Malawi
BIENVENUE dans le chaleureux cœur de l’Afrique ! Avec son climat idéal et ses habitants aimables, le Malawi est vraiment un pays chaleureux qui présente de nombreux attraits. Mais il est autre chose encore de très chaleureux ; il s’agit du message de la vérité biblique qui est prêchée dans ce pays par plus de 40 000 Témoins de Jéhovah Dieu.
Pourtant, il n’y a pas si longtemps de cela, ces humbles serviteurs de Dieu ont subi une intense tribulation. Loin d’être traités avec chaleur et amitié par leurs voisins, ils ont été victimes de terribles persécutions, des horreurs qui rappellent les pogroms contre les Juifs et l’Inquisition du Moyen Âge. Le récit de leurs souffrances et de leur endurance est un remarquable exemple d’intégrité face aux adversités. Mais avant d’aborder ce récit, découvrons le pays en lui-même.
Le pays et les hommes
Le Malawi est un très petit pays qui présente pourtant une remarquable variété de paysages : montagnes, rivières et lacs. Dans le sud du pays, le mont Mulange offre un spectacle particulièrement saisissant. Prenant son élan parmi les verdoyantes plantations de thé, il s’élance jusqu’à 3 002 mètres d’altitude, ce qui le place au premier rang des plus hauts sommets de cette région de l’Afrique. Mais le site le plus connu des touristes est certainement le lac Malawi, long de 580 kilomètres. Le célèbre explorateur David Livingstone l’avait appelé “ le lac aux étoiles ” en raison des reflets que le soleil crée à sa surface. Il renferme des centaines d’espèces de poissons, plus que toute autre étendue d’eau douce au monde, a-t-on prétendu.
L’amabilité des 11 millions d’habitants du Malawi met à l’aise le visiteur. Ils sourient généreusement et sont toujours prêts à venir en aide. Ils manifestent aussi un grand amour pour la Parole de Dieu. La Bible y existe depuis une centaine d’années en chichewa, en yao et en tumbuka, les principales langues du pays. Chaque foyer, pour ainsi dire, possède au moins une bible, et beaucoup de personnes la lisent régulièrement. La plupart des Malawites sont pauvres matériellement parlant, mais, en acceptant l’aide des Témoins de Jéhovah, beaucoup ont trouvé d’abondantes richesses spirituelles dans les pages de leur bible.
L’activité des Témoins de Jéhovah au Malawi remonte au début du siècle. En fait, elle a touché les gens dans des circonstances très bizarres.
‘ Comme un feu dans les broussailles ’
Notre récit commence en évoquant Joseph Booth, un personnage pittoresque mais controversé. Débordant d’enthousiasme après avoir lu des publications de la Société Watch Tower, il a rencontré Charles Russell en 1906 et l’a convaincu qu’il fallait envoyer un représentant de la Société en Afrique australe. Puisque Joseph Booth avait par le passé travaillé au Malawi, qui à l’époque s’appelait le Nyassaland, il semblait que cet homme pouvait rendre de grands services à l’œuvre. Ce que frère Russell ignorait, c’est que cet homme s’était forgé une très mauvaise réputation dans cette partie du monde. Il y passait pour ce qu’un journaliste a plus tard appelé un “ auto-stoppeur des religions ”, parce qu’il passait d’une religion de la chrétienté à une autre selon ce qui favorisait ses ambitions personnelles. Booth, en fait très mal vu des autorités, était persona non grata au Malawi. Mais une fois de plus, cet “ auto-stoppeur ” expérimenté avait trouvé un moyen de poursuivre sa route !
Sachant qu’il ne pouvait pas se rendre directement au Malawi, Booth s’est d’abord installé en Afrique du Sud. C’est là qu’il a revu Elliott Kamwana, une ancienne connaissance du Malawi. Booth a rapidement convaincu ce jeune homme de retourner dans son pays. À son arrivée, en 1908, Elliott Kamwana a entrepris une campagne de prédication publique, en s’inspirant plus ou moins librement de quelques publications de la Société Watch Tower. McCoffie Nguluh, qui est mort il y a quelques années et qui était un ancien fidèle, a connu la vérité à cette époque. Il avait décrit la prédication de Kamwana comme “ un feu dans les broussailles ”. En effet, l’activité de Kamwana, ponctuée par de spectaculaires baptêmes en plein air, a rapidement produit des résultats dans tout le pays, à la manière d’un feu de brousse. Des milliers de personnes se sont intéressées et de nombreuses “ congrégations ” ont vu le jour en peu de temps.
En réalité, ni Booth ni Kamwana n’avaient réellement quitté “ Babylone la Grande ”. (Rév. 17:5 ; 18:4.) Les visées qu’ils poursuivaient étaient en fait de nature politique. Les méthodes de prédication douteuses d’Elliott Kamwana ont bien vite inquiété les autorités du Malawi. Il a peu après été expulsé vers les Seychelles. En 1910, Joseph Booth a lui aussi changé d’horizon et rompu tout lien avec la Société Watch Tower. Malheureusement, ces deux hommes avaient fait plus de tort que de bien ; le seul point positif de l’épisode, c’est que de nombreuses publications contenant la vérité biblique avaient été diffusées dans le pays. Dans les quelques années qui ont suivi, des personnes sincères, comme McCoffie Nguluh, allaient réagir favorablement à ce qu’elles avaient lu.
Les “ mouvements Watch Tower ” sèment la confusion
En raison de ces débuts mouvementés de l’œuvre au Malawi, la Société y a envoyé William Johnston, un frère écossais très qualifié de Glasgow, pour examiner la situation. Il a découvert que de nombreuses prétendues congrégations avaient été créées, mais que leurs membres n’avaient qu’une compréhension très limitée de la vérité biblique. Il s’y trouvait toutefois quelques personnes qui recherchaient sincèrement la vérité. Frère Johnston a donc formé quelques hommes du pays pour qu’ils prennent la direction de l’activité, puis il s’est rendu en Afrique du Sud. Il s’est ensuite écoulé une longue période avant que l’on s’inquiète de nouveau de l’œuvre au Malawi. Entre-temps, une terrible confusion s’était installée. Cela a valu de nombreuses difficultés aux Témoins de Jéhovah, qui s’appelaient à l’époque les Étudiants de la Bible, et a mis leur intégrité à l’épreuve.
Reprenant à leur compte le style charismatique d’Elliott Kamwana, de nombreux mouvements qui amalgamaient quelques enseignements bibliques avec des doctrines fausses et des pratiques contraires aux Écritures ont vu le jour. Ces mouvements se servant plus ou moins de publications de la Société Watch Tower, leurs dénominations comportaient souvent l’expression Watch Tower. Cela a valu des ennuis aux quelques frères fidèles de ce pays. À noter que, privés d’une direction convenable et de la nourriture spirituelle dont ils auraient eu besoin, il est remarquable que ces frères n’aient pas avec le temps renoncé à l’activité chrétienne. Ils ont continué de se réunir et de rendre témoignage, et ils se sont efforcés de suivre les traces de Jésus Christ. — 1 Pierre 2:21.
Les chefs religieux du pays ont profité de cette situation pour calomnier les Étudiants de la Bible en prétendant qu’ils appartenaient à ces mouvements qui avaient repris arbitrairement à leur compte le nom Watch Tower. Mais, avec le temps, la différence entre ces sectes locales et nos frères est devenue manifeste. Au début des années 20, alerté par des rapports troublants venant de membres du clergé de la chrétienté, le directeur de la police a mené une enquête. Il a assisté incognito à plusieurs réunions des Étudiants de la Bible. Quelle a été sa conclusion ? Il s’est dit outré par les mensonges éhontés qui avaient été proférés à leur encontre. Cependant, la confusion créée par ces faux “ mouvements Watch Tower ” a duré de longues années.
L’œuvre s’organise
En 1925, la Société s’est une fois de plus intéressée à la situation au Malawi. John Hudson a passé 15 mois dans le pays et a prononcé des discours dans les congrégations. Il s’est efforcé de montrer aux frères l’importance de garder le contact avec la Société Watch Tower, l’instrument utilisé par “ l’esclave fidèle et avisé ”, et d’accepter son autorité spirituelle et sa direction. — Mat. 24:45-47.
Le passage de frère Hudson au Malawi s’est avéré précieux pour Gresham, un homme originaire de Ntcheu. Durant l’année où frère Hudson a résidé au Malawi, Gresham Kwazizirah, s’est fait baptiser. Il a peu après subi une épreuve sévère. Les responsables de son ancienne Église l’ont fait accuser de propager des enseignements subversifs. Il a donc été emprisonné. Qu’allait-il faire ? La peur allait-elle le faire renoncer à sa foi ? Au bout d’un mois, les autorités de la province ayant achevé leur enquête, frère Kwazizirah a été disculpé et remis en liberté. Mais le plus important, c’est qu’il était déterminé à rester fidèle à Jéhovah et à son organisation. Jéhovah allait pouvoir se servir de ces chrétiens qui manifestaient un si bel esprit. Après être parti travailler au Mozambique, il a connu de nombreux privilèges de service en répandant le message du Royaume et en affermissant les congrégations du Malawi. (Voir La Tour de Garde du 1er février 1973.)
La visite de frère Hudson a de même grandement stimulé McCoffie Nguluh et Junior Phiri. Ces deux frères se sont par la suite installés en Afrique du Sud, où ils ont servi fidèlement durant de nombreuses années. Richard Kalinde a lui aussi retiré des bienfaits de la présence de John Hudson. Avant de quitter le pays, frère Hudson a chargé frère Kalinde de diriger la prédication de la bonne nouvelle jusqu’à ce qu’une aide supplémentaire soit fournie.
Tout le monde ne s’est cependant pas réjoui de la visite de frère Hudson. Frère Nguluh, dont nous parlions précédemment, a décrit les réactions de certains : “ Nous n’allons pas nous laisser enseigner par des hommes qui viennent du Cap, disaient-ils. Nous ferons ce qui nous semble bon. ” Refusant de se laisser diriger par la Société, ils ont créé leurs propres “ mouvements Watch Tower ”. Mais ceux qui cherchaient sincèrement la vérité ont adopté une attitude bien plus humble. Ils ont gardé le contact avec le bureau de la Société en Afrique du Sud et ont accepté avec gratitude les instructions et les conseils qu’ils recevaient par son intermédiaire. La filiale d’Afrique du Sud a bien vite compris la nécessité d’accorder une aide supplémentaire à ce petit noyau de personnes sincères.
Un représentant permanent est nommé dans le pays
Une étape mémorable de l’histoire des Témoins de Jéhovah au Malawi a été franchie en 1933. C’est en cette année que la Société Watch Tower a demandé officiellement à avoir un représentant permanent dans le pays. Le gouverneur a répondu qu’il “ accueillait avec satisfaction cette nouvelle disposition ” et il a approuvé la demande. Il devenait enfin possible d’assurer la prédication de la bonne nouvelle au Malawi de manière plus systématique. C’est ainsi qu’en mai 1934 ont été ouverts sous la direction de la filiale d’Afrique du Sud un dépôt de publications ainsi qu’un bureau, et que Bert McLuckie s’est vu confier la surveillance de l’œuvre.
Baptisé en 1930, frère McLuckie était encore relativement jeune dans la vérité, mais il avait déjà effectué un ministère très efficace comme pionnier à Madagascar et à Maurice. À son arrivée au Malawi, il a trouvé un petit logement de deux pièces dans la capitale, Zomba, dans le sud du pays. Une pièce servait de dépôt de publications et de bureau, tandis que l’autre était sa chambre à coucher. Frère McLuckie, célibataire à l’époque, racontait que cette nouvelle affectation très solitaire lui avait semblé être ‘ la plus lourde responsabilité de sa vie ’.
Richard Kalinde, qui était devenu son proche collaborateur, lui a été d’un grand soutien. La principale tâche consistait au départ à dissiper la confusion causée par l’existence de faux “ mouvements Watch Tower ” confusion qui occasionnait des difficultés aux frères. À vrai dire, ce ne fut pas si difficile qu’il avait semblé. En effet, la plupart des fonctionnaires avaient compris que ces sectes indigènes n’avaient rien à voir avec la véritable Société Watch Tower. Par ailleurs, le bureau d’Afrique du Sud avait donné à Bert McLuckie des instructions claires sur la manière de faire face à la situation. Conformément à ces instructions, il a visité au fur et à mesure tous les groupes dans chaque région du Malawi en compagnie de frère Kalinde qui lui servait d’interprète. Ces visites aux congrégations ont amené beaucoup de personnes à retirer leur soutien aux faux “ mouvements Watch Tower ” et à leurs responsables.
La bénédiction de Jéhovah a été manifeste. Une organisation théocratique solide était à présent établie. Pour la première fois, les rapports d’activité des proclamateurs ont été collectés. En 1934, 28 proclamateurs ont remis un rapport.
Le dépôt de Zomba change de mains
Après environ un an de présence au Malawi, Bert McLuckie a été rappelé en Afrique du Sud. Il a par la suite servi fidèlement Jéhovah dans d’autres parties d’Afrique australe pendant plus de 60 ans, jusqu’à sa mort survenue en 1995. Un autre membre de la famille McLuckie, Bill, son frère cadet, l’a remplacé au Malawi.
Bill McLuckie avait été auparavant pionnier en Afrique du Sud, alors qu’il n’était même pas encore baptisé. George Phillips, le serviteur de filiale d’Afrique du Sud, a demandé à Bill s’il accepterait d’être envoyé au Malawi. Bill a accepté, et frère Phillips a ajouté : “ Bien sûr, il faudra d’abord que tu sois baptisé. ” Bill s’est fait baptiser et il est arrivé au dépôt de Zomba en mars 1935. Il avait 26 ans. Ce frère fidèle a manifesté son intégrité au Malawi face à une adversité sévère jusqu’à ce qu’il soit expulsé en 1972.
Comment se passaient les choses en cette époque reculée ? Bill McLuckie, qui en 1998 était âgé de 90 ans et vivait en Afrique du Sud avec sa famille, se souvenait des locaux exigus de ce dépôt de Zomba : “ La chambre à coucher n’était pas plus grande qu’un placard. L’atmosphère était plutôt étouffante là-dedans, alors je laissais les fenêtres ouvertes la nuit, jusqu’au soir où un policier a passé la tête par la fenêtre et m’a dit : ‘ Bwana [Monsieur], vous devriez fermer vos fenêtres. Il y a des léopards qui se promènent dans les rues la nuit. ’ J’ai donc fermé les fenêtres. ”
Hormis l’inconfort des lieux, il était très avantageux que le dépôt se trouve dans la capitale. Les services de l’administration et de la police n’étant pas bien loin, frère McLuckie pouvait rapidement répondre aux accusations qui étaient formulées contre la Société à cause de la confusion persistante entre les Témoins de Jéhovah et les faux “ mouvements Watch Tower ”. Comme son frère auparavant, Bill McLuckie a patiemment collaboré avec l’administration pour aplanir tout malentendu. Les Témoins de Jéhovah avaient acquis une bonne réputation.
L’organisation est purifiée
Bill McLuckie s’est donné beaucoup de peine pour susciter chez les frères un plus grand respect des normes de Jéhovah définies dans la Bible. Il a fallu entre autres expliquer aux frères que des pratiques contraires aux Écritures, comme l’impureté sexuelle, le spiritisme et l’abus d’alcool sont incompatibles avec le mode de vie des Témoins de Jéhovah (1 Cor. 6:9, 10 ; Rév. 22:15). Il a bénéficié pour cette entreprise de l’aide précieuse de Gresham Kwazizirah. Ce frère a servi avec zèle comme serviteur itinérant, principalement dans le nord du pays. Frère McLuckie parlait de lui comme d’un homme “ mûr et franc ”. Frère Kwazizirah s’est acquis la réputation de défendre en toutes circonstances les normes justes de la Bible. Quand il rencontrait des individus qui avaient une conduite immorale alors qu’ils prétendaient servir Jéhovah, frère Kwazizirah leur tenait tête courageusement. S’ils reconnaissaient avoir une conduite non chrétienne, il leur reprenait les publications en leur disant qu’ils n’étaient pas d’authentiques Témoins de Jéhovah. Il leur interdisait aussi de participer à la prédication. Son attitude ferme a incité de nombreuses personnes à réformer leur conduite. C’est frère Kwazizirah qui a eu la triste obligation de signaler que Richard Kalinde avait pris part à des pratiques qui n’étaient pas conformes au mode de vie chrétien. Ce frère autrefois si zélé ne pouvait donc plus représenter l’organisation pure de Jéhovah.
En raison de leur position résolue sur les principes moraux élevés de la Bible, les Témoins de Jéhovah se sont fait connaître comme des chrétiens intègres. Cela s’est souvent avéré une protection pour eux.
La bénédiction de Jéhovah sur cette organisation moralement pure était manifeste, car le nombre de ceux qui le louaient activement augmentait. En 1943, il y avait en moyenne 2 464 proclamateurs répartis dans 144 congrégations, un bel accroissement en comparaison des 28 proclamateurs recensés dix ans plus tôt !
Réveil spirituel au Malawi
Au cours de l’année 1944, l’expression “ le monde nouveau ”, qui était souvent employée dans les publications des Témoins de Jéhovah, a frappé l’attention de la population du Malawi. Comme l’expliquaient les publications, cette expression désignait le nouveau système de choses que Jéhovah mettrait en place, une nouvelle société humaine dirigée par le Royaume céleste confié à Jésus Christ (Dan. 7:13, 14 ; 2 Pierre 3:13). S’appuyant sur la Bible, ces publications montraient que dans le monde nouveau la terre deviendra un paradis, les hommes vivront en paix avec les animaux, les guerres n’existeront plus, les produits de la terre seront à la disposition de tous et en abondance, la maladie et la mort ne seront plus, et, mieux encore, les morts seront ressuscités et auront la possibilité de vivre éternellement. — Ps. 67:5, 6 ; Is. 2:4 ; 11:6-9 ; Luc 23:43 ; Jean 5:28, 29 ; Rév. 21:3, 4.
Quand il expliquait ce sujet dans ses discours, un certain frère faisait référence à des particularités locales, disant : “ Quand Adam a péché, il n’avait pas encore eu d’enfants dans le jardin ; tous ses enfants sont nés dans la ‘ brousse ’, et, chers amis, nous sommes toujours dans la ‘ brousse ’. Nous ne sommes pas encore retournés dans le jardin. Mais bientôt nous quitterons ce monde matekenya (infesté de puces) pour entrer dans le nouveau, le monde bien établi de Jéhovah. ”
Dans une région, les discours au sujet du monde nouveau de Dieu eurent un tel retentissement qu’une foule de personnes intéressées par la vérité a suivi les frères de lieu en lieu, s’abreuvant des promesses bibliques d’un paradis. Dans une autre région, quelques ecclésiastiques africains ont écouté un discours parlant du monde nouveau et ont été captivés par ce qu’ils ont appris, si bien qu’ils sont ensuite allés trouver tous ensemble un missionnaire européen de la chrétienté et lui ont dit : “ Pourquoi nous avez-vous caché ces choses ? Aujourd’hui nous voyons des garçons et des filles qui vont trouver les gens et leur annoncent les choses les plus merveilleuses qu’ils aient jamais entendues ! Et vous, vous nous avez demandé de prêcher des doctrines qui sont fausses ! ”
En 1946, le nombre des prédicateurs du Royaume au Malawi a passé la barre des 3 000, et les frères ont véritablement réveillé le pays sur le plan spirituel.
Naturellement, l’annonce du monde nouveau de Dieu ne réjouissait pas tout le monde. Le gouvernement avait déjà interdit l’importation des publications de la Société Watch Tower qui parlaient de ce monde nouveau. Cette mesure avait eu peu de conséquences, puisqu’un important stock de publications se trouvait déjà dans le pays. Mais, à présent, voulant limiter la portée de l’activité des Témoins de Jéhovah, certains membres du clergé cherchaient à imiter le langage et les méthodes des Témoins. “ Nous aussi, nous prêchons le monde nouveau, prétendaient-ils. ” Quelques-uns entreprirent même de faire des nouvelles visites auprès de leurs ouailles, mais au bout de quelques semaines ils renoncèrent.
Les chefs religieux s’efforcèrent aussi de persuader les responsables des villages d’empêcher les Témoins de Jéhovah de prêcher dans leurs territoires. La coutume voulait que l’on demande l’autorisation du responsable du village avant d’y prononcer un discours. Mais si le responsable se laissait influencer par les chefs religieux de l’endroit, aucune réunion publique ne pouvait être organisée.
Toutefois, de nombreux chefs de village accueillaient chaleureusement les Témoins de Jéhovah. Les frères recevaient souvent une invitation à se rendre dans un village pour y présenter des discours. Un chef de village avait entendu un tel discours dans la petite ville de Lizulu, et il avait compris la véritable condition des morts (Eccl. 9:5 ; Ézék. 18:4). Peu après, il a assisté à un service funèbre présidé par des chefs religieux, où il fut dit que l’enfant qui venait de mourir ‘ était maintenant un ange au ciel ’. Le vieux chef a grommelé, s’est péniblement levé, et a demandé à son adjoint du tabac à priser. Après avoir bruyamment pris sa dose, il a quitté l’endroit en disant : “ Peuh ! À Lizulu on nous a expliqué où sont les morts. Tout ça, c’est des mensonges ! ”
Une visite spéciale
Un événement très spécial a eu lieu en janvier 1948 ; il s’agissait de la venue au Malawi des frères Nathan Knorr et Milton Henschel, représentants du siège mondial de la Société à Brooklyn. C’était la toute première visite de membres du siège mondial. Une réunion a été organisée à la salle municipale de Blantyre à l’intention des Européens et des Indiens de la ville. Comme la ville de Blantyre ne comptait à l’époque que 250 Européens, les frères se sont réjouis de compter 40 auditeurs lors du discours public. Le lendemain, les deux frères qui étaient en visite ont assisté à une assemblée en plein air organisée pour les frères africains. Bill McLuckie, qui parlait alors déjà couramment le chichewa, était l’interprète. Six mille personnes ont écouté le discours public présenté l’après-midi. Comme il n’y avait pas d’installation de sonorisation, les frères qui participaient au programme ont dû s’exprimer à voix forte pour être entendus. Pendant un moment, une forte pluie a interrompu le discours de frère Knorr, et le public est allé se mettre à l’abri sous les arbres ou devant les maisons proches. Mais les Témoins sont restés, et frère Knorr a terminé son discours en tenant un parapluie. En voyant un mzungu (un Blanc) se tenir sous la pluie pour terminer un discours présenté à des auditeurs africains, ces derniers ont compris que les Témoins de Jéhovah s’intéressent vraiment à leur bonheur, car les Européens habitant le pays n’auraient jamais fait cela.
La visite des frères Knorr et Henschel a donné un nouvel élan à l’œuvre. Cette année-là, en 1948, le nombre des proclamateurs est passé à plus de 5 600, et de nouveaux Témoins les ont très rapidement rejoints. Dans certaines régions il devenait difficile de trouver suffisamment de territoire pour tous !
Une filiale est créée
À cette époque, le dépôt de la Société avait été transféré de Zomba à Blantyre, le centre économique du pays, situé plus au sud. Puis, le 1er septembre 1948, après que l’activité des Témoins de Jéhovah du Malawi avait été supervisée de nombreuses années par la filiale d’Afrique du Sud, une filiale a été créée au Malawi, et Bill McLuckie est devenu le premier serviteur de filiale du pays. Il allait à présent veiller aux besoins du territoire du Malawi sous la supervision directe du siège mondial.
Le pays comptait à ce moment-là plusieurs frères mûrs et expérimentés qui remplissaient les fonctions de serviteurs de circonscription et desservaient les congrégation afin d’affermir les frères. Les assemblées de circonscription avaient lieu deux fois par an, et Gresham Kwazizirah visitait l’ensemble du pays en qualité de serviteur de district. Au bureau de la filiale, Bill McLuckie avait lui aussi énormément de travail et il restait souvent devant sa machine à écrire jusque tard dans la nuit.
Il restait encore beaucoup à faire, et une aide supplémentaire était indispensable. En 1949, c’est donc avec grande joie qu’a été saluée l’arrivée de Peter Bridle et de Fred Smedley, deux frères diplômés de l’École de Guiléad. Ces deux frères et d’autres diplômés de Guiléad après eux ont été un précieux soutien pour le serviteur de filiale débordé de travail. Il devenait à présent possible d’accorder une meilleure attention à la manière dont étaient organisées les congrégations et les assemblées.
“ Je ne tiendrai jamais ! ”
Débarquer au Malawi, surtout à l’époque, était un dépaysement énorme pour quelqu’un qui arrivait d’Europe ou d’Amérique du Nord. Il n’y retrouvait aucune des commodités auxquelles il avait été habitué. Impossible de trouver une prise électrique dans la brousse africaine. Ce qui constituait l’existence normale de l’indigène avait de quoi désespérer un étranger. Comment les missionnaires allaient-ils s’y adapter ?
Se souvenant de ses premières impressions à son arrivée au Malawi, après un épuisant voyage en train depuis le port de Beira, au Mozambique, Peter Bridle raconte : “ Quand enfin nous sommes arrivés au bord du Shire, il commençait à faire sombre. L’air était rempli d’énormes insectes qui s’agglutinaient sur les lampes au point de les masquer. Ils se posaient sur le cou, rentraient et sortaient des vêtements. J’ai dit à Jéhovah : ‘ Je ne pourrai pas supporter ça. Ce sera trop dur pour moi. Je ne tiendrai jamais ! ’ Nous avons alors franchi le fleuve et sommes montés dans un train qui attendait en gare. L’éclairage dans le train était plus que blafard. Nous avons rapidement compris pourquoi ; c’était pour attirer le moins possible les insectes. On nous a servi un repas qui commençait par une soupe. On voyait à peine son voisin d’en face, tellement il faisait sombre. Nous avons mangé la soupe en l’aspirant entre les dents pour retenir les insectes, et je disais à Jéhovah : ‘ Je t’en supplie, je crois que c’est trop dur pour moi. Je ne tiendrai pas ! ’ ”
Lors d’un autre déplacement dans la même région, frère Bridle a eu des difficultés à prononcer un discours public. Pourquoi ? Il explique : “ Les moustiques étaient infernaux. Un soir j’ai prononcé un discours avec le pantalon serré dans les chaussettes. J’avais une serviette sur la tête et enfoncée sous ma chemise. Autour des poignets j’avais mis des élastiques, de sorte qu’on ne voyait que mes mains et mon visage. Mon discours était traduit par un interprète. Je disais une phrase et ensuite je chassais les moustiques de mon visage. J’essuyais mes mains et puis de nouveau mon visage, et quand l’interprète avait fini, je disais la phrase suivante et je recommençais la manœuvre. ”
Malgré ces conditions, Peter Bridle comme d’autres ont su tenir bon avec l’aide de Jéhovah. La majorité des missionnaires envoyés au Malawi ont servi fidèlement durant de nombreuses années. Leurs efforts soutenus ont été une grande bénédiction pour le territoire du Malawi.
Les frères africains gagnent en maturité chrétienne
Pendant ce temps, de plus en plus de frères africains progressaient vers la maturité chrétienne. Ces frères ont eux aussi retiré des bienfaits de la présence des missionnaires. Alexander Mafambana était un de ces frères. Alex, c’est ainsi qu’on l’appelait le plus souvent, était un homme ayant de grandes capacités. Il était né au Mozambique, d’un chef coutumier, et devait prendre la succession de son père dans ses fonctions. Après être parti en Afrique du Sud à la recherche d’un emploi, Alex a rencontré les Témoins de Jéhovah et a acquis la connaissance exacte de la vérité biblique. Il a compris que les fonctions de chef coutumier l’obligeraient à transiger avec les principes chrétiens. Pour éviter ces difficultés, il a décidé de s’installer au Malawi. Très rapidement, frère Mafambana est devenu pionnier, et en 1952 il a commencé à travailler au bureau de la filiale à Blantyre. Comme il connaissait plusieurs langues, il a été très utile pour répondre au courrier venant du territoire. En 1958-1959, il a assisté aux cours de Guiléad, l’École de formation des missionnaires, et il a été diplômé dans la même classe que Jack et Linda Johansson, qui furent également envoyés au Malawi.
Frère Kenneth Chimbaza avait lui aussi connu la vérité en Afrique du Sud. Après son baptême en 1942, il est retourné au Malawi. Il a très vite été manifeste que frère Chimbaza avait acquis les qualités d’un chrétien mûr. Après avoir été pionnier pendant quelque temps, il s’est beaucoup dépensé en qualité de surveillant itinérant. Certains missionnaires arrivés par la suite ont eu le plaisir de collaborer avec frère Chimbaza, sa femme Elisi, et leur jeune fils Maimba. Cela les a aidés à comprendre le mode de vie au Malawi.
Ces frères mûrs ont véritablement été de précieux “ dons en hommes ”. — Éph. 4:8.
Les missionnaires contribuent à l’accroissement
Les frères et sœurs se souviennent encore avec émotion des missionnaires qui ont servi fidèlement au Malawi, surtout les Témoins de longue date qui ont eu l’occasion de collaborer avec eux durant les premières années. Certains missionnaires ont dû opérer d’énormes changements dans leur mode de vie pour s’adapter à ce nouveau territoire, mais l’amour qui les animait les y a aidés.
Malcolm Vigo est arrivé au Malawi en 1957 ; à l’époque il était célibataire. Après son premier dîner à la filiale, il a demandé avec insistance quelle serait son affectation. Lonnie Nail, missionnaire diplômé de Guiléad qui était arrivé l’année d’avant et était à présent serviteur de filiale, lui a dit qu’il serait affecté dans le service itinérant. Allait-il d’abord avoir des cours de langue ou bénéficier d’une période d’adaptation ? Non, car à l’époque de telles dispositions n’existaient pas. Il commencerait le lendemain même !
Les missionnaires envoyés dans le service itinérant comprenaient vite qu’en plus de servir les congrégations il leur fallait exercer des talents de mécanicien s’ils voulaient se déplacer en voiture. Ils découvraient aussi que les routes n’étaient souvent que des pistes à peine visibles à travers la brousse. Les frères locaux leur étaient naturellement reconnaissants de leurs efforts et ils faisaient tout leur possible pour leur simplifier la vie. Ils construisaient généralement une jolie maisonnette au toit fait d’herbe et des toilettes, et cela servait de logement aux missionnaires et à leurs femmes. Mais les sœurs qui accompagnaient leurs maris étaient parfois terrorisées par les bruits inquiétants qui résonnaient dans la nuit. Il leur fallait un certain temps pour s’habituer au “ rire ” sinistre des hyènes et à l’“ orchestre ” bruyant des insectes divers et innombrables.
Jack Johansson se souvient de la difficulté d’organiser une assemblée dans la brousse. Il fallait d’abord dégager l’endroit, et la plupart du temps on fabriquait les installations à partir des matériaux que l’on pouvait récupérer sur place dans la brousse. Mais les frères et sœurs, jeunes et vieux, étaient heureux de participer aux préparatifs. Alors qu’une assemblée se préparait près de Mulange, un frère âgé et souriant a dit à frère Johansson qu’il souhaitait participer aux travaux. Cela n’avait de prime abord rien d’exceptionnel. Mais frère Johansson a plus tard appris que ce frère avait parcouru à pied quelque 800 kilomètres, ce qui lui avait pris près d’un mois ; et la première chose qu’il avait faite en arrivant sur les lieux de l’assemblée avait été de se porter volontaire pour l’installation ! Animés d’une volonté aussi remarquable, les frères et sœurs ont transformé la brousse en un “ stade ” permettant de faire asseoir 6 000 personnes !
Les missionnaires ont contribué à une meilleure organisation des congrégations et des circonscriptions du Malawi. Des frères comme Hal Bentley, Eddie Dobart, Keith Eaton, Harold Guy, Jack Johansson, Rod Sharp et Malcolm Vigo ont accompli un excellent travail dans leur service de surveillants de district. Les Témoins du pays ont bien réagi aux conseils bienveillants et aux suggestions qu’ils ont reçus. Cela a permis une meilleure organisation des réunions des congrégations et de la prédication du message du Royaume. Ce faisant, les frères et sœurs sont devenus stables dans la foi, ce qui les a préparés en vue des difficultés qui les attendaient.
La prédication aux Européens
Certains missionnaires ont par la suite été invités à servir au bureau de la filiale, où ils étaient également très pris par leur travail. Cela a donné à leurs femmes l’occasion de prêcher dans les quartiers européens de Zomba et de Blantyre. Phyllis Bridle, Linda Johansson, Linda Louise Vigo, Anne Eaton et d’autres ont obtenu d’excellents résultats dans ce territoire. Les Européens avaient parfois des préjugés contre notre œuvre, souvent en raison de la confusion persistante avec les “ mouvements Watch Tower ”. Mais les sœurs ont saisi les occasions de leur expliquer la situation et de leur parler du Royaume de Dieu.
La plupart des Européens et des Asiatiques installés au Malawi étaient des commerçants à leur compte ou bénéficiaient de contrats de travail très bien payés. Ils étaient généralement satisfaits de leur sort. Toutefois, quelques Européens et aussi des anglophones ont accepté la vérité. Quelques-uns se sont fait baptiser, dont l’un d’eux dans la baignoire du Béthel !
“ Un échange d’encouragements ”
La présence des missionnaires aux côtés de leurs frères et sœurs africains a créé une profonde entente raciale. C’est ce qu’a très joliment exprimé Alex Mafambana dans une lettre envoyée à des amis missionnaires : “ Dans le monde, il y a un fossé [en anglais : ‘ a gap ’] entre l’Est et l’Ouest. Mais nous, nous avons le lien le plus puissant qui soit : Agapê ! ” Cette ambiance tranchait nettement avec la mentalité qui régnait en dehors de l’organisation de Jéhovah ! Les Européens s’estimaient pour la plupart supérieurs aux Africains et n’avaient avec eux que très peu de contacts. Il restait cependant une habitude à extirper ; c’était l’emploi du titre Bwana par les frères locaux. Les Africains utilisaient souvent ce titre pour saluer les Européens, notamment les missionnaires. Cela laissait entendre que les Européens étaient les seigneurs, ou les maîtres, des Africains. Quand donc il arrivait à un frère africain de s’adresser à un missionnaire en lui disant Bwana, le missionnaire lui rappelait cette leçon : “ Les Témoins de Jéhovah sont des frères, pas des Bwanas ! ”
Il se produisait un réel échange de bienfaits. Les missionnaires apprenaient beaucoup en prêchant avec leurs frères et sœurs africains. De nombreuses amitiés durables se sont forgées. Conformément aux paroles de l’apôtre Paul, il se produisait “ un échange d’encouragements ”. — Rom. 1:12.
Ils louent Jéhovah par leurs chants
Quiconque a passé quelque temps en Afrique a remarqué que les Africains aiment beaucoup chanter. Ils chantent sans accompagnement, a cappella, et avec de magnifiques arrangements à plusieurs voix. Les Malawites ne sont pas en reste. À l’époque où il n’existait pas de recueil de cantiques en chichewa, les frères avaient inventé leurs propres cantiques. Ils reprenaient des mélodies célèbres empruntées aux cantiques de la chrétienté et changeaient les paroles pour aborder des thèmes comme le Royaume, le ministère et Har-Maguédôn. Ces cantiques n’existaient pas sous forme écrite, mais les frères les connaissaient par cœur et les chantaient avec brio. Pendant les assemblées, quand leur joie était à son comble, il leur arrivait souvent de chanter deux fois le refrain après chaque couplet ! Quand frère Knorr a visité le pays en 1953, il a été très touché par la beauté des chants à plusieurs voix. Dans son rapport, il a écrit : “ Il est à signaler que les cantiques étaient empreints d’une émotion exceptionnelle. ”
Quand le nouveau recueil de cantiques en anglais intitulé Cantiques à la louange de Jéhovah est arrivé à la filiale en 1950, il a été décidé de le publier en chichewa. Mais comment apprendre aux frères à lire la musique ? Tous savaient chanter, mais ils n’avaient pas l’habitude de lire une partition. La filiale a donc décidé qu’au lieu d’utiliser la notation conventionnelle on écrirait les notes en toutes lettres. Certains frères avaient appris les notes à l’école. Peter Bridle, qui a beaucoup contribué à ce projet, se souvient de la somme de travail que cela a représenté : “ Nous nous retrouvions avec les traducteurs pour mettre au point les cantiques. Il fallait s’assurer que le texte traduit corresponde autant que possible avec la musique. C’est donc petit à petit que nous avons préparé le recueil. ”
L’édition chichewa du recueil de Cantiques à la louange de Jéhovah a eu beaucoup de succès auprès des frères. La filiale l’imprimait sur une vieille machine à polycopier, employant toutes sortes de papier qu’elle pouvait récupérer. Ces premiers recueils n’étaient donc pas très robustes, et il fallait souvent les remplacer. Mais cela ne dérangeait pas les frères. Ils étaient très heureux d’avoir des cantiques à chanter. À chaque assemblée, les frères et sœurs s’en procuraient deux à trois mille exemplaires ! Par la suite, c’est Brooklyn qui a assuré l’impression de ce recueil, mais la production locale avait déjà totalisé 50 000 exemplaires !
De nouveaux locaux pour la filiale
Au fil des années, l’œuvre du Royaume au Malawi avait été dirigée depuis plusieurs endroits, souvent des locaux très exigus. Dans le milieu des années 50, la décision a été prise de construire un bâtiment conçu pour abriter la filiale et des logements pour les volontaires du Béthel. En 1956, la Société a acheté un terrain à Blantyre. En mai 1958, les locaux étaient achevés. Quelle émotion pour les frères !
Quelques années plus tard, un voisin célèbre s’est installé à côté du bureau de la filiale. En effet, la maison voisine devint la résidence officielle du premier ministre, le Dr Hastings Kamuzu Banda.
Malheureusement, après que les frères ont travaillé dur pour construire les locaux de la filiale et du Béthel, ces belles installations ne sont pas restées bien longtemps la propriété de la Société.
Une visite encourageante
En 1963, Milton Henschel, du siège mondial de la Société, est revenu visiter le Malawi. Il est arrivé peu après l’assemblée de district au Liberia durant laquelle il avait, comme de nombreux frères et sœurs africains, subi des violences physiques de la part de soldats. Une grande assemblée nationale a été organisée à proximité de l’aéroport, à quelques kilomètres de Blantyre. Des frères étaient venus de tout le Malawi, depuis “ Nsanje [dans le sud] jusqu’à Karonga [dans le nord] ”, comme le racontait un Témoin de longue date. Les 10 000 personnes présentes ont beaucoup apprécié les excellents discours présentés par frère Henschel et d’autres orateurs. La presse faisait rarement mention des rassemblements des Témoins de Jéhovah, mais cette fois-ci même un quotidien national a publié un article sur l’assemblée.
La situation politique devenant de plus en plus tendue dans le pays, les frères ont grandement été encouragés par cette assemblée. Ils ont entendu des faits montrant que dans le monde entier les Témoins de Jéhovah prenaient fermement parti pour les principes bibliques. Frère Mafambana, qui présidait cette assemblée, a fait le commentaire suivant : “ Souvenez-vous que certains ont parcouru plus de 600 kilomètres à vélo pour assister à l’assemblée. Ils ont estimé qu’il était de leur responsabilité chrétienne d’être présents et ils étaient résolus à affronter les difficultés pour assumer cette obligation. Cela est une démonstration de la foi chrétienne solide que manifestent beaucoup de nos compagnons. ”
La situation se détériore
Dans le début des années 60, le nationalisme devenait de plus en plus virulent au Malawi. Conformément à l’accord conclu avec la Grande-Bretagne, vers le milieu de 1964 le pays a accédé à l’autonomie après les élections générales. Le Dr Banda avait dans l’intervalle été nommé premier ministre délégué de la colonie. Avant l’élection générale, le gouvernement a organisé un recensement volontaire des électeurs du 30 décembre 1963 au 19 janvier 1964.
Ce fut la première fois que les Témoins de Jéhovah du Malawi furent impliqués dans ce que le San Francisco Examiner (publié aux États-Unis) appela plus tard “ une guerre de religion [...] très inégale, qui opposait la force à la foi ”. La guerre ne fut pas déclarée par les Témoins de Jéhovah. Appliquant les enseignements bibliques, ils respectent les autorités temporelles et paient consciencieusement leurs impôts (Luc 20:19-25 ; Rom. 13:1-7). Toutefois, parce que Jésus Christ a dit que ses disciples ne feraient “ pas partie du monde ”, les Témoins de Jéhovah s’en tiennent aussi à une position de stricte neutralité à l’égard des guerres des nations et de leurs affaires politiques. — Jean 17:16 ; Actes 5:28, 29.
Alors que le pays était gagné par la fièvre suscitée par le recensement électoral, les Témoins usaient de leur droit de ne pas se faire enregistrer. Mais lorsque les représentants du parti ont compris qu’ils restaient neutres, cela a déclenché une violente persécution. On a cherché à faire revenir les Témoins sur leur décision et à les forcer à acheter des cartes d’adhésion au parti. Les rapports parvenus à la filiale durant cette période indiquent que plus de 100 Salles du Royaume et largement plus de 1 000 maisons de frères et sœurs avaient été incendiées ou démolies. Des centaines de champs et de greniers ont été brûlés. De nombreuses familles de Témoins se retrouvaient sans nourriture et sans abri. Craignant pour leur vie, certains ont fui au Mozambique, pays voisin. Beaucoup ont été sauvagement battus, comme par exemple Kenneth Chimbaza, un surveillant itinérant. Quelques années seulement plus tard, il est mort, manifestement des suites des blessures qui lui avaient été infligées.
Intègres malgré les épreuves
De nombreux Témoins sont restés intègres malgré les persécutions. Citons ces deux sœurs qui habitaient non loin de Blantyre. Elles avaient à elles deux 11 enfants à charge. Leurs maris avaient cédé aux pressions et avaient acheté la carte du parti. C’étaient à présent les sœurs qui étaient pressées d’acheter cette carte. Elles ont refusé. Les représentants du parti les ont averties qu’ils reviendraient voir le lendemain si elles avaient changé d’avis. Effectivement, une foule nombreuse est venue le lendemain matin pour se saisir d’elles. On les a emmenées sur une place publique, puis menacées de viol et battues parce qu’elles refusaient d’acheter la carte du parti. Les sœurs sont restées fermes. On les a laissées rentrer chez elles, mais le lendemain les hommes du parti sont revenus les chercher. Elles ont de nouveau été battues, mais cette fois on les a déshabillées devant la foule. Les sœurs ont pourtant refusé de faire un compromis.
Mais les persécuteurs ont alors adopté une autre méthode. “ Nous avons téléphoné à votre bureau national, ont-ils prétendu, et nous avons parlé avec Johansson, McLuckie et Mafambana. Ils nous ont dit que vous devriez acheter votre carte, parce qu’eux-mêmes ont déjà acheté la leur, comme l’ont fait tous les Témoins de Jéhovah du [Malawi]. Vous êtes maintenant les deux seules femmes de tout le pays qui n’ont pas acheté la carte. ” Les sœurs ont répondu : “ Nous ne servons que Jéhovah Dieu. Si les frères de la filiale ont acheté la carte, cela nous est égal. Nous ne ferons pas de compromis, même si vous nous tuez ! ” (Voir Romains 14:12). Finalement, les sœurs ont pu rentrer chez elles.
Ces deux humbles sœurs fidèles ne savaient ni lire ni écrire, mais elles avaient un profond amour pour Jéhovah et pour sa loi. Leur position ferme correspondait bien aux paroles de Psaume 56:11 : “ En Dieu j’ai placé ma confiance. Je n’aurai pas peur. Que peut me faire l’homme tiré du sol ? ”
Les Témoins s’efforcent d’expliquer leur position
Les incidents graves se multipliant, la Société a tout mis en œuvre pour que les autorités fassent cesser les persécutions. Les frères ont pris contact avec le cabinet du premier ministre, et le Dr Banda leur a accordé une audience le 30 janvier 1964. En cette occasion, Jack Johansson a pu lui expliquer en détail la position de neutralité des Témoins de Jéhovah en appuyant son argumentation sur Romains chapitre 13. Le premier ministre a semblé très satisfait de la discussion et a remercié frère Johansson à la fin de l’entrevue.
Mais quatre jours plus tard, un groupe de Témoins a été attaqué dans la région de Mulange. Elaton Mwachande a été brutalement assassiné. Mona Mwiwaula, une sœur âgée, a reçu une flèche dans le cou et a été laissée pour morte. Cette sœur a miraculeusement survécu, et son témoignage a plus tard permis de faire passer les agresseurs en justice. Quand les frères de la filiale ont été informés de cet horrible incident, ils ont immédiatement envoyé un télégramme au cabinet du premier ministre.
Une autre rencontre a eu lieu avec le Dr Banda et deux de ses ministres le 11 février 1964. Harold Guy et Alexander Mafambana ont accompagné Jack Johansson. Cette fois-ci, l’ambiance était bien différente. Agitant le télégramme, le Dr Banda a demandé : “ M. Johansson, qu’est-ce qui vous prend d’envoyer ce télégramme ? ” Les frères ont calmement essayé d’assurer le premier ministre que les Témoins sont neutres et obéissent aux lois du pays. Mais les trois ministres ont prétendu que les Témoins de Jéhovah provoquaient délibérément leurs agresseurs. Cette entrevue s’est achevée sur une profonde incompréhension, les Témoins de Jéhovah étant tenus pour responsables de la situation confuse qui régnait dans le pays. Frère Johansson a même été menacé d’expulsion immédiate. Il semble toutefois que la colère du Dr Banda était davantage due à l’incompétence de ses deux ministres qui étaient incapables de prouver concrètement que les Témoins de Jéhovah avaient agi en provocateurs.
À noter que lors du procès ouvert à la suite du meurtre de frère Mwachande, le président de la cour, le juge Emejulu, n’a trouvé aucune preuve que les Témoins de Jéhovah auraient de quelque manière provoqué leurs agresseurs comme l’avait prétendu le gouvernement. Le juge a reconnu : “ Je ne trouve aucune preuve de provocation. Il est vrai que les Témoins de Jéhovah ont propagé avec détermination leur foi et qu’ils ont cherché à faire des convertis, mais ils étaient conscients de leurs devoirs civiques et ont fait tout ce qui était exigé d’eux. [...] Ils ont seulement refusé de s’inscrire à un quelconque parti politique. ”
La fièvre créée par le recensement électoral étant retombée, le premier ministre a lancé un appel à la paix et au calme dans le pays. “ Je défends que l’on s’en prenne aux Européens, à la police, aux Indiens et même aux Témoins de Jéhovah. Il faut leur pardonner ! ” a-t-il ajouté. En juillet 1964, en pleine période de trouble, la colonie du Nyassaland est devenue une république indépendante et a pris le nom de Malawi. Les persécutions ont finalement cessé, mais elles avaient déjà causé la mort dans des conditions violentes de huit serviteurs de Jéhovah.
Une brève période de calme
Vers la fin de 1964, les frères ont connu une période de calme relatif. Certains individus qui les avaient persécutés farouchement essayaient à présent de comprendre le “ secret ” qui avait permis à leurs victimes de rester fermes malgré toutes les persécutions. Cela a contribué à favoriser une fois de plus la prédication du message du Royaume.
Au début de 1966, il a de nouveau été possible d’expliquer la position de neutralité des Témoins de Jéhovah au Dr Banda. La Société Watch Tower avait demandé que de nouveaux missionnaires soient autorisés à entrer dans le pays. Le Dr Banda, qui vérifiait l’attribution des permis de séjour accordés aux Européens, a demandé pourquoi il fallait davantage de missionnaires. Cela a été l’occasion d’une nouvelle entrevue, cette fois entre le Dr Banda et Malcolm Vigo, le serviteur de filiale. Le Dr Banda a affirmé qu’il ne voulait forcer personne à s’engager dans la politique. Frère Vigo l’a assuré une nouvelle fois que les Témoins se montrent obéissants aux lois du pays et s’en tiennent à une position de neutralité dans les questions politiques. — Rom. 13:1-7.
En 1967, le nombre moyen de proclamateurs avait dépassé les 17 000. Durant cette période de calme, deux nouveaux missionnaires diplômés de Guiléad sont arrivés dans le pays, Keith et Anne Eaton. Quand ils ont rencontré les Johansson au bureau de la filiale, Linda leur a assuré avec enthousiasme : “ Vous êtes arrivés dans le pays le plus paisible d’Afrique ! ” Ils étaient loin de se douter que de graves troubles se préparaient.
La situation se dégrade à nouveau
Après un rapide cours de langue, Keith et Anne Eaton ont été nommés dans le service du district. Ils ont bénéficié au départ du bienveillant soutien de Kenneth Chimbaza et de sa famille. Toujours prêt à rendre service, le jeune Maimba aimait beaucoup porter le sac de frère Eaton quand ils prêchaient ensemble.
En avril 1967, alors que frère Eaton desservait une assemblée de circonscription à Thambo Village, dans les environs de Phalombe, il a entendu à la radio une troublante allocution. Le Dr Banda accusait les Témoins de Jéhovah de provoquer délibérément les représentants du parti et les membres des mouvements pour la jeunesse appelés les Jeunes pionniers du Malawi et la Ligue des jeunes du Malawi. Il prétendait aussi que les Témoins, non contents de s’abstenir d’acheter les cartes de membres du parti, en dissuadaient aussi les autres.
Comme en 1964, la question de la carte du parti était de nouveau mise en avant. L’achat de ces cartes était volontaire, mais les responsables du parti estimaient que refuser de l’acheter, c’était manquer de respect pour le gouvernement. Ils affirmèrent plus tard que l’achat de la carte du parti était “ pour les habitants du pays une manière de prouver leur reconnaissance au [Dr Banda] pour son action en faveur du développement du Malawi ”. Outrés par la fermeté des Témoins de Jéhovah sur la question, les responsables du parti ont à nouveau cherché à forcer les frères à suivre le mouvement. Des rapports ont commencé à parvenir à la filiale faisant état d’intimidations et de violences.
Un jour, des représentants du parti ont demandé à Malcolm Vigo de rendre visite à un frère de la congrégation de Jumbe qui avait été arrêté pour avoir refusé d’acheter la carte du parti. Avant d’entrer dans la pièce, frère Vigo a prié en silence. Il était manifeste que ces fonctionnaires espéraient que frère Vigo leur dirait que la Société Watch Tower avait clairement interdit à ses membres d’acheter la carte du parti. Mais frère Vigo a insisté sur l’idée que la Société ne dictait à personne une ligne de conduite et que chacun devait prendre une décision personnelle. Les représentants du parti n’ont pas apprécié ces explications. Ils ont bombardé frère Vigo de questions. Pour essayer de le prendre en défaut, ils posaient question sur question sans lui laisser le temps de finir de répondre. Après deux heures d’interrogatoire, le frère a été relâché. Personne n’avait acheté de carte.
L’œuvre est interdite !
La situation a atteint un point critique en septembre 1967 au cours des assises annuelles du parti au pouvoir, le Parti du Congrès du Malawi. Une des résolutions adoptées à cette occasion disait : “ [Nous] recommandons avec insistance que la religion des Témoins de Jéhovah soit déclarée illégale dans notre pays. ” Pour quelle raison ? La résolution expliquait : “ Elle représente une menace pour la stabilité de la paix et du calme qui est essentielle à la bonne marche de notre nation. ” Puis, dans son discours de clôture, le président a déclaré : “ Les Témoins de Jéhovah suscitent des troubles dans tout le pays. C’est pourquoi nos assises ont adopté hier une résolution déclarant que les Témoins de Jéhovah doivent être interdits. Je puis vous affirmer que le gouvernement va sans faute s’occuper de la question très rapidement. ”
Les Témoins de Jéhovah présentaient-ils vraiment “ une menace pour la stabilité ” du Malawi ? Un observateur a plus tard qualifié les Témoins du Malawi de “ citoyens exemplaires ” qui “ paient honnêtement leurs impôts, aident les malades et combattent l’illettrisme ”. Pourtant, cela n’a pas empêché le gouvernement de “ s’occuper de la question très rapidement ”. Un décret signifiant l’interdiction a rapidement été signé, et il a pris effet le 20 octobre 1967. Toute la population en a été informée par un gros titre dans la presse : “ Le Malawi interdit une secte ‘ dangereuse ’ ”. L’article prétendait que cette décision avait été prise parce que les Témoins de Jéhovah représentaient une “ menace pour la bonne administration du Malawi ”, mais la véritable raison était manifestement leur refus d’acheter la carte de membre du parti. Respectant leurs convictions solidement fondées sur la Bible, les Témoins de Jéhovah avaient simplement choisi d’“ obéir à Dieu, en sa qualité de chef, plutôt qu’aux hommes ”. — Actes 5:28, 29.
Des précautions avaient été prises
Avant que l’interdiction soit décrétée, les frères du bureau de la filiale avaient compris que l’administration allait prendre des mesures à l’encontre des Témoins de Jéhovah. Même s’ils ne s’attendaient pas à une interdiction totale, ils avaient commencé à prendre des précautions. Des réunions spéciales avaient été organisées dans tout le pays pour transmettre des instructions et des encouragements aux surveillants de circonscription et de district. Des conseils pratiques avaient été donnés au sujet des réunions, de la prédication, de l’approvisionnement en publications et du courrier. Ces conseils se sont avérés très précieux quand la situation s’est dégradée.
Les congrégations ont diligemment suivi les suggestions qui leur sont parvenues au fur et à mesure. Elles n’ont plus utilisé les formules imprimées par la Société. Les rapports d’activité des congrégations ont été écrits sur du papier libre et transmis à la Société par des messagers. Les horaires des réunions ont été changés selon les besoins de chaque congrégation. Une congrégation a décidé de tenir ses réunions le dimanche matin à 5 h 30, avant que le reste du village ne se réveille. Dans le domaine de la prédication, aucune interdiction ne pouvait empêcher les Témoins de Jéhovah de faire connaître la bonne nouvelle du Royaume. Tout comme cela avait été le cas du temps des apôtres, ces fidèles frères et sœurs avaient pris leur décision : “ Nous ne pouvons cesser de parler des choses que nous avons vues et entendues. ” — Actes 4:20.
Peu avant l’interdiction, le bureau de la filiale a été informé par une source sûre que la Government Gazette s’apprêtait à annoncer l’interdiction des activités des Témoins de Jéhovah. Ainsi avertis, les frères ont rapidement transféré tous les dossiers et documents importants, de même que du matériel, dans les maisons de différents frères. Les stocks de publications de la filiale ont été envoyés par grandes quantités aux congrégations dans tout le pays. Pour protéger cette précieuse nourriture spirituelle, une congrégation a caché des livres dans deux grands fûts à huile qui ont été enterrés pour être récupérés plus tard. Quand les policiers se sont enfin présentés à la filiale en novembre pour confisquer le bâtiment, ils ont semblé surpris de trouver si peu de publications, de dossiers et de matériel.
Les missionnaires sont expulsés
Comme il fallait s’y attendre, les missionnaires ont reçu l’ordre de quitter le pays. Avant de partir, ils ont cependant fait tout leur possible pour fortifier leurs frères et sœurs qu’ils aimaient tant. Malcolm Vigo a rendu visite aux Témoins dont les maisons avaient été détruites par des vandales et les a encouragés. Finley Mwinyere, qui était surveillant de circonscription, en faisait partie. Frère Vigo a raconté : “ Quand nous sommes arrivés, nous avons aperçu frère Mwinyere qui regardait sa maison complètement incendiée. Nous avons été très encouragés par son état d’esprit. Il avait le souci de repartir sans tarder pour aller fortifier les frères et sœurs de sa circonscription qui avaient souffert. Il n’avait pas l’air ébranlé d’avoir perdu ses biens. ”
Jack Johansson s’est rendu dans le nord du pays, à Lilongwe, pour rendre visite à quelque 3 000 frères et sœurs qui étaient détenus. Il a pu rencontrer et encourager un grand nombre d’entre eux. Ils avaient gardé bon moral. Si bien qu’en repartant, il se sentait lui-même stimulé par cette visite qui avait fortifié sa foi. L’officier qui était responsable des prisonniers lui a par la suite confié que la situation était embarrassante. Pour ne parler que d’une complication causée par l’interdiction, l’officier lui a expliqué que la prochaine fois que le réseau électrique de la ville de Lilongwe tomberait en panne, il n’y aurait probablement plus personne pour le remettre en état, puisque les ouvriers les plus qualifiés et les plus sérieux se trouvaient en prison !
Les huit missionnaires étrangers n’ont pas quitté le Malawi de leur plein gré. Ils n’avaient rien commis de répréhensible. Les Sharp et les Johansson ont été directement emmenés à l’aéroport par la police et mis dans un avion qui quittait le pays. Les deux autres couples ont été emmenés à la prison Chichiri de Blantyre, où ils ont passé quelques nuits, Malcolm et Keith dans une cellule et Linda Louise et Anne dans une autre. Puis, ils ont été conduits sous escorte policière à l’aéroport et expulsés vers Maurice. Les Vigo et les Johansson ont par la suite été nommés au Kenya, et les Eaton en Rhodésie.
C’est le cœur triste que les missionnaires se sont séparés des frères et sœurs qui leur étaient chers. Mais les Témoins du Malawi n’étaient pas vraiment délaissés. Il se trouvait dans les 405 congrégations du pays des bergers spirituels, des surveillants bienveillants (Is. 32:2). Alex Mafambana a dirigé l’œuvre localement, sous la supervision de la filiale du Zimbabwe (à l’époque appelé Rhodésie). Dans les années qui ont suivi, la filiale de Harare, au Zimbabwe, a fait venir dans le pays les surveillants de circonscription du Malawi ainsi que d’autres frères responsables de l’œuvre pour qu’ils y assistent à des assemblées de district et à des cours de formation. Par l’intermédiaire de ces frères fidèles, le programme des assemblées de circonscription et de district était ensuite transmis aux congrégations.
Une nouvelle vague d’atrocités
Quand l’interdiction est devenue notoire, les représentants du parti ainsi que les membres des Jeunes pionniers du Malawi et de la Ligue des jeunes ont suscité une nouvelle vague de persécutions terribles. Maintenant que les Témoins de Jéhovah étaient déclarés hors la loi dans le pays, la police et les tribunaux, bien que se montrant parfois compréhensifs, n’avaient pas assez de pouvoir pour empêcher les violences.
Les persécutions s’intensifiant, des Salles du Royaume, des maisons, des greniers et des commerces appartenant à des Témoins de Jéhovah dans toutes les régions du pays ont été détruits. En certains endroits, les vandales arrivaient même en camion pour emporter les biens des Témoins. Même si ces pertes matérielles ne représentaient que des sommes d’argent minimes, c’était en fait tout ce que les frères et sœurs malawites possédaient.
Des rapports venant de tout le pays signalaient que des Témoins étaient battus. Certaines de nos chères sœurs ont horriblement souffert. Il a été fait état de nombreuses chrétiennes qui ont été violées, mutilées et battues. Les agresseurs sadiques n’épargnaient personne. Des vieillards, des enfants, et même des femmes enceintes subissaient des traitements cruels. Certaines femmes firent ensuite des fausses couches. À nouveau, des milliers de Témoins ont été obligés de quitter leurs villages. Beaucoup ont trouvé refuge dans la brousse. D’autres se sont exilés pendant quelque temps au Mozambique, pays voisin. À la fin de novembre 1967, cette vague d’attaques brutales contre les Témoins de Jéhovah avait fait au moins cinq nouvelles victimes.
Certains réagissent à la suite de l’interdiction
Même les brutalités sauvages n’ont pas entamé la détermination des Témoins de Jéhovah. Très peu ont fait des compromis avec leur foi. Samson Khumbanyiwa a perdu sa maison et ses meubles, ses vêtements ont été déchirés, mais sa foi est restée intacte. Avec conviction il a dit : “ Je sais que je ne suis jamais abandonné, et Jéhovah m’a protégé. ” L’intégrité de ces hommes et femmes de foi est tout à l’honneur de Jéhovah ; elle est une réponse à la provocation de Satan : “ Peau pour peau, et tout ce qu’un homme a, il le donnera pour son âme. ” — Job 2:4.
Cette persécution a même fait réagir d’autres personnes au cœur sincère. Cela a réalisé ce que Jésus Christ lui-même avait annoncé. Après avoir averti ses disciples qu’ils seraient persécutés et même traînés devant des dirigeants, il a conclu par ces paroles encourageantes : “ Cela aboutira pour vous à un témoignage. ” — Luc 21:12, 13.
Un mari qui pendant un temps s’était opposé aux activités chrétiennes de sa femme a en définitive mieux compris la situation grâce à la persécution. Moins de deux semaines après l’interdiction, un matin une foule s’est présentée devant sa maison. Ces hommes savaient qu’il n’était pas Témoin et lui ont donc dit qu’ils voulaient uniquement voir sa femme. Il n’a d’abord pas voulu ouvrir la porte. Mais quand ils ont menacé de détruire par le feu la maison et tous ses occupants, il a ouvert la porte à contrecœur. Les hommes l’ont rapidement enchaîné et lui ont ordonné d’acheter la carte du parti. Il a alors compris que sa femme devait posséder la vraie religion. Il a refusé d’acheter la carte ce jour-là. Sa femme et lui ont été battus. Mais tout de suite après, il a commencé à étudier la Bible. L’année suivante, cet homme a fait l’offrande de sa personne à Jéhovah pour le servir aux côtés de sa femme.
Tant au Malawi qu’à l’étranger, des personnes ont protesté contre le sort réservé à ces chrétiens innocents. Certaines ont dit : “ Nous savons à présent que la fin du monde est proche, car on interdit les serviteurs de Dieu dans notre pays ! ” Les articles parus en février 1968 dans les périodiques Réveillez-vous ! et La Tour de Garde [respectivement mars et mai en français] ont suscité une réprobation publique dans le monde entier. Des milliers de personnes ont envoyé des lettres pour exprimer leur indignation et demander au gouvernement d’agir pour mettre fin aux atrocités. Certains bureaux de poste ont dû demander du renfort en raison de ce flux soudain de courrier. La réaction internationale a été si intense et si soutenue que le président a finalement émis un décret déclarant que les persécutions devaient cesser. Par la suite, le Dr Banda a même affirmé que personne ne devait être forcé à acheter une carte de membre du parti : “ Je veux que les gens soient libres de renouveler leur carte, de leur plein gré, sans être forcés. ” Cette nouvelle vague de persécutions s’est alors petit à petit calmée. Cela a permis à certains frères de retourner chez eux et de reprendre l’activité essentielle de prédication du Royaume, en employant cependant des méthodes moins voyantes, puisque l’interdiction n’avait pas été levée.
L’activité sous l’interdiction
Durant cette période, sur place, frère Mafambana a fidèlement veillé sur l’œuvre. Il est resté en contact avec la filiale de Rhodésie et a reçu par ce biais des conseils appropriés. Mais la police était constamment à ses trousses, et il lui fallait être très prudent. Il a plusieurs fois failli se faire arrêter. Il est malheureusement décédé en 1969, sans doute d’un cancer. C’est ensuite Kenneth Chimbaza qui s’est occupé de l’activité des Témoins de Jéhovah au Malawi jusqu’en 1971, année où il est mort d’une hémorragie cérébrale. Nous ne doutons pas que Jéhovah se souviendra avec affection de ces deux frères intègres lors de la “ résurrection des justes ” en raison de leurs nombreuses belles œuvres. — Luc 14:14 ; Héb. 6:10.
La situation devenant plus calme, les frères du Malawi se sont adaptés aux nouvelles conditions. Le témoignage informel a bientôt produit du fruit. Malgré l’interdiction, le service de pionnier s’est développé. En 1971, 925 pionniers prêchaient avec zèle la bonne nouvelle aux côtés de milliers de proclamateurs. Il restait même un frère sur la liste des pionniers spéciaux : Gresham Kwazizirah, toujours fidèle dans son service malgré son grand âge, en dépit de beaucoup d’obstacles et de nombreuses épreuves personnelles. Il a continué de servir fidèlement Jéhovah jusqu’à sa mort en 1978.
Les frères se montraient “ prudents comme des serpents ”, et les rapports d’activité des congrégations ainsi que d’autres courriers continuaient de parvenir au bureau de la filiale de Rhodésie (Mat. 10:16). Ils attestaient que cette activité clandestine zélée donnait d’excellents résultats. Un maximum de 18 519 proclamateurs avait été atteint juste avant l’interdiction en 1967. En 1972, alors que l’œuvre était toujours interdite et que beaucoup de Témoins avaient fui au Mozambique, un nouveau maximum de 23 398 proclamateurs était enregistré, les proclamateurs consacrant en moyenne 16 heures au ministère chaque mois.
Le témoignage est porté dans de “ nouveaux territoires ”
Bien que les Témoins se soient montrés très prudents quand ils prêchaient, il est arrivé que certains soient arrêtés et emprisonnés. Mais ces revers ne les ont pas découragés pour autant. Ils ont continué de prêcher dans leurs nouveaux territoires, les prisons.
Baston Moses Nyirenda a passé sept mois en prison en 1969. Des prisonniers lui ont demandé pourquoi il ne voulait pas assister aux offices de leur Église dite “ unifiée ”. Quelle excellente occasion de rendre témoignage ! Se servant d’une vieille bible en lambeaux que se partageaient les détenus, et qui avait perdu bien des pages, il leur a fait découvrir les vérités bibliques. Il a ainsi commencé à diriger une étude de la Bible. Même le responsable de cette Église a étudié avec lui. Quand il a été libéré, frère Nyirenda avait pu aider quatre personnes à comprendre les enseignements fondamentaux de la Parole de Dieu.
L’activité dans la congrégation anglaise
Tous les missionnaires étrangers avaient été expulsés en raison de l’interdiction, mais Bill McLuckie, qui avait épousé Denise, une Sud-Africaine, vivait toujours à Blantyre, où il tenait un petit commerce pour nourrir sa famille. La maison des McLuckie est devenue le nouveau lieu de réunion de la congrégation anglaise de Blantyre. Naturellement, ces réunions devaient se tenir dans un cadre plus anodin pour ne pas attirer l’attention. On ne chantait pas de cantiques et on n’applaudissait pas.
C’est durant cette période que Guido Otto, qui servait à la filiale de Rhodésie, a commencé à introduire discrètement des publications au Malawi. Son père tenait un petit hôtel sur les rives du lac Malawi, et les douaniers ne s’inquiétaient donc pas de le voir franchir la frontière. Ils étaient loin d’imaginer la quantité de publications bibliques que Guido passait à chaque fois ! Ces publications étaient stockées dans une cave secrète sous la maison des McLuckie. Pendant les travaux d’excavation, des passants demandaient parfois pour quoi c’était, et on leur répondait : “ C’est juste un W.-C. ”
Un soir, en pleine réunion, une voiture s’est arrêtée devant la maison. Qui pouvait bien venir ? La police ? Les frères ne savaient pas comment cacher leurs manuels d’étude. La porte s’est ouverte, et Guido Otto est entré joyeusement. Quel soulagement !
Denise explique qu’après cet incident “ Bill a dit aux frères que la première chose à faire si quelqu’un essayait d’entrer était de mettre toutes les publications dans une corbeille que nous avions posée à portée de main. Puis je devais jeter cette corbeille dans un trou pratiqué dans le plancher de notre chambre à coucher. Ce trou donnait dans la cave. Nous préparions à chaque fois un chariot dressé pour le thé, de sorte que, si quelqu’un entrait, il comprenait que des amis nous rendaient visite pour le thé ”.
Mais la situation devenait de plus en plus difficile, et il ne fut plus possible de tenir les réunions en un seul endroit. On s’est donc réuni dans différentes maisons. Parfois, le groupe se retrouvait en forêt, habillé comme s’il faisait un pique-nique.
Malgré ces tracas, en prêchant de manière informelle aux anglophones, les frères réussissaient encore à discuter avec des personnes qui cherchaient sincèrement la vérité. Quelques-unes ont embrassé la vérité. Parmi elles figuraient Victor Lulker, Daniel Marne et Mike Sharma, qui servent aujourd’hui encore dans la congrégation de Blantyre.
Procès à Blantyre
En 1971, la police a perquisitionné au domicile des McLuckie et trouvé quelques publications de la Société. Frère McLuckie a été mis en accusation et convoqué par le juge de Limbe, une localité de Blantyre. Mis au courant de la situation, les Témoins de l’endroit ont au péril de leur liberté assisté en masse à l’audience pour soutenir les McLuckie. Le magistrat a finalement annoncé son verdict : “ Non coupable. ” Une salve d’applaudissements a suivi ! Mais le procureur a fait appel de cette décision. L’affaire a été portée devant la Cour suprême. Cette fois-ci, Bill McLuckie a été déclaré coupable et condamné à sept ans de prison. Toutefois, les autorités ne souhaitant pas trop l’enfermer, on lui a ordonné de quitter le pays.
C’est ainsi qu’en octobre 1972 Bill McLuckie a quitté le Malawi après 37 années de service fidèle. Avant de partir, il a fait venir des frères pour récupérer discrètement toutes les publications qui se trouvaient dans sa cave secrète. Les frères ont emporté des livres par voitures entières ! Certains ont ensuite rencontré des barrages routiers, mais les policiers n’ont pas remarqué un seul des cartons. Avant que les McLuckie quittent le pays, l’entrée de la cave a été bouchée avec du béton. L’histoire des Témoins de Jéhovah du Malawi portera longtemps le souvenir de la fidélité et de l’abnégation de Bill McLuckie !
Une troisième vague de violences est déclenchée
Les frères étaient tout juste en train d’organiser de nouveau leurs activités quand des troubles ont été déclenchés une fois de plus. En 1972, durant les assises annuelles du Parti du Congrès du Malawi, des résolutions très inquiétantes ont été adoptées. Une de ces résolutions recommandait que tous les Témoins de Jéhovah soient licenciés par leurs employeurs. Cette mesure a été mise à exécution sans pitié et sans exception. Des entreprises ont demandé à garder les Témoins de Jéhovah, qui étaient des employés de confiance, mais cela leur a été refusé. Les entreprises appartenant à des Témoins ont été saisies et leurs biens confisqués. Mais il y eut pire encore.
Une autre résolution des assises du parti stipulait que “ tous [les Témoins de Jéhovah] qui vivaient dans des villages devaient en être expulsés ”. Cela revenait dans les faits à exclure les Témoins de Jéhovah de la société humaine ! Des milliers de maisons ont été incendiées ou démolies. Les récoltes et les animaux ont été détruits. On a interdit aux Témoins l’accès aux puits des villages. Les frères et sœurs ont littéralement perdu tout ce qu’ils possédaient dans des pillages collectifs qui ont été commis dans tout le pays.
Les membres des mouvements pour la jeunesse étaient une fois de plus les meneurs de cette vague de persécutions, plus intense et plus brutale encore que les précédentes. Par bandes d’une dizaine à une centaine d’individus, ils se déplaçaient de village en village à la recherche des Témoins de Jéhovah.
Les frères ont été pourchassés dans tout le pays. À Blantyre, un groupe de frères a été emmené dans la permanence locale du parti, qui avait été le bureau de la filiale de la Société avant sa confiscation en 1967. Parmi ces frères se trouvait Greyson Kapininga, qui avait été traducteur à la filiale avant l’interdiction. Comme les frères avaient fermement refusé d’acheter la carte de membre du parti, leurs persécuteurs leur ont barbouillé les yeux d’un mélange de sel et de piment. Puis ils les ont battus avec des planches bardées de grandes pointes. Quand un frère criait de douleur, les brutes le frappaient encore plus fort, en disant : “ Ton Dieu n’a qu’à venir te sauver ! ”
De nombreux frères et sœurs sont morts lors de ces agressions sadiques. À Cape Maclear, à l’extrémité sud du lac Malawi, Zelphat Mbaiko a été placé entre des ballots d’herbe. On a répandu de l’essence sur l’herbe et on y a mis le feu. Ce frère a péri brûlé vif !
Les sœurs ont elles aussi souffert terriblement. Parce qu’elles refusaient d’acheter la carte du parti, beaucoup ont été violées à plusieurs reprises par des représentants du parti. À Lilongwe, sœur Magola a comme beaucoup d’autres essayé de fuir devant les persécuteurs. Mais elle était enceinte et ne pouvait pas courir très vite. Comme une meute de chiens assoiffés de sang, la foule l’a rattrapée et l’a battue à mort.
Sur le campus du lycée agricole de Bunda, à côté de Lilongwe, six frères et une sœur ont été assassinés et leurs corps horriblement mutilés. Le proviseur de l’établissement, Theodore Pinney, a protesté en personne auprès du Dr Banda contre ces atrocités. Qu’a-t-il obtenu ? Il a été expulsé du pays !
Des milliers de Témoins fuient
Puisqu’un génocide se préparait manifestement, les Témoins de Jéhovah ont commencé à fuir le pays en masse en octobre 1972. Des milliers sont partis à l’est, en Zambie. À la frontière, un observateur des Nations unies a confirmé que “ de nombreux réfugiés portaient sur le corps des coupures et des entailles apparemment provoquées par des coups de pangas, ces machettes courantes en [Afrique] ”.
Les Témoins ont été installés dans des camps de réfugiés à Sinda Misale, région située dans un triangle délimité par les frontières entre le Malawi, le Mozambique et la Zambie. Malheureusement, en raison de l’absence d’installations sanitaires, les maladies tournaient rapidement à l’épidémie. En peu de temps, plus de 350 personnes sont mortes, beaucoup étant des enfants. Des informations sur la situation terrible des réfugiés sont très vite parvenues à leurs frères chrétiens d’autres contrées. Il n’a pas fallu longtemps pour que des secours arrivent en masse ! Les Témoins de Jéhovah d’Afrique du Sud ont envoyé une quantité considérable de tentes, de vêtements et d’autres fournitures de première nécessité. Sous la direction de Karel de Jager et de Dennis McDonald, un petit convoi de camions est parti de la filiale d’Afrique du Sud pour se rendre dans les camps. Les besoins spirituels des frères n’avaient pas été oubliés. Un camion transportait 21 cartons de bibles et de manuels d’étude. Les frères malawites ont ressenti un immense bonheur en constatant l’action de l’amour chrétien authentique dont Jésus a parlé. — Jean 13:34, 35.
Les Témoins ont cependant rapidement compris qu’ils n’étaient pas les bienvenus en Zambie. En décembre, les autorités ont forcé les réfugiés à retourner au Malawi. Quelle déception pour les frères ! Allaient-ils finalement renoncer, puisqu’ils n’avaient de toute évidence nulle part où se réfugier ? Michael Yadanga a résumé à sa façon leur réponse : “ J’ai perdu mes dents parce que je ne voulais pas acheter la carte. J’ai aussi perdu mon travail parce que je ne voulais pas acheter la carte. Mes biens ont été détruits, et j’ai été forcé de fuir en Zambie, tout ça parce que je ne voulais pas acheter la carte. Ce n’est pas maintenant que je vais en acheter une. ” L’intégrité des frères était intacte. Comme le dit fort justement le psalmiste : “ Nombreux sont les malheurs du juste, mais de tous Jéhovah le délivre. ” — Ps. 34:19.
Ces Témoins malawites, hommes et femmes, ont prouvé qu’ils avaient une foi semblable à celle des serviteurs de Dieu dont la Bible parle en Hébreux chapitre 11. Comme ces adorateurs de Jéhovah des temps anciens, les Témoins du Malawi “ ont été torturés parce qu’ils n’acceptaient pas de libération par quelque rançon ”, c’est-à-dire en faisant des compromis ou en abjurant leur foi en Jéhovah Dieu. Comme eux, ils “ ont reçu leur épreuve par des moqueries et des coups de fouet, et même plus que cela : par des liens et des prisons ”. Comme à l’époque, “ le monde n’était pas digne d’eux ”. — Héb. 11:35, 36, 38.
Réfugiés au Mozambique
Lorsqu’ils sont revenus de Zambie, les Témoins étaient une fois de plus menacés par des persécutions sadiques au Malawi. Il était hors de question de rester au Malawi. Ils ont donc fui de nouveau. À l’époque, le Mozambique était toujours sous la tutelle portugaise, et les autorités du pays ont traité nos frères avec humanité. Ceux qui vivaient dans le sud du pays ont fui en traversant la frontière près de Mulange et ont rejoint les camps de réfugiés de Carico, où beaucoup sont restés jusqu’en 1986.
Le Mozambique était également accessible par la frontière occidentale du Malawi, entre les villes de Dedza et de Ntcheu. À cet endroit, les frères avaient juste à traverser la route principale, qui délimitait la frontière, pour trouver refuge. Les camps de cette région du Mozambique étaient situés près de Mlangeni, et c’est là que la majorité des Témoins se sont réfugiés.
Ces camps de Carico et des environs de Mlangeni ont abrité environ 34 000 hommes, femmes et enfants. Des congrégations entières, conduites par les anciens, ont rejoint ces camps. Constatant le phénomène, les autorités du Malawi ont interdit à quiconque de leur fournir un moyen de transport.
Une nouvelle vie commençait pour ces serviteurs de Jéhovah qui s’installaient dans les camps. Matériellement la situation était difficile au début. Ils repartaient de zéro. Des maisons neuves bien alignées ont rapidement été construites. Les camps étaient maintenus ordonnés et propres. Pour compléter les vivres fournis par la Société et par les organismes humanitaires, de nombreux frères se sont mis à cultiver le sol. D’autres ont vendu des objets de leur fabrication ou ont trouvé des emplois à temps partiel dans les villages voisins. Leur situation matérielle est restée très modeste, mais les frères étaient heureux d’avoir de quoi vivre (1 Tim. 6:8). Par contre, dans le domaine spirituel, ils étaient riches !
L’organisation des camps
Des anciens comme Kennedy Alick Dick, Maurice Mabvumbe, Willard Matengo et d’autres par la suite ont servi au sein du Comité du pays. Ils étaient très respectés et aimés pour leurs efforts inlassables à combler les besoins spirituels des frères. Ces anciens fidèles ont pris à cœur cette exhortation biblique : “ Faites paître le troupeau de Dieu qui vous est confié. ” (1 Pierre 5:2). Ils ont organisé de nombreuses activités d’ordre spirituel dans les camps. Suivant l’habitude prise dans la plupart des familles de Témoins de Jéhovah, ils ont veillé à ce que chaque journée débute sur une note spirituelle par l’examen du texte du jour. L’étude biblique à l’aide de La Tour de Garde, les discours publics et même les assemblées avaient lieu régulièrement. Les réfugiés comprenaient que ces dispositions d’ordre spirituel étaient essentielles.
Au début, toutes les réunions avaient lieu en un seul endroit, l’estrade centrale du camp. Des milliers de personnes se réunissaient chaque jour pour recevoir l’enseignement biblique, ainsi que des directives sur les diverses tâches à accomplir dans les camps. Plus tard, les congrégations ont été encouragées à construire leurs propres Salles du Royaume et à y tenir les réunions. Ce sont finalement cinq circonscriptions qui ont été organisées dans l’ensemble des camps.
Les frères qui composaient le Comité du pays ainsi que d’autres avaient tiré profit de la formation qu’ils avaient reçue par les missionnaires avant l’interdiction. Cela leur a permis d’organiser les camps. De manière générale, les camps fonctionnaient sur le modèle d’une grande assemblée de district. Des services étaient constitués pour s’occuper des divers besoins de la communauté, comme l’entretien, la distribution de nourriture et, naturellement, la sécurité.
La plupart des Témoins de Jéhovah vivaient à présent en dehors du Malawi, mais cela ne suffisait pas encore à calmer certains persécuteurs. Il est arrivé que des opposants franchissent la frontière pour venir agresser les frères dans les camps proches, ce qui a nécessité des précautions spéciales pour protéger les serviteurs de Jéhovah.
Le Comité du pays a désigné un groupe de frères qui formaient un service d’accueil et de garde et qui surveillaient toutes les entrées des camps. Batson Longwe se vit confier la responsabilité de ces frères gardiens du camp de Mlangeni. Sa fonction l’obligeait à se déplacer énormément dans le camp pour vérifier que les frères étaient à leurs postes. Cela lui a rapidement valu le surnom de “ sept à sept ”. En effet, du matin sept heures jusqu’au soir sept heures, tous les jours, on voyait le fidèle frère Longwe tourner dans le camp pour assurer la protection de ses frères et sœurs chrétiens. Aujourd’hui encore, la plupart des frères connaissent Batson Longwe sous le nom de “ sept à sept ”. Certains ont oublié son vrai nom, mais tous ceux qui ont séjourné dans le camp de Mlangeni se souviennent avec reconnaissance de son service fidèle en leur faveur.
Cet exil temporaire au Mozambique a permis aux frères d’échapper aux persécutions, mais les a aussi préparés à affronter les épreuves et les difficultés qu’ils allaient encore rencontrer par la suite. Ils se sont rapprochés de leurs compagnons, et ils ont appris à s’appuyer plus pleinement sur Jéhovah. Lemon Kabwazi, qui est plus tard devenu surveillant itinérant, explique : “ Il y avait des avantages et des inconvénients. Sur le plan matériel, nous étions pauvres. Mais sur le plan spirituel, on prenait bien soin de nous. Cette vie en commun nous a permis de connaître vraiment nos frères et de les aimer. Cela nous a été utile après notre retour au Malawi. ”
De nouveau pourchassés !
Malheureusement, les frères n’ont pas longtemps été à l’abri de la violence de leurs persécuteurs. Quand le Mozambique a accédé à l’indépendance en juin 1975, ce pays a également été pris par une fièvre nationaliste. La neutralité des serviteurs de Jéhovah n’a pas été comprise par les nouveaux dirigeants du pays. Parce qu’ils refusaient tout compromis, les frères ont été forcés de repasser la frontière dans la région de Mlangeni et de retomber aux mains de leurs persécuteurs.
À la frontière, les réfugiés étaient attendus par le ministre de la région centrale, M. Kumbweza Banda, qui leur a dit : “ Vous avez quitté le Malawi de votre propre initiative, et maintenant vous revenez au Malawi de votre propre initiative. Retournez dans vos villages et coopérez avec les délégués du parti. ” Faisant allusion aux Jeunes pionniers du Malawi et aux membres de la Ligue des jeunes, il a ajouté : “ Mes garçons s’assureront que vous coopérez avec le parti. ” Il y avait peu d’espoir que la situation s’arrange.
Certains qui ont été forcés de retourner au Malawi à ce moment ont pu traverser directement le pays et le quitter par sa frontière sud-est pour rejoindre leurs frères qui se trouvaient dans les camps près de Milange, au Mozambique. Mais cela n’a pas résolu tous les problèmes. Citons le cas de Fidesi Ndalama, qui a été surveillant de circonscription dans cette région jusqu’à ce que les camps soient démantelés à la fin des années 80, et qui a perdu sa femme un jour que des guérilleros ont attaqué son camp. Ce frère au tempérament très doux continue néanmoins de servir Jéhovah avec zèle.
D’autres chrétiens forcés à retourner au Malawi en 1975 ont dû y rester. Des milliers de Témoins marchaient sur les routes pour ce pénible retour vers leurs villages. Beaucoup avaient le sentiment de revivre leur calvaire depuis le début.
Au départ, la plupart ont pu s’installer dans leurs villages d’origine. Mais rapidement sont arrivés les “ garçons ” qui voulaient forcer les Témoins de Jéhovah à ‘ coopérer avec le parti ’. Des bandes des Ligues des jeunes entouraient les maisons des frères et exigeaient qu’ils achètent la carte de membre du parti. À chaque maison ils recevaient la même réponse : non ! Ceux qui refusaient ont subi toutes sortes de traitements inhumains. Même des femmes et des enfants se sont livrés à des violences sur ces chrétiens innocents. Il a été fait état de frères et de sœurs qui ont subi des agressions sexuelles dépravées. On a signalé des actes ignobles où des chrétiens ont été attachés ensemble, hommes et femmes, dans l’intention de les forcer à commettre un acte immoral.
Même dans les activités de la vie quotidienne, l’intégrité des Témoins de Jéhovah était constamment mise à l’épreuve. Dans les hôpitaux, au marché, à l’école et dans les transports en commun, partout les membres de la Ligue des jeunes étaient à la recherche de ceux qui n’avaient pas la carte du parti. Conformément aux paroles de Révélation 13:16, 17, personne ne pouvait “ acheter ou vendre ”, ou simplement mener une vie normale, s’il n’avait pas ‘ la marque de la bête sauvage ’, une preuve qu’il soutenait le système politique de ce monde.
Malgré toute l’adversité qu’ils ont subie, les Témoins de Jéhovah sont restés fermes et se sont refusés à tout compromis. Mais les persécuteurs ne voulaient pas non plus renoncer. D’autres épreuves allaient survenir.
Entassés en prison
Des congrégations entières de Témoins de Jéhovah ont été arrêtées et placées en détention dans des centres qui rappelaient par leur fonctionnement les camps de concentration nazis. De jeunes enfants et des bébés ont été enlevés à leurs parents effondrés de douleur. Certains de ces enfants ont été confiés à des proches non Témoins, mais d’autres n’avaient plus personne pour s’occuper d’eux. En janvier 1976, plus de 5 000 hommes et femmes se trouvaient en prison ou dans des camps dans toutes les régions du pays.
Au départ, leurs conditions de vie ont été effroyables. La surpopulation a engendré des maladies mortelles. Des gardes cruels rendaient le sort des prisonniers encore plus pénible. Un de ces gardes s’est moqué des frères en leur disant : “ Comme le gouvernement l’a prévu, vous allez nous servir de tracteurs. ” Baston Moses Nyirenda se souvient d’avoir souvent été forcé à travailler avant l’aube et jusqu’après le crépuscule, sans avoir droit à une pause pour se reposer ou manger !
Un frère détenu dans l’infâme camp de Dzaleka a réussi à faire sortir cette note écrite sur un morceau de papier hygiénique : “ Même les malades sont forcés de partir au travail. Les enfants malades sont envoyés à l’hôpital de Dowa [...]. Là-bas, on ne donne aucun soin aux patients qui sont Témoins. Nous appelons l’hôpital de Dowa une boucherie pour Témoins de Jéhovah. ”
Il semblait que les gardes recouraient à tous les moyens possibles pour décourager les frères et sœurs et briser leur intégrité. Mais ils ont échoué ! Les serviteurs de Jéhovah avaient appris à faire front à l’adversité. Une note inscrite sur un morceau de sac à ciment portait ces paroles qui affermissent la foi : “ Bonnes nouvelles. Tous les frères et sœurs ont des visages joyeux, bien qu’ils soient persécutés et transportent des pierres. ”
De nombreuses lettres de protestation envoyées de l’étranger par des Témoins de Jéhovah et maintes autres personnes arrivaient au cabinet du président, le Dr Banda. Mais le président faisait la sourde oreille, et nos frères sont restés en détention.
“ La parole de Dieu n’est pas liée ”
Malgré leur situation, les frères et sœurs ont réussi à tenir des réunions chrétiennes dans ces prisons. Des publications étaient introduites en cachette et distribuées aux frères. Comment cela était-il possible ? Racontant comment un Annuaire était parvenu dans la prison de Dzaleka, Baston Moses Nyirenda explique :
“ Il y avait un frère qui n’était pas prisonnier, mais qui travaillait dans les jardins de la prison. Comme les gardes avaient l’habitude de le voir entrer et sortir sans arrêt, ils ne le fouillaient jamais. Il a caché le livre sous sa chemise un jour qu’il livrait des légumes aux gardes. Avant de partir, il a réussi à laisser le livre à un de nos frères. Nous étions très heureux d’avoir l’Annuaire, car à l’époque il contenait les versets et les commentaires du texte du jour. Nous nous sommes rapidement mis au travail pour copier tous les textes et les commentaires sur des morceaux de papier hygiénique. Il nous a fallu pas mal de rouleaux ! Au bout de deux semaines, un garde a découvert le livre. Mais nous avions alors déjà distribué des copies dans tout le camp. Nous avions même réussi à faire parvenir des copies à nos sœurs dans la section où elles étaient détenues. ”
À Dzaleka, les frères et sœurs ont célébré le Mémorial de la mort du Christ en petits groupes. Une lettre parvenue à la Société disait que “ 1 601 personnes avaient assisté à notre réunion de cette belle journée du 14 avril ”. Treize frères et sœurs ont consommé les emblèmes à Dzaleka. Le rapport ajoutait : “ Dans presque chaque cellule on a chanté des cantiques avant la réunion, et c’était la même chose après la réunion. ”
Avec le temps, les conditions se sont quelque peu améliorées dans les prisons. Certains gardes sont même devenus assez amicaux à l’égard des frères. Après avoir pris sa retraite, un des gardes a accepté la vérité. C’est aujourd’hui frère Makumba. Son fils aussi a voué sa vie à Jéhovah. Cela confirme ce qu’écrivait l’apôtre Paul : “ La parole de Dieu n’est pas liée. ” — 2 Tim. 2:9.
Ils servent Jéhovah malgré l’interdiction
Les persécutions se sont petit à petit atténuées. En 1979, la plupart des Témoins de Jéhovah avaient été libérés de prison. Les événements avaient suscité la curiosité de certains voisins, qui leur demandaient : “ Pourquoi avez-vous été mis en prison ? ” “ Pourquoi tout le monde persécute-t-il les Témoins de Jéhovah ? ” Ces questions ont donné lieu à des discussions bibliques, et bon nombre de ces voisins sont eux-mêmes devenus des serviteurs de Jéhovah. Ils savaient pertinemment qu’en devenant Témoins de Jéhovah ils deviendraient eux aussi des objets de la haine du monde, comme Jésus l’avait annoncé, mais ils comprenaient que les Témoins pratiquaient réellement la vraie religion (Luc 21:17 ; Jacq. 1:27). On notera avec intérêt que l’on comptait dans les rangs des nouveaux baptisés plus de personnes rencontrées dans le cadre du témoignage que d’enfants de Témoins.
Comment faisait-on à l’époque entrer les publications bibliques nécessaires aux réunions et à la prédication ? À la fin des années 70, la supervision de l’œuvre au Malawi a été confiée à la filiale de Zambie, car la Zambie a une frontière commune avec le Malawi, ce qui n’est pas le cas du Zimbabwe. Plusieurs dépôts de publications étaient situés en Zambie en des endroits stratégiques proches de la frontière avec le Malawi. Les quelques frères malawites possédant un véhicule se rendaient en Zambie où ils récupéraient d’importantes quantités de publications qui étaient ensuite introduites discrètement au Malawi. Les barrages routiers étant rares durant les premières années d’interdiction, cette méthode s’est avérée très efficace.
Les réunions pouvaient donc être organisées, puisque les frères et sœurs recevaient les livres et les périodiques nécessaires. Bien sûr, il n’y avait pas de rassemblements publics dans les Salles du Royaume. Les frères se réunissaient en secret, souvent la nuit, en des endroits où ils ne seraient pas entendus par des voisins ou d’autres villageois. Dans les villages, certains frères possédaient des terres ancestrales, habituellement situées à la proche périphérie du bourg. C’était un endroit pratique pour les réunions. Il est évident que si tous s’y étaient rendus en même temps, ils auraient attiré l’attention ; c’est donc par petits groupes qu’ils se déplaçaient. La réunion commençait quand tout le monde était arrivé. On ne chantait pas les cantiques à pleine gorge, mais on les fredonnait à voix basse. Il n’était pas non plus question d’applaudir avec enthousiasme à la fin d’un beau discours ; on se contentait de se frotter les paumes des mains.
Il n’empêche que tous ceux qui assistaient à ces réunions appréciaient la nourriture spirituelle dont ils avaient tant besoin en ces moments et qu’ils se sentaient unis à leurs compagnons du monde entier qui suivaient le même programme d’instruction. Ces réunions assuraient aussi aux frères une excellente formation pour la prédication, activité qui restait essentielle. Naturellement, la prédication devait elle aussi s’effectuer très discrètement.
Des messagers courageux
Pendant quelque temps, il n’a pas été trop difficile d’introduire des publications au Malawi, mais au milieu des années 80, les choses ont changé. Des barrages routiers ont peu à peu fait leur apparition dans tout le pays. La police fouillait les véhicules avec plus de vigilance. Il n’était plus possible de demander à des frères d’aller en voiture récupérer des publications dans les dépôts de Zambie. Que pouvait-on faire ?
Les frères ont fait un usage plus systématique du vélo. En circulant à vélo dans la brousse, ils pouvaient éviter les barrages routiers et les postes de douane. Il fallait beaucoup de courage et une foi forte pour servir de messager. Mais le service fidèle de ces frères était manifestement béni par Jéhovah Dieu. On en a pour preuve les faits suivants :
Letson Mlongoti circulait à vélo dans Lilongwe avec un sac de périodiques sur le porte-bagages. Soudain il a constaté avec horreur que les gens, dont des policiers et des Jeunes pionniers du Malawi, s’étaient massés le long des rues pour voir passer le président qui était en visite. Et soudain ce fut la catastrophe ! Dans un virage, son sac est tombé et s’est ouvert. Les périodiques se sont répandus par terre sous les yeux de tous ! Il a instantanément été entouré par la foule. Ce frère s’attendait au pire. Mais il a vite compris qu’en réalité les gens voulaient l’aider à remettre les périodiques dans son sac. Soulagé, bien que nerveusement secoué, il a vite repris sa route, en remerciant Jéhovah d’avoir aveuglé les policiers et les Jeunes pionniers du Malawi.
Fred Lameck Gwirize transportait un gros chargement de courrier destiné aux congrégations. Il dévalait une colline proche de Kasungu quand il est tombé sur un barrage routier gardé par la Ligue des jeunes. Il s’est arrêté, a fait demi-tour et est reparti dans la direction opposée. Les hommes de la Ligue lui ont ordonné de s’arrêter. “ Où vas-tu comme ça ? ” ont-ils crié. Le messager a répondu : “ Je descendais la colline si vite que j’ai manqué le croisement ! ” À sa grande surprise, ils se sont satisfaits de cette explication. Il a remercié Jéhovah de l’avoir protégé.
Mais certains de ces frères courageux ont été interpellés et ont passé quelque temps en prison. La plupart étaient des pères de famille.
Un touriste “ assidu ”
À partir de 1987, Edward Finch, membre du Comité de la filiale de Zambie, s’est rendu régulièrement au Malawi. Le Malawi était une destination touristique très prisée, et frère Finch avait un membre de sa famille à Blantyre, ce qui lui permettait d’entrer facilement dans le pays pour des “ vacances ”. À l’époque où il avait tout juste 19 ans et était pionnier en Rhodésie, son pays natal, Ed Finch avait plusieurs fois accompagné Guido Otto quand il partait au Malawi approvisionner la cave secrète des McLuckie. À présent diplômé de l’École de Guiléad, frère Finch était chargé d’une autre mission en rapport avec le Malawi.
Ses visites se faisaient à l’initiative de la filiale de Zambie qui s’inquiétait du nombre insuffisant de publications bibliques parvenant au Malawi. Frère Finch a rencontré les membres du Comité du pays, qui ont été heureux de recevoir un visiteur venu de l’étranger pour les encourager et leur donner des directives supplémentaires. Plusieurs réunions secrètes ont eu lieu avec le Comité du pays, les surveillants de circonscription et de district, ainsi que les messagers. Tous se réjouissaient de faire leur part pour que les besoins des congrégations soient satisfaits. Les publications qui avaient été stockées en Zambie dans les dépôts proches de la frontière ont de nouveau été acheminées régulièrement au Malawi.
Frère Finch, souvent accompagné de sa femme Linda, a effectué au Malawi de nombreux voyages “ touristiques ” encourageants. Il a parcouru le pays de long en large, non pas pour admirer le paysage, mais pour affermir et former autant de frères que possible. Ses visites ont été particulièrement appréciées par les frères qui dirigeaient l’activité pendant l’interdiction. Ils lui étaient reconnaissants de l’amour et de la patience qu’il leur témoignait lors de leurs rencontres.
De l’aide pour les messagers
Les messagers, sur leurs vélos, ne pouvaient naturellement pas atteindre toutes les congrégations du Malawi. En 1988, on a donc acheté un petit camion qui a beaucoup sillonné le pays pour livrer des publications. À force, les chauffeurs avaient repéré les endroits où se trouvaient les barrages routiers, aussi les évitaient-ils discrètement. D’autres frères courageux ont également offert leurs services. Parmi eux figurait Victor Lulker, qui a servi dans la congrégation anglaise de Blantyre. Se servant de sa voiture, et en prenant de grands risques, il livrait souvent des publications la nuit dans les dépôts secrets du pays. Avant 1972, Cyril Long, qui est aujourd’hui en Afrique du Sud, avait lui aussi rendu de fiers services. Il lui a en plus été possible d’obtenir des médicaments dont les frères avaient grand besoin, et à des prix réduits, par un pharmacien bien disposé à l’égard des Témoins.
L’approvisionnement en nourriture spirituelle a été grandement facilité par l’accord du siège mondial de la Société à Brooklyn pour faire imprimer les périodiques sur du papier bible, les livres avec des couvertures souples et les articles d’étude de La Tour de Garde sous un format spécial appelé minipériodiques. En avril 1989, quand Ed Finch a rencontré en secret les messagers et leur a parlé de ces nouvelles éditions spéciales des publications, ces frères ont pleuré de reconnaissance pour cette disposition bienveillante de Jéhovah ! Ils pouvaient à présent transporter deux fois plus de publications qu’auparavant.
Ces publications se pliaient plus aisément et étaient plus faciles à dissimuler. Les minipériodiques pouvaient même être lus ouvertement dans les transports en commun. Personne ne les reconnaissait ! “ L’esclave fidèle et avisé ” s’est véritablement montré à la hauteur de sa mission pour ce qui est de donner la “ nourriture [spirituelle] en temps voulu ”. (Mat. 24:45-47.) Ces précieuses provisions de “ nourriture ” ont permis aux serviteurs de Jéhovah de rester intègres malgré l’adversité.
Une congrégation hors du commun
Malheureusement, en 1990 le camion utilisé par la Société a été impliqué dans un accident avec une voiture de police. Quand les policiers ont découvert ce qu’il contenait, ils ont immédiatement arrêté les deux frères et les ont envoyés en prison. Lemon Kabwazi était l’un des deux.
En arrivant à la prison de Chichiri, frère Kabwazi s’est rendu compte de la situation déplorable des dix frères qui s’y trouvaient déjà. Parmi les prisonniers, les “ caïds ” volaient toutes les couvertures et ne laissaient pas les frères tenir leurs réunions. Frère Kabwazi savait qu’il fallait agir. Quand sa femme Chrissie est venue le voir, il lui a demandé d’apporter quelques-uns de ses vêtements. Il les a distribués aux frères pour qu’ils soient habillés correctement. Les autres prisonniers n’en revenaient pas. Frère Kabwazi s’est ensuite efforcé de s’attirer les bonnes grâces des “ caïds ” qui s’étaient approprié toutes les couvertures. Comment s’y est-il pris ? “ J’ai demandé à un frère d’acheter dix kilos de sucre pour moi, raconte frère Kabwazi. Avec un kilo de sucre j’achetais une couverture. ” Cela a aussi permis d’‘ acheter ’ l’amitié des “ caïds ” qui ont alors laissé les réunions se dérouler sans dérangement.
Grâce aux réunions tenues régulièrement dans la cour de la prison, une congrégation a rapidement vu le jour. Comment s’appelait-elle ? La congrégation du Coin, puisque les réunions avaient lieu dans un coin de la cour. Avec le temps, plus de 60 personnes ont assisté régulièrement aux réunions de la congrégation du Coin. Trois anciens et un assistant ministériel étaient là pour prendre bien soin de cette congrégation. Son territoire était très productif. Il y avait toujours quelqu’un “ à la maison ” avec qui on pouvait discuter ! Frère Kabwazi y a dirigé cinq études bibliques, ce qui a débouché sur deux baptêmes !
De la nourriture “ bonne pour la santé ”
Les frères de la congrégation du Coin rencontraient cependant une autre difficulté : comment faire entrer dans la prison les publications dont ils avaient besoin pour les réunions ? Frère Kabwazi a eu une nouvelle idée. Il a demandé à un frère qui venait d’être libéré de revenir avec un colis de nourriture. Quand les gardiens ont fouillé le colis, ils n’y ont vu que des racines de manioc, un aliment de base au Malawi. Mais ils ignoraient à quel point ce manioc était “ nutritif ” et “ bon pour la santé ” ! De fines tranches avaient été découpées jusqu’au cœur de chaque racine, qui était ensuite ‘ fourrée ’ avec des minipériodiques roulés, de petits morceaux du livre Comment raisonner et de la brochure Examinons les Écritures. Après deux livraisons de cette nourriture “ bonne pour la santé ”, les frères disposaient de tout ce qu’il fallait pour les réunions et les études bibliques. Frère Kabwazi se souvient qu’ils ont eu suffisamment de minipériodiques pour ne jamais devoir étudier deux fois un même article de La Tour de Garde durant les huit mois qu’il a passés en prison.
La congrégation du Coin n’existe heureusement plus. Les serviteurs de Jéhovah du Malawi ne sont plus obligés de tenir des réunions derrière les barreaux !
Nos frères gagnent le respect d’autrui
Le temps passant, les attaques contre les Témoins de Jéhovah sont devenues plus sporadiques. Néanmoins, il se produisait toujours des incidents isolés de temps à autre. Mais comme toujours, les frères restaient fermes. Les serviteurs de Jéhovah se sont ainsi attiré le respect de beaucoup d’observateurs.
Dans le secteur de Mchinji, près de la frontière zambienne, le Chef Mzama a écrit une lettre dont l’adresse était intitulée “ Aux bien-aimés serviteurs de Dieu qui vivent sous ma juridiction ”. Il disait dans cette lettre : “ Tous les Témoins qui vivent dans mon district sont de très bonnes personnes. Mon district comprend 13 villages. ” Après avoir félicité les Témoins parce qu’ils payaient honnêtement leurs impôts, respectaient des principes moraux élevés, étaient des gens propres, respectueux et travailleurs, il a conclu : “ J’encourage tous les Témoins de Jéhovah à continuer d’obéir à leurs lois. ”
Au début de 1990, Austin Chigodi a fait partie d’un groupe de 22 personnes arrêtées par la Ligue des jeunes lors d’une assemblée de circonscription à Nathenje, près de Blantyre. Au bout d’un an et demi de prison, frère Chigodi, approchant des 80 ans, a été libéré. Quand certains membres de la Ligue des jeunes ont vu que ce vieillard était toujours en vie et fidèle à Dieu, cela leur a donné à réfléchir. Ils sont allés jusqu’à demander des études bibliques. Cependant, frère Chigodi a pris toutes ses précautions, ne voulant pas mettre en danger ses frères. Ces jeunes ont insisté. Finalement, les études ont commencé. Fait très réjouissant, certains ont progressé au point de se faire baptiser, et aujourd’hui quelques-uns sont anciens et assistants ministériels.
Un autre frère fidèle, Samuel Dzaononga, a purgé quatre peines de prison à Dzaleka en raison de sa position de neutralité. Puis, en 1989, alors qu’il avait de nouveau refusé fermement d’acheter la carte du parti, il a été arrêté une cinquième fois. Des membres de la Ligue des jeunes l’ont emmené au poste de police de Salima. Ils n’ont pas été peu surpris d’entendre le chef de la police leur dire : “ Si vous voulez remettre cet homme en prison une fois encore, vous feriez mieux de vous préparer à l’y accompagner. Ça vous ferait du bien de voir tout ce que cet homme a souffert sans jamais renoncer à sa foi. Êtes-vous prêts à le faire ? ” “ Non ”, ont répondu les jeunes. L’officier a alors conclu : “ Dans ce cas, vous feriez mieux de ramener cet homme au village et de le laisser en paix. Il ne renoncera jamais à sa foi. ” Ces hommes ont donc reconduit frère Dzaononga dans son village. En arrivant, ils ont fait venir le responsable du village et l’ont prévenu qu’il ne fallait plus permettre que le frère soit inquiété. À partir de ce jour, on a vu frère Dzaononga lire La Tour de Garde et Réveillez-vous ! et prêcher à ses voisins, ouvertement et sans crainte d’être inquiété.
Le témoignage informel
Durant toute l’interdiction, les frères ont eu recours au témoignage informel. Et quand l’opposition est devenue moins vive, ils l’ont fait avec d’autant plus d’assurance. Au début de 1990, dans la ville de Ntcheu, des Témoins ont laissé le livre Écoutez le grand Enseignant à une jeune femme qui s’intéressait à la vérité biblique. Comme elle ne savait pas bien lire, ils lui ont suggéré de trouver quelqu’un qui lui ferait la lecture. Mais ils l’ont prévenue : “ Essayez de trouver une personne de confiance. ” À l’époque, son frère Simon vivait avec elle. La personne de confiance était donc toute trouvée. En faisant la lecture pour sa sœur, Simon a rapidement compris qu’il s’agissait de la vérité. Une étude biblique a été commencée avec lui. “ J’ai découvert dans la Bible que les vrais chrétiens seraient persécutés, a expliqué Simon, alors j’ai compris que les Témoins de Jéhovah sont la vraie religion. ” (2 Tim. 3:12). Simon Mangani a progressé rapidement et il s’est fait baptiser la même année ; aujourd’hui il sert au Béthel de Lilongwe.
À Blantyre, une averse soudaine a eu des conséquences inattendues pour Beston Madeya, un pionnier permanent. Il s’est abrité sous le porche d’une petite église. Attendant que la pluie cesse, il a entendu des gens qui demandaient au pasteur : “ Tous les bons vont-ils au ciel ? ” Le pasteur ne savait pas quoi répondre. Voulant leur venir en aide, frère Madeya est entré dans l’église et a proposé de répondre à leur question. À sa grande surprise, ils ont accepté. Il a dû répondre à de nombreuses autres questions, et quelque temps plus tard il dirigeait sept études bibliques.
Les enfants ont de même saisi des occasions de donner le témoignage à l’école. Pour un devoir de rédaction, Dorothy Nakula a décidé d’aborder le thème des origines de Noël. Le professeur a tant apprécié son travail qu’il a montré sa rédaction aux autres professeurs. Ils lui ont demandé : “ Où as-tu trouvé ces renseignements ? ” Dorothy a donc pu laisser 17 périodiques à ses professeurs.
“ Cher Tonton ”
Les serviteurs de Jéhovah ont subi de nombreuses tribulations, mais ils ne se sont jamais sentis seuls. Ils savaient que Jéhovah veillait sur eux et ils étaient assurés de l’amour et du soutien de leurs frères du monde entier.
En plus de ce que faisaient les filiales de Rhodésie (aujourd’hui le Zimbabwe) et de Zambie, au Malawi des frères mûrs se dépensaient beaucoup pour que l’ensemble des fidèles reçoive des soins bienveillants et dispose de la nourriture spirituelle. Le Comité du pays, appelé aussi “ Bureau du personnel ”, remplissait dans ce domaine un rôle important. Quelles étaient ses missions ? Lemon Kabwazi, qui a servi de nombreuses années au sein du Comité du pays, explique : “ Notre première responsabilité était de nous assurer que les publications parvenaient aux frères. Nous passions donc beaucoup de temps à organiser et à encourager les messagers ainsi que les surveillants de circonscription. Nous rendions également visite aux frères qui avaient été victimes de persécutions pour voir comment nous pouvions les aider et les affermir. ”
Des lettres encourageantes et des secours étaient envoyés aux congrégations. Il était risqué de passer par les services postaux, aussi les frères ont-ils établi une série de codes et de surnoms pour éviter de se compromettre les uns les autres. Les lettres du Comité du pays étaient signées “ SO ” [initiales anglaises pour “ Bureau du personnel ”]. De cette manière, même si une lettre était interceptée, les autorités ne pouvaient pas comprendre de quoi il retournait. Les surveillants de circonscription étaient identifiés par le sigle de la circonscription qu’ils desservaient, et leurs visites étaient appelées “ semaines spéciales ”. Même aujourd’hui, certains disent encore : “ M-11 nous visitera bientôt pour la semaine spéciale. ” Quel était le code pour le Comité du pays ? Les lettres qui arrivaient de tout le pays étaient adressées à “ Cher Tonton ”, et les réponses étaient envoyées à divers “ neveux ” et “ nièces ”. Ces mesures de prudence ont permis de garder le contact durant ces longues années d’interdiction.
Les anciens qui faisaient parti du Comité du pays ont véritablement été des modèles pour ce qui est de chercher d’abord les intérêts du Royaume (Mat. 6:33). Certains, comme Ellyson Njunga, Havery Khwiya, Adson Mbendera et Lemon Kabwazi, servent toujours Jéhovah en tant que ministres à plein temps. Leur exemple de fidélité a encouragé de nombreux Témoins à donner la première place dans leur vie au Royaume et à rester intègres malgré l’adversité.
La situation politique évolue
Une nouvelle vague de ferveur “ démocratique ” s’est mise à souffler sur le sud de l’Afrique à laquelle n’a pu échapper le Malawi. En 1992, la communauté internationale a fait de plus en plus pression pour exiger que le gouvernement revoie sa position sur la question des droits de l’homme. En réponse à ces interventions, le Dr Banda a fait cette déclaration : “ Tout individu qui force la population à acheter la carte du parti [...] agit à l’encontre des règles du Parti du Congrès du Malawi. ” Et d’ajouter : “ Il s’agit là d’une attitude très regrettable, très regrettable. [...] Je n’ai jamais ordonné à personne de faire une pareille chose. ” Par ces paroles, le Dr Banda a mis fin à une pratique dont nos frères fidèles du Malawi avaient durement souffert pendant 25 ans.
À la suite de cette évolution, les Témoins de Jéhovah ont constaté que la plupart de leurs réunions et de leurs assemblées pouvaient être tenues ouvertement et librement. Il n’y a plus eu de rapports faisant état de tracasseries ou de persécutions. Les frères bénéficiaient enfin d’un peu de liberté, et ils l’ont pleinement mise à profit. Mais ils ne s’attendaient pas du tout à ce qui allait se passer ensuite.
“ Jéhovah est un Dieu merveilleux ! ”
Le 12 août 1993 a été une date mémorable pour les serviteurs de Jéhovah du Malawi. L’interdiction, qui avait duré près de 26 ans, était enfin levée. Au départ, les frères ne se sont même pas rendu compte de ce qui arrivait. En 1967, quand l’interdiction avait été décrétée, dans tout le pays les journaux annonçaient en gros titre que des mesures étaient prises contre la “ secte ‘ dangereuse ’ ”, les Témoins de Jéhovah. Mais quand l’interdiction a été levée, ils n’en ont pas soufflé mot. Pour tout dire, c’est presque par hasard qu’un frère a découvert la petite communication passée dans la Government Gazette. Cette nouvelle s’est lentement propagée parmi les frères, qui ont ressenti une joie immense, mais qui n’ont pu s’empêcher de se poser des questions. Pourquoi ? Frère Kabwazi a expliqué : “ Les frères priaient pour que l’interdiction soit levée un jour. Mais personne n’aurait imaginé que cela pouvait se produire du vivant du Dr Banda. ” Frère Kabwazi a ajouté : “ Jéhovah est un Dieu merveilleux ! ”
En 1967, avant l’interdiction, les congrégations totalisaient quelque 18 000 proclamateurs actifs. Combien étaient-ils à présent, après 26 ans d’opposition souvent brutale ? Ils étaient 30 408, un nouveau chiffre record ! L’intégrité de nos frères et sœurs avait triomphé de toutes ces années d’adversité, cela à la louange du glorieux nom de Jéhovah !
Les Témoins de Jéhovah exultaient d’avoir retrouvé la liberté de culte. Dans un même temps, ils se rendaient compte qu’un travail sans précédent les attendait.
Une campagne spéciale
Dès que cette nouvelle est parvenue au bureau de la filiale de Zambie, Ed Finch a été envoyé au Malawi, pas en tant que touriste, mais pour aider au rétablissement de l’œuvre des Témoins de Jéhovah sur un fondement légal. Durant sa visite, il a eu avec sa femme Linda l’occasion de prêcher avec la congrégation anglaise de Blantyre. La plupart des proclamateurs n’avaient jamais prêché de maison en maison. Ils ressentaient donc une certaine appréhension. Mais les Finch ont usé d’un peu de persuasion, et finalement tous les proclamateurs ont participé au ministère. Quel bonheur quand ils se sont retrouvés au bout de quelques heures pour échanger leurs impressions ! De nombreuses personnes les avaient écoutés avec intérêt. Certaines se réjouissaient de la liberté maintenant accordée aux Témoins de Jéhovah. Après cette journée, les frères étaient bien moins anxieux à l’idée d’aller prêcher.
Les démarches visant à l’enregistrement légal de l’œuvre des Témoins de Jéhovah au Malawi ont posé de grandes difficultés au départ. On ne retrouvait dans aucun service administratif la preuve que la Société avait déjà été enregistrée officiellement par le passé. Puis, un jour qu’il se trouvait au bureau de l’enregistrement à Blantyre, Ed Finch a remarqué une série de vieux volumes. Il a sorti celui qui était marqué “ W ”, et, surprise ! il a retrouvé le document original d’enregistrement ! Les procédures administratives se sont alors accélérées. Le 15 novembre 1993, la Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania, une entité juridique utilisée par les Témoins de Jéhovah, était enregistrée, et les Témoins de Jéhovah étaient à nouveau reconnus officiellement comme une religion au Malawi.
Vers la fin de la même année, une campagne spéciale de diffusion de dépliants a été organisée dans tout le pays. Fort à propos, c’est le dépliant Quelles sont les croyances des Témoins de Jéhovah ? qui a été diffusé, et cela dans les trois principales langues du pays. Cette campagne avait en réalité deux objectifs. Premièrement, elle a permis aux frères et sœurs de reprendre part activement au ministère en public, et, deuxièmement, elle a aidé la population à découvrir par elle-même qui sont vraiment les Témoins de Jéhovah. Plus d’un million de dépliants ont été distribués, et le bureau de la filiale de Zambie a reçu quantité de lettres de personnes qui s’intéressaient au message. Enfin, les louanges de Jéhovah étaient de nouveau proclamées publiquement, de maison en maison et dans les rues du Malawi !
Réorganisation de l’œuvre
La nouvelle de la levée de l’interdiction de l’œuvre est parvenue en Zambie au moment où s’y déroulait la première classe de l’École de formation ministérielle pour la partie sud de l’Afrique. Elle a suscité une grande émotion parmi les Béthélites et les élèves de l’École. Et quelle joie quand deux des élèves ont appris qu’ils seraient affectés au Malawi ! Ils étaient les premiers serviteurs à plein temps étrangers à être nommés dans ce pays depuis 1967. Ces deux frères, Andrew Bird et Karl Offermann, servent actuellement au Béthel de Lilongwe. Bernard Mazunda, le premier Malawite à suivre ces cours lors de la même session, est aujourd’hui surveillant de circonscription, de même que des élèves des classes suivantes.
Pendant ce temps, les frères de la filiale de Zambie continuaient de régler les difficultés que présentait la réorganisation de l’œuvre au Malawi. Ils ont rapidement découvert que, si les Témoins de Jéhovah n’étaient plus interdits, leurs publications bibliques l’étaient encore. Une rencontre très utile a eu lieu avec le ministre de la Justice pour clarifier la situation. Le ministre a immédiatement pris des mesures pour faire lever l’interdiction qui frappait les publications de la Société. Mais, mieux encore, il a proposé son aide pour trouver un terrain convenable et y construire une nouvelle filiale. C’est ainsi que leur a été proposé l’achat d’un beau terrain de 12 hectares à Lilongwe. Les travaux de construction sont déjà en cours pour édifier de nouveaux locaux sur ce terrain bien situé.
Les congrégations ont à nouveau commencé à se réunir ouvertement, et certains frères ont eu le bonheur de revoir des amis qu’ils avaient perdus de vue depuis l’interdiction ! Les réunions ne finissaient pas à l’heure, mais cela ne semblait déranger personne. On ne se contentait plus de se frotter les mains pour faire savoir que l’on avait apprécié les discours des frères. Maintenant, les frères applaudissaient avec enthousiasme dès qu’un frère apparaissait sur l’estrade. Plus besoin de chanter les cantiques à voix basse. Les frères pouvaient maintenant les chanter haut et fort. Le cantique préféré des congrégations devint rapidement celui intitulé “ Merci, ô Jéhovah ! ”
Les frères comprenaient cependant qu’ils avaient besoin d’aide pour organiser les congrégations en accord avec les méthodes récentes. Les anciens ont accepté avec humilité et empressement les instructions du bureau de la Société et d’autres frères spécialement formés. Il n’a pas fallu longtemps pour noter les améliorations dans le fonctionnement des congrégations. Le nombre de proclamateurs continuait lui aussi à augmenter. Durant l’année de service qui a suivi la levée de l’interdiction, 4 247 nouveaux disciples ont été baptisés, et 88 903 personnes ont assisté au Mémorial de la mort de Jésus.
Une aide supplémentaire arrive
Une grande émotion a été ressentie dans le pays quand on a su que deux couples de missionnaires qui avaient servi au Malawi avant l’interdiction allaient revenir. Keith et Anne Eaton, qui avaient entre-temps servi au Zimbabwe, sont arrivés le 1er février 1995 pour participer aux activités du bureau de Lilongwe. Plus tard, ce sont Jack et Linda Johansson, qui se trouvaient au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), qui ont été nommés dans la maison de missionnaires de Blantyre. Ces deux couples avaient de nouveau obtenu des visas de résidents permanents. Quelles retrouvailles joyeuses quand ces missionnaires de longue date ont revu leurs frères et sœurs malawites avec qui ils avaient collaboré avant l’interdiction !
En février 1995, Malcolm Vigo, qui se trouve à présent à la filiale du Nigeria, mais qui avait été serviteur de la filiale du Malawi avant l’interdiction, a eu le privilège d’effectuer dans ce pays la première visite d’un surveillant de zone depuis bien des années. Sa femme Linda Louise l’accompagnait. Quelle a été sa réaction ? “ C’était un événement passionnant, un grand privilège ! J’avais l’impression de revenir chez moi. ”
À cette époque, d’autres missionnaires et frères qualifiés des filiales voisines ont été affectés au Malawi. De nombreuses lettres arrivaient du territoire. Il y avait assurément “ beaucoup à faire dans l’œuvre du Seigneur ”. — 1 Cor. 15:58.
“ Louons Dieu dans la joie ”
Imaginez les sentiments des Témoins du Malawi quand il leur a été possible, en juillet et en août 1995, d’organiser des assemblées de district pour la première fois depuis 28 ans ! Comme dans la plupart des assemblées qui se tiennent en Afrique, les familles arrivaient avec leur katundu (les bagages) comprenant des couvertures, des casseroles et des poêles, et même du bois de chauffage pour la cuisine.
La plupart des assistants ne se souvenaient pas des dernières assemblées qui avaient eu lieu juste avant l’interdiction. Soit ils étaient trop jeunes à l’époque, ou bien ils étaient nés plus tard, ou alors ils ne connaissaient pas encore la vérité. Dans leur majorité, c’était la première fois qu’ils assistaient à une assemblée de district. Le thème de l’assemblée était très approprié : “ Louons Dieu dans la joie. ” Quand ils arrivaient sur les lieux de l’assemblée, certains se frottaient les yeux de surprise et s’exclamaient : “ Dites-moi que je ne rêve pas ! ” Quelle joie pour eux d’être assemblés comme leurs compagnons chrétiens du monde entier et de profiter du même programme ! En tout, ce sont neuf assemblées de district qui ont eu lieu dans diverses régions du pays et qui ont réuni au total plus de 77 000 personnes ! Les frères ont accueilli avec enthousiasme un nouvel instrument destiné à la prédication, le livre La connaissance qui mène à la vie éternelle. À l’assemblée il n’était disponible qu’en anglais, mais les frères se sont réjouis d’apprendre que sa traduction en chichewa avait déjà commencé.
Les frères ont aussi organisé une assemblée en langue anglaise. Quoique de taille réduite, elle avait un caractère international bien marqué. Des visiteurs étaient venus d’Afrique du Sud, du Mozambique, du Zaïre, de Zambie et du Zimbabwe. À noter que cette assemblée a eu lieu au Centre de conférence Kwacha, à Blantyre, que le Dr Banda avait fait construire spécialement pour y tenir les rassemblements politiques de son parti. Les visiteurs ont écouté avec intérêt deux frères malawites, Widdas Madona et Lackson Kunje, raconter des faits qu’ils avaient vécus durant les années d’interdiction. Ed Finch, également présent, se souvient de cet événement joyeux : “ Nous avions prié si longtemps pour que cela soit un jour possible ! Beaucoup dans l’assistance laissaient couler des larmes de joie sur leur visage. C’est les larmes aux yeux et la gorge nouée que nous avons regardé Victor Lulker baptiser sa fille Angeline, non pas en secret dans une baignoire, mais publiquement. ” Au moment où l’assemblée s’achevait par le chant émouvant du cantique “ Merci, ô Jéhovah ! ” beaucoup de Témoins bouleversés ont de nouveau laissé couler leurs larmes. Ces neuf assemblées resteront longtemps dans la mémoire des adorateurs joyeux de Jéhovah qui y ont assisté.
La filiale est remise en service
Le 1er septembre 1995, le bureau du Malawi est de nouveau devenu une filiale, placée sous la direction du Collège central, cette fois à Lilongwe. Le pays comptait 542 congrégations et plus de 30 000 proclamateurs ; le travail n’allait donc pas manquer.
La filiale a connu une extrême activité. Les dix Béthélites avaient au début fort à faire pour assurer tout le travail. Depuis lors, ils sont épaulés par des Béthélites supplémentaires, mais aussi par d’autres frères qui sont venus apporter leur concours. Les services de traduction en chichewa et en tumbuka, qui avaient été transférés en Zambie, sont eux aussi revenus “ au pays ”.
La filiale a eu beaucoup de travail pour aider les frères à faire face à des situations nouvelles qui mettaient à l’épreuve leur fidélité. Citons le salut au drapeau, l’impureté sexuelle, la drogue et les mauvaises compagnies. Un Service d’information hospitalier a été créé pour aider les Témoins confrontés à la question de la transfusion de sang.
Autre soutien précieux, celui de deux frères qui, avec leurs femmes, étaient dans le service itinérant en Afrique du Sud et qui ont été affectés au Malawi. Ces frères font un excellent travail en qualité de surveillants de district.
Plus récemment, le 20 mars 1997, un autre événement passionnant a eu lieu. En écoutant les informations à la radio le midi, les Témoins de tout le pays ont eu la joie d’entendre que le gouvernement restituait à la Société l’ancien bâtiment de la filiale. Il avait été saisi en 1967 par le gouvernement précédent et avait abrité le siège régional sud du Parti du Congrès du Malawi. Il revenait donc à ses propriétaires légitimes au bout d’une trentaine d’années. Un puissant témoignage a été rendu dans tout le pays à mesure que les différents flashes d’information de la journée reprenaient cette nouvelle dans les langues principales du pays. À présent, ce bâtiment est de nouveau utilisé par les Témoins de Jéhovah qui y tiennent des réunions chrétiennes régulières.
Jéhovah fait croître
Jéhovah a vraiment béni le travail de ses serviteurs au Malawi depuis que l’interdiction est levée. De nombreuses personnes ont tenu à faire entrer les Témoins de Jéhovah chez elles et ont accepté leurs publications ainsi que l’étude gratuite de la Bible. Lors de l’une des assemblées de district “ La foi en la Parole de Dieu ” qui ont eu lieu récemment, une femme s’est étonnée de voir une grande foule de Témoins de Jéhovah rassemblée près de la ville de Namitete. “ D’où viennent ces milliers de personnes ? a-t-elle demandé. C’est incroyable ! Vous avez pourtant été interdits si longtemps. ” Intriguée, cette femme s’est jointe à cette joyeuse foule d’adorateurs de Jéhovah et a écouté les discours. À la fin, elle aussi a demandé à étudier la Bible.
Même d’anciens ennemis ont été touchés par la vérité, et certains se sont excusés de leur comportement durant l’interdiction. “ Ce n’était pas de notre faute, disaient-ils. C’est le gouvernement qui nous a forcés à vous maltraiter ainsi. ” Les frères ne sont que trop heureux d’accueillir de telles personnes aux réunions. D’ailleurs, l’ancien ministre qui avait “ accueilli ” les frères lors de leur retour forcé du Mozambique en 1975 et leur avait intimé l’ordre de retourner dans leurs villages et de coopérer avec le parti, a lui-même étudié la Bible avec un pionnier de Lilongwe.
Aucun Témoin ne manifeste de l’amertume. Aucun ne pense à se venger (Rom. 12:17-19). Tout ce qu’ils souhaitent, c’est louer Jéhovah Dieu maintenant qu’ils sont libres de le faire. Ils sont impatients d’apprendre à utiliser tous les outils qui leur permettront d’être des enseignants efficaces dans leur ministère. À l’aide d’instruments comme les livres Comment raisonner à partir des Écritures et La connaissance qui mène à la vie éternelle, ainsi que les cassettes vidéo de la Société, ils aident des milliers de personnes intéressées par le message à entreprendre l’étude de la Bible.
Nous ne savons pas combien de temps Jéhovah nous laissera pour continuer de rechercher les humains qui sont “ dans la disposition qu’il faut pour la vie éternelle ”. (Actes 13:48.) Ce qui est certain, toutefois, c’est qu’il y a encore d’extraordinaires possibilités d’accroissement spirituel au Malawi. En juin 1998 a été enregistré un nouveau chiffre record de 42 770 proclamateurs ! En tout, ce sont 152 746 personnes qui ont assisté aux assemblées de district “ La voie de Dieu mène à la vie ” en 1998, et 120 412 au Mémorial de la mort du Christ un peu plus tôt cette année-là.
Oui, de très belles perspectives s’offrent aux Témoins de Jéhovah du Malawi. Avant que n’arrive le jour de Jéhovah, ils espèrent réussir à aider encore des milliers de personnes à acquérir la connaissance exacte de la Parole de Dieu. Ils attendent aussi le jour où ils pourront accueillir parmi les ressuscités les membres de leur famille et leurs amis chers, des chrétiens et des chrétiennes qui ont préféré mourir plutôt que de renoncer à leur précieuse foi. Ils attendent avec grande impatience le jour où le Malawi fera partie d’un paradis mondial dans lequel tous résideront en sécurité et où tous ceux qui aiment et servent Jéhovah vivront éternellement dans la perfection.
La foi des Témoins de Jéhovah du Malawi a été terriblement mise à l’épreuve. Leur intégrité malgré l’adversité a été source d’encouragement pour toute la communauté internationale de frères dont ils font partie. Leur empressement à prêcher la bonne nouvelle ‘ en époque favorable comme en époque difficile ’ restera un noble exemple (2 Tim. 4:2). Ceux qui font leur connaissance ne peuvent s’empêcher de penser qu’en rencontrant ces frères et sœurs, ils ont découvert le “ chaleureux cœur de l’Afrique ”.
[Carte, page 191]
(Voir la publication)
ZAMBIE
Camps de Sinda Misale
MALAWI
Lac Malawi
Lilongwe
Zomba
Blantyre
Mont Mulange
MOZAMBIQUE
Camps de Mlangeni
Camps de Milange
MOZAMBIQUE
[Illustration pleine page, page 148]
[Illustration, page 153]
Gresham Kwazizirah a été baptisé en 1925.
[Illustration, page 157]
Bill McLuckie dans le bureau de la Société à Zomba.
[Illustration, page 162]
Un village malawite typique.
[Illustration, page 165]
Alex Mafambana.
[Illustrations, page 170]
Les Témoins arrivent à l’assemblée près du mont Mulange en 1966.
[Illustration, page 177]
L’œuvre est interdite ; le portail de la filiale est condamné.
[Illustration, page 178]
Finley Mwinyere avait perdu sa maison, mais il se souciait de fortifier ses frères.
[Illustration, page 186]
Bill et Denise McLuckie.
[Illustration, page 192]
Estrade centrale où on assurait l’enseignement biblique et où on distribuait les tâches pour l’intendance du camp.
[Illustration, page 193]
Batson Longwe, surnommé “ sept à sept ”.
[Illustration, page 194]
Camp de réfugiés de Nazipoli, près de Mlangeni, dont les maisons ont été construites par les Témoins.
[Illustrations, pages 200, 201]
Alors qu’ils avaient déjà subi la prison, les Témoins continuaient de servir avec joie.
[Illustration, page 202]
Des messagers qui ont risqué leur liberté pour apporter la nourriture spirituelle à leurs frères.
[Illustration, page 204]
Durant l’interdiction, Ed et Linda Finch visitaient régulièrement le Malawi.
[Illustration, page 210]
Des anciens réunis pour un cours en plein air.
[Illustration, page 215]
Keith et Anne Eaton, Linda et Jack Johansson, heureux d’être revenus au Malawi.
[Illustrations, page 216]
Le Comité de la filiale (de haut en bas) : Lemon Kabwazi, Keith Eaton, Colin Carson.
[Illustrations, page 217]
En haut : des Témoins qui se sont portés volontaires avec enthousiasme pour nettoyer l’ancienne filiale après sa restitution.
À droite : des frères réceptionnent les publications envoyées par la filiale.
[Illustration, page 218]
Malcolm Vigo retrouve Widdas Madona qui avait servi avec lui à la filiale avant l’interdiction.
[Illustration, page 220]
Une Salle du Royaume au toit fait d’herbe. Six cents congrégations ont encore besoin d’une salle.
[Illustration, page 223]
Les Témoins continuent joyeusement de proclamer la bonne nouvelle du Royaume au Malawi.