Guyane
La jungle s’étend partout, tel un gigantesque tapis vert déroulé des monts Tumuc-Humac, au sud, à l’océan Atlantique, au nord. Deux fleuves traversent cette forêt dense humide, le Maroni et l’Oyapock ; ils coulent du sud vers le nord avant de se jeter dans l’océan. Le territoire délimité par ces fleuves s’appelle la Guyane.
Les pluies, qui durent plus de la moitié de l’année, créent un monde de végétation luxuriante. Mais peu d’humains pénètrent à l’intérieur du pays. Les bonnes routes deviennent rares quand on s’éloigne de la côte, et les rapides rendent la navigation sur rivière particulièrement difficile. Le nom des rapides évoque le danger qu’ils représentent — Saut Fracas, Gros Saut, Saut Tambour, Saut Laissé Dédé (des rapides qui vous laissent morts), À Dieu vat.
Plus d’un millier d’essences composent la forêt ; on y trouve d’éblouissantes orchidées et d’autres plantes qui prospèrent dans cet environnement tropical humide. Elle abrite plus de 170 espèces de mammifères, 720 espèces d’oiseaux et d’innombrables espèces d’insectes. D’énormes anacondas, des caïmans, des jaguars et des fourmiliers y vivent, mais ils ne sont pas faciles à voir, car ils se sauvent furtivement lorsqu’ils détectent la présence humaine. Au-dessus des layons et des cours d’eau volettent nonchalamment des papillons d’un bleu fluorescent, tandis que des oiseaux au plumage chatoyant filent à tire-d’aile d’un arbre à l’autre.
Les peuples et les cultures les plus divers sont à l’image de la flore et de la faune, hauts en couleur. Des villages amérindiens sont éparpillés sur le littoral et en bordure des rivières. Le peuple amérindien englobe les Galibis, les Arawaks, les Palikurs, les Wayanas, les Émerillons et les Oyampis.
Dans sa majorité, la population de ce petit pays d’Amérique du Sud s’est concentrée sur la bande côtière et dans la capitale, Cayenne. Regroupés en communautés établies sur les rives du fleuve qui fait office de frontière avec le Suriname vivent les “ Bushinengués ”, descendants d’esclaves en fuite qui furent amenés d’Afrique pour travailler dans les plantations. Ils parlent un créole appelé sranan tongo. Il y a une centaine d’années, des immigrants asiatiques sont arrivés de Singapour, du Viêt Nam et de Chine. En 1977, les Hmongs ont commencé à venir du Laos en tant que réfugiés politiques. Avec les Asiatiques, les immigrants originaires de Martinique, de Guadeloupe, d’Haïti, du Brésil, du Suriname, de la République dominicaine, de Sainte-Lucie, du Liban, du Pérou et de la France métropolitaine constituent une bonne moitié des plus de 150 000 habitants du pays.
Une vie rude
Les premiers Européens ont débarqué ici vers l’an 1500, mais leurs tentatives pour s’établir dans ce pays ont, à l’époque, échoué. L’environnement était trop hostile. Cependant, le territoire qui constitue aujourd’hui la Guyane est devenu une colonie de la France au XVIIe siècle. Plus tard, les bagnards condamnés à de longues peines ont été envoyés de France dans des camps de travaux forcés situés dans des endroits comme Cayenne, Kourou et Saint-Laurent. Les prisonniers politiques étaient transférés sur les îles du Salut, où seule une poignée d’hommes ont réussi à survivre. Ces établissements pénitentiaires ont été fermés il y a pas mal d’années. De nos jours, une base européenne de lancement de satellites a été implantée à Kourou. Bien que située à 7 100 kilomètres de l’Europe, la Guyane est toujours officiellement un district administratif de la France, un département français d’outre-mer ; elle fait donc partie de l’Union européenne.
Dans la dernière moitié du XIXe siècle, près de 300 ans après que Sir Walter Raleigh a rapporté une légende concernant une cité de l’or qui existerait dans ce pays, on a finalement découvert ce métal précieux. Dans les années 20, quelque 10 000 hommes, que la fièvre de l’or poussait à braver tous les dangers, ont pénétré au plus profond de la forêt tropicale dans l’espoir de faire fortune.
Puis sont arrivées d’autres personnes, elles aussi armées du courage nécessaire pour affronter les dures conditions de vie propres à la Guyane. Seulement, ces pionniers sont venus pour donner, pas pour prendre.
Des graines de vérité biblique sont semées
Ces vaillants pionniers étaient porteurs d’une bonne nouvelle qu’ils tiraient de la Parole de Dieu. Ils parlaient aux habitants du dessein de Dieu de mettre un terme à la maladie et à la mort, d’aider des gens de toutes nations à vivre ensemble comme des frères et de faire de la terre un paradis (Is. 2:3, 4 ; 25:8 ; 33:24 ; Rév. 7:9, 10). Ils participaient à l’œuvre annoncée par Jésus Christ, quand il a dit que cette bonne nouvelle du Royaume de Dieu serait prêchée “ dans toute la terre habitée, en témoignage pour toutes les nations ” avant que ne vienne la fin (Mat. 24:14). Cette activité importante d’évangélisation a atteint la Guyane en 1946. Pour la plupart, les premiers Témoins de Jéhovah venus en Guyane étaient originaires de départements français d’outre-mer comme la Guadeloupe et la Martinique, ainsi que de la Guyane hollandaise (appelée aujourd’hui Suriname) qui jouxte le pays à l’ouest.
Les premières graines de vérité ont été semées par frère Olga Laaland, un ministre zélé venu de la Guadeloupe. En décembre 1945, il est allé rendre visite à sa mère et à ses frères charnels qui habitaient près de la rivière Mana, dans l’intérieur de la Guyane. Le voyage en pirogue pour atteindre le village de sa mère demandait plusieurs jours. Sur son parcours, il a profité des haltes pour la nuit — dans de petites cabanes ouvertes au toit de feuilles de palmiers — pour prêcher et distribuer des publications bibliques. Quand il est arrivé au village de sa mère, Haut Souvenir, il a été tout heureux de faire connaître la bonne nouvelle du Royaume aux membres de sa famille. À sa grande surprise et à sa vive déception, ils l’ont qualifié de “ démon ”. C’est dans cette atmosphère hostile qu’il a célébré, en 1946, le Mémorial de la mort de Jésus, avec ses jeunes frères pour tout auditoire. Peu après, sous l’influence du prêtre de l’endroit, sa mère l’a chassé en criant : “ Il n’est pas question que des démons vivent ici, dans ma maison ! ” Mais sa réaction négative n’a pas affaibli le zèle d’Olga.
Sur le chemin du retour, il a prêché lors des arrêts aux degrads ou débarcadères des mines d’or et des comptoirs commerciaux. Une nuit, il était en train de dormir avec les autres voyageurs dans un “ carbet ” au bord de la rivière, quand une pluie tropicale torrentielle a provoqué la chute d’un arbre énorme, qui s’est abattu dans un fracas terrifiant. Affolé, Olga a plongé dans la rivière sans savoir que ses eaux étaient infestées de piranhas. Comme il en est ressorti indemne, les hommes présents ont été persuadés qu’il avait des pouvoirs divins, aussi l’ont-ils considéré avec un profond respect. Cet incident les a rendus plus réceptifs au message dont il était porteur.
Frère Laaland a fini par atteindre Mana, un village de 800 habitants situé sur la côte atlantique. Pendant les six premiers mois de son séjour, il y a organisé des réunions et a régulièrement enseigné les vérités bibliques, qui procurent la vraie liberté, à dix personnes (Jean 8:32). Les gens l’ont surnommé Père Paletot parce qu’il avait l’habitude de porter une veste, à la différence du prêtre local qu’ils appelaient Père Soutane. Bien qu’à court de publications, frère Laaland présentait des discours publics et prêchait avec zèle à tous ceux qui voulaient écouter. Il s’est acquis une réputation d’orateur plein d’énergie, que des discussions animées avec le clergé de l’endroit ne rebutaient pas.
Environ deux ans après avoir revu sa mère, frère Laaland est reparti en Guadeloupe. Personne n’avait été baptisé à la suite de sa prédication, mais il avait semé des graines en quantité. Les fruits viendraient plus tard.
Des ouvriers de divers horizons
En 1956, la Société Tour de Garde a demandé à Wim van Seijl, de la filiale du Suriname, de se rendre en Guyane. Il raconte : “ Nous avons pris un petit avion pour aller de Saint-Laurent à Cayenne et nous avons logé dans un hôtel modeste pendant environ trois semaines. Nous avons parcouru une grande partie de Cayenne avec le livre La vie éternelle, dont nous avons distribué plusieurs centaines d’exemplaires. Il y avait de l’intérêt, c’est certain, mais, à cause de notre manque de connaissance de la langue française, il était difficile d’entamer des études bibliques. Notre entrée en matière, de maison en maison, consistait à dire : ‘ Nous sommes arrivés hier à Cayenne, par avion, pour prêcher la bonne nouvelle. ’ Au bout de deux semaines, nous en étions toujours à commencer par ‘ Nous sommes arrivés hier à Cayenne ’, parce que c’était la seule entrée en matière que nous connaissions en français ! Dans un vieux théâtre désaffecté, nous avons projeté le film La Société du Monde Nouveau en action. Le commentaire a été interprété en patois par un homme, et ensuite en français par une femme. ” Il y avait un intérêt considérable, mais comment l’entretenir ?
D’autres Témoins du Suriname sont venus prêter main-forte. Citons, entre autres, Paul Naarendorp et Cecyl et Nel Pinas. Bon nombre d’entre eux parlaient français.
L’aide s’est aussi présentée d’une façon inattendue. Une famille française avait étudié la Bible à Dunkerque. Seul le fils de 16 ans, Christian Bonecaze, a continué à manifester de l’intérêt. Quand cette famille s’est établie à Cayenne, Christian a parlé à ses camarades de classe de ce qu’il avait appris grâce à la Bible. L’un d’eux a été intéressé, et ses trois sœurs aussi. Christian a alors écrit à la Société pour recevoir de l’aide.
À cette époque, Xavier et Sara Noll étaient rentrés en Martinique, après avoir été diplômés de l’École de Guiléad en 1958. La Société a demandé à frère Noll d’aller en Guyane pour s’occuper du petit groupe qui s’y trouvait. Le voyage à bord d’un petit bateau a duré dix jours, pendant lesquels Xavier a dû dormir sur le pont.
À son arrivée à Cayenne, frère Noll a été reçu avec hospitalité par les amis de la vérité. Ils l’ont invité à prendre ses repas avec eux durant son séjour et ils se sont arrangés pour qu’il ait une chambre agréable dans un hôtel tenu par un ancien forçat. Chaque jour, frère Noll étudiait la Bible ou entamait une discussion spirituelle avec Christian et la famille qui se montrait si accueillante. En conséquence, leur connaissance de la vérité biblique est devenue plus profonde. Au bout de quelques semaines, Christian a exprimé le désir de se faire baptiser, imité par son ami et deux sœurs de celui-ci. Une averse l’ayant empêché de prononcer le discours du baptême sur la plage, comme prévu, frère Noll l’a donné au milieu du groupe entassé dans leur petite voiture. Il a ensuite procédé au baptême, le premier administré par des Témoins de Jéhovah en Guyane.
Pendant son séjour dans le pays, frère Noll a bien utilisé son temps dans le ministère. En une semaine, il avait distribué pratiquement toutes ses publications. Il n’a gardé qu’un périodique qu’il montrait aux gens en leur proposant de s’abonner. En moins de trois semaines, il avait obtenu 70 abonnements, dont une dizaine en chinois. Comment expliquait-il les choses dans cette langue ? Il montrait la photo de sa classe à l’École de Guiléad et désignait les étudiants chinois, à grand renfort de gestes. “ Ça marchait très bien ”, dit-il. Entre autres personnes à qui il a donné le témoignage, citons Michel Valard, dont le frère était prêtre, mais qui, quant à lui, avait prospecté l’intérieur du pays pour y chercher de l’or. Après le départ de frère Noll, Christian Bonecaze a dirigé l’activité du petit groupe à Cayenne.
Peu de temps après, en 1960, la filiale de Guadeloupe a été chargée de superviser la prédication de la bonne nouvelle en Guyane. Indéniablement, il a été bénéfique au petit groupe de recevoir de l’aide d’une façon plus régulière ! Le fondement avait été posé, désormais la construction pouvait commencer. À cette fin, en 1960, Octave Thélise a été envoyé de Martinique comme pionnier spécial. Il est d’abord allé voir les personnes qui s’étaient abonnées à nos périodiques et celles qui avaient accepté d’autres publications bibliques. La même année, Théophanie Victor, également de Martinique, s’est installée en Guyane pour y prêcher, et elle a rapidement été nommée pionnière spéciale.
Quelques années auparavant, en 1954, M. van Pardo, un Hollandais, et son épouse martiniquaise avaient emménagé à Paramaribo, au Suriname, où cette dame était entrée en contact avec les Témoins. L’année suivante, ils se sont établis à Saint-Laurent, juste de l’autre côté du Maroni, qui sépare le Suriname de la Guyane. Deux Témoins du Suriname, frères Pinas et Libreto, ont traversé le fleuve en pirogue tous les trois mois pendant à peu près cinq ans, afin d’aider le couple à grandir dans la connaissance de Jéhovah et de ses exigences. En décembre 1960, lors d’une assemblée tenue à Paramaribo, au cours d’une visite de Milton Henschel du siège central des Témoins de Jéhovah, les van Pardo se sont fait baptiser en même temps que deux Guyanaises.
En mai 1961, Nicolas Brisart, surveillant de la filiale de Guadeloupe, a profité de la première assemblée de circonscription organisée à Cayenne pour visiter le groupe de 16 proclamateurs de cette ville. En outre, il a projeté le film Le bonheur de la société du Monde Nouveau devant un auditoire de 250 personnes. Leur réaction enthousiaste l’a incité à passer un second film — La Société du Monde Nouveau en action. Les films ont reçu le même accueil favorable quand ils ont été projetés à Saint-Laurent. L’adjoint au maire de Saint-Laurent a été si impressionné qu’il a déclaré : “ C’est la première fois que je vois quelque chose de semblable. ” Tout en serrant la main aux frères, il leur a dit : “ Avez-vous demandé au maire l’autorisation d’utiliser la mairie pour la projection de votre film ? Je lui en parlerai demain. ” L’autorisation a été accordée, non seulement pour passer les films, mais encore pour présenter un discours public sur la Bible tous les soirs. En tout, plus de 500 personnes ont vu les films de la Société et ont entendu les discours bibliques au cours de cette visite mémorable. L’adjoint au maire a ajouté : “ Nous avons besoin de gens comme vous, les Témoins de Jéhovah. ” Environ deux ans plus tard, en mars 1963, la première congrégation de Témoins de Jéhovah a été formée à Cayenne. Les réunions se tenaient dans une petite maison de banlieue, au lieudit Petit Monaco.
Comment ils ont connu la vérité
Parmi les membres de cette première congrégation, il y avait frère et sœur Sylvestre, originaires tous les deux de Martinique. Comment sont-ils devenus Témoins de Jéhovah ? Un jour de 1952, en allant faire ses courses, Mme Sylvestre a rencontré un ancien bagnard qui lui a demandé de remettre des livres à son mari. Elle ne savait pas où il se les était procurés, mais c’étaient des publications de la Société Tour de Garde. Sachant que son mari en appréciait la lecture, elle les a emportés. Elle se rappelle : “ En posant les livres sur la table, j’ai aperçu le titre ‘ Que Dieu soit reconnu pour vrai ! ’ Mon intérêt pour cet ouvrage qui parlait de Dieu a été instantané. Quand mon mari est rentré, je lui ai raconté ce que j’avais lu au sujet du nom de Dieu, du culte des idoles et de ce qu’était en réalité le fruit défendu. Jamais auparavant je n’avais entendu parler de telles choses. J’ai été immédiatement convaincue qu’il s’agissait de la vérité. J’ai aussitôt cessé d’assister aux offices de ma religion. Bien que n’ayant jamais rencontré les Témoins, je me suis mise à parler à mes amis de ce que j’apprenais dans ce livre, et j’ai encouragé tout mon entourage à le lire. Neuf ans plus tard, une dame, Théophanie Victor, s’est présentée à ma porte et m’a proposé deux périodiques Réveillez-vous ! Au moment où elle partait, je lui ai demandé à quelle religion elle appartenait. ‘ À l’Association des Témoins de Jéhovah ’, m’a-t-elle répondu. ‘ Ça alors ! me suis-je exclamée, voilà maintenant neuf ans que je vous attends ! Pouvez-vous me fixer un rendez-vous ? ’ ” Par la suite, elle et son mari ont fermement pris position en faveur du culte de Jéhovah.
Michel Valard, qui avait été touché un peu plus tôt sur son lieu de travail par Xavier Noll, a aussi été de ceux qui ont embrassé la vérité à l’époque où les Témoins n’étaient qu’une poignée dans le pays. Quand il a commencé à assister aux réunions tenues par les Témoins, il a progressivement pris conscience qu’il y recevait des réponses satisfaisantes aux questions qu’il se posait. Sœur Victor lui a proposé une étude biblique qu’il a acceptée sur-le-champ, mais Jeanne, sa femme, en a été très contrariée. Il s’est donc résolu à étudier la Bible en dehors de chez lui. Cependant, il était convaincu que ce qu’il étudiait constituait la vérité, aussi tenait-il à la faire connaître à Jeanne. Il sélectionnait donc les articles des périodiques susceptibles, à son avis, d’éveiller sa curiosité et les plaçait là où elle ne pouvait manquer de les voir. Finalement, elle a bien voulu, elle aussi, étudier la Bible et, en 1963, ils se sont fait baptiser tous les deux. Leurs enfants ont également accepté la vérité, et l’un d’eux, Jean-Daniel Michotte (un fils que Jeanne avait eu avant d’épouser Michel Valard), est membre du Comité de la filiale.
C’est pendant qu’il faisait ses études en France que Paul Chong Wing, un jeune enseignant originaire de la Guyane, a connu les Témoins. Il était désabusé à cause de la situation mondiale et du comportement des gens. Il avait adhéré à la franc-maçonnerie, mais elle n’avait pas apporté de réponses aux questions qui le laissaient perplexe. Il en était venu à se dire que la vérité devait se trouver quelque part, et il s’était promis de la rechercher. Ses contacts avec les Témoins de Jéhovah l’ont convaincu de l’avoir enfin trouvée. À son retour en Guyane, il s’est mis en rapport avec Michel Valard et il a appris, à sa grande joie, qu’il y avait une Salle du Royaume tout près de son domicile. Il s’est fait baptiser en 1964, et sa femme l’année suivante. Ses progrès ont été rapides. Il y avait un tel besoin d’hommes capables et de bonne volonté dans la congrégation qu’il a été nommé serviteur de congrégation à peine un an après. Il a contribué à la formation de plusieurs congrégations. Il est aujourd’hui membre du Comité de la filiale.
De l’aide pour les proclamateurs isolés
La congrégation de Cayenne s’étoffait, mais les proclamateurs ne limitaient pas leurs efforts au territoire tout proche. Les frères de Cayenne allaient régulièrement passer des week-ends avec les groupes de proclamateurs isolés de Saint-Laurent, de Mana et d’Iracoubo, afin de les soutenir. Le programme de ces expéditions était chargé. Au départ, les frères suivaient la côte en voiture de Cayenne à Saint-Laurent, à la frontière du Suriname. Le samedi à 18 heures, ils tenaient là une réunion comprenant un discours public et l’étude de La Tour de Garde. Après une nuit de repos, ils reprenaient la route vers le nord en direction de Mana, où la réunion débutait à 8 heures du matin. Sur la route du retour, ils pique-niquaient puis s’arrêtaient à Iracoubo pour présenter le même programme, qui commençait à 15 heures. Ensuite, ils rentraient à Cayenne.
Ces week-ends étaient de véritables marathons, mais ceux qui y participaient en gardent des souvenirs impérissables. À l’aller comme au retour, il fallait faire 250 kilomètres sur des pistes de latérite truffées de trous. Après une averse tropicale, la chaussée était inondée et disparaissait quelquefois sous un mètre d’eau. Les frères devaient attendre quelques heures que les eaux baissent avant de poursuivre leur chemin. Il était nécessaire de voyager en caravane de cinq ou six véhicules à cause des trous dans la route : ils étaient si profonds que les voitures s’y trouvaient souvent coincées. Quand cela arrivait, les frères devaient couper de petits arbres dans la forêt et disposer les troncs en travers des trous. Ensuite, tout le monde poussait les voitures. La première voiture à franchir un grand trou aidait les autres en les tirant. On prenait aussi du retard en attendant le bac à Kourou et à Mana. Pendant ces attentes, malgré les moustiques qui les assaillaient, les frères utilisaient leur temps à proposer des périodiques aux passants.
Les groupes de proclamateurs isolés étaient puissamment bâtis par ces visites, et leurs témoignages de gratitude contrebalançaient largement tous les problèmes rencontrés en route par les visiteurs. Les bienfaits n’étaient pas à sens unique. Les frères de Cayenne étaient aussi grandement encouragés par l’hospitalité et le zèle manifestés par frère et sœur van Pardo, sœur Fantan, sœur Barthebin et sœur Defreitas. Par la suite, des dispositions ont été prises pour que frère et sœur Fléreau, de Guadeloupe, soient nommés pionniers spéciaux dans cette région, où ils ont accompli un excellent travail en cultivant l’intérêt suscité. Dans l’accomplissement de la mission que Jésus leur a confiée, consistant à ‘ faire des disciples de gens d’entre toutes les nations ’, les Témoins de Jéhovah n’ont pas négligé les habitants de la Guyane. — Mat. 28:19.
Des progrès — lentement mais sûrement
En 1970, il y avait 129 proclamateurs dans la congrégation de Cayenne, et des groupes isolés prêchaient à Saint-Laurent et à Kourou. Leur nombre était petit, mais les Témoins de Jéhovah sont devenus bien connus dans le pays. Cependant, les progrès étaient lents. Ce n’est qu’au bout de dix ans que le nombre des proclamateurs du Royaume a doublé dans le pays.
Les progrès spirituels étaient entravés par la difficulté qu’éprouvaient certains à accepter les conseils bibliques à propos de l’exclusion et de la repentance. Des divisions ont surgi parmi les proclamateurs. Certains soutenaient les décisions prises par le collège des anciens, d’autres pas. Des surveillants itinérants se sont déplacés depuis la Guadeloupe pour revoir avec les frères les instructions du Collège central sur la question. Ceux qui ont accepté la direction venant du canal utilisé par Jéhovah ont prospéré.
Les réactions à l’égard de notre prédication à Cayenne ont aussi joué un rôle dans l’état d’esprit développé par les proclamateurs. La religion catholique exerçait une grande influence. Le clergé méprisait les Témoins et montait ses ouailles contre eux. Cela ne décourageait pas les frères. À vrai dire, leur zèle créait une certaine agitation dans la communauté. Quand des personnes n’ouvraient pas leur porte, les Témoins faisaient le tour de la maison pour voir si les occupants ne se cachaient pas dans l’arrière-cour. Certains frères s’engageaient dans des débats enflammés à propos du sabbat avec des adventistes, ou à propos de l’enfer et de l’immortalité de l’âme avec des évangélistes. Ces controverses pouvaient durer du matin jusqu’au soir !
David Moreau, qui se déplaçait depuis la Martinique en tant que surveillant de circonscription, raconte l’une de ces discussions. “ Nous étions en train de parler avec un jeune homme quand un pasteur de l’Église adventiste du septième jour est arrivé et s’est mêlé à notre conversation. Il a insisté pour que nous parlions du sabbat. Virgo, notre frère, a expliqué qu’il était venu parler du Royaume de Dieu, mais la discussion s’est quand même orientée sur le sabbat. Le pasteur affirmait : ‘ Le sabbat vient de Dieu. Même dans le Paradis à venir, nous continuerons à pratiquer le sabbat ! ’ Il a cité Isaïe 66:23 (Segond) : ‘ À chaque nouvelle lune et à chaque sabbat, toute chair viendra se prosterner devant moi, dit l’Éternel. ’ Frère Virgo a alors posé cette question au pasteur : ‘ Bon, d’après ce verset, c’était quoi mercredi dernier ? ’ Le pasteur, transpirant abondamment, essayait plusieurs réponses, mais il était incapable de faire la relation entre le dernier mercredi et le verset. ‘ C’était la nouvelle lune, eh oui ! Alors quoi ! vous pratiquez le sabbat, mais vous oubliez la nouvelle lune ! Vous enlevez plus qu’un iota à la Bible. ’ ” Virgo a confié plus tard à David : “ Je ne sors jamais en prédication sans vérifier sur le calendrier la date de la nouvelle lune, au cas où je rencontrerais un adventiste. ”
Certes, les frères étaient devenus habiles à défendre leurs croyances, mais certains se focalisaient davantage sur le fait d’avoir le dernier mot plutôt que sur la recherche des brebis. Une formation s’imposait pour donner un témoignage efficace à la population, et Jéhovah a pourvu à l’aide nécessaire.
Les missionnaires défrichent l’intérieur
À la fin des années 70 ont commencé à arriver en Guyane des missionnaires diplômés de l’École de Guiléad ainsi que des pionniers de France affectés directement dans le service missionnaire. C’était le début d’un travail important consistant à former et à fortifier les congrégations. On a montré aux frères comment donner le témoignage avec plus de tact et d’efficacité. Les missionnaires ont aussi pris l’initiative de prêcher aux différents groupes linguistiques du pays. Rapidement, les frères locaux leur ont emboîté le pas et se sont mis à apprendre l’anglais, le portugais, le sranan tongo et le galibi, langue amérindienne. Actuellement, la filiale de Guyane met à la disposition des gens des publications en 18 langues.
En avril 1991, Jonadab Laaland et sa femme, tous deux diplômés de l’École de Guiléad, qui servaient en Nouvelle-Calédonie, ont été affectés dans la région de Kourou pour fortifier la congrégation locale. Le père de Jonadab, Olga Laaland, avait participé aux premières semailles des graines de vérité biblique en Guyane. Aujourd’hui, plus de 280 proclamateurs louent Jéhovah à Kourou.
Les missionnaires ont également constitué le fer de lance de la prédication dans de nouveaux territoires, notamment dans l’intérieur, difficile d’accès. Rien de ce qu’impliquait un tel service ne les a découragés, à savoir s’exposer aux maladies tropicales comme le paludisme, rencontrer des serpents, supporter des nuées d’insectes, naviguer sur des fleuves tumultueux et des rapides dangereux pour atteindre des villages isolés ou affronter les pluies torrentielles et la boue.
Élie et Lucette Régalade ont fait un bon travail à Cayenne et à Saint-Laurent. Ils ont aussi visité des territoires vierges situés sur le cours supérieur du Maroni, à la frontière ouest du pays. Avec un petit groupe de frères, ils ont organisé une expédition de trois semaines pour prêcher dans tous les villages qui bordent le fleuve, de Saint-Laurent à Maripasoula. Le voyage a dû être interrompu pour que l’un des frères, victime d’un accès de paludisme particulièrement grave, puisse être soigné à Saint-Laurent. Mais les campagnes de prédication dans l’intérieur du pays n’ont pas cessé, si bien que les habitants de ces régions ont pu entendre la bonne nouvelle.
Pour atteindre Saint-Élie, un village fondé au XIXe siècle par des chercheurs d’or, il faut compter, depuis la côte, sept heures de pirogue sur la rivière Sinnamary, en s’enfonçant au cœur du pays. Ensuite, on doit marcher deux jours pour faire 30 kilomètres à travers la jungle, avec un sac à dos lourdement chargé. En effet, tout proclamateur doit emporter assez de nourriture pour trois jours, ainsi qu’une bonne réserve de publications. La nuit, il faut entretenir un feu pour tenir les animaux à distance, et probablement dormir dans un hamac. Deux missionnaires envoyés de France, Éric Couzinet et Michel Bouquet, ont ressenti une très grande joie quand, après avoir effectué ce périple, ils ont donné un témoignage approfondi aux 150 habitants du village. Vingt personnes ont assisté à la projection de diapositives qui a eu lieu pendant leur séjour.
C’est parmi ces gens que les frères ont trouvé Fanélie, qui essayait de combler ses besoins spirituels. Elle avait d’abord été catholique. Puis, elle s’était jointe aux adventistes. Mais aucun de ses coreligionnaires ne lui rendait visite à Saint-Élie. Elle suivait des cours bibliques par correspondance, mais ne recevait jamais de corrigés. Quand elle a rencontré les Témoins, elle s’est rendu compte qu’ils étaient les seuls à faire des efforts pour rendre visite aux gens dans des endroits aussi isolés que Saint-Élie. Fanélie a étudié la Bible avec les frères tous les jours pendant une semaine. Peu après, elle s’est déplacée dans une ville plus importante où elle est restée six mois. Durant cette période, elle a étudié la Bible trois fois par semaine. Au moment de son retour au village, elle était proclamatrice non baptisée. Fanélie s’occupait de son mari non Témoin et de ses cinq jeunes enfants, mais son zèle pour la vérité l’incitait à passer plus de 40 heures par mois à prêcher. Elle s’est aussi employée à organiser des réunions à l’intention des personnes intéressées par le message biblique. Elle a pris des dispositions pour célébrer le Mémorial, auquel 40 personnes ont assisté. Depuis lors, Fanélie a emménagé sur la côte, mais elle continue d’être active dans le ministère. Elle est heureuse d’avoir vu l’une de ses filles se faire baptiser et son mari se mettre à étudier.
Kaw, Ouanary et Favar, dans l’est du pays, sont d’autres communautés qui ont d’abord été touchées par les missionnaires. Frère Couzinet se rappelle très bien sa première expédition dans ces villages en 1987, en compagnie de quelques frères du coin. Ils ont pris un bac et ont ensuite roulé 40 kilomètres sur une piste de terre rouge avant d’arriver devant un marécage. Une fois la voiture arrêtée, ils ont entendu des grondements effrayants. Frère Couzinet a pensé qu’il devait s’agir de jaguars prêts à l’attaque. Mais les frères qui voyageaient avec lui ont assuré que ce n’était qu’une bande de singes hurleurs dérangés par leur arrivée. Ils ont rencontré un couple qui était à la recherche de la vérité. Ce couple s’est installé à Cayenne, a progressé jusqu’au baptême et s’active maintenant parmi les habitants d’expression portugaise de Guyane.
Peu à peu, beaucoup d’autres territoires isolés ont été parcourus. Grand Santi, Papaïchton et Saül font partie des villages qui ont bénéficié des premières visites effectuées par les missionnaires. La plupart des territoires qui étaient auparavant vierges sont maintenant régulièrement visités par des proclamateurs du Royaume.
La prédication à Maripasoula
Maripasoula, un très gros village situé sur le cours supérieur du Maroni, a été touché par le message du Royaume dès 1963. Pour des raisons de travail, Adrien Jean-Marie, alors étudiant de la Bible, devait s’y rendre trois fois par an. Il débordait d’enthousiasme pour la vérité, aussi saisissait-il l’occasion de donner un témoignage approfondi aux gens et laissait-il toujours quantité d’écrits bibliques derrière lui.
D’autres Témoins prêchaient aussi à Maripasoula, mais il était difficile de communiquer avec les indigènes parlant le sranan tongo. À l’anglais qui en constitue la base, le sranan tongo, appelé ici taki-taki, adjoint des éléments empruntés au néerlandais, au français, au portugais et à divers idiomes originaires d’Afrique et de l’Inde. La filiale du Suriname a envoyé à Maripasoula des pionniers spéciaux parlant le sranan tongo pour des périodes allant de trois à six mois, mais la réaction des gens était négative. En fin de compte, les frères ont été expulsés du village sous le prétexte qu’ils étaient des étrangers venus du Suriname. En fait, c’était surtout parce qu’ils étaient Témoins de Jéhovah.
Cornélis et Hélène Linguet y ont été envoyés comme pionniers spéciaux en 1992. Leur connaissance du sranan tongo a grandement facilité leur prédication et, du fait qu’ils sont de nationalité française, ils ont été plus facilement acceptés par la population. Trois jours par semaine ils prêchaient à Maripasoula, et les trois jours suivants ils déployaient leur activité à Papaïchton, un village qui se trouve à une heure de pirogue de Maripasoula. Au début, ils ont tenu des réunions chez eux, à Maripasoula. À l’issue de deux années d’activité, huit personnes ont assisté au Mémorial. Ce couple a persévéré dans son territoire isolé. L’amour qu’ils éprouvent pour les gens les a aidés à endurer face à de nombreux problèmes. Finalement, leur patience a été récompensée puisque deux congrégations ont été formées.
Parmi ceux qui ont réagi favorablement au message biblique, citons Antoine Tafanier, considéré comme un membre important de son groupe parce qu’il est proche parent du Gran Man, l’autorité suprême dans la communauté animiste. Tafanier avait deux concubines, chose courante le long du fleuve. Évidemment, pour prendre position pour la vérité, il devait apporter des changements dans sa vie en décidant soit d’épouser l’une des deux femmes, soit de rester célibataire. Ces deux femmes, qui vivaient dans des maisons séparées et savaient qu’il était sur le point de choisir l’une d’entre elles, se sont violemment battues. Aujourd’hui, Antoine Tafanier est heureux d’être un Témoin baptisé qui sert Jéhovah aux côtés de son unique épouse. Mais qu’est-il advenu de l’autre femme ? Au bout d’un certain temps, elle aussi s’est mise à étudier la Bible et elle est maintenant un serviteur de Jéhovah baptisé.
Les gens de la région ont peu à peu éprouvé davantage d’estime pour les Témoins de Jéhovah. Une association locale a mis gracieusement à leur disposition pendant trois ans un endroit pour les réunions. Quand il a été temps de bâtir une Salle du Royaume, ces personnes sympathisantes ont offert la moitié des tôles galvanisées. Une autre association locale, responsable de la station de télévision, a diffusé les cinq cassettes vidéo de la Société Tour de Garde qui étaient disponibles à l’époque. La cassette Les Témoins de Jéhovah : un nom, une organisation a été particulièrement appréciée des villageois.
Les Témoins étaient désormais bien établis dans cette région autrefois hostile. En 1993, Maripasoula comme Papaïchton disposaient d’une Salle du Royaume, et les gens vivant sur les rives du Maroni avaient régulièrement la possibilité d’entendre le message du Royaume.
Sur les rives de l’Oyapock
Qu’a-t-on fait le long de la frontière est du pays, là où le fleuve Oyapock coule entre la Guyane et le Brésil ? En 1973, Adrien Jean-Marie a donné un bon témoignage dans la ville de Saint Georges. La première fois, il y est resté trois jours. La même année, il y est retourné à deux reprises et a pu organiser une réunion publique à laquelle ont assisté 20 personnes. Quelques études bibliques ont été commencées par correspondance, mais elles ne marchaient pas très bien, car les étudiants n’avaient pas l’habitude de rédiger des lettres. À Tampac, un village de “ Bushinengués ” implanté au bord du même fleuve, frère Jean-Marie a également rencontré des personnes intéressées par le message de la Bible.
Dix ans plus tard, en 1983, Étiennise Mandé et Jacqueline Lafiteau ont été envoyées dans cette région isolée pour y donner un plus ample témoignage et pour apporter de l’aide aux personnes bien disposées. Quand c’était possible, des frères de Cayenne prenaient l’avion pour passer un week-end à Saint Georges afin de soutenir les sœurs en prêchant avec elles et en présentant des discours publics. Il a cependant fallu beaucoup de patience avant de voir le fruit de ce travail. Sœur Mandé se souvient : “ J’ai commencé plusieurs études bibliques. Mais le prêtre de la paroisse n’a pas tardé à s’opposer à notre œuvre. On entendait parfois : ‘ Le prêtre nous a dit de ne pas écouter les Témoins et de ne pas vous recevoir chez nous, parce que vous êtes des agents du Diable. ’ Certaines personnes avec lesquelles j’étudiais ont décidé d’arrêter. ” Toutefois, à force de persévérance, les résultats sont venus.
Michel Bouquet et Richard Rose, un pionnier spécial, ont également contribué à entretenir l’intérêt pour la vérité dans cette région. Une grande œuvre de témoignage avait été effectuée à Saint Georges, mais, à partir de 1989, on leur a demandé de concentrer leur activité sur le territoire à l’extérieur de la ville. Récemment, frère Rose et sa femme ont eu le privilège d’être les premiers pionniers de Guyane à assister à l’École de Guiléad. Ils servent actuellement en Haïti.
Une fois que des jalons ont été posés sur la rive guyanaise de l’Oyapock, on a pris des dispositions pour évangéliser un petit territoire de l’autre côté du fleuve, au Brésil. La ville d’Oiapoque compte 10 000 habitants et elle se trouve à une vingtaine de minutes de Saint Georges, en pirogue. Les frères ont eu tôt fait de constater que l’intérêt y était plus grand qu’à Saint Georges, aussi se sont-ils particulièrement occupés de ce territoire. Frère Moreau raconte : “ Nous passions généralement la nuit à l’arrière d’un magasin. Ce n’était pas des plus confortable, bien qu’une dame aimable, qui disait être une ‘ sœur ’, nous ait proposé un endroit où dormir et une barrique d’eau pour nous laver. Les jeunes pionniers du coin ont ri en entendant ma femme Marylène se plaindre de l’odeur de l’eau. Nous faisions tous notre toilette dans l’obscurité, dans l’arrière-cour, avant d’aller nous coucher. Mais le lendemain matin, nous avons découvert avec horreur qu’un gros rat s’était noyé dans la barrique et était remonté à la surface. ” Néanmoins, cet incident n’a pas terni les bons moments passés dans le ministère.
Dans cette ville d’Oiapoque, frère Bouquet a pris l’initiative d’acheter une parcelle de terrain. Avec l’aide de frère Rose et d’autres pionniers et proclamateurs venus de Cayenne, il y a construit une Salle du Royaume de 80 places avec un appartement attenant.
Dans les années 90 est arrivé en renfort un couple de pionniers spéciaux, les Da Costa. Ils se sont fait un devoir de visiter toutes les écoles pour offrir aux directeurs le livre Les jeunes s’interrogent — Réponses pratiques. Ils ont également demandé l’autorisation de le proposer à tous les élèves. Elle leur a été accordée. Dès qu’ils ont su en quoi consistait ce livre, tous les étudiants et tous les professeurs en ont voulu un exemplaire. En tout, 250 ouvrages ont été distribués.
Frère Da Costa rapporte le fait suivant : “ Nous avons eu une excellente discussion avec le commandant du camp militaire de l’endroit, et nous lui avons offert un exemplaire du livre La connaissance qui mène à la vie éternelle. Il l’a accepté tout en nous demandant de l’aide pour endiguer les problèmes d’ivrognerie et d’immoralité que rencontraient ses hommes. Nous avons proposé de leur présenter un discours. Cette idée lui a plu et il a promis qu’un petit groupe serait présent la semaine suivante. Quand nous sommes revenus donner le discours, nous avons trouvé 140 soldats qui nous attendaient. Ils ont tous été très attentifs aux arguments développés. Nous avons laissé 70 périodiques ; nous n’en avions pas emporté davantage, car nous ne nous attendions pas à voir autant de gens assister à notre réunion. Cette disposition a continué quelques semaines. Étant donné que ces soldats ne restent pas longtemps au même endroit, nous avons perdu la trace de la plupart d’entre eux. ” Cependant, beaucoup ont réagi favorablement à l’aide qui leur a été apportée.
Au Brésil, une jeune femme du nom de Rosa avait étudié la Bible en compagnie des Témoins, mais elle n’avait pas pleinement accepté la bonne nouvelle. Le jour où elle a entendu parler d’une possibilité de gagner beaucoup d’argent en travaillant dans une mine d’or en Guyane, elle a abandonné son appartement et son étude biblique et est arrivée à Oiapoque dans l’intention d’entrer en Guyane de façon illégale. Il va sans dire que vivre au milieu d’hommes, près d’une mine d’or en pleine forêt, ne serait pas sans danger pour une femme. Avant qu’elle ne parte pour la mine, une sœur d’Oiapoque qui s’inquiétait pour elle l’a aidée à reconsidérer la question. Le conseil biblique donné en Matthieu 6:25-34 l’a profondément touchée, et elle a changé d’avis. Rosa a voué sa vie à Jéhovah et elle est retournée chez elle. Après plusieurs années de séparation, elle a repris la vie commune avec son mari.
Il y a maintenant une congrégation de 25 proclamateurs à Oiapoque. Les efforts des cinq proclamateurs de Saint Georges portent aussi du fruit. Le premier habitant de Saint Georges à avoir pris position pour la vérité a été Jean René Mathurin. Il est aujourd’hui assistant ministériel, et sa femme est pionnière permanente.
Des assemblées joyeuses
Aux temps bibliques, les adorateurs de Jéhovah avaient reçu pour instruction de se rassembler régulièrement pour le culte (Deut. 16:1-17). De la même façon, les assemblées sont aujourd’hui vécues comme des moments exaltants par les adorateurs de Jéhovah en Guyane. Même à l’époque où ils étaient peu nombreux, les frères n’ont jamais rechigné devant la responsabilité d’organiser des assemblées. Voici ce qu’en dit un frère : “ Dans les années 60, nos assemblées de district duraient huit jours. On présentait quatre drames bibliques. Les acteurs devaient connaître leur rôle par cœur, et la poignée de proclamateurs que nous étions devait travailler très dur. Par bonheur, un grand nombre de frères martiniquais et guadeloupéens avaient l’habitude de venir nous aider pour les préparatifs de ces assemblées. ” Les frères locaux leur savaient gré de leur présence. Nombreux sont ceux qui se rappellent encore avec émotion les jours où la plupart des frères guyanais se rendaient à l’aéroport pour accueillir les délégués venus de Martinique et de Guadeloupe.
Ces rassemblements étaient vraiment des occasions de réjouissances. Chaque assemblée était une fête spirituelle, et les frères éprouvaient les mêmes sentiments que les Israélites à qui Jéhovah demandait : “ Vous devrez vous réjouir devant Jéhovah votre Dieu. ” — Lév. 23:40.
Les frères les plus expérimentés avaient énormément de travail. Ils s’occupaient de l’organisation de l’assemblée, présentaient des discours et bien souvent jouaient dans plusieurs drames bibliques. Il n’était pas rare qu’un frère participe à trois drames et prononce cinq ou six discours.
Préparer et servir des repas substantiels pour la pause de midi imposait un surcroît de travail. Le menu incluait parfois du porc, du lézard, de l’agouti, de la tortue ou du tatou. Il est même arrivé que des frères aient dû partir à la chasse ou à la pêche, entre les sessions, pour ramener la nourriture nécessaire.
Trouver des endroits où tenir nos assemblées a toujours représenté une difficulté. Pour commencer, on a utilisé la maison des Valard. Les frères ont construit un abri dans la cour, et d’année en année ont agrandi l’abri pour protéger l’assistance qui grossissait. Toutefois, quand cette dernière a dépassé les 200 personnes, il a fallu se mettre à la recherche d’un endroit plus grand. Au début, les frères ne trouvaient à louer que des terrains de handball ou de basket. Ils montaient donc une estrade et demandaient aux assistants d’apporter leurs propres sièges. Ce n’était pas facile, mais les frères voyaient les choses d’une manière positive. Les jeunes ne se sont jamais fait prier pour céder leur place aux personnes plus âgées, même si cela impliquait qu’ils restent eux-mêmes debout toute la journée.
Pendant des années, on a loué des salles de danse pour les assemblées. Quand la session du samedi se terminait, les frères devaient quitter les lieux rapidement, car les musiciens arrivaient pour le bal qui durait toute la nuit. De bonne heure le lendemain, les frères revenaient nettoyer la salle et la préparer pour la session du dimanche matin. Évidemment, ce n’était pas le genre d’endroits qu’on associe généralement à un rassemblement religieux. Le fait que les frères se réunissaient au Guyana Palace, au Soleil Levant ou au Canari leur valait des moqueries de la part des gens du territoire. De toute façon, avec le temps, ces locaux se sont révélés eux aussi trop petits pour recevoir le nombre croissant de personnes qui assistaient aux assemblées.
En définitive, les frères ont décidé de construire leur propre Salle d’assemblées, selon le modèle de celles utilisées en Martinique et en Guadeloupe. Elle avait une structure métallique et un toit de tôles galvanisées. Elle était assez grande pour recevoir un millier de personnes tout en étant facilement démontable. L’étape suivante consistait à trouver un terrain où ériger cette Salle d’assemblées. Jean-Daniel Michotte a mis à la disposition des frères une partie de sa propriété. Cette disposition a duré plusieurs années.
Une entreprise hors du commun
Comme l’intérêt des gens pour la vérité augmentait, il est devenu nécessaire de disposer d’une Salle d’assemblées plus vaste. Les frères se sont mis à la recherche d’un emplacement assez grand pour y construire une Salle d’assemblées de 2 000 places. Après plusieurs années de prospection, ils ont fini par trouver un terrain bien situé de trois hectares, à un prix raisonnable. Étant donné que les frères du pays n’avaient pas les compétences voulues en ingénierie et en construction, la filiale de France a été sollicitée pour apporter son aide. L’entreprise était vraiment hors du commun. Elle a été menée à bien en 1993. Le chantier concernait une Salle d’assemblées de 2 000 mètres carrés, cinq Salles du Royaume, trois appartements pour des pionniers spéciaux et trois maisons de missionnaires ; tout cela a été construit en seulement huit semaines !
Une grande partie du matériel a été expédiée de France par bateau dans 32 énormes conteneurs. On trouvait de tout dans la cargaison : des tracteurs, des camions, des autobus, des parpaings, des feuilles de tôle galvanisée et d’autres matériaux de construction, ainsi qu’un stock important de nourriture. Les comités de construction régionaux de France qui étaient impliqués dans le chantier ont travaillé très dur.
Pour la réalisation de cette entreprise, quelque 800 frères et sœurs sont venus de France, à leurs frais, afin de travailler aux côtés de 500 frères et sœurs locaux sur quatre chantiers différents. Comme 250 kilomètres séparaient le chantier situé le plus à l’ouest de celui qui se trouvait le plus à l’est, une bonne communication était nécessaire. Les équipes formées par les frères de France se sont relayées au cours de ces deux mois, mais, à un moment donné, ils étaient 500 à travailler avec 422 Témoins du pays. Loger tous ces volontaires n’était pas une mince affaire. De nombreuses familles guyanaises ont hébergé deux ou trois frères de France ; aucun d’eux n’est descendu dans un hôtel. Il fallait aussi pourvoir au transport des ouvriers. “ En me rendant à mon travail, explique un frère, je faisais un détour pour déposer des volontaires sur le chantier et je les reprenais après mon travail. Nous avons fait de notre mieux pour que les frères se sentent à l’aise. ”
Le groupe le plus important se trouvait à Matoury, sur l’emplacement de la Salle d’assemblées (où il était aussi prévu d’installer une Salle du Royaume), tandis que d’autres volontaires s’activaient à Sinnamary pour la construction d’une Salle du Royaume et d’une petite maison de missionnaires. À Mana, une autre Salle du Royaume et une maison de missionnaires étaient en chantier. Dans un quartier sranan tongo de la ville, on bâtissait une Salle du Royaume comprenant un logement pour les pionniers spéciaux. Enfin, à Saint-Laurent, on a construit une Salle du Royaume de 330 places et une maison pour six missionnaires. Deux congrégations s’y réunissent. Cette grande Salle du Royaume est utilisée pour les assemblées en sranan tongo, auxquelles assistent souvent près de 600 personnes.
Après avoir participé à cette tâche colossale, certains frères français ont décidé de s’installer en Guyane. En plus de nous faire profiter de leurs compétences dans le bâtiment, ils ont fait la joie des congrégations au sein desquelles ils servent comme anciens, assistants ministériels ou membres des comités de construction. Par la suite, il en est qui ont participé à la construction des bâtiments de la nouvelle filiale.
La filiale a besoin de locaux
La filiale de Guyane a commencé à fonctionner en 1990 dans une maison louée à Montjoly, ville proche de la capitale. David Moreau a été nommé coordinateur du Comité de la filiale. Depuis la Martinique où il avait été affecté après avoir été diplômé de l’École de Guiléad en 1981, il lui était souvent arrivé de se voir assigner des missions en Guyane. Faisaient également partie du Comité de la filiale : Jean-Daniel Michotte, Paul Chong Wing et Éric Couzinet. Plus tard, Christian Belotti leur a été adjoint. Les congrégations ont beaucoup apprécié d’être dirigées sur le plan local par des frères mûrs, bien au fait de leurs besoins.
Quand la filiale a été formée, la proportion était de un proclamateur du Royaume pour 173 habitants. Les 660 proclamateurs comprenaient les 14 missionnaires affectés dans différentes régions du pays. L’accroissement constant du nombre des prédicateurs — jusqu’à 18 % certaines années — a rendu nécessaire la recherche d’installations qui conviendraient mieux à la filiale. En 1992, celle-ci a été transférée à Matoury, tout près de Cayenne. Puis, en 1995, le Collège central a donné son approbation pour la construction d’un bâtiment plus adapté à nos besoins. Il a fallu deux années de travail pour que le nouveau complexe soit réalisé. Quelle immense source de joie pour les frères, et quel excellent témoignage !
Les défis du ministère
La prédication de la bonne nouvelle dans ce pays est synonyme d’efforts, d’abnégation et d’amour. Les étudiants sincères de la Bible le remarquent. L’un d’eux, une dame, a confié au Témoin qui étudie la Bible en sa compagnie : “ Sans conteste, je peux voir l’amour et le dévouement dont vous faites preuve à mon égard. Pendant des mois, même sous la pluie, vous êtes venue régulièrement me dispenser la connaissance de la bonne nouvelle. C’est pourquoi, en retour, je viendrai tous les dimanches à vos réunions. ” C’est effectivement ce que cette dame a fait, y amenant même des amis.
Parfois, pour se rendre à l’endroit où doit avoir lieu une étude biblique, les proclamateurs sont obligés de marcher sur un tronc d’arbre posé en travers d’un fossé. La difficulté augmente quand le bois est à moitié flottant. Les bras à l’horizontale pour garder l’équilibre, David Moreau avançait devant une sœur pionnière quand il a soudain entendu le bruit d’un plongeon derrière lui. La sœur est courageusement remontée sur le tronc, elle s’est nettoyée quand ils sont arrivés à destination et a dirigé son étude biblique comme si de rien n’était.
En un autre endroit, frère Bouquet est arrivé en pirogue dans un village ; la marée était basse et la berge couverte d’une épaisse couche de vase. Comme il avançait vers le village, il s’est enlisé jusqu’aux genoux. Ce n’est qu’après avoir parcouru environ 25 mètres qu’il a atteint la terre sèche. Les villageois ont gentiment mis de l’eau à sa disposition pour qu’il se lave les jambes ; il a ensuite commencé son activité.
La difficulté à atteindre les Amérindiens ne tient pas seulement à la situation isolée de leurs villages et à la différence de langue. Dans le souci de protéger ces territoires de l’invasion de la civilisation, le gouvernement en interdit l’accès au public. La prédication systématique n’est donc pas autorisée dans leurs villages. Néanmoins, quand des Amérindiens se rendent dans des villages voisins pour acheter ce qui leur est nécessaire, les Témoins de Jéhovah s’efforcent de leur faire connaître l’espérance merveilleuse d’un monde débarrassé de toutes les maladies, y compris du paludisme qui constitue un véritable fléau dont beaucoup de gens sont victimes.
Respecter des rendez-vous ou assister à des réunions à des heures précises demande à certains d’opérer un changement radical dans leur façon de penser. Il y a une trentaine d’années, les indigènes ne portaient jamais de montre et personne n’était pressé. Être à l’heure aux réunions bouleversait leurs conceptions. Un jour, une sœur s’est sentie tout heureuse d’être arrivée pendant la prière, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que c’était la prière finale ! Une autre fois, un missionnaire qui prêchait à Saint Georges a demandé à un homme si le village de Régina se trouvait très loin. “ Non, a répondu le monsieur, pas très loin. ” “ À quelle distance ? ” a voulu savoir le frère. “ C’est à peine à neuf jours de marche. ” Cette notion particulière du temps explique aussi pourquoi certains, tout en aimant la vérité, diffèrent leur engagement à servir Dieu.
Des personnes ont eu à choisir entre les lois tribales et les principes bibliques en ce qui concerne la vie de famille. Parfois, leur décision de marcher dans les voies de Jéhovah leur a valu les foudres du chef du village. Il est même arrivé à un couple de pionniers spéciaux qui déployaient leur activité aux alentours d’un village d’être condamnés à mort par le chef de cette communauté. Ils ont dû fuir pour ne pas être exécutés, et ils ont ensuite reçu une autre affectation à 300 kilomètres de là.
Malgré ces difficultés, des gens de toutes origines et de toutes conditions sociales répondent à cette invitation : “ Que quiconque le veut prenne l’eau de la vie gratuitement. ” (Rév. 22:17). L’année dernière, un maximum de 1 500 proclamateurs ont participé à la prédication de la bonne nouvelle en Guyane. Ils ont dirigé en moyenne 2 288 études bibliques avec des personnes bien disposées. Le 19 avril, 5 293 personnes ont assisté au Mémorial de la mort du Christ. Nous faisons de ferventes prières pour que beaucoup plus de gens encore fassent leur la vérité, devenant ainsi d’authentiques disciples de Jésus Christ.
[Illustrations pleine page, page 224]
[Illustration, page 228]
Olga Laaland.
[Illustration, page 230]
De gauche à droite : Christian Bonecaze et Xavier Noll.
[Illustrations, page 234]
Michel et Jeanne Valard.
[Illustration, page 237]
Constance et Edmogène Fléreau.
[Illustrations, page 238]
1) Une passerelle en bois, en pleine forêt tropicale ; 2) Éric Couzinet et Michel Bouquet, chargés de leur équipement ; 3) un village amérindien.
[Illustration, page 241]
Élie et Lucette Régalade.
[Illustrations, page 251]
Un chantier international de huit semaines : 1) Salle d’assemblées à Matoury ; Salles du Royaume et autres installations : 2, 3) à Mana, 4) à Saint-Laurent et 5) à Sinnamary ; 6) des Témoins de Guyane collaborent avec des centaines de frères venus de France.
[Illustrations, pages 252, 253]
Le bureau et la maison d’habitation du Béthel de Guyane, avec le Comité de la filiale (de gauche à droite) : Paul Chong Wing ; David Moreau ; Jean-Daniel Michotte ; Éric Couzinet.