Voyagerez-vous à bord d’un “Jumbo” ?
UN “JUMBO” ? En effet, c’est ainsi que l’on a surnommé le nouveau Boeing 747. Cependant, ce nouvel avion mérite-t-il son surnom qui signifie “éléphant” ou “géant” ? Une visite à l’usine où on le construit révèle effectivement que cet appareil est non seulement un géant, mais qu’il mérite encore le nom d’“Incroyable” que lui ont donné ses constructeurs. Lorsque je suis arrivé près de l’énorme usine, assez grande pour contenir plus de huit terrains de football, j’ai aperçu, brillant aux chauds rayons du soleil, le deuxième de ces appareils prêt à quitter la chaîne de montage. C’est le premier Boeing 747 à porter les couleurs (bleu, blanc et argent) de la ligne aérienne à laquelle il est destiné (la Pan-American).
En m’approchant de plus près, je me suis rendu compte des dimensions de ce mastodonte de l’air. Il est près de deux fois plus grand qu’un Boeing 707, un des avions à réaction actuels les mieux connus et les plus grands. La longueur totale du 747 est de 70 mètres, et la queue atteint une hauteur de près de 20 mètres, environ celle d’un immeuble de cinq étages. L’envergure est d’à peu près 60 mètres. La cabine a une largeur de 6 mètres ; elle est donc plus de 80 pour cent plus large que celle d’un Boeing 707. Quant au poids de ce monstre, il est de 320 tonnes au décollage. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’un appareil aussi énorme ressemble plutôt à un paquebot qu’à un avion.
En ce qui concerne sa vitesse de croisière, elle sera voisine de 1 000 kilomètres à l’heure ; le 747 sera donc un peu plus rapide que les avions à réaction actuels.
Cinq compartiments principaux
Mais assez de chiffres ! Jetons un coup d’œil à l’intérieur de l’avion afin de nous rendre compte de ses caractéristiques. Nous serons alors mieux à même de décider si nous aimerions voler dans cet appareil. Ses constructeurs l’ont décrit comme l’avion qui mettra fin à l’ère du “tube volant” et inaugurera l’ère de la “salle de séjour volante”. L’énorme fuselage est divisé en cinq compartiments principaux, alors que les long-courriers actuels n’en possèdent qu’un ou deux. Au lieu d’un seul couloir central, cet avion gros porteur en a deux qui s’étendent d’une extrémité à l’autre de la cabine. Ils sont coupés de cinq couloirs latéraux terminés par des doubles portes de chaque côté de la cabine. Signalons en passant que ces portes auront une hauteur d’environ deux mètres, un avantage pour les passagers très grands.
Une autre caractéristique du Boeing 747 est le salon situé derrière la cabine de pilotage. Celle-ci se trouve au-dessus de la cabine principale. Le pilote est donc à neuf mètres au-dessus du sol. Le poste d’équipage est plus spacieux et les instruments de navigation plus perfectionnés que dans les appareils actuels. Immédiatement derrière le poste de pilotage, donc au pont supérieur, se trouve le salon de première classe.
On se demande s’il existe vraiment des moteurs capables de faire décoller ce titan. Effectivement, il a fallu mettre au point de nouveaux turboréacteurs spéciaux dont chacun développe une poussée de près de 20 000 kilos. Ces moteurs sont non seulement plus puissants et plus grands que les turboréacteurs utilisés actuellement, mais ils sont moins bruyants et plus efficaces. L’entrée d’air a un diamètre de deux mètres quarante, ce qui donne une idée de leurs dimensions.
Plus de confort pour les passagers
“Mais, demanderez-vous peut-être, que signifieront toutes ces caractéristiques pour moi en tant que passager éventuel du nouvel avion ?” Les constructeurs du 747 promettent aux passagers un confort inconnu jusqu’à présent. Sans doute vous êtes-vous senti fort à l’étroit dans les avions à réaction actuels, un peu comme une sardine dans une boîte. On nous promet que même la classe économique du 747 n’aura pas cet inconvénient. Les fauteuils sont disposés en rangées de neuf, coupées par deux couloirs. Cependant, ils sont au moins dix pour cent plus larges que les sièges de classe économique des avions à réaction actuels. Dans ceux-ci, il est particulièrement désagréable d’occuper le siège du milieu d’un groupe de trois. Dans le 747, les rangées de neuf fauteuils ne comporteront qu’un groupe de trois sièges tout le long d’un côté de l’appareil. En outre, il ne sera pas nécessaire d’occuper le siège du milieu avant que l’avion ne soit rempli à 90 pour cent. Cette perspective de plus d’espace est certes attrayante.
Il y a également plus d’espace pour se déplacer, grâce aux deux longs couloirs et aux cinq couloirs latéraux aboutissant aux portes. Ces couloirs partagent la cabine, pourvue de plusieurs toilettes et cuisines, en cinq parties. Le service sera d’autant plus efficace.
La partie classe économique du 747 a des parois presque verticales et un plafond haut et plat. Le voyageur plus grand que la moyenne en est particulièrement reconnaissant. Toutes ces innovations donnent une impression d’espace qui manque dans les appareils actuellement en service.
Évidemment, en première classe, le confort est plus grand encore. Cette classe est située dans la partie avant de l’avion et ses fauteuils sont très larges et moelleux. Puisque le poste de pilotage se trouve au pont supérieur, la partie première classe du fuselage s’étend jusqu’au nez de l’appareil, disposition qui permet à certains des passagers d’avoir une “vue de pilote” du sol. Le salon situé derrière le poste de pilotage est, comme nous l’avons déjà dit, destiné aux passagers de première classe. Ils y accèdent par un escalier en colimaçon. Une quinzaine de personnes peuvent s’y détendre dans des fauteuils ou sur des canapés.
Puisque tout le monde ne peut avoir un siège près d’une fenêtre et regarder défiler le paysage, les constructeurs du Boeing 747 ont prévu des divertissements pour les passagers. Une ligne aérienne a déjà mis au point un nouveau système comportant dix programmes sonores, au choix du voyageur, depuis des conseils pour les touristes et des cours de français et d’allemand, jusqu’à de la musique stéréophonique (valses de Strauss ou morceaux plus modernes). L’avion sera muni en outre de six écrans cinématographiques pour ceux qui préfèrent regarder un film.
“Tout cela est très bien, direz-vous peut-être, mais j’ai encore une question à poser : lorsque j’arriverai à destination, devrai-je attendre longtemps ma valise ?” Il est vrai que la récupération des bagages constitue un problème pour beaucoup de passagers aériens, mais les constructeurs du 747 ont prévu une manipulation rapide des valises. Le chargement et le déchargement seront facilités grâce à des containers spéciaux qui épousent la forme du compartiment inférieur de l’avion. La soute, avec ses accessoires pour la manipulation des bagages, est logée dans le ventre de l’appareil.
La sécurité
Évidemment, aucun avion construit et piloté par des hommes imparfaits n’offre une sécurité absolue, mais celle de Boeing 747 est d’un degré très élevé, plus élevé sans doute que celle des avions à réaction actuels, en raison des progrès de la technologie. On m’a dit que le 747 possède quatre systèmes indépendants de servo-commandes. En cas de panne de l’un d’eux, un autre le remplace. Le pilote automatique est doublé, et les cadrans ont été simplifiés et agrandis, pour en faciliter la lecture. On prétend que le 747 est plus facile à piloter que le 707. Après le premier vol d’essai en février 1969, le pilote, enchanté, le qualifia d’“appareil de rêve”.
On a également accordé beaucoup d’attention à la stabilité de cet avion gros porteur. On dit qu’il est plus stable que d’autres appareils dans les turbulences et lors du décollage et de l’atterrissage.
Le 747 comporte bien d’autres dispositifs de sécurité. La cabine est revêtue d’une nouvelle matière ignifuge. En cas d’urgence, on peut évacuer les passagers en quatre-vingt-dix secondes grâce aux dix grandes portes à coulisse.
Le passager du 747 aura également la satisfaction de savoir que les essais de cet avion ont duré plus d’un an, qu’il a été vérifié et revérifié avant de recevoir le certificat du gouvernement des États-Unis autorisant sa mise en service. À l’usine Boeing, la cellule du 747 a été soumise, lors des essais au sol, à toutes sortes de charges et de fatigues beaucoup plus grandes que l’avion ne sera jamais appelé à en supporter. Ces essais ont permis aux constructeurs de contrôler la résistance de l’appareil et de connaître ses possibilités.
Les problèmes
Malgré tous ces avantages pour le voyageur éventuel, il reste encore des problèmes à résoudre. Bien que très spacieux et confortable, le 747 est destiné à transporter beaucoup de passagers. Il peut en contenir jusqu’à 490, mais la plupart des lignes aériennes se contenteront d’y admettre de 360 à 370 personnes.
Cependant, les aéroports sont-ils prêts à accueillir les gros porteurs ? Ce seul avion, le “Jumbo”, exigera des installations presque entièrement nouvelles dans tous les aéroports où il atterrira. Entre autres, il faut construire à son intention un tracteur spécial qui pèse autant qu’un DC-6 chargé et qui est assez puissant pour remorquer trois Boeing 707. Ce tracteur coûtera environ 625 000 francs français. Et pourtant, il s’agit là d’un seul élément de l’équipement nouveau et coûteux que nécessitera cet avion géant.
Des aérogares plus grandes seront nécessaires pour recevoir le nombre accru de passagers qui débarqueront lorsqu’un 747 atterrira. La plupart des aérogares sont déjà trop petites pour le trafic actuel. Bien sûr, les gros porteurs réduiront l’encombrement des routes aériennes et des pistes, car un de ces appareils transportera autant de passagers que trois Boeing 707. Cependant, si le nombre d’appareils qui arriveront diminuera, le nombre de passagers qui débarqueront en quelques minutes augmentera considérablement, fait dont il faut tenir compte.
La mise en service de cet avion est donc très coûteuse, car en plus de l’achat de l’appareil, il faut de nouvelles installations au sol. À elle seule, la Pan-American a prévu une dépense de plus de 900 millions de francs français pour la construction de ces installations dans divers pays. De plus, chaque appareil coûtera dans les cent millions de francs. C’est pourquoi l’achat et l’exploitation de ce gros porteur exigent un capital énorme.
Un autre problème consistera à remplir l’avion. On propose donc une diminution des tarifs, dans l’espoir que le 747 sera néanmoins rentable. Évidemment, les voyageurs accueilleront avec joie un tarif plus bas.
Malgré son prix et les problèmes qu’il pose, le 747 se vend bien. Les plus grandes compagnies aériennes ont déjà commandé plus de 200 de ces avions géants, les vingt-cinq premiers ayant été achetés par la Pan-American. Finalement, un 747 sortira tous les deux jours et demi de l’usine Boeing d’Everett, dans l’État de Washington.
Vous pourrez essayer ce nouvel avion bientôt, car sa mise en service sur la ligne New York-Londres est prévue pour janvier 1970. La seconde génération d’avions à réaction a donc vu le jour. Si vous avez l’habitude d’emprunter la voie des airs, il est fort probable qu’en 1970 vous voyagerez en gros porteur.