leffler installa aussi des émetteurs pour d’autres stations qui n’appartenaient pas directement à la Société mais qui étaient dirigées par ses représentants.
LE PEUPLE DE DIEU ÉCRIT QUELQUES PAGES DE L’HISTOIRE DE LA RADIO
Dans les années 1920, le peuple de Jéhovah ne fit pas seulement œuvre de pionnier en installant la WBBR, une des toutes premières stations émettrices, mais, comme on l’a déjà noté, les serviteurs de Dieu écrivirent une page de l’histoire de la radio le dimanche 24 juillet 1927, le jour où Rutherford prit la parole sur les ondes d’un réseau de cinquante-trois stations, depuis Toronto au Canada — la plus grande chaîne radiophonique qui eût jamais été réalisée.
Comment est-on parvenu à réaliser cet immense réseau radiophonique ? À la suite de toute une série d’événements. Un accord était intervenu entre la WBBR et le propriétaire de la station new-yorkaise WJZ sur le partage du temps, mais l’accord ne fut pas tenu. Plus tard, la WBBR se vit assigner une autre longueur d’ondes et, plus tard encore, on lui assigna une nouvelle longueur d’ondes, moins favorable. En vertu de la loi No 27 sur la radiodiffusion, la station WBBR intenta une action devant la Commission fédérale de radiodiffusion ; elle demandait qu’on lui assigne une meilleure longueur d’ondes. Lors de l’audition (14, 15 juin 1927), M. Aylesworth, président de la Compagnie nationale de radiodiffusion, se mit à parler des grands services que rendaient les stations new-yorkaises WEAF et WJZ, voulant laisser entendre par là qu’il ne serait pas juste de permettre à la WBBR d’occuper une partie du temps, bien que la WJZ et la WEAF eussent des longueurs d’ondes différentes. Durant le contre-interrogatoire mené par Rutherford, celui-ci posa à M. Aylesworth la question suivante : “Votre but, c’est de donner aux gens, grâce aux ondes, le message des plus grands financiers, des hommes d’État les plus éminents et des ecclésiastiques les plus célèbres du monde, n’est-ce pas ?” Il répondit par l’affirmative.
“Si vous étiez convaincu que le grand Dieu de l’univers allait sous peu mettre en œuvre son plan en vue de bénir toutes les familles et les nations de la terre par la paix, la prospérité, la vie, la liberté et le bonheur, ne feriez-vous pas le nécessaire pour diffuser la nouvelle sur les ondes ?” Il aurait été difficile à M. Aylesworth de répondre autrement que par l’affirmative. C’est ce qu’il fit, puis, de lui-même, il déclara qu’il diffuserait volontiers une conférence du président de l’Association internationale des Étudiants de la Bible. Naturellement, Rutherford accepta l’offre.
C’est ainsi que le dimanche 24 juillet 1927, tandis que frère Rutherford parlait à Ontario devant un auditoire visible de 15 000 personnes, des millions d’autres purent l’entendre sur les ondes, grâce à un réseau radiophonique comme on n’en avait encore jamais vu. Dans une lettre adressée à la Société par la Compagnie nationale de radiodiffusion, il était dit ceci : “À mon avis, le juge Rutherford a eu hier après-midi le plus grand auditoire qu’un homme ait jamais pu avoir sur les ondes.”
En 1928, les Étudiants de la Bible jouèrent encore un rôle dans un autre grand événement de l’histoire de la radiodiffusion. À Detroit, le dimanche 5 août, alors que Rutherford parlait sur le sujet “Un Chef pour l’humanité” devant un auditoire de 12 000 personnes, son discours public fut diffusé par un réseau qui mettait à contribution 107 stations reliées entre elles par 54 000 kilomètres de fils téléphoniques et 147 000 kilomètres de fils télégraphiques. Ce message fut retransmis sur ondes courtes jusqu’en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Le réseau Tour de Garde ou réseau “Blanc” fut mis sur pied en 1928, précisément pour pouvoir être utilisé à l’occasion du congrès de Detroit. Les résultats furent si prometteurs que la Société Watch Tower résolut de faire fonctionner aux États-Unis et au Canada un réseau de trente stations qui émettraient chaque semaine. On se décida pour un programme d’une heure, qui serait diffusé depuis la WBBR. Ce furent des émissions intéressantes et vivantes. On y entendait un discours de Rutherford, discours qui était précédé et suivi de morceaux de musique joués par l’orchestre de la Société. Tous les dimanches, depuis le 18 novembre 1928 jusqu’à la fin de l’année 1930, ceux qui écoutaient la radio pouvaient prendre “L’heure de La Tour de Garde”.
Les programmes radiophoniques accaparaient le temps de frère Rutherford. Un excellent témoignage était donné, certes, mais cela empêchait Rutherford de voyager et d’organiser des congrès en divers points du globe. C’est pourquoi la Société décida, en 1931, de diffuser des programmes enregistrés. On demanda à deux cent cinquante stations de transmettre les enregistrements de quinze minutes que frère Rutherford pouvait faire aux moments qui lui convenaient le mieux et que les stations passaient aux heures fixées par leurs studios. En 1932, ce service radiophonique (appelé la chaîne Wax) s’étendit à 340 stations. En 1933, année record, 408 stations furent mises à contribution pour porter le message à six continents, et 23 783 discours furent diffusés, dont la plupart étaient des enregistrements de quinze minutes. À l’époque, on pouvait capter sur son poste des émissions de La Tour de Garde transmises à la même heure par des stations fort éloignées les unes des autres. Souvent les ondes étaient pleines de paroles de vérité qui glorifiaient Dieu.
UNE IMPRIMERIE À NOUS
De plus en plus le peuple de Jéhovah attirait l’attention du public On était au courant de l’ampleur des réseaux radiophoniques qu’il avait réalisés. On ne pouvait pas ignorer l’existence des proclamateurs du Royaume, car leur prédication de maison en maison allait s’accélérant. Les commandes de publications se multipliaient et l’imprimerie de la Société s’efforçait de les honorer. Se reportant à la seconde moitié de la période 1920-1930, frère Barber écrit : “L’imprimerie du 18 Concord Street [Brooklyn, New York] était devenue trop petite pour répondre à nos besoins.”
C’était clair. Les Étudiants de la Bible avaient besoin d’une autre imprimerie. Ils décidèrent d’en construire une. Comme on ne pouvait pas réunir assez d’argent sans compromettre l’œuvre dans les autres parties de la terre, la Société résolut de rassembler les fonds nécessaires en hypothéquant partiellement ses biens immobiliers, jusqu’à concurrence de la moitié de leur valeur. On émit à cet effet des bons de 100, 500 et 1 000 dollars, qui rapportaient un intérêt de 5% payable annuellement. Par un supplément qui parut dans La Tour de Garde, les Étudiants de la Bible se virent offrir l’occasion de s’inscrire pour obtenir des bons, plutôt que de les laisser se vendre sur le marché public.
En 1926 et en 1927 les membres de la famille du Béthel de Brooklyn eurent la joie de voir la nouvelle imprimerie commencer à prendre forme. Bientôt tout fut prêt. Un bâtiment moderne de sept étages, en béton armé et à l’épreuve du feu, se dressait au 117 Adams Street. Les différents étages représentaient une surface de travail de 6 500 mètres carrés. En février 1927 le moment était venu de quitter le 18 Concord Street. “Je revois encore frère Martin [le responsable de l’imprimerie] et les autres frères danser de joie quand on déménagea les machines”, nous dit Harry Petros. L’enthousiasme que la nouvelle imprimerie avait provoqué chez frère Martin transparaît dans son rapport au président de la Société et qui fut publié dans l’Annuaire de 1928. Il y faisait remarquer que même nos détracteurs reconnaissaient à présent que c’était “l’une des plus belles imprimeries du centre de l’industrie mondiale de l’édition, à savoir New York”. Le rapport contient la description suivante :
“Le bâtiment a été conçu en fonction de notre travail. La fabrication descend d’étage en étage, automatiquement et logiquement. Au dernier étage, est-il besoin de le dire, se trouvent les bureaux ; à l’étage au-dessous se dresse tout ce qui concerne la composition (linotypes, etc.) ; les clichés descendent à l’étage inférieur, le cinquième, où se fait l’impression ; le service postal et les brochures occupent le quatrième étage ; la fabrication est entreposée au deuxième, l’expédition occupe le premier ; les stocks de papier, le garage et les génératrices sont au rez-de-chaussée. On ne saurait imaginer disposition plus pratique.”
Au siège travaillaient près de deux cents personnes. Il fallait agrandir le Béthel. En décembre 1926, la Société acheta le lotissement contigu à la propriété qu’elle possédait au 124 Columbia Heights à Brooklyn. Au début de janvier 1927 les trois édifices qui portaient les numéros 122, 124 et 126 furent démolis et on commença à construire un immeuble de huit étages et de quatre-vingts chambres. Cela devait former un ensemble avec le bâtiment que la Société avait achevé en 1911, sur l’arrière, et qui donne sur la Furman Street.
“ENSEIGNÉS PAR JÉHOVAH”
Jéhovah a béni son peuple dans les années 1920 et il a veillé à ce que ses serviteurs aient tout ce qu’il fallait pour faire fructifier les intérêts du Royaume. Jéhovah se révéla aussi comme étant le Dieu de la révélation progressive. Et il arriva que les Étudiants de la Bible devaient parfois redresser dans une certaine mesure leur manière de voir. Mais ils étaient reconnaissants de ce que Dieu les guidait et ils désiraient ardemment “être enseignés par Jéhovah”. — Jean 6:45 ; És. 54:13.
Ainsi, le peuple de Dieu dut redresser sa manière de voir en 1925. On s’attendait pour cette année-là à un rétablissement et à des bénédictions. En effet, comme on le croyait alors, cette année-là devait marquer la fin de soixante-dix jubilés de cinquante ans chacun, depuis l’entrée d’Israël en terre de Canaan (Lév. 25:1-12). Voici ce que déclare frère Schroeder : “On pensait que le reste des disciples oints du Christ irait au ciel pour faire partie du Royaume et que les fidèles d’autrefois tels qu’Abraham, David et d’autres ressusciteraient comme princes pour assumer, en tant que partie du Royaume de Dieu, le gouvernement de la terre.”
L’année 1925 s’en vint et l’année 1925 s’en alla, et les disciples oints de Jésus étaient encore sur la terre en tant que classe. Les fidèles d’autrefois — Abraham, David et d’autres — n’avaient pas été ressuscités pour devenir princes sur la terre (Ps. 45:16). À ce sujet voici ce qu’a écrit Anna MacDonald : “1925 fut une année bien triste pour beaucoup de frères. Il en est qui trébuchèrent ; leurs espérances étaient anéanties. Ils s’attendaient à voir ressusciter des ‘anciens dignitaires’ [hommes d’autrefois comme Abraham]. Au lieu de voir cela comme ‘une chose probable’, ils ont compris que c’était ‘une chose certaine’, et il y en eut qui firent des préparatifs pour leurs bien-aimés, s’attendant à leur résurrection. Pour ma part, j’ai reçu une lettre de la sœur qui m’avait conduite à la vérité. Elle m’informait qu’elle s’était trompée dans ce qu’elle m’avait dit (...) [Mais] j’étais reconnaissante d’avoir été libérée de Babylone. Vers quoi d’autre pourrait-on aller ? J’avais appris à connaître et à aimer Jéhovah.”
Les fidèles serviteurs de Dieu ne s’étaient pas voués à lui jusqu’à une certaine date seulement. Ils étaient résolus à le servir pour toujours. Pour ces personnes, le fait que les choses prévues pour 1925 ne se réalisèrent pas ne posa pas de grand problème ni n’affecta leur foi. “Pour les fidèles, écrit James Poulos, 1925 fut une année merveilleuse. Par son ‘esclave fidèle et avisé’, Jéhovah attira notre attention sur le chapitre douze de la Révélation. Nous fûmes éclairés sur les points suivants : la ‘femme’, l’organisation universelle de Dieu ; la guerre dans le ciel et la défaite de Satan et de ses anges, qui furent chassés des parvis célestes par Jésus et ses saints anges ; ainsi que la naissance du Royaume de Dieu.” Manifestement, frère Poulos songe à l’article “Naissance de la nation” qui parut dans La Tour de Garde du 1er mars 1925. Grâce à cet article, le peuple de Dieu vit nettement sous quels traits avaient été symbolisées les deux grandes organisations rivales, celle de Jéhovah et celle de Satan. Le peuple de Jéhovah apprit encore que Satan doit limiter ses opérations à la terre depuis son expulsion du ciel, à l’issue de la ‘guerre dans le ciel’ qui éclata en 1914.
OBSERVANCES ET FÊTES
“Dans nos tout premiers congrès, entre les sessions, alors que les amis bavardaient ensemble, nous écrit Anna Zimmerman, il n’était pas rare de voir des amis vous tendre leur ‘Manne’ [livre dont le titre complet est La manne céleste quotidienne pour la maison de la foi] et vous demander de bien vouloir écrire sur leur livre vos nom et adresse. Il fallait les écrire sur la page blanche, en regard de la date de votre anniversaire de naissance. Quand arrivait votre anniversaire de naissance et que, ce matin-là, ils lisaient le texte du jour, souvent ils vous envoyaient une carte ou une lettre, pour vous souhaiter un joyeux anniversaire.”
En effet, en ces jours-là, les chrétiens voués célébraient les anniversaires de naissance. Pourquoi, dès lors, ne pas fêter l’anniversaire de la naissance de Jésus ? Au temps du pasteur Russell, on fêtait Noël dans la vieille Maison de la Bible à Allegheny. Ora Sullivan se souvient que frère Russell donnait aux membres de la famille de la Maison de la Bible des pièces d’or de cinq ou dix dollars le jour de la Noël. Voici ce qu’écrit Mabel Philbrick : “On avait alors coutume — ce qui ne se fait évidemment plus de nos jours — de célébrer Noël et d’avoir un arbre de Noël dans le réfectoire du Béthel. Au lieu de saluer la famille par un ‘bonjour à tous !’, comme il le faisait chaque matin, frère Russell disait ce jour-là : ‘Joyeux Noël à tous !’”
Pourquoi les Étudiants de la Bible ont-ils cessé d’observer la fête de Noël ? Richard Barber donne la réponse : “On m’avait demandé de faire un discours d’une heure sur les ondes d’un réseau [de radiodiffusion]. Le sujet ? La fête de Noël. Le discours eut lieu le 12 décembre 1928 et fut publié dans les colonnes de L’Âge d’Or No 241 et de nouveau, un an plus tard, dans le No 268. Dans ce discours il était démontré que Noël avait une origine païenne. Après cela, les frères du Béthel n’ont jamais plus célébré Noël.”
“Hésitions-nous à nous défaire de ces coutumes païennes ?” C’est la question que pose Charles John Brandlein, qui répond : “Nullement. Il ne s’agissait là que de se conformer aux choses nouvelles que nous venions d’apprendre. Nous ne savions pas que c’étaient des coutumes païennes. C’est comme si nous ôtions un vêtement souillé pour le jeter.” Ensuite, on se défit des anniversaires de naissance et de la Fête des Mères, — simple culte de la créature. Voici ce que déclare Lilian Kammerud : “Avec quel empressement les frères se sont défaits de toutes ces fêtes ! Et, comme ils le reconnaissaient volontiers, il étaient heureux d’être libres. Les nouvelles vérités nous remplissent toujours de joie et (...) nous sentions que nous avions le privilège de savoir des choses que d’autres ne savaient pas.”
D’AUTRES MODIFICATIONS DANS NOS MANIÈRES DE VOIR
Comme on ne cessait de faire des progrès dans la compréhension de la Parole de Dieu, il a fallu modifier encore nos manières de voir. Selon Grant Suiter, les dernières années de la période 1920-1930 se caractérisent notamment par des changements de cet ordre. “On a eu l’impression au cours de ces années-là que nos manières de voir en ce qui concerne certains passages de l’Écriture et certains comportements se modifiaient sans cesse. Par exemple, c’est en 1927 qu’on fit remarquer dans La Tour de Garde que les fidèles membres du corps de Christ qui s’étaient endormis dans la mort n’avaient pas été ressuscités en 1878 [comme on l’avait cru], que la vie est dans le sang, et aussi qu’on allait se défaire de l’habitude de s’habiller de noir.” (Voir l’édition anglaise de La Tour de Garde de 1927, pages 150-152, 166-169, 254, 255, 371, 372). À ce propos, l’année précédente, lors du congrès de Londres, celui qui se tint du 25 au 31 mai 1926, frère Rutherford se présenta sur l’estrade en costume de ville ; il n’avait pas mis la traditionnelle jaquette noire que les orateurs avaient coutume de porter chez les témoins de Jéhovah.
On changea encore notre manière de voir à propos du symbole dit “croix et couronne”, symbole qui paraissait sur la couverture de La Tour de Garde depuis le numéro de janvier 1891. En fait, depuis des années, de nombreux Étudiants de la Bible portaient un insigne avec ce symbole. Voici comment nous le décrit frère Barber : “C’était un véritable insigne. Que représentait-il ? Deux branches de laurier qui encadraient une couronne traversée d’une croix inclinée. Cela faisait assez bel effet ; en tout cas cela représentait l’idée que nous nous faisions à l’époque sur tout ce que comportait le fait de prendre notre ‘croix’ et de suivre Jésus Christ, afin de nous rendre dignes de porter en temps voulu la couronne de la victoire.”
À propos des insignes “croix et couronne”, voici ce qu’écrit Lily Parnell : “Dans l’esprit de Rutherford, tout cela était babylonien et il fallait s’en défaire. Ainsi qu’il nous le déclara, quand on allait chez les gens et qu’on commençait à parler, c’est cela qui était le témoignage.” Et à propos du congrès que les Étudiants de la Bible tinrent à Detroit en 1928, frère Suiter écrit ceci : “À cette assemblée, on nous fit comprendre que ce n’était pas nécessaire et même que c’était mal de porter l’insigne ‘croix et couronne’. Nous nous en sommes donc défaits.” Trois ans plus tard, à partir du numéro du 15 octobre 1931, La Tour de Garde ne portait plus ce symbole sur sa couverture.
Quelques années plus tard, le peuple de Dieu apprit que Jésus Christ n’était pas mort sur une croix en forme de T. Le 31 janvier 1936, frère Rutherford donna à la famille du Béthel de Brooklyn le nouveau livre Richesses. Voici ce qu’on peut y lire à la page 25 (édition française) : “Ce n’est pas sur une croix de bois telle qu’on la représente sur tant d’images et de tableaux qu’il fut crucifié, mais simplement sur le bois.”
“VOUS ÊTES MES TÉMOINS, DIT JÉHOVAH”
Le monde subit un grand choc quand arriva le jeudi 25 octobre 1929, le célèbre “jeudi noir”. La Bourse s’était effondrée. Le New York Times annonçait la nouvelle sous cette manchette : “Les cours s’effondrent — perte de 14 milliards de dollars. Panique nationale, partout on vend.” C’est ainsi que commença la Grande Dépression qui se prolongea pendant les années 1930. Mais durant cette période secouée par la détresse économique, Jéhovah a donné à son peuple une abondante nourriture spirituelle. Il lui fit encore prendre plus vive conscience de la profonde signification de ces paroles : “Vous êtes mes témoins, dit Jéhovah ; c’est moi qui suis Dieu !” — És. 43:12, Bible de Crampon (1905).
On mettait de plus en plus l’accent sur le nom divin. Par exemple, prenez sur plusieurs années les articles de fond du numéro du 1er janvier de l’édition anglaise de La Tour de Garde. En voici les titres : “Qui honorera Jéhovah ?” (1926), “Jéhovah et ses œuvres” (1927), “Honorez son nom” (1928), “Je louerai mon Dieu” (1929) et “Chantez à Jéhovah” (1930).
Pour ce qui est d’exalter le nom de Jéhovah, cependant, le congrès que le peuple de Dieu tint à Columbus du 24 au 30 juillet 1931 fut un événement marquant. Il fut exceptionnel en ce qu’il devait être prolongé par des congrès qui se tiendraient en 165 points du globe. Mais ce n’était pas là la chose la plus importante. Il y avait encore autre chose, quelque chose de plus significatif et non sans rapport avec les lettres mystérieuses ‘JW’. On les voyait sur les programmes et sur Le Messager, journal de l’assemblée. En fait, on les voyait un peu partout. “Quand nous avons approché des lieux de l’assemblée, écrit Burnice Williams, nous avons vu des ‘JW’ partout. Ignorant ce que signifiaient ces lettres, nous nous posions des questions : ‘JW ? Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?’” Quant à Herschel Nelson, elle nous dit : “Nous nous livrions à toutes sortes de conjectures sur la signification des deux lettres JW (...).”
C’est le dimanche 26 juillet 1931 que fut révélée la signification des deux lettres “JW”, lorsque les congressistes adoptèrent avec enthousiasme une résolution présentée par Rutherford et qui avait pour titre “Un nouveau nom”. En voici des extraits :
“Par ces motifs : il est nécessaire maintenant, afin que notre position exacte puisse être déterminée et connue, — et nous croyons agir ainsi en harmonie avec la volonté de Dieu telle qu’elle est exprimée dans sa parole, — qu’il soit résolu ce qui suit :
“Que nous avons un grand amour pour le frère Charles T. Russell, à cause de son œuvre, et que nous reconnaissons volontiers que le Seigneur s’est servi de lui et a grandement béni son travail ; que néanmoins, conformément à l’enseignement de la parole de Dieu, nous ne pouvons consentir à être appelés par le nom de ‘Russellistes’ ; que la Tour de Garde, Société de Bibles et de Tracts, l’Association Internationale des Étudiants de la Bible et la ‘Peoples Pulpit Association’ sont simplement des noms de corporations, que nous soutenons, contrôlons et dont nous nous servons, en tant que chrétiens, pour l’accomplissement de l’œuvre que nous avons entreprise par obéissance aux commandements de Dieu ; que cependant aucun de ces noms ne peut s’attacher ni être justement appliqué à nous en tant que groupe de chrétiens, qui marchons sur les traces de notre Seigneur et Maître, Christ Jésus ; que nous sommes des étudiants de la Bible, mais que, en tant que compagnie de chrétiens constitués en association, nous ne consentons pas à être appelés du nom d’‘Étudiants de la Bible’, ou de noms semblables, comme moyen d’identification de notre position devant le Seigneur ; que, d’autre part, notre groupement refuse de porter le nom de quelque homme que ce soit ;
“Que, ayant été rachetés par le sang précieux de Jésus-Christ, notre Seigneur et Rédempteur, et ayant été justifiés et engendrés par Jéhovah Dieu et appelés à son royaume, nous proclamons sans hésiter notre fidélité et notre obéissance absolues à Jéhovah Dieu et à son royaume ; que nous sommes des serviteurs de Jéhovah Dieu, chargés d’accomplir une œuvre en son nom et que c’est par obéissance à son commandement que nous rendons le témoignage de Jésus-Christ et que nous faisons connaître aux hommes que Jéhovah est le Dieu tout-puissant et véritable. C’est pourquoi nous adoptons et porterons dorénavant joyeusement le nom que le Seigneur Dieu nous a donné de sa propre bouche et par lequel nous désirons être connus et appelés, c’est-à-dire le nom de Témoins de Jéhovah.”
Tout devenait clair. Les deux lettres mystérieuses “JW” signifiaient Jehovah’s Witnesses (Témoins de Jéhovah). “Je n’oublierai jamais l’immense clameur et le tonnerre d’applaudissements qui secouèrent les lieux quand l’orateur nous apprit de quoi il s’agissait”, déclare Arthur Worsley. Herbert Boehk ajoute : “Dans toute la ville de Columbus les affiches qui disaient : ‘Bienvenue aux Étudiants de la Bible’ disparurent des devantures ; on pouvait lire maintenant : ‘Bienvenue aux témoins de Jéhovah.’”
Ce fut une joie immense de recevoir le nom de témoins de Jéhovah. La résolution intitulée “Un nouveau nom” ne fut pas seulement adoptée avec allégresse par les milliers de disciples oints du Christ réunis en assemblée à Columbus. Plus tard, les congrégations locales adoptèrent, elles aussi, la même résolution. Les témoins de Jéhovah avaient un nom dont personne d’autre au monde ne voulait. Mais les serviteurs de Dieu en étaient profondément reconnaissants. — És. 43:12.
Alors qu’il était âgé de quatre-vingt-huit ans, frère Macmillan assista à l’assemblée “Fruits de l’esprit”, assemblée qui se tint dans la même ville. À cette occasion, le 1er août 1964, il raconta des choses intéressantes à propos du nouveau nom et de son adoption. Voici ce qu’il dit :
“J’ai eu le privilège d’être ici, à Columbus, en 1931, quand nous avons reçu (...) le nouveau titre ou nom (...). Je figurais parmi les cinq personnes qui devaient faire un commentaire et dire ce qu’elles pensaient de tout cela et si elles acceptaient le nouveau nom. Voici ce que j’ai dit : ‘Je pense que c’est là quelque chose de magnifique parce que ce titre apprend au monde ce que nous faisons, quelle est notre activité. Avant cela, on nous appelait Étudiants de la Bible. Pourquoi ? Parce que c’est ce que nous étions. Puis, quand d’autres nations ont commencé à étudier avec nous, on nous appela Étudiants internationaux de la Bible. Mais maintenant nous sommes témoins de Jéhovah Dieu, et ce titre apprend au public ce que nous sommes exactement et ce que nous faisons (...).’
“En fait, c’est le Dieu Tout-Puissant, je le crois, qui amena tout cela. En effet, frère Rutherford lui-même m’a raconté qu’il se réveilla une nuit, à l’époque où il se préparait en vue de ce congrès, et il se dit : ‘Comment ai-je bien pu demander qu’on fasse un congrès international, alors que je n’ai ni discours ni message spécial pour les congressistes ? Pourquoi les rassembler tous en ce lieu ?’ Puis il se mit à réfléchir à cela, et Ésaïe 43 lui vint à l’esprit. Il se leva à 2 heures du matin et rédigea en sténo, sur son bureau, un plan du discours qu’il allait faire sur le Royaume, espérance du monde, et sur le nouveau nom. Et tout ce qu’il a dit à l’époque, il l’avait préparé cette nuit-là, ou ce matin-là à 2 heures. Et [il n’y a jamais eu] de doute dans mon esprit — ni alors ni maintenant — que c’est le Seigneur qui l’avait guidé en cette affaire et que c’est bien là le nom que Jéhovah veut que nous portions, et nous sommes très heureux d’avoir ce nom.”
“LE ROYAUME, ESPÉRANCE DU MONDE”
Au cours de l’assemblée de Columbus — le dimanche 26 juillet 1931 à midi — Rutherford a prononcé un important discours public : “Le Royaume, espérance du monde”. Les réseaux radiophoniques NBC et CBS avaient refusé de prêter leur concours. Les adorateurs de Jéhovah ont donc installé une chaîne radiophonique pour transmettre le message de Columbus ; la Compagnie américaine des télégraphes et téléphones a d’ailleurs fait ce bref commentaire : “Ce réseau spécial est le plus important jamais mis en place.” Le discours de Rutherford a donc été diffusé grâce à un relais radiophonique de 163 stations réparties aux États-Unis, au Canada, à Cuba et au Mexique.
Immédiatement après la conférence radiodiffusée “Le Royaume, espérance du monde”, Rutherford a lu le texte d’une résolution intitulée “Avertissement de Jéhovah aux gouvernants et aux peuples”. Cette résolution disait entre autres choses : “L’espérance du monde est le royaume de Dieu ; il n’y a point d’autre espérance.” Elle incitait les hommes à prendre position pour le Royaume de Dieu. Lorsque Rutherford invita son auditoire, visible et invisible, à adopter cette résolution, tous les congressistes se levèrent comme un seul homme et dirent : “Oui.” Les télégrammes reçus de toutes les parties du pays ont révélé que beaucoup d’auditeurs avaient également approuvé ce texte.
Les chefs du monde, y compris les membres du clergé, allaient donc recevoir un message au moyen du discours public “Le Royaume, espérance du monde” prononcé par frère Rutherford, et ils connaîtraient le contenu de la résolution “Avertissement de Jéhovah”. Ils apprendraient que les vrais serviteurs de Jéhovah avaient aussi adopté la résolution intitulée “Un nouveau nom”, et qu’ils seraient désormais appelés “témoins de Jéhovah”. Cela fut rendu possible grâce à la brochure Le Royaume, Espérance du Monde, qu’ils diffusèrent parmi le public en général, et envoyèrent également aux membres du clergé, aux chefs politiques et militaires et aux hommes de la haute finance. En deux mois et demi seulement, cinq millions d’exemplaires ont été répandus, et la tâche était loin d’être terminée.
Fred Anderson écrit ce qui suit à propos de la campagne entreprise à l’aide de cette brochure : “J’ai rendu visite à l’évêque qui habitait La Crosse. Il m’a invité sur un ton très cordial à entrer dans son salon. Là, je lui ai expliqué le but de ma visite et présenté la brochure. Il l’a regardée sans rien dire. J’ai donc pris congé en le remerciant de son accueil. C’est alors qu’il est entré dans une grande colère et, comme je m’apprêtais à sortir, il m’a lancé la brochure au visage. Puis il l’a ramassée et me l’a lancée de nouveau, au moment précis où je fermais la porte. Comme il n’a pu s’en débarrasser, j’espère qu’il l’a lue.” Sœur Bartow nous dit : “Lorsque le pasteur se rendit compte de ce que je lui avais remis, il vociféra : ‘Espèce de petite ignorante, tu as la prétention de venir m’apprendre quelque chose, à moi qui ai fait huit années de théologie !’ Quelle joie c’était pour moi de servir le vrai Dieu !”
NOUS FAISONS DU TROC
La dépression qui a marqué les années 30 a suscité de grandes difficultés. Les usines fermaient leurs portes. En 1932, plus de 10 000 000 de personnes étaient en chômage aux États-Unis. Les cultivateurs, les citadins, bref, la population en général ressentait les effets de la grande dépression économique.
L’argent manquait, mais les personnes au cœur sincère devaient connaître le joyeux message de la vérité biblique. Aussi, lorsque les gens ne pouvaient payer les publications, les témoins de Jéhovah n’hésitaient pas à les leur laisser gratuitement. Mais cela ne pouvait durer. Comment faire ? Margaret Bridgett dit : “Nous échangions les publications contre des œufs, du beurre, des fruits frais ou en conserve, des poulets, du sirop d’érable ; quant à moi, je les troquais contre des travaux d’aiguille — dessus de lit, housses de coussin, broderies et tapis fait main. Il m’arrivait parfois de payer mon loyer avec certaines de ces choses. (...) [Des années plus tard,] alors que j’assistais à une remise de diplômes à Galaad [école de missionnaires], j’ai eu la joie de rencontrer une sœur à qui j’avais remis une série de livres contre des dessus de lit. Elle avait accepté la vérité et entrepris le service de pionnier [prédicateur à plein temps]. Son fils s’intéressait à la vérité.”
Arden Pate et John Booth se souviennent d’avoir placé de petites cages à l’arrière de leur voiture pour transporter les poulets qu’ils recevaient en échange de publications. Mais n’allez pas croire que troquer des publications contre des poulets était toujours chose facile. Lula Glover écrit : “Nous avons parcouru de nombreux territoires en Alabama, en Georgie, en Floride, en Caroline du Nord et du Sud, et d’autres au Tennessee et au Mississippi. Vous représentez-vous sœur Green et moi en train de chasser le poulet dans la cour des grandes fermes ?”
Ces échanges n’étaient pas faits pour des raisons égoïstes. Les gens avaient besoin de la bonne nouvelle et le troc leur permettait de la recevoir sous forme imprimée. Maxwell Lewis dit : “Nous remercions sans cesse Jéhovah de nous soutenir, et nous n’avons jamais manqué de nourriture, de logement ou de vêtements.”
CAMPAGNES DES DIVISIONS
Mais l’œuvre du Royaume a de nouveau rencontré une forte opposition. En 1928, le peuple de Jéhovah avait commencé à prêcher de maison en maison le dimanche et l’opposition n’avait pas tardé à se manifester. Au cours des années 30, le nombre des arrestations n’a fait que croître ; on accusait faussement les témoins de Jéhovah de vendre sans patente, de troubler la paix et de transgresser les lois du sabbat dominical. La Société Watch Tower organisa donc un service juridique pour conseiller les frères et fit publier une brochure intitulée “Conseils pour les procès”, afin d’aider les proclamateurs du Royaume à se défendre devant les tribunaux. Lorsque le procès était perdu, nous faisions appel.
Mais nous n’allions pas en rester là ! En 1933, 12 600 témoins aux États-Unis se sont portés volontaires pour se rendre à tout moment là où il y avait de l’opposition afin d’y prêcher. Ils ont été répartis en soixante-dix-huit divisions comprenant chacune un certain nombre de voitures ; chaque voiture emmenait cinq proclamateurs. Lorsque la persécution avait sévi à un endroit, on y envoyait entre 10 et 200 voitures. Si des chrétiens venaient à être arrêtés dans le service, il fallait le signaler à la Société qui lançait alors un appel, et le dimanche midi suivant une division se rendait à un rendez-vous précis, généralement dans la campagne. Là, des instructions étaient données et des parcelles de territoire distribuées, puis la division de “sauterelles” s’abattait sur la ville, qui était entièrement visitée en l’espace de trente à soixante minutes (Rév. 9:7-9). Dans le même temps, un comité de frères se présentaient au commissariat afin d’y déposer la liste de tous les témoins ayant participé à la prédication ce jour-là. Tout proclamateur arrêté pendant la campagne devait composer un certain numéro de téléphone dès son arrivée au poste de police. Des avocats étaient prêts à venir à la rescousse avec l’argent de la caution.
À l’occasion de l’une de ces campagnes, nous avions commencé par envoyer dix voitures de témoins dans le territoire ; puis, selon ce que rapporte sœur Burnice Williams, “quelques heures plus tard, ils téléphonaient pour dire qu’on les avait arrêtés. Dix autres voitures ont donc été envoyées, et la prison s’est finalement remplie. Quand notre groupe est arrivé, il n’y avait plus de place où nous enfermer. (...) Lorsque les autorités se rendaient compte que nous étions déterminés à visiter le territoire, elles renonçaient à nous combattre, si bien que nous pouvions exercer librement notre ministère. Nous finissions toujours par gagner la bataille”.
Nicholas Kovalak junior dit que les témoins s’attendaient à être arrêtés : “Lorsque nous étions arrêtés et que l’on nous prenait nos ‘objets de valeur’, nous avions tous une brosse à dents. L’agent demandait alors : ‘Pourquoi chacun de vous a-t-il une brosse à dents ?’ Et nous de répondre : ‘Nous nous attendions à être arrêtés et mis en prison ; nous nous sommes donc préparés en conséquence.’ Il levait les bras au ciel en disant : ‘À quoi cela sert-il ?’ Les autorités savaient qu’elles n’intimideraient pas les témoins ni ne leur feraient renoncer à la prédication.”
Des dizaines d’années ont passé depuis ces campagnes menées de 1933 à 1935, mais ceux qui y ont participé s’en souviennent encore avec émotion. John Dulchinos dit : “Ce furent vraiment des années extraordinaires dont nous chérissons le souvenir. L’esprit de Jéhovah nous avait ôté toute crainte.”
LA BATAILLE DES ONDES
Malgré l’opposition croissante, les témoins de Jéhovah des années 30 prêchaient hardiment le message du Royaume de maison en maison. La radio les a également aidés à faire pénétrer la bonne nouvelle dans des millions de foyers, à la consternation du clergé. En ce temps-là, la Société Watch Tower utilisait à l’échelle internationale 408 stations de radio. Au printemps de 1933, les catholiques des États-Unis ont déclenché une campagne nationale menée par les cardinaux, les évêques et les prêtres. Quel était son objectif ? “Chasser Rutherford des ondes !”
Le pape Pie XI annonça que 1933 serait une “année sainte”. Le 23 avril 1933, Rutherford prononça le discours historique “L’année sainte et ses effets sur la paix et la prospérité”, qui fut retransmis par au moins cinquante-cinq stations radiophoniques. Ce discours exposait ouvertement la vanité des espérances offertes par la hiérarchie catholique romaine et la dénonçait comme une contrefaçon de la paix et de la prospérité promises par le Royaume de Dieu. Des dispositions avaient été prises pour que 158 stations radiophoniques rediffusent l’enregistrement de cette conférence le 25 juin 1933. Et on a distribué de maison en maison cinq millions de feuilles annonçant la retransmission. La réaction de la hiérarchie fut brutale. Les catholiques intensifièrent leurs intimidations et certains directeurs de stations de radio refusèrent d’assurer à l’avenir la retransmission d’un programme de la Société Watch Tower.
Vers la fin de 1933 et au début de 1934, le peuple de Jéhovah a fait circuler dans tout le pays une pétition protestant contre les agissements des catholiques. Adressée au Congrès, cette pétition avait recueilli 2 416 141 signatures. Le 4 octobre 1934, Rutherford comparut devant la Commission fédérale des télécommunications. Il cita des exemples précis et des chiffres montrant que les pressions exercées par les catholiques avaient sérieusement entravé la liberté de culte et l’usage de la radio accordés aux témoins de Jéhovah dans l’intérêt du public. Malgré les faits et les témoignages présentés, la Commission fédérale ne fit pas grand-chose pour changer la situation. Les serviteurs de Jéhovah ont donc fait circuler une nouvelle pétition dans tous les États-Unis. Elle fut soumise au Congrès en janvier 1935, avec un total de 2 284 128 signatures à l’appui. Les représentants du Congrès ne prêtèrent aucune attention à la seconde pétition. Finalement, les événements ont amené les témoins à faire circuler une troisième pétition pour protester contre ces méthodes d’intimidation et de boycottage et réclamer un débat public opposant les hauts dignitaires de la hiérarchie catholique romaine au juge Rutherford. Celle-ci a recueilli 2 630 000 signatures. Leonard Brown père, qui a participé à la diffusion de cette pétition, dit avoir “rencontré de nombreux catholiques qui ont accueilli favorablement l’idée d’un débat”. Cette pétition a été présentée le 2 novembre 1936 à la Commission fédérale des télécommunications, mais une fois de plus elle est restée sans effet.
Comme aucun membre du clergé catholique n’avait accepté de rencontrer Rutherford pour un débat en 1937, la Société publia une brochure intitulée “Dévoilées”, qui présentait les doctrines bibliques fondamentales et réfutait principalement les faux enseignements catholiques. Pendant que le témoin faisait jouer sur un phonographe portatif la série de disques “Démasqué” enregistrés par frère Rutherford, la personne suivait dans la brochure. Grâce au questionnaire Étude modèle No 1, il était possible de commencer ensuite une étude biblique. Melvin Sargent rapporte à ce sujet : “On m’a prié de présenter cette série de disques chez un homme qui avait invité trois autres couples de ses amis à profiter de l’étude. Il a fallu trois semaines pour couvrir ce sujet et d’autres, tels que ‘Religion et christianisme’. Sur les huit personnes présentes, six se sont vouées à Jéhovah.”
Puis, à partir du 31 octobre 1937, le peuple de Jéhovah se retira volontairement des stations de radio commerciales. Certes, il est arrivé que des discours publics prononcés par le président de la Société soient encore retransmis par toute une chaîne de stations radiophoniques et, bien entendu, la WBBR a continué de fonctionner pour la gloire de Dieu. Dès lors, de 1937 à 1940, les témoins ont intensifié l’usage du phonographe portatif et des enregistrements de discours bibliques, dans le but de faire pénétrer le message du Royaume dans des millions de foyers.
DE QUI SE COMPOSE LA “GRANDE MULTITUDE” ?
Pendant des années, cela a été une question brûlante pour les serviteurs de Jéhovah, qui considéraient la “grande multitude” (grande foule, MN) comme une classe spirituelle secondaire, destinée à être réunie aux 144 000 oints dans les cieux pour jouer le rôle de ‘compagne’ de l’Épouse du Christ (Ps. 45:14, 15 ; Rév. 7:4-15 ; 21:2, 9). Dès 1923, les “brebis” de la parabole des brebis et des chèvres avaient été comparées à une classe terrestre suscitée aux temps modernes, classe qui survivrait à Har-Maguédon et entrerait dans l’ordre nouveau promis par Dieu (Mat. 25:31-46 ; Rév. 16:14, 16). Le livre Justification (tome I), paru en 1931, identifiait les personnes marquées au front pour le salut (Ézéch. chap. 9) aux “brebis” de la parabole de Jésus. En 1932, les témoins sont arrivés à la conclusion que cette classe de “brebis” suscitée aux temps modernes avait été préfigurée par Jonadab, le compagnon de Jéhu. Pour la première fois en 1934, ces “Jonadabs”, qui ont une espérance terrestre, ont été invités à se “consacrer” ou à se vouer à Dieu pour entrer en relations avec lui, et à se faire baptiser. Toutefois, aucune nouvelle explication n’avait été avancée quant à l’identité de la “grande multitude” décrite dans le chapitre 7 du livre de la Révélation Rév 7.
Mais toutes les incertitudes relatives à la “grande multitude” furent dissipées lorsque frère Rutherford parla sur le sujet à l’occasion de l’assemblée tenue par les témoins de Jéhovah du 30 mai au 3 juin 1935 dans la ville de Washington. Dans son discours, il a montré à l’aide des Écritures que les expressions “grande multitude” et “autres brebis”, lesquelles devaient apparaître au temps de la fin, sont à mettre en parallèle. Webster Roe se souvient qu’au point culminant de son discours Rutherford demanda : “Que tous ceux qui ont l’espérance de vivre éternellement sur la terre veuillent bien se lever.” Selon frère Roe, “plus de la moitié des assistants se levèrent” ; l’orateur dit alors : “VOYEZ LA GRANDE MULTITUDE !” “Tout d’abord il y eut un grand silence, rapporte Mildred Cobb, puis des cris de joie retentirent et tout le monde se mit à applaudir à n’en plus finir.”
L’assemblée passa très vite, mais elle avait suscité le désir de rechercher ces “brebis”. Sadie Carpenter écrit : “Débordants d’enthousiasme et l’esprit renouvelé, nous sommes retournés dans notre territoire pour trouver ces ‘brebis’ qui devaient encore être rassemblées.”
Après l’assemblée de 1935, certains n’ont plus pris le pain et le vin lors de la célébration du Repas du Seigneur. Ils n’étaient pas devenus infidèles, mais ils avaient compris que leur espérance était terrestre et non céleste. Jusqu’en 1935, les publications de la Société avaient été rédigées principalement pour les disciples oints de Jésus, mais à partir de cette date, La Tour de Garde et les autres imprimés chrétiens apportèrent la nourriture spirituelle non seulement à la classe ointe, mais aussi à ses compagnons qui ont une espérance terrestre.
QUE LA VÉRITÉ RETENTISSE !
Au cours des années 30, les proclamateurs du Royaume se sont servis du phonographe à disques pour rechercher les “brebis”. Henry Cantwell nous en parle en ces termes : “En 1933, la Société commençait à étendre le champ de la prédication ; aussi a-t-il été décidé d’enregistrer sur disques les discours présentés par frère Rutherford dans tout le pays. À cette fin, la Société a entrepris la fabrication de phonographes à disques. (...) Il y en avait toute une variété. Certains discours étaient entièrement reproduits sur un seul disque, alors que pour d’autres il en fallait deux et même quatre. Il y avait des discours de 15, 30 et 60 minutes. Nous pouvions ainsi tenir des réunions publiques dans les différentes parties de notre territoire.”
Julia Wilcox apporte d’autres précisions, disant : “Nous commencions par chercher un foyer ou parfois un édifice public, une vieille grange ou même une église, où il serait possible de faire entendre un discours d’une heure. Puis nous passions la plus grande partie de la journée à annoncer la conférence de maison en maison, prenant des dispositions pour revenir chercher ceux qui n’avaient pas de moyen de locomotion.”
Pour une série de douze réunions, le territoire était fait trois fois avec des publications bibliques et quatre fois pour annoncer le discours enregistré. On faisait également de la publicité en apposant des affiches aux vitrines des magasins et sur les voitures des témoins. D’excellents résultats ont ainsi été obtenus et beaucoup de personnes se sont mises à étudier régulièrement et même à participer à l’œuvre de prédication.
Selon Ralph Leffler, “la Société utilisa des centaines de disques 33 tours pour répandre la bonne nouvelle. De nombreuses voitures et des camions munis de haut-parleurs sillonnaient les rues pour faire entendre le message gravé sur les disques. Les mots ‘Message du Royaume’ étaient écrits sur le pavillon du haut-parleur et servaient de thème. Dans toute la ville et jusque dans la campagne environnante, le témoignage était ainsi donné. (...) Les frères arrêtaient parfois la voiture en haut d’une colline dominant une petite ville située dans la vallée ; alors, dans le calme du soir, le son portait à des kilomètres à la ronde”.
Rassemblant ses souvenirs, Henry Cantwell écrit : “Nous nous rendions dans une partie du territoire, nous jouions de la musique pour attirer l’attention, et après quelques paroles d’introduction au microphone, nous passions l’un des discours enregistrés. Puis nous annoncions que des personnes allaient faire du porte à porte pour donner de plus amples renseignements à ceux qui en désiraient.” Des bateaux munis de haut-parleurs opéraient de la même manière.
La prédication ainsi effectuée par les témoins de Jéhovah rencontra de l’opposition. À ce sujet, Lennart Johnson écrit ce qui suit :
“Dans la 11ème Rue des faubourgs sud de Rockford [Illinois], une dame n’a pas du tout apprécié le message du Royaume ni l’activité déployée à l’aide des voitures sonorisées. Perdant toute maîtrise sur elle-même, cette femme a sauté dans sa voiture et est allée se mettre près du véhicule des témoins ; puis, cherchant à couvrir la voix de l’orateur, elle s’est mise à klaxonner pendant trois ou quatre minutes. Mais à en juger par ce qui est arrivé à son avertisseur, tout ce qu’elle a gagné, c’est une batterie déchargée.”
Cette activité a également eu son côté amusant. Julia Wilcox dit : “Au début, certaines personnes étaient effrayées. Par exemple, il y en avait qui travaillaient dans les champs, loin de la voiture sonorisée ; elles avaient l’impression qu’une voix venant du ciel leur parlait de Dieu. On nous a même rapporté que des familles ont quitté le travail des champs pour rentrer chez elles, croyant que le jour du jugement dernier était arrivé.”
INTENSE ACTIVITÉ AVEC LE PHONOGRAPHE
Pendant des années, le phonographe portatif a joué un rôle important dans la prédication du Royaume. Le congrès général tenu à Columbus, dans l’Ohio, du 15 au 20 septembre 1937, contribua beaucoup au développement de cette activité. À propos de ce congrès, Elwood Lunstrum fait le commentaire suivant :
“À cette assemblée, on inaugura l’activité de maison en maison avec le phonographe portatif. Auparavant, nous emmenions aussi l’appareil dans le service, mais nous ne le faisions jouer que lorsque la personne nous invitait à entrer. (...)
“Le service de ‘pionnier spécial’ fut créé au congrès de Columbus. Les pionniers devaient prendre la tête dans l’activité avec le phonographe, suivre l’intérêt manifesté par les personnes bien disposées (en faisant ce que l’on a appelé pour la première fois des ‘visites complémentaires’ [nouvelles visites]) et conduire des études bibliques selon la méthode désignée par l’expression ‘étude modèle’.”
Peu de temps après cette assemblée, environ 200 pionniers spéciaux, choisis dans tous les États-Unis, ont été envoyés dans les grandes villes où il y avait déjà des congrégations du peuple de Dieu. Munis de phonographes portatifs, ces proclamateurs à plein temps se sont mis au travail. Les témoins de Jéhovah en général n’ont pas tardé à prendre conscience de l’importance de cet outil. En deux ans, les ateliers de la Société à Brooklyn ont dû fournir plus de 20 000 phonographes ; ils n’ont d’ailleurs pu satisfaire toutes les commandes, car des milliers de proclamateurs déployaient une activité intense avec cet instrument et faisaient retentir le message de vérité partout.
Avec le temps, quelques changements ont été apportés aux phonographes. En 1934, il existait un modèle robuste de faible encombrement, muni d’un moteur à ressort ; il pouvait contenir six disques et le tout pesait environ dix kilos. Les frères se sont fait des muscles avec celui-là ! Environ deux ans plus tard, la Société en a fourni un plus léger ; puis, lors des assemblées de 1940, le phonographe de type vertical a été lancé. Conçu et fabriqué par des frères travaillant au siège de la Société, ce phonographe fonctionnait dans la position debout ; un petit espace était même prévu pour des publications et un sandwich. Ce modèle a beaucoup facilité la prédication de porte en porte.
Maintenant, reportez-vous trente ans en arrière et imaginez que vous êtes dans le service. “La personne ouvre la porte et vous dites : ‘J’ai un message pour vous.’ Vous posez le bras du phonographe sur le disque et aussitôt la voix de frère Rutherford retentit”, rapporte sœur Reusch. “À la fin du message, dit Angelo Manera junior, l’orateur propose un livre approprié et en mentionne le prix. Vous présentez donc ce livre et la personne l’accepte, si son intérêt a été éveillé.” “Nous nous sommes toujours efforcés d’être polis, dit George McKee, mais nous n’avons jamais perdu de vue que tous doivent entendre la bonne nouvelle du Royaume.”
L’activité avec le phonographe rencontra également de l’opposition. Ernest Jansma nous dit : “On a arraché le phonographe des mains de certains proclamateurs et on l’a réduit en miettes sous leurs yeux ; d’autres ont vu des individus brutaux lancer leur appareil dans la rue. Un frère du Middle West, lui, a vu un fermier furieux décharger son fusil de chasse sur le phonographe et le transformer en passoire et, tandis que le frère quittait les lieux au volant de sa voiture, il a entendu les plombs siffler autour de lui. Les gens étaient méchants et fanatiques en ces jours-là.” Amelia et Elizabeth Losch nous rapportent qu’un jour, alors qu’elles faisaient entendre le disque “Ennemis” à des personnes rassemblées devant une maison, une femme arracha le disque du phonographe et le brisa en disant : “Vous n’avez pas le droit de parler ainsi de mon pape !”
Mais malgré l’opposition, l’activité avec le phonographe s’est poursuivie. Puis, dans les années 40, on l’a de moins en moins employé dans le ministère. À partir de 1944, la campagne de prédication avec le phonographe, qui avait duré dix ans, commença à faire place au témoignage oral.
La carte de témoignage fut un autre moyen utilisé dans les années passées pour prêcher la bonne nouvelle ; inaugurée vers la fin de 1933, elle servit utilement jusque dans les années 1940. John et Helen Groh en parlent en ces termes : “Les proclamateurs n’étaient pas aussi nombreux et aussi bien formés qu’aujourd’hui. Pour nous aider dans notre travail, et afin que le territoire soit fait plus en profondeur, la Société nous fournissait des cartes de témoignage ou petits sermons imprimés que nous demandions aux personnes de lire. En cas de refus ou si notre interlocuteur n’avait pas ses lunettes à portée de la main, nous expliquions la teneur du message imprimé.”
UNE AUTRE FAÇON D’ANNONCER LE ROYAUME
Une importante forme de service qui attira l’attention du public sur le peuple de Jéhovah occupé à annoncer le Roi et le Royaume fut inaugurée au congrès de Newark, dans le New Jersey, en 1936 et mise de nouveau en évidence à l’assemblée de Londres en 1938. Des années plus tard, cette activité reçut le nom officiel de marche publicitaire. À propos du congrès de Newark tenu en 1936, Rosa May Dreyer dit : “Des ‘hommes-sandwiches’ annoncèrent le discours principal et distribuèrent des feuilles d’invitation.”
À l’occasion de l’assemblée de Londres en 1938, Rutherford suggéra que des témoins portent, fixés sur des perches, des panneaux sur lesquels on lirait des slogans incitant à la réflexion. Frère Schroeder (qui était alors responsable de la filiale de la Société en Angleterre) nous dit :
“(...) Le lendemain soir, frère Knorr et moi avons conduit le premier défilé d’une longueur de neuf kilomètres environ ; près de mille frères traversèrent le centre d’affaires de Londres. Entre chaque homme-sandwich, un témoin portait le panneau ‘Face aux réalités’ [annonçant la conférence publique qui devait se tenir au Royal Albert Hall], et un autre le panneau ‘La religion est un piège et une escroquerie’. Quel spectacle fut donné ce soir-là !
“Le lendemain matin, frère Rutherford m’appela dans son bureau pour que je lui fasse un rapport sur ce qui s’était passé. Je lui ai dit que nous avions effectivement attiré l’attention des gens et que beaucoup nous avaient appelés ‘communistes’. Il réfléchit quelques instants, jouant avec son crayon, puis il arracha une feuille de papier sur laquelle il avait écrit : ‘Servez Dieu et Christ, le Roi’, et me la tendit. Il me demanda si ce slogan apposé sur un troisième panneau neutraliserait la réaction hostile de la veille. Sur ma réponse affirmative, il donna des instructions pour que ce slogan soit imprimé et utilisé lors du prochain défilé, qui devait avoir lieu deux jours plus tard. Les résultats ont été excellents. Ainsi, avant que ne commence l’assemblée prévue du 9 au 11 septembre, nous avons conduit plusieurs défilés dans lesquels figuraient ces trois slogans, alternés. Comme le gouvernement britannique nous refusait depuis des années le droit d’utiliser la radio pour nos programmes éducatifs et notre publicité, ces défilés se sont révélés efficaces pour attirer l’attention du public.”
Pour Gladys Bolton, les marches publicitaires étaient “l’activité la plus difficile de toutes”. Elle ajoute : “Chaque pancarte portait un slogan différent, mais celui qui m’a le plus frappée, c’est ‘La religion est un piège et une escroquerie’. Il était loin de plaire au clergé.” Toujours à propos de ce slogan, Ursula Serenco dit : “À cette époque-là, nous ne parlions pas de ‘vraie religion’ ni de ‘fausse religion’ ; pour nous, toutes les religions étaient mauvaises. Nous donnions au vrai culte le sens de ‘adoration’ et au faux culte le sens de ‘religion’.”
Parfois, les marches publicitaires suscitaient une opposition ouverte. John Sovyrda écrit : “Dans certaines villes comme Pittston [Pennsylvanie], nous n’étions pas bien accueillis. Beaucoup de gens nous crachaient au visage, nous injuriaient grossièrement, disant que nous étions des communistes. Ils nous lançaient tout ce qu’ils avaient sous la main et quelques-uns sont même allés jusqu’à nous frapper à coups de poing.”
Mais alors, pourquoi les témoins de Jéhovah organisaient-ils ces marches publicitaires ? Charles Eberle répond : “Essentiellement pour que les gens connaissent la vérité sur le faux culte et sur l’opposition manifestée à l’égard de notre activité chrétienne.” Angelo Manera junior ajoute : “Nous considérions chaque nouvelle forme de service proposée comme un autre moyen de servir Jéhovah, une autre façon de lui prouver notre fidélité, une nouvelle mise à l’épreuve de notre intégrité, et nous étions impatients de lui montrer notre zèle à le servir selon sa volonté.”
Grant Suiter précise que les marches publicitaires ont pris fin en octobre 1939, à la suite d’un avis publié dans La Tour de Garde ; il ajoute cependant : “Cette façon inhabituelle et efficace d’attirer l’attention de nombreuses personnes sur le ministère des témoins de Jéhovah était unique en son temps. Incontestablement, Dieu avait dirigé et mis un terme à cette activité. Certes, il existe encore aujourd’hui des manifestations publiques de toutes sortes, mais nous n’y participons pas et aucune de nos activités ne peut être confondue avec de telles démonstrations.”
LA “VRAIE SAGESSE” SE RÉPAND GRÂCE AUX PÉRIODIQUES
Les proclamateurs du Royaume ont eu d’excellentes occasions d’aider au rassemblement de la “grande foule” et de répandre la vraie sagesse en proposant de porte en porte l’abonnement aux périodiques La Tour de Garde et Consolation. Lors de la première campagne d’abonnements à Consolation organisée d’avril à juin 1938, 73 006 nouveaux abonnements ont été enregistrés aux États-Unis. La première campagne annuelle d’abonnements à La Tour de Garde eut lieu de janvier à mai 1939, et rien qu’aux États-Unis les témoins de Jéhovah ont recueilli 93 000 nouveaux abonnements.
Mais La Tour de Garde et Consolation devaient encore être portés d’une toute autre manière à l’attention du public. “La vraie sagesse” crierait littéralement ‘dans les rues’. (Prov. 1:20.) Comment cela ? Grâce à la diffusion du périodique dans les rues, qui fut inaugurée en février 1940. Les serviteurs de Jéhovah se postaient au coin des rues passantes, ils portaient un sac en bandoulière sur lequel étaient inscrits les noms des deux périodiques ainsi que la contribution suggérée. Tenant le journal Consolation bien haut, le proclamateur du Royaume criait : “Ce périodique publie des faits qu’aucun autre journal n’ose imprimer !” ou bien : “Il dénonce la religion comme étant une escroquerie !” ou encore : “La Tour de Garde annonce le gouvernement théocratique !” On encourageait les proclamateurs à être modérés dans leur langage et à avoir une tenue digne. Inutile de dire que les passants s’arrêtaient, et beaucoup acceptaient les numéros proposés.
Mais qu’est-ce qui est à l’origine de cette activité ? Frère Johnston se souvient qu’en 1939 la Société a écrit à tous les serviteurs de zone (aujourd’hui surveillants de circonscription) pour leur demander des suggestions sur la façon de présenter La Tour de Garde et Consolation. Frère Johnston pensa aux crieurs de journaux avec leur sac en bandoulière. “Essayons cela”, se dit-il. Dave et Emma Reusch acceptèrent de confectionner des sacs pour les périodiques, sur lesquels leur fille, Vera Coates, mit en couleurs les inscriptions “La Tour de Garde d’un côté et Consolation de l’autre”. Quand frère Johnston visita la petite congrégation de Concord, en Californie, un groupe de proclamateurs se joignit à lui pour l’activité dans les rues. Il écrit : “La semaine suivante, les Reusch ont fait d’autres sacs, et cette fois-ci nous nous sommes postés dans les rues du quartier d’affaires de Oakland. Au début, certains frères étaient réticents, mais finalement le travail dans les rues l’a emporté, et nous avons commencé à recevoir des commandes de sacs de la part d’autres congrégations. C’est à ce moment-là que j’ai envoyé mon rapport à la Société en y joignant un sac à titre d’échantillon. (...) La Société m’a remercié ainsi que tous les autres frères qui s’étaient livrés à cette expérience, me faisant savoir qu’un avis paraîtrait bientôt dans l’Informateur à ce sujet. C’est ce qui s’est effectivement produit.”
La Société prit des dispositions pour fournir des sacs aux proclamateurs. Nicholas Kovalak junior nous dit à ce propos : “Les proclamateurs de la congrégation de Passaic, dans le New Jersey, avaient le privilège de couper et d’assembler des sacs pour les frères dans tout le pays. Les samedis et dimanches, tous ceux qui avaient quelque habileté se portaient volontaires pour assembler et coudre les sacs dans l’atelier de confection de frère Frank Catanzaro. (...) La Société imprimait elle-même les inscriptions. Ainsi, chaque fois que nous cousions un sac, nous avions le sentiment d’annoncer à notre façon le Royaume de Dieu.”
Qu’a ressenti le proclamateur lorsque pour la première fois, en février 1940, il s’est posté au coin d’une rue pour proposer La Tour de Garde et Consolation ? Peter D’Mura répond à cette question : “Je n’ai pas oublié le 1er février 1940. (...) Quel accueil nous réserverait-on ? Quelle allait être la réaction de nos voisins et des habitants de la ville ? Nous étions impatients. Nous allions passer deux heures dans cette activité. (...) Mais quelle surprise ! Nous nous avancions vers les passants, en criant notre slogan, et nous étions bien accueillis. Chacun de nous a placé de nombreux périodiques ce jour-là.”
Se souvenant de la réaction du public, Grace Estep écrit : “Au début, les gens étaient plutôt étonnés ; certains trouvaient cela amusant, d’autres se fâchaient ; puis, beaucoup ont montré de la gêne, ils changeaient de trottoir pour éviter des voisins à qui ils ne voulaient pas parler, tout en ayant honte de feindre de les ignorer. Au bout de quelques semaines, ils ont adopté une nouvelle attitude ; ils faisaient semblant d’être très absorbés par une conversation ou par une devanture de magasin.”
Dans certains cas, la diffusion des périodiques dans les rues a suscité de l’agitation parmi la population. Frère Robbins se souvient que lui et d’autres frères ont été attaqués par un groupe de gens en colère alors qu’ils présentaient les périodiques sur la voie publique à San Antonio, au Texas. Heureusement, les témoins n’ont pas été blessés, mais ce sont eux, et non leurs assaillants, qui ont été arrêtés. Frère Robbins ajoute :
“Quand on nous a relâchés, nous sommes retournés à la Salle du Royaume pour nous réorganiser et voir ce qu’il y avait lieu de faire. (...) Nous nous sommes donc réorganisés et avons décidé de reprendre notre activité.
“Lorsque nous sommes revenus en ville, les vendeurs de journaux proposaient une édition ‘spéciale’ en criant : ‘Les témoins de Jéhovah ont quitté la ville !’ Mais nous étions de nouveau dans les rues. (...) Nous n’avions pas quitté la ville et n’étions pas près de le faire.”
“LES ANCIENS ÉLECTIFS”
Les Écritures comparent le peuple de Dieu à des brebis ayant pour Berger céleste Jéhovah (Ps. 28:8, 9 ; 80:1 ; Ézéch. 34:11-16). Outre les soins attentifs prodigués par ce Berger, les brebis sont aidées et dirigées par l’excellent Berger, Jésus Christ, et par les autres bergers établis au sein de la congrégation chrétienne (Mat. 25:31-46 ; Luc 12:32 ; Jean 10:14-16 ; I Pierre 5:1-4). Vers les années 1870 et jusqu’en 1932, les conférences et les études bibliques étaient présidées par des hommes qui avaient été nommés aînés par vote de la congrégation ; ils étaient aidés par des diacres, également élus de cette manière. Selon frère Barber, les aînés “s’occupaient des questions d’ordre spirituel, dirigeaient les réunions, prononçaient des discours et veillaient sur la congrégation dans son ensemble”, tandis que les diacres “assumaient la fonction de placeurs, veillaient à la disposition des sièges et se chargeaient des questions d’ordre matériel”.
Les aînés et les diacres étaient élus tous les ans par les membres de chaque congrégation qui votaient à main levée. Herbert Abbott nous dit ce qui suit : “À cette époque, nous pensions que le mot grec rendu par ‘nommer’ (Sg) et ‘établir’ (MN) dans Actes 14:23 avait un rapport avec le fait de tendre la main et signifiait voter à l’occasion de l’élection de la classe des conducteurs. Nous ne savions pas qu’il avait été utilisé dans le sens d’établi ou désigné par les apôtres ou le collège central.”
“Quelles qualités spirituelles étaient requises de ceux que l’on choisissait pour assumer une charge au sein de la congrégation ?”, demande Henry Rheb. Il répond en partie, disant : “Tout d’abord, on ne choisissait pas des novices, et cela était conforme aux Écritures. Avant la réunion de service, on examinait les conditions requises des anciens, énoncées dans I Timothée 3:1-13 et Tite 1:5-9.” Edith Brenisen ajoute : “Lorsque la liste des candidats était établie, on nous demandait de considérer attentivement dans la prière et à la lumière de la Bible les qualités et les aptitudes de chaque candidat choisi, sans oublier de solliciter l’aide de l’esprit saint pour prendre une décision. (...) Puis nous nous réunissions de nouveau pour élire ceux qui avaient été choisis.”
Dans certains endroits, l’élection des anciens a suscité des problèmes. Sœur Avery Bristow se souvient de “manœuvres électorales et de rivalités”. Elle dit : “Dans certaines congrégations cela créa des divisions et la confusion parmi les frères et sœurs ; il en est qui refusaient même de parler à ceux d’un autre groupe.” James Rettos ajoute : “Quelques-uns devenaient furieux lorsqu’ils n’étaient pas élus.”
Il y a également eu des problèmes en rapport avec le service du champ. Ursula Serenco écrit : “Tout alla bien jusqu’en 1927, où il a été annoncé que désormais tous participeraient à la prédication de maison en maison et présenteraient des publications, particulièrement le dimanche matin. Nos anciens électifs s’y opposèrent et tentèrent de décourager toute la classe pour qu’elle n’ait aucune part à cette activité. Les membres de la classe ont commencé à prendre parti, et des divisions se sont créées.” L’attitude de certains anciens vis-à-vis de la prédication de maison en maison étant préoccupante, il fut décidé qu’on en tiendrait compte lors du vote annuel. Par exemple, selon Robert Dawson, en 1929 les candidats à la fonction d’ancien et de diacre à Pittsburgh ont dû répondre à cette question : “Es-tu prêt à prendre part au service ?”
D’après sœur Norris, certains anciens se croyaient supérieurs et ne voulaient rien faire d’autre que des discours. Elle ajoute : “D’autres critiquaient les articles de La Tour de Garde, refusant de reconnaître ce périodique comme le canal utilisé par Jéhovah pour dispenser la vérité, et ils cherchaient à gagner les frères à leur point de vue.”
Il ne faut toutefois pas en conclure que tous les aînés élus avaient une mauvaise attitude. Beaucoup se sont acquittés fidèlement de leurs responsabilités de bergers chrétiens du peuple de Dieu (I Pierre 5:1-4). Selon James Barton, “quelques-uns seulement ont continué de faire obstacle à la prédication”. Roy Hendrix ajoute que “la plupart des anciens étaient des Étudiants de la Bible et des témoins sincèrement voués à Jéhovah”. Clarence Huzzey fait également remarquer que “bon nombre de ces anciens étaient d’excellents chrétiens mûrs, soucieux des intérêts de la congrégation”. Jéhovah paissait son peuple, et il acceptait d’utiliser ces hommes pour veiller sur ses adorateurs voués.
Les “anciens électifs” présidèrent aux activités des congrégations pendant de nombreuses années. Toutefois, en 1932 il y eut un changement temporaire. Les membres les plus anciens de la famille du Béthel de Brooklyn se souviennent encore de la réunion tenue le mercredi soir 5 octobre 1932 à la salle Apollo de Brooklyn. Quelque 300 membres de la congrégation de New York adoptèrent une résolution mettant fin à l’élection des aînés dans la ville de New York (voir La Tour de Garde de décembre 1932 et du 15 octobre 1932 [angl.]). Presque toutes les autres congrégations prirent la même résolution et cessèrent d’élire des anciens. C’est donc en 1932 que les “anciens électifs” ont été remplacés par un groupe de chrétiens mûrs appelé “comité de service”, lequel était élu par la congrégation pour aider le Directeur qui avait été établi par la Société Watch Tower.
Cette nouvelle disposition prise en 1932 a suscité des difficultés au point que certains ont même quitté l’organisation. Mais la grande majorité des congrégations et de leurs membres ont accepté avec reconnaissance ce changement.
D’AUTRES CHANGEMENTS DANS L’ORGANISATION
Pendant de nombreuses années, seuls les frères oints, disciples de Jésus Christ, assumaient des responsabilités au sein de la congrégation chrétienne. Mais à partir de 1937, les choses ont changé. Grant Suiter écrit : “Nous avons été aidés par le conseil paru dans La Tour de Garde du 1er mai 1937 (angl.) selon lequel les chrétiens appartenant à la classe de Jonadab [dont l’espérance est terrestre] peuvent être nommés à des positions de service au sein des congrégations. (...) La Tour de Garde du 15 octobre 1937 soulignait que les Jonadabs pouvaient être membres du comité de service et accomplir d’autres tâches semblables au sein des groupes [congrégations].” Selon La Tour de Garde, les “Jonadabs” pouvaient devenir “serviteurs de groupe” ou surveillants-présidents, lorsqu’il n’y avait pas de membre du reste oint. Norman Larson ajoute : “Nous voyons comment Jéhovah organisait son peuple en vue du grand accroissement à venir. Sans aucun doute, cela ouvrait des horizons nouveaux à ceux qui, comme moi, appartenaient à la classe terrestre.”
En 1938, un autre changement important intervint. Les articles “Unité d’action” et “Organisation” parus dans La Tour de Garde des 15 mai, 1er et 15 juin (angl.), ont montré qu’il n’appartenait pas aux membres des congrégations d’établir les surveillants et leurs assistants. Il était suggéré que les congrégations du monde entier examinent la résolution présentée dans La Tour de Garde et demandent que “La Société” organise la congrégation en vue du service et “nomme ses différents serviteurs”, c’est-à-dire tous ceux qui assumeraient des responsabilités sur le plan local (voir La Tour de Garde de 1938 [angl.], pages 169, 182, 183). La plupart des congrégations adoptèrent cette résolution ; quant à celles, peu nombreuses, qui la rejetèrent, elles ne tardèrent pas à perdre leur intelligence des choses spirituelles et leurs privilèges de service.
LA “SALLE DU ROYAUME”
Jéhovah, le Berger céleste, accorde à son peuple d’abondants bienfaits spirituels. Il le nourrit principalement au moyen des réunions chrétiennes (Héb. 10:24, 25). Les serviteurs de Dieu des temps modernes se sont souvent réunis dans des foyers et ont loué des salles publiques. Toutefois, après la naissance du Royaume céleste en 1914, le peuple de Dieu a commencé à donner le nom de “Salle du Royaume des témoins de Jéhovah” à leurs principaux lieux de réunions.
Selon Domenico Finelli, la première Salle du Royaume fut construite en 1927 à Roseto, en Pennsylvanie, et “inaugurée par un discours public de frère Giovanni DeCecca”. Mais c’est à partir de 1935 que l’expression “Salle du Royaume” a été utilisée dans le monde entier. Cette année-là, le président Rutherford a visité les îles Hawaii pour installer une filiale à Honolulu. Des dispositions ont également été prises pour la construction d’une salle de réunions attenant au bâtiment de la filiale. Cette salle reçut le nom de “Salle du Royaume”.
À partir de 1935, les témoins de Jéhovah ont loué et aménagé des locaux pour en faire des Salles du Royaume où ils tenaient leurs réunions. Souvent, des congrégations ont acheté, restauré ou construit des bâtiments qu’elles utilisent comme lieu de réunion pour y étudier la Bible et adorer Dieu. Il n’y a pas longtemps, frère Pelle faisait cette remarque appropriée :
“Vues du dehors, les Salles du Royaume sont attrayantes ; à l’intérieur, elles sont confortables et pratiques. Leur aspect agréable est un témoignage muet et donne aux personnes bien disposées le sentiment d’être ‘chez elles’. Les frères et les personnes sincèrement intéressées par la vérité sont pratiquement les seuls à avoir participé à la construction de ce bâtiment. Nous n’avons pas dû recourir aux organismes (du monde de Satan) pour obtenir des prêts à la construction. Tous ces biens restent la propriété du peuple de Jéhovah. Il en était de même de la tente des Israélites dans le désert [Actes 7:44]. Récemment, on m’a demandé : ‘Pourquoi appelez-vous ce bâtiment “Salle du Royaume” ?’ J’ai répondu : Les Salles du Royaume étant exclusivement consacrées au Dieu Tout-Puissant et à son Royaume, cette expression est donc tout à fait appropriée.”
LE SERVICE DE ZONE AFFERMIT LE PEUPLE DE JÉHOVAH
Dans les années 30, les membres de la “grande foule” ont afflué dans les Salles du Royaume ; il a donc fallu songer à affermir les congrégations du peuple de Dieu (Rév. 7:9). On a inauguré pour cela le service de zone, appelé aujourd’hui service de la circonscription. Une zone était formée d’une vingtaine de congrégations situées dans une certaine partie du territoire. La Société désigna un serviteur de zone qui était chargé de passer une semaine dans chaque congrégation afin de veiller à la bonne organisation de celle-ci et d’aider ses membres dans l’œuvre de prédication. De temps à autre, une assemblée de zone réunissait les vingt congrégations qui profitaient alors des instructions bibliques données et d’une édification spirituelle. Le siège de la Société désignait des serviteurs spéciaux pour desservir ces assemblées. Le service de zone commença le 1er octobre 1938 et se poursuivit jusqu’en novembre 1941.
Edgar Kennedy nous explique comment les chrétiens ont accueilli cette disposition : “Ils étaient fort satisfaits et montraient, par des témoignages d’amour, qu’ils appréciaient notre visite. Les groupes [congrégations] étaient petits, mais ils étaient très actifs. L’accroissement n’allait pas tarder à venir car les frères se soumettaient aux instructions théocratiques, ils aimaient la vérité, participaient avec zèle au service et conduisaient des études modèles. Plusieurs nouveaux groupes ont pu être formés.”
“LE SALUT APPARTIENT À JÉHOVAH”
Il fallait que l’organisation chrétienne soit forte en ces jours-là, car les témoins de Jéhovah étaient persécutés à outrance. Tout avait commencé en 1935. Que s’était-il passé ? Le lundi 3 juin de cette année-là, à l’occasion d’un congrès organisé dans la ville de Washington, frère Rutherford avait répondu à une question sur le salut au drapeau exigé des enfants dans les écoles, disant que saluer un emblème terrestre, en lui imputant le salut, était un acte d’infidélité envers Dieu, et que lui-même ne le ferait pas.
Frère Philbrick dit que la réponse de Rutherford “a certainement été entendue par des jeunes écoliers, car les journaux de Boston ont publié un article selon lequel, à l’occasion de la rentrée des classes, un jeune garçon de Lynn, dans le Massachusetts, avait refusé de saluer le drapeau américain. Il s’appelait Carleton Nichols. Le même jour, Barbara Meredith a pris une position semblable à l’école de Sudbury, dans le Massachusetts”. Toutefois, ce dernier fait n’a pas été rapporté par la presse, le professeur de la jeune fille s’étant montré tolérant.
C’est le 20 septembre 1935 que le jeune Carleton Nichols a refusé de saluer le drapeau. Le fait a été publié dans tous les États-Unis. L’Associated Press contacta le président Rutherford, pour lui demander de faire une déclaration officielle concernant la position des témoins de Jéhovah à ce sujet. Rutherford accéda à cette requête, mais la presse refusa de publier sa déclaration. Aussi, le 6 octobre 1935, à l’occasion d’une émission radiodiffusée dans tout le pays, Rutherford parla sur le thème “Le salut au drapeau”. Cette conférence fut publiée dans la brochure de 32 pages intitulée Loyauté, et diffusée à des millions d’exemplaires. Dans cette réponse à la presse américaine, il fut souligné que les témoins de Jéhovah respectent le drapeau, mais que leurs relations avec Jéhovah et leurs obligations envers lui leur interdisent formellement de saluer une image ou représentation quelconque. Cela équivaudrait pour eux à un acte d’adoration contraire aux principes renfermés dans les Dix Commandements (Ex. 20:4-6). En outre, il fut démontré que les parents chrétiens ont pour premier devoir d’enseigner leurs enfants et de leur apprendre la vérité telle qu’ils l’ont eux-mêmes comprise en étudiant les Saintes Écritures.
Bien que beaucoup de membres du corps enseignant se soient montrés tolérants, certains ont agi arbitrairement en expulsant des écoles les enfants des témoins de Jéhovah parce qu’ils avaient refusé de saluer le drapeau. Par exemple, le 6 novembre 1935, deux jeunes témoins furent renvoyés de l’école publique de Minersville, en Pennsylvanie. Leur père, Walter Gobitis, engagea des poursuites contre les autorités scolaires de Minersville. L’affaire fut présentée devant le tribunal du district est de Pennsylvanie qui se prononça en faveur des témoins de Jéhovah. Cette décision favorable fut contestée, mais la cour d’appel de la circonscription nous fit remporter la victoire. Finalement, en juin 1940, la Cour suprême des États-Unis fut saisie de l’affaire et réforma le jugement favorable par un vote de huit voix contre une. Cette décision eut des conséquences désastreuses.
Dans une ville après l’autre, les chrétiens ont été persécutés en raison de leur prise de position biblique sur la question du salut au drapeau. Par exemple, le 20 juin 1940 à Rockville, dans le Maryland, des gens auxquels s’étaient joints quelques agents de police ont attaqué des témoins de Jéhovah qui étudiaient la Bible en commun. Étant entré dans la Salle du Royaume, le chef de la bande a dit : “Je vous donne deux minutes pour saluer le drapeau, sinon ça va saigner.” Sotir Vassil rapporte : “Il y eut un silence d’environ une minute, puis un homme qui était venu à la réunion pour la première fois se leva d’un bond et, saisi d’une grande frayeur, se précipita pour saluer le drapeau et sortit. (...) Personne d’autre dans l’assistance ne salua cette image. Les deux minutes étant écoulées, le chef m’arracha tout ce que j’avais dans les mains et donna l’ordre à la bande de ‘tout casser’. Les pièces du mobilier volèrent alors en tous sens. Deux agents de police armés de pistolets étaient entrés avec eux, je leur ai demandé d’intervenir. Ils n’ont pas ouvert la bouche ni fait le moindre geste pour arrêter les vandales.” La situation s’aggrava. Frère Vassil ajoute : “Tels des démons, ils se déchaînèrent, nous poussant hors de la salle. Ils ne cessaient de crier : ‘Tuez-les ! Tuez-les ! Ce sont des nazis !’ Des enfants dans la salle se mirent à pleurer, ce qui fit dire à certains de ces forcenés : ‘Fichez les gosses par la fenêtre !’ Ils nous firent sortir dans la rue à coups de pied, en criant : ‘Chassez-les de la ville ! Chassez-les de la ville !’”
Ayant enfin réussi à échapper à la meute, frère Vassil alla voir le serviteur de zone, Charles Eberle, qui rapporta immédiatement l’incident au procureur général des États-Unis. Le lendemain, la Commission fédérale d’enquêtes examina l’affaire. Finalement le tribunal se prononça, et frère Vassil nous dit : “Après le jugement, qui fut rendu en notre faveur pour la gloire de Jéhovah, la commune de Rockville plaça un agent de police à la porte de notre Salle du Royaume à chacune de nos réunions, pour empêcher qu’un tel incident ne se reproduise. Cette fois, l’instrument utilisé par Satan pour détruire notre nouvelle congrégation et notre Salle du Royaume avait été inefficace. — És. 54:17.”
Ce fait n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il y a eu beaucoup de cas de ce genre, dont celui de l’avocat des témoins de Connersville, dans l’Indiana, qui fut battu et traîné hors de la ville. Les serviteurs de Dieu enduraient ces cruelles persécutions parce qu’ils observaient fidèlement les Saintes Écritures et affirmaient courageusement que seul Dieu, et par conséquent aucune nation, les délivrerait de leurs ennemis et des dangers. En vérité, “le salut appartient à Jéhovah”. — Ps. 3:8.
ÉCOLES DU ROYAUME
Le salut au drapeau étant devenu obligatoire dans les écoles, un grand nombre de jeunes témoins de Jéhovah se sont vus expulsés des établissements scolaires. En conséquence, la Société a aidé les vrais chrétiens à enseigner leurs enfants. Dès 1935, des écoles privées furent ouvertes ; on les appela “Écoles du Royaume”. Elles fonctionnaient grâce à des enseignants qualifiés, eux-mêmes témoins de Jéhovah, qui offraient leur temps et leurs forces pour instruire les jeunes témoins expulsés des écoles publiques. Le peuple de Dieu organisa et finança ces écoles privées en différents endroits du pays.
L’une de ces Écoles du Royaume se trouvait à Lakewood, dans le New Jersey. D’après frère Erlenmeyer, qui fréquenta cette école, la Salle du Royaume de la congrégation était au rez-de-chaussée ainsi que la salle de classe, la cuisine et le réfectoire. Au premier étage il y avait les chambres des filles, et au second celles des garçons. “Évidemment, dit frère Erlenmeyer, la plupart d’entre nous logeaient sur place ; tout au plus, nous rentrions chez nous les week-ends. Ceux qui habitaient plus loin retournaient chez eux tous les quinze jours, et la dernière année, toutes les trois semaines seulement, en raison du rationnement de l’essence.”
Le travail ne manquait pas ; aussi y avait-il à demeure un cuisinier et une femme de ménage. Mais les enfants devaient également accomplir certaines tâches : aider à la cuisine, laver et essuyer la vaisselle, sortir les ordures, etc. Au petit déjeuner, on examinait le texte biblique du jour, et la classe commençait par une étude de la Bible d’une demi-heure. Les enfants étaient ainsi nourris spirituellement. En outre, ils avaient l’occasion d’utiliser ce qu’ils avaient appris dans le service du champ les samedis et dimanches.
Une autre École du Royaume fonctionnait à Gates, en Pennsylvanie, sous la direction de Grace Estep, une institutrice de l’école publique qui avait été renvoyée pour n’avoir pas demandé à ses élèves de saluer le drapeau et de prêter serment. Selon sœur Estep, la première année scolaire a été “mouvementée”, les autorités cherchant à fermer l’école sous un prétexte quelconque. Elle ajoute : “Il n’était pas rare qu’un responsable du corps enseignant ou quelque autre autorité fasse irruption dans la classe afin de nous prendre en défaut ou de nous tracasser de façon ou d’autre. De plus, l’esprit patriotique était très vif parmi la population. Un jour, un attroupement se forma devant l’école. Ces gens voulaient la faire sauter à la bombe ou l’incendier ; dans leur colère, ils s’en sont également pris au propriétaire qui nous avait loué les locaux. Comme c’était un homme influent dans la ville et que ces énergumènes ne savaient pas comment faire sauter l’école sans détruire en même temps le salon de coiffure [situé dans le même bâtiment], ils ont renoncé à leur projet.” Finalement, le nombre des élèves augmenta ; outre la maternelle, il y avait les classes de l’enseignement primaire et secondaire.
Les élèves de l’École du Royaume réussissaient-ils dans leurs études ? Lloyd Owen, qui enseignait à l’école de Sangers, dans le Massachusetts, rapporte : “Nous avions l’habitude de faire subir aux élèves un examen, afin de nous rendre compte de leurs progrès. La plupart du temps, ils avaient presque une année d’avance sur le programme scolaire normal. (...) Il y avait au moins deux examens par an, et chaque fois les résultats étaient très bons.”
Il régnait un excellent esprit dans les Écoles du Royaume. “Tous les frères étaient remarquables ; ils offraient leur aide de diverses manières, dit sœur Estep. Tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressaient aux Écoles du Royaume, formaient comme une communauté. Mon cœur déborde de reconnaissance pour tout ce que nos chers amis ont fait en ce temps-là, car leur amour pour Jéhovah ne connaissait pas de limites. Quoique pauvres, ils pourvoyaient aux choses nécessaires, donnant sans compter de leur temps et de leurs forces.”
LA COUR SUPRÊME RÉFORME SON JUGEMENT
Le 8 juin 1942, par cinq voix contre quatre, la Cour suprême des États-Unis se prononça contre les témoins de Jéhovah dans l’affaire Jones contre Opelika, décrétant qu’ils avaient besoin d’une patente pour exercer leur ministère. Toutefois, il est intéressant de noter que les juges Black, Douglas et Murphy sont revenus sur leur vote de 1940, à propos de l’affaire Gobitis, impliquant le salut au drapeau. En conséquence, l’avocat de la Société Watchtower déposa une plainte au tribunal du district sud de la Virginie-Occidentale contre le Ministère de l’Éducation du même État. Dans quel but ? Pour empêcher l’application de la loi sur le salut obligatoire au drapeau. Les trois juges qui présidaient le procès se prononcèrent à l’unanimité en faveur des témoins de Jéhovah, mais le Ministère de l’Éducation de la Virginie-Occidentale interjeta appel. Le 14 juin 1943, jour anniversaire de l’adoption du drapeau américain, la Cour suprême des États-Unis réforma son jugement dans l’affaire Gobitis en décrétant (affaire Ministère de l’Éducation de la Virginie-Occidentale contre Barnette) que les membres du corps enseignant n’avaient pas le droit d’expulser de l’école les enfants des témoins de Jéhovah, refusant ainsi de les instruire sous prétexte qu’ils ne saluaient pas le drapeau.
Cette décision réformait donc le jugement prononcé par la Cour suprême dans l’affaire Gobitis. Certes, cela ne mit pas fin aux problèmes liés à la prise de position chrétienne en rapport avec le salut au drapeau, mais les Écoles du Royaume n’avaient désormais plus leur raison d’être. Ainsi, pour la première fois depuis huit ans, les enfants des témoins de Jéhovah pouvaient retourner dans les écoles publiques.
‘DÉFENSE ET AFFERMISSEMENT LÉGAL DE LA BONNE NOUVELLE’
Tous les témoins chrétiens de Jéhovah, qu’ils soient jeunes ou âgés, s’attendent à être persécutés. Jésus n’a-t-il pas dit à ses disciples : “Vous serez les objets de la haine de tous à cause de mon nom.” (Mat. 10:22). Et Paul écrit : “D’ailleurs, tous ceux qui veulent vivre avec piété dans l’union avec Christ Jésus seront eux aussi persécutés.” (II Tim. 3:12). Parfois, la persécution a provoqué l’arrestation de chrétiens qu’on accusait faussement de vendre des livres sans patente et de troubler la paix. Au début, on ne relevait pas le nombre des arrestations, mais aux États-Unis il y en eut 268 en 1933 et 1 149 en 1936. On mit à tort les témoins dans la catégorie des quêteurs ou des marchands ambulants au lieu de voir en eux des ministres de l’Évangile.
Toutefois, les témoins de Jéhovah ne se sont pas laissé arrêter, juger et emprisonner sans combattre. Ils ont décidé de faire systématiquement appel. Grâce à l’aide de Jéhovah, ils ont pu ‘défendre et affermir légalement la bonne nouvelle’. — Phil. 1:7.
Il est impossible de décrire en quelques pages les scènes émouvantes et le vaillant combat théocratique mené par les serviteurs de Jéhovah pour obtenir la liberté de prêcher. Nous commencerons néanmoins par “la bataille du New Jersey”, qui fut chaude. Le premier “coup de feu” fut tiré en 1928, à South Amboy, dans le New Jersey, où quelques serviteurs de Dieu furent arrêtés. Néanmoins, Plainfield devint le champ de bataille où les catholiques livrèrent combat aux témoins du New Jersey.
INCIDENT À PLAINFIELD
Étant donné que la ville de Plainfield était devenue tristement célèbre en persécutant le peuple de Jéhovah, frère Rutherford décida d’y faire un discours public intitulé “Pourquoi l’intolérance religieuse est-elle pratiquée actuellement dans notre pays ?” Sous prétexte de protéger le théâtre, une cinquantaine de policiers, dont la présence n’était ni désirée ni nécessaire, assistèrent à cette réunion organisée le 30 juillet 1933. Ils étaient là sans doute à la demande du clergé catholique, qui cherchait à faire annuler cette réunion et peut-être même à supprimer l’orateur.
À son arrivée au théâtre, frère Rutherford remarqua que derrière les rideaux la police avait braqué deux mitrailleuses sur le pupitre et l’auditoire. Malgré ses protestations, les policiers refusèrent d’enlever ces armes. D’après eux, ils avaient été informés qu’il y aurait une émeute et ils étaient là pour maintenir l’ordre. George Gangas relate que l’atmosphère était tendue pendant tout le discours. Il était particulièrement frappé par les phrases suivantes que frère Rutherford prononça vers la fin de son exposé :
“Honte aux prêtres qui ont fait persécuter les témoins de Jéhovah, afin de tenir les gens dans l’ignorance de la vérité et d’éviter d’être eux-mêmes dévoilés ! Honte aux magistrats qui, pour des raisons intéressées, ont rangé les témoins de Jéhovah parmi les colporteurs et les démarcheurs cupides ! Honte aux avocats qui, craignant de perdre des avantages personnels, ont refusé devant les tribunaux de répondre franchement à la question de savoir si l’on peut empêcher quelqu’un de prêcher l’évangile du Royaume de Dieu, en promulguant et en appliquant des ordonnances locales visant les colporteurs et les démarcheurs !”
Frère Gangas écrit : “Je me disais : ‘Ils vont sûrement le descendre ! Il sera certainement arrêté !’ Mais comme le déclarait l’entrée en matière de la brochure Intolérance, ‘l’ange de Jéhovah campe autour de ceux qui le craignent, et il les délivre’.” (Ps. 34:7). Malgré la situation difficile, frère Rutherford réussit à achever son discours sans autre incident, et il fut applaudi avec enthousiasme. Plus tard, la brochure Intolérance fut publiée et largement diffusée.
UN DICTATEUR REÇOIT UN MESSAGE DES TÉMOINS
Les témoins de Jéhovah combattaient pour la liberté d’expression et du culte ailleurs qu’aux États-Unis. En juin 1933, pendant la prétendue “Année sainte”, le gouvernement d’Adolf Hitler confisqua l’immeuble de la Société Watch Tower à Magdebourg, qui lui fut pourtant restitué en octobre, et interdit les activités du peuple de Jéhovah en Allemagne. Les témoins n’avaient plus le droit ni de se réunir ni de distribuer leurs publications. Le 7 octobre 1934, les témoins allemands se réunirent par petits groupes, et après une prière fervente ils envoyèrent un télégramme de protestation aux membres du gouvernement de Hitler. En outre, les serviteurs de Dieu dans d’autres pays agirent de même.
Sœur Gladys Bolton évoque ses souvenirs en ces termes : “À une réunion de service tenue un soir de 1934, on nous demanda d’être tous présents au rendez-vous de service le dimanche matin suivant, à 9 heures, pour une raison spéciale. Tout le monde était curieux de savoir de quoi il s’agissait. Le dimanche matin, notre maison était pleine. L’orateur annonça que les congrégations des témoins de Jéhovah du monde entier se réunissaient aujourd’hui, pour envoyer simultanément à Hitler des télégrammes lui demandant de cesser de persécuter les témoins de Jéhovah en Allemagne.” Après avoir adressé une prière à Jéhovah, chaque groupe envoya le télégramme suivant : “Au Gouvernement de Hitler, Berlin, Allemagne. Les mauvais traitements que vous infligez aux témoins de Jéhovah révoltent tous les honnêtes gens et déshonorent le nom de Dieu. Cessez les persécutions contre les témoins de Jéhovah, sans quoi Dieu vous détruira vous et votre parti.” Ce message était signé “TÉMOINS DE JÉHOVAH”, et portait le nom de la ville où se trouvait la congrégation.
Ces télégrammes firent sensation même aux États-Unis. Frère Melvin Winchester nous dit : “À Keysville, en Virginie, et dans d’autres endroits, le télégraphiste a failli se trouver mal quand les frères lui apportèrent ce télégramme qu’il devait envoyer.”
Et quelle fut la réaction du gouvernement nazi ? Il intensifia les persécutions contre les témoins de Jéhovah, mais le peuple de Dieu en Allemagne et dans d’autres pays avait été préparé en vue de l’opposition et des difficultés qui l’attendaient. Au moment voulu, Jéhovah veilla à ce que ses serviteurs reçoivent les conseils bibliques et les encouragements nécessaires. En effet, vers la fin de 1933, La Tour de Garde publia un article intitulé “Ne les craignez point”. L’inimitié de l’Église catholique y fut démasquée, et l’article prévint les frères qu’en raison de l’opposition, certains des fidèles serviteurs de Dieu perdraient peut-être la vie. Mais les membres du peuple de Dieu furent encouragés à continuer de rendre témoignage à son nom avec courage et joie, afin de participer à la justification de ce saint nom.
CONSEILS POUR SE DÉFENDRE
La foi des chrétiens était mise à l’épreuve à cette époque-là. Bien entendu, ce n’est pas chaque acte d’opposition ni même chaque arrestation qui aboutit à un procès. Néanmoins, les serviteurs de Jéhovah aux États-Unis avaient souvent besoin de conseils, pour se défendre avec succès devant les tribunaux. Pour aider les proclamateurs du Royaume, la Société Watchtower créa un service juridique dans ses bureaux de Brooklyn.
Robert Morgan se souvient des détails suivants : “Lors de nos réunions de service hebdomadaires, nous avons étudié la brochure Conseils pour les procès, publiée par la Société. Nous nous efforcions de nous préparer pour savoir parler à la police et aux juges qui ne cessaient de nous entraver dans notre service du champ. Nous apprenions comment répondre lorsque nous étions interpellés par la police, quels étaient nos droits de citoyen, et quelles mesures nous devions prendre sans faute si nous étions condamnés, afin de défendre la bonne nouvelle devant des cours d’appel.”
Frère Ray Bopp précise de son côté : “Aux réunions de service, des démonstrations reproduisaient le déroulement des événements à partir du moment de l’arrestation jusqu’à la fin du procès et l’annonce du jugement. Des serviteurs dans la congrégation jouaient le rôle du procureur et de l’avocat, et certains de ces ‘procès’ fictifs s’étendaient sur plusieurs semaines.”
ARRÊTÉS ET JETÉS EN PRISON
Certes, les conseils juridiques donnés par la Société et l’excellente formation dispensée aux réunions de service aidèrent grandement les serviteurs de Dieu. Mais une fois qu’ils étaient derrière les barreaux, seul Jéhovah pouvait les fortifier. Comme l’écrivit Paul, “j’ai de la force pour tout grâce à celui qui me donne de la puissance”. — Phil. 4:13.
Des centaines de témoins chrétiens de Jéhovah furent arrêtés et emprisonnés durant les années agitées après 1930 et après 1940. À propos des problèmes juridiques que les serviteurs de Jéhovah rencontrèrent dans une région, frère Homer Rogers déclare : “Dans la ville de La Grange [en Georgie] il y avait une ordonnance qui interdisait à quiconque d’aller de porte en porte pour proposer aux habitants de la ville quelque imprimé que ce soit. Cet arrêté visait les témoins de Jéhovah et ne fut appliqué qu’à eux.” Comment pouvait-on le savoir ? Tout simplement parce que les habitants eux-mêmes admettaient que tous les autres imprimés étaient distribués sans difficulté à La Grange.
Le 17 mai 1936, 176 témoins furent arrêtés et détenus parce qu’ils avaient prêché à La Grange. Les femmes furent libérées le lendemain, mais 76 frères furent incarcérés pendant quatorze jours dans une prison située à quelques kilomètres de la ville. Les autres détenus étaient des forçats qui étaient littéralement enchaînés pendant qu’ils travaillaient à la construction d’une route depuis le lever du soleil jusqu’au soir. Frère Sillaway nous rapporte que les témoins furent jugés et condamnés à une amende de un dollar ou à trente jours de prison. Le procureur ayant interdit au greffier de signer le recours, les frères perdirent le droit de faire appel, si bien que le 28 mai 1937, 57 d’entre eux rentrèrent en prison pour purger leur peine de trente jours. Malgré leur innocence, ces témoins furent habillés comme des forçats, ne reçurent qu’une couverture pour deux malgré le froid qui sévissait, et durent accomplir des travaux pénibles sur les routes et ailleurs.
Malgré leurs souffrances, ces frères emprisonnés eurent aussi l’occasion de faire du bien spirituellement. Frère Sillaway écrit : “Vers la fin de nos trente jours, douze hommes faisant partie de mon groupe et d’un autre durent travailler dans un cimetière réservé aux Noirs, presque à la campagne. Au milieu de la matinée, un cortège funèbre entra par la porte principale et s’arrêta. Un employé des pompes funèbres s’approcha de nous et nous expliqua que la famille du mort était trop pauvre pour payer le prêtre, si bien qu’il n’y aurait ni service religieux ni prière. Il nous demanda si l’un de nous accepterait de prononcer quelques paroles. Ainsi, j’eus le privilège d’expliquer à cette poignée de gens la vraie condition des morts et l’espérance de la résurrection. Ils ne firent pas attention à ma tenue de bagnard.”
Sœur Theresa Drake dit qu’elle rencontra pour la première fois l’intolérance à l’égard du peuple de Dieu peu de temps après 1930, lorsqu’elle fut arrêtée à Bergenfield, dans le New Jersey. Elle écrit : “On me prit mes empreintes digitales pour la première fois à Plainfield, où je fus détenue toute une nuit avec 28 autres sœurs. Nous étions 29 dans une cellule minuscule, de sorte que personne ne pouvait s’allonger pour dormir. Finalement, on nous conduisit au gymnase et on nous donna des tapis pour nous permettre de nous étendre sur le sol. Je me souviens qu’un policier ouvrit une porte et, nous voyant, s’exclama : ‘Elles sont comme des moutons menés à la boucherie.’”
Citant un autre exemple, sœur Drake écrit : “À Perth Amboy, on nous a arrêtés le matin à 10 heures et nous avons été détenus jusqu’à 20 heures. C’est alors que j’ai rencontré pour la première fois frère Rutherford. Il est venu se porter caution pour 150 d’entre nous qui avions été arrêtés. Nous étions tous réunis dans une grande salle du tribunal. À l’extérieur, la foule fouillait nos voitures et prenait nos livres et d’autres imprimés pour les jeter sur la pelouse devant le tribunal. Une demi-douzaine d’hommes se tenaient derrière le bâtiment, pour s’emparer de frère Rutherford. Ils l’ont menacé, mais ils n’ont pas pu l’atteindre, car en quittant le tribunal nous l’avons entouré, et il s’est engouffré dans une voiture qui l’attendait, mais qui n’était pas la sienne.”
À propos des villes de l’Ohio et de la Virginie-Occidentale, sœur Edna Bauer a déclaré : “Bon nombre de frères furent arrêtés et emmenés en prison sur les voitures des pompiers qui faisaient marcher leurs sirènes pour attirer l’attention des passants.” Souvent, on jetait en prison des groupes de frères, sans tenir compte de leur âge. Par exemple, sœur Bennecoff se souvient qu’à Columbia, en Caroline du Sud, “on a jeté en prison 200 d’entre nous, dont le plus jeune n’avait que 6 semaines”.
Les conditions en prison pouvaient être très pénibles. Frère Earl Dale, se rappelant son incarcération injuste en tant que chrétien à Somersworth, dans le New Hampshire, écrit : “J’essayais de dormir la nuit, mais la prison n’était pas d’une propreté exemplaire. La nuit, il y avait des petites bêtes qui se promenaient sur moi. Je ne les aimais pas, mais elles avaient l’air de me trouver à leur goût !” Parce qu’ils avaient annoncé la bonne nouvelle à Caruthersville, dans le Missouri, frère et sœur Adair furent mis en prison pendant soixante-dix-huit jours en 1941. Sœur Adair appelle le lieu de sa détention “le donjon”. Sa santé souffrit de son incarcération. Elle déclare : “Dormir pendant soixante-dix-huit jours sur du ciment avec simplement une couverture et un oreiller n’avait rien d’agréable. Mais ce qui m’importait, c’était de rester fidèle à Jéhovah.’
Certes, les témoins de Jéhovah américains étaient souvent jetés en prison pour avoir prêché le message du Royaume, mais cela ne les fit pas taire. En tant que détenus, ils continuaient d’annoncer la bonne nouvelle. Par exemple, sœur Dora Wadams eut de nombreuses occasions de prêcher en prison. Elle se souvient qu’un jour, lorsqu’elle se trouvait en prison à Newark, dans le New Jersey, la nouvelle s’est répandue que les témoins allaient être libérés. Elle relate : “Une nuit, alors que nous étions déjà enfermés dans nos cellules, nous avons entendu d’autres détenus dire : ‘Les gens de la Bible vont nous quitter demain. La prison ne sera pas pareille. Ils sont comme des anges qui nous ont été envoyés du ciel.’”
DEVANT LES TRIBUNAUX
Les serviteurs de Jéhovah étaient prêts à se défendre et à défendre l’œuvre que Dieu leur avait confiée si, après avoir été arrêtés, ils étaient traduits devant les tribunaux. Parfois ils ne bénéficiaient pas de l’aide d’un avocat. Par exemple, en 1938, frère Roland Collier, membre de la congrégation d’Orange, dans le Massachusetts, obtint l’autorisation de se servir d’une voiture munie de haut-parleurs dans la ville voisine d’Athol. Lui et un autre frère étaient restés dans la voiture et passaient le disque “Ennemis” pendant que d’autres proclamateurs du Royaume prêchaient de maison en maison. Frère Collier fut arrêté et accusé d’avoir fait du porte à porte, bien que ce ne fût pas vrai à cette occasion. Il relate : “Nous avons attendu le procès avec intérêt, et nous nous sommes préparés en conséquence. J’ai bien étudié la brochure Conseils pour les procès que la Société avait publiée en vue de telles éventualités. Le jour du procès, plusieurs frères étaient présents au tribunal pour me donner du courage. J’ai suivi exactement les conseils de la Société, allant même jusqu’à interroger le chef de police. À la fin de l’audition, j’ai été acquitté, et le lendemain le journal local portait le titre suivant : ‘UN HABITANT D’ORANGE ÉVITE D’ALLER EN PRISON EN PRÊCHANT’.”
Certains avocats qui n’étaient pas témoins de Jéhovah firent de grands efforts pour défendre le peuple de Dieu. Mais souvent les frères étaient défendus par des avocats qui étaient eux-mêmes des frères. L’un de ces frères avocats s’appelait Victor Schmidt. Sa femme, Mildred, écrit entre autres : “Après la décision défavorable de la Cour suprême des États-Unis concernant le salut au drapeau, une vague d’émeutes et d’arrestations déferla sur les frères dans de nombreuses villes autour de Cincinnati. Comme mon mari ne conduisait pas, je devais lui servir de chauffeur lorsqu’il se rendait dans ces différentes villes. À certains moments, il y avait un nouveau procès presque tous les jours. Je ne pouvais donc plus travailler avec les pionniers. (...) Victor avait une grande foi en Jéhovah, et sa foi a fortifié la mienne. Lorsque nous approchions des villes où il devait défendre les frères devant le tribunal, il me demandait de ranger la voiture sur le bas-côté de la route, et alors il priait Jéhovah, en lui demandant de lui ouvrir la voie pour qu’il puisse aider les frères et aussi, si telle était sa volonté, de bien vouloir nous protéger et nous aider à ne jamais céder à la crainte de l’homme. Maintes et maintes fois nous avons eu des preuves de la puissance extraordinaire des forces angéliques de Jéhovah qui agissaient en notre faveur.”
JUSQU’À LA COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS
Plusieurs affaires juridiques impliquant les témoins de Jéhovah furent portées devant la Cour suprême des États-Unis. L’une était l’affaire Lovell contre la ville de Griffin. Plusieurs membres du peuple de Dieu avaient déjà été arrêtés pour avoir prêché la bonne nouvelle à Griffin, en Georgie. Mais un jour, un certain nombre de témoins furent arrêtés pour avoir violé une ordonnance interdisant “la diffusion (...) des publications de toutes sortes (...) sans l’autorisation écrite du maire de la ville de Griffin”. Frère Fiske nous fournit les détails suivants : “Il y avait dans notre groupe plusieurs frères qui étaient de grands gaillards de plus de 1,80 m, mais lorsque la police a cherché quelqu’un pour représenter tout le groupe, avec l’accord des surveillants présents, elle a choisi une petite sœur maigrichonne, pensant sans doute pouvoir l’intimider. Mais la sœur en question [Alma Lovell] avait bien étudié la brochure Conseils pour les procès. (...) Aucun des frères ne s’était aussi bien préparé qu’elle, si bien que lors du procès, elle a parlé pendant plus d’une heure, donnant un excellent témoignage. Montrant cependant que ce qu’elle disait ne l’intéressait pas, le juge l’écoutait les pieds sur son bureau. Lorsqu’elle s’est rassise, il a enlevé ses pieds du bureau et lui a dit : ‘C’est tout ?’ Elle a répondu : ‘Oui, Monsieur le juge.’ Là-dessus, et sans autres formalités, il a déclaré tous les frères coupables. L’avocat de la Société s’est aussitôt pourvu en appel.” Le 28 mars 1938, la Cour suprême rendit une décision unanime annulant l’ordonnance en question.
Le 26 avril 1938, frère Newton Cantwell prêchait le Royaume avec ses deux fils mineurs. Ce témoin chrétien fut arrêté pendant qu’il faisait entendre le disque “Ennemis” et présentait le livre du même titre. Il fut traduit devant les tribunaux du Connecticut à la suite d’une plainte déposée par deux catholiques. Il fut accusé d’avoir troublé la paix et d’avoir violé un arrêté de l’État du Connecticut interdisant les quêtes faites au profit d’œuvres religieuses ou de bienfaisance sans l’autorisation du secrétaire du comité des œuvres sociales de l’État. Frère Cantwell fut déclaré coupable par les tribunaux du Connecticut. Il écrit : “La Société a interjeté appel, et l’affaire a été portée devant la Cour suprême des États-Unis. (...) Le jugement précédent a été cassé, et l’arrêté exigeant une autorisation pour diffuser des imprimés religieux ou accepter des dons au profit d’une œuvre religieuse fut déclaré contraire à la constitution tel qu’il avait été appliqué aux témoins de Jéhovah. Encore une victoire pour le peuple de Dieu !”
En revanche, le 8 juin 1942, les témoins de Jéhovah essuyèrent une défaite importante devant la Cour suprême des États-Unis, cinq juges sur neuf s’étant prononcés contre eux. Il s’agit de l’affaire Jones contre la ville d’Opelika. Ce procès concernait la distribution des périodiques dans les rues et soulevait la question de savoir si frère Rosco Jones était vraiment coupable d’avoir violé une ordonnance de la ville d’Opelika, dans l’Alabama, en “vendant des livres” sans licence ni paiement d’une taxe.
UN “JOUR FASTE” POUR LE PEUPLE DE DIEU
Puis vint le 3 mai 1943, date que l’on pourrait qualifier de “jour faste” pour les témoins de Jéhovah. Pourquoi ? Parce qu’ils remportèrent douze victoires sur les treize affaires jugées ce jour-là. L’affaire Murdock contre Pennsylvanie, concernant une taxe de patente, était particulièrement importante. En effet, lors de ce procès la Cour suprême des États-Unis revint sur la décision qu’elle avait prise dans l’affaire Jones contre la ville d’Opelika. Dans son jugement sur l’affaire Murdock, la Cour déclara : “On prétend toutefois que le fait qu’une taxe puisse supprimer ou limiter cette activité est sans importance si elle ne produit pas ce résultat. Mais en raisonnant de la sorte on ne tient pas compte de la nature de cette taxe. C’est une taxe de patente, — une taxe uniforme imposée sur l’exercice d’un droit protégé par les Amendements garantissant les droits des citoyens. Or, un État ne peut imposer une taxe pour la jouissance d’un droit garanti par la Constitution fédérale.” À propos de l’affaire Jones, la Cour déclara : “Le jugement dans l’affaire Jones contre Opelika a été cassé ce jour. Libérés de ce précédent, nous pouvons rétablir à leur position constitutionnelle et élevée les libertés d’évangélistes itinérants qui propagent leurs croyances religieuses et les doctrines de leur foi en distribuant des publications.” Le jugement dans l’affaire Murdock endigua le flot de persécutions que le peuple de Jéhovah avait subies à cause des ordonnances qui exigeaient le paiement d’une taxe de patente.
Leurs efforts eurent des répercussions juridiques. C’est donc à juste titre qu’une revue de droit a écrit : “Il est clair que les actuelles garanties constitutionnelles de liberté individuelle, telles que la Cour suprême des États-Unis les interprète avec autorité, sont bien plus étendues qu’elles ne l’étaient avant le printemps de 1938, et que l’on doit trouver la raison principale de cette extension dans les trente et un procès des témoins de Jéhovah (seize jugements faisant loi), dont celui de Lovell contre la ville de Griffin fut le premier. Si ‘le sang des martyrs constitue la semence de l’Église’, quelle n’est pas la dette de la loi constitutionnelle envers la persévérance dans l’action — je devrais peut-être dire le dévouement — de ce groupement ?” — Minnesota Law Review, Vol. 28, No 4, mars 1944, p. 246.
DES FOULES EN COLÈRE NE FONT PAS TAIRE CEUX QUI LOUENT JÉHOVAH
Tandis qu’ils menaient des combats juridiques pour s’assurer la liberté du culte et leur droit d’annoncer la bonne nouvelle, dans le champ les témoins de Jéhovah durent souvent faire face à la violence de la foule. Cela aussi a un précédent biblique, car Jésus Christ passa par des épreuves analogues (Luc 4:28-30 ; Jean 8:59 ; 10:31-39). Le fidèle Étienne souffrit le martyre par les mains d’une foule en colère. — Actes 6:8-12 ; 7:54 à 8:1.
Certains voyous profitèrent du congrès chrétien qui devait se tenir dans le monde entier du 23 au 25 juin 1939 pour harceler le peuple de Dieu. L’assemblée de New York était reliée directement par lignes téléphoniques aux autres assemblées tenues ailleurs aux États-Unis, au Canada, dans les îles Britanniques, en Australie et aux îles Hawaii. Pendant qu’ils annonçaient le discours intitulé “Gouvernement et paix” que frère Rutherford devait prononcer, les serviteurs de Jéhovah apprirent que des groupes de l’Action catholique allaient venir pour troubler cette réunion publique prévue pour le 25 juin. Ainsi, le peuple de Dieu s’attendait à des difficultés. Frère Blosco Muscariello relate ce qui suit : “Tout comme Néhémie, qui devait rebâtir la muraille de Jérusalem, fournit à ses hommes des instruments de travail et des armes (Néh. 4:15-22), nous aussi, nous étions bien équipés. (...) J’étais du nombre des jeunes hommes qui reçurent des instructions spéciales en tant que placeurs. Chacun de nous reçut un bâton qu’il devait utiliser si le discours principal était perturbé.” Frère Cantwell précise cependant : “On nous a dit de ne nous servir des bâtons que comme ultime défense, si nous y étions contraints.”
On ignore généralement que lorsque frère Rutherford monta sur l’estrade du stade new-yorkais Madison Square Garden le dimanche après-midi 25 juin 1939, c’était un homme malade. Le discours commença. Parmi les retardataires il y avait environ 500 suppôts du prêtre catholique Charles Coughlin, le célèbre “prêtre des ondes” pendant les années trente, dont les émissions à la radio étaient écoutées par des millions d’auditeurs. Étant donné que le parterre du stade avait été réservé aux témoins, les partisans de Coughlin, dont plusieurs prêtres, durent s’asseoir en haut du balcon, derrière l’orateur.
Un correspondant du périodique Consolation rédigea le rapport suivant : “Personne ne fumait dans le stade, mais dix-huit minutes après le début du discours, un homme à gauche de cette section du balcon alluma une cigarette, puis un autre à droite ; ensuite les lumières électriques de cette section se mirent à clignoter et, tout à coup, des hommes commencèrent à crier et à conspuer l’orateur.” Sœur Broad relate : “J’étais tendue et je m’attendais à ce que la confusion gagne tout le stade. Mais au bout de quelques minutes, je me suis aperçue que les manifestants étaient tous groupés derrière l’orateur. Je me suis dit : ‘Que va-t-il faire ?’ Il me semblait impossible qu’il puisse continuer de parler, alors qu’on jetait des objets sur l’estrade et qu’à tout moment quelqu’un pouvait bondir sur l’estrade et enlever le microphone.” Sœur Esther Allen se souvient d’avoir entendu “des huées et des cris de ‘Heil Hitler !’, ‘Vive Franco !’ et ‘À mort Rutherford !’”.
Frère Rutherford, homme malade, allait-il céder à la pression de ses adversaires violents ? Sœur Laupert écrit : “Plus ils criaient pour couvrir la voix de l’orateur, plus le juge Rutherford parlait avec puissance.” Frère Aleck Bangle écrit de son côté : “Le président de la Société ne se laissa pas intimider, mais il affirma courageusement : ‘Voyez comment les nazis et les catholiques essaient d’interrompre cette réunion, mais par la grâce de Dieu, ils échoueront.’” Et frère Roger Morgan ajoute : “Cette phrase nous fournit l’occasion que nous attendions d’applaudir à tout rompre, pour montrer que nous soutenions avec enthousiasme l’orateur. Frère Rutherford tint bon jusqu’à la fin de l’heure. Par la suite, nous étions émus chaque fois que nous écoutions dans les foyers les disques reproduisant ce discours.”
“Les placeurs ont bien travaillé, nous précise C. H. Lyon. Deux des partisans de Coughlin qui se montrèrent particulièrement rebelles reçurent des coups de bâton sur la tête et, comme tous les autres, ils furent jetés dehors. Le lendemain un journal fit de la publicité à l’un des hommes de Coughlin en publiant sa photo où on le voyait la tête recouverte d’un pansement en forme de turban.”
Trois des placeurs furent arrêtés et accusés de “voies de fait”. Ils furent jugés à New York les 23 et 24 octobre 1939, par trois juges (deux catholiques et un juif). Ils expliquèrent devant le tribunal qu’ils s’étaient rendus dans cette section du Madison Square Garden pour s’occuper des perturbateurs. Attaqués par les émeutiers, ils leur avaient résisté et avaient dû agir avec fermeté envers certains d’entre eux. Les témoins à charge firent de nombreuses déclarations contradictoires. Non seulement les juges acquittèrent les trois frères, mais ils leur dirent qu’ils avaient agi conformément à leurs droits.
LA GUERRE MONDIALE ATTISE LES FLAMMES DE LA VIOLENCE
L’opposition s’était donc manifestée aux assemblées des témoins de Jéhovah tenues en 1939. Mais à mesure que le monde se précipitait dans la guerre, les flammes de la violence contre eux allaient être attisées. Certes, ce ne fut que vers la fin de 1941 que les États-Unis déclarèrent la guerre à l’Allemagne, à l’Italie et au Japon, mais l’esprit de nationalisme se faisait sentir bien avant cette date.
Au cours des premiers mois de la Seconde Guerre mondiale, Jéhovah Dieu fit un don précieux à son peuple. Dans son édition anglaise du 1er novembre 1939, La Tour de Garde publia un article intitulé “Neutralité”. Cet article portait comme sous-titre ces paroles que Jésus Christ prononça au sujet de ses disciples : “Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.” (Jean 17:16, Darby). Cet examen biblique de la neutralité chrétienne arriva au moment opportun et prépara les témoins de Jéhovah à affronter les temps difficiles qui les attendaient.
ON ESSAIE DE BRÛLER LA FERME DU ROYAUME
La ferme du Royaume, près de South Lansing, dans l’État de New York, produisait pour le personnel du siège de la Société des fruits, des légumes, de la viande, du lait et du fromage. Frère David Abbuhl travaillait à la ferme en 1940, au moment où la paix et la sérénité qui y régnaient furent soudain troublées. Il écrit : “La veille du 14 juin 1940 [anniversaire de l’adoption du drapeau américain], un vieillard, qui passait chaque jour devant la ferme pour aller boire un whisky à South Lansing, nous informa que certains membres de la Légion américaine [une organisation d’anciens combattants] avaient l’intention de venir le lendemain pour incendier nos bâtiments et casser nos machines.” Les frères prévinrent le shérif.
Frère John Bogard, qui était alors serviteur de la ferme, décrit en ces termes ce qui se passa lorsque l’ennemi se manifesta le lendemain : “Vers six heures du soir, nos adversaires commencèrent à converger vers la ferme dans des voitures. Le shérif et ses hommes arrivèrent et demandèrent leurs papiers aux chauffeurs des voitures, en les prévenant de ne pas toucher à la ferme du Royaume. Les voitures firent la navette devant la ferme jusque tard dans la nuit, mais grâce à la présence de la police leurs occupants durent rester sur la route, et leur projet de détruire la ferme échoua. Le personnel de la ferme passa une nuit mouvementée, mais nous avons tous pensé à ces paroles rassurantes que Jésus a dites à ses disciples : ‘Vous serez les objets de la haine de tous à cause de mon nom. Et pourtant pas un cheveu de votre tête ne périra.’ — Luc 21:17, 18.”
Ainsi, cette tentative pour incendier la ferme fut contrecarrée. On a estimé le nombre des voitures à 1 000 et celui des manifestants à environ 4 000 ; ils étaient venus de toutes les parties de l’ouest de l’État de New York, dans l’intention de détruire la ferme du Royaume appartenant à la Société. Sœur Kathryn Bogard écrit : “Leur projet a échoué, et certains de ces hommes sont aujourd’hui eux-mêmes des témoins, et même des ministres à plein temps !”