Le riz — de la rizière à la casserole
De notre correspondant au Japon
Avec quelques recettes à votre intention
L’AUTEUR d’un ouvrage fort ancien intitulé Le royaume du Japon écrivit qu’autrefois les Japonais “se nourrissaient principalement d’herbes, de poisson, d’orge et de riz”. Quatre siècles plus tard, cette constatation n’a toujours pas changé. Le riz reste l’aliment de base des Japonais.
En japonais, on emploie plusieurs mots pour désigner le riz. La préparation la plus courante s’appelle gohan, qui peut se traduire par “aliment cuit” ou, littéralement, “honorable riz bouilli”. Et pourtant, lorsqu’on pose un plat de gohan sur la table, c’est l’aboutissement d’une quantité impressionnante de travaux préliminaires. La production du grain de riz ou okome commence dans la rizière.
Le point de départ
Le riz (Oryza sativa) est une plante annuelle de la famille des graminées, dont il existe, paraît-il, 1 400 variétés. Dès le début du mois d’avril, le cultivateur se met à l’ouvrage en retournant la terre de sa rizière. Comme les exploitations sont généralement de dimensions modestes, on n’utilise pas de grosses machines agricoles. Bien que le petit matériel soit parfois employé pour préparer le sol, le labourage se fait encore par endroits avec des bœufs attelés à une charrue rudimentaire.
Aux tout premiers jours de mai, on ensemence avec du riz brut certaines parcelles de la rizière soigneusement préparées. Comme l’irrigation des champs coïncide avec l’ensemencement, ces parcelles sont nécessairement situées au-dessus du niveau général de la rizière. La germination se fait en un mois, et les riches plants verts et drus sortent de la terre en bouquets compacts.
En principe, les pluies arrivent dans la seconde semaine de juin, avec la mousson d’été. Aux approches de la troisième semaine de juin, on note un regain d’activité dans les rizières. C’est en effet à ce moment-là qu’il faut consolider les levées de terre qui servent à retenir les eaux, en y repiquant des plants pourvus de racines vigoureuses.
Avant de procéder au repiquage des plants, on retourne à nouveau le sol de la rizière et on élimine toutes les mauvaises herbes. Les hommes attachent à des sortes de grosses tondeuses à gazon des cordes reliées à un simple plateau de bois. Ils grimpent sur ce char improvisé et aplanissent le sol de la rizière.
Les membres de la famille, les amis, les voisins, tous viennent donner un coup de main pour arracher les plants, qui sont ensuite entassés, liés en bottes et déposés dans des paniers. Portant chacun deux paniers à l’aide d’un bâton passé sur leurs épaules, les fermiers déversent les bottes de plants à des endroits précis de la rizière.
Repiquage et soins des plants
C’est alors que commence le travail harassant du repiquage. Hommes, femmes et enfants s’avancent dans la rizière boueuse. Aux termes de la loi, tous doivent avoir les jambes et les pieds protégés par des bottes confortables qui n’entravent pas les mouvements. Chacun va travailler dans une rangée délimitée par une ficelle tendue en travers de la rizière. Le paysan, sa botte de plants à la main, en prélève de deux à cinq brins à la fois et les repique aux endroits qui se trouvent directement à portée de sa main, en les espaçant de 20 à 30 centimètres. Quand une rangée est terminée, deux personnes déplacent la ficelle et la tendent un peu plus loin, pour délimiter la rangée suivante. Ainsi, heure après heure, le travail progresse jusqu’à ce que tous les plants aient été repiqués dans chaque rizière. Pour les travailleurs éreintés, la journée ne finit souvent qu’à la nuit tombée.
Un citadin qui se promènerait le soir dans les rizières ne manquerait pas d’être surpris par le vacarme assourdissant qui en émane. Le tapage, qui évoque le passage d’un train de marchandises, est dû à des envahisseurs bien inoffensifs, les grenouilles. Celles-ci aiment beaucoup s’ébattre dans les champs inondés et elles manifestent leur joie en s’époumonant et en coassant toute la nuit.
Tous les jours, le paysan vient inspecter la rizière. En effet, si l’eau monte trop haut, elle risque de noyer les plants. Inversement, il faut colmater les galeries creusées par les rats dans les levées de terre, si l’on veut éviter une baisse catastrophique du niveau de l’eau. À intervalles réguliers, on répand des pesticides sur les plants et on surveille constamment s’il apparaît des insectes nuisibles ou des maladies.
Avec le mois de juin commence la saison des pluies, aussi le temps humide et chaud fait-il proliférer une infinité de mauvaises herbes. Les paysannes à l’œil exercé détectent ces indésirables et les arrachent. D’un pas pesant, elles répandent entre les rangées de plants un désherbant inoffensif pour le riz. Ainsi, chaque plant va croître jusqu’à une hauteur d’environ un mètre vingt, si bien qu’on ne distinguera bientôt plus que les chapeaux des travailleurs qui vont et viennent dans la rizière.
Des efforts récompensés
Les rizières sont asséchées juste avant la moisson. Bien qu’il soit possible d’utiliser des moissonneuses, les dimensions des exploitations ne justifient généralement pas leur emploi. En octobre, chaque paysan armé de sa faucille détache les tiges poignée par poignée. Celles-ci sont ensuite rassemblées, liées en gerbes et déposées sur un cadre de bois suspendu par des piquets au-dessus du champ. Les tiges resteront là à sécher pendant deux à trois jours.
Le battage se fait dans les rizières asséchées. On utilise des machines légères et d’utilisation commode. Les gerbes de riz sont introduites à la main dans la batteuse, et le grain est recueilli d’un côté, tandis que la bale est soufflée dans la direction opposée.
La paille de riz et la bale vont servir à de multiples usages, notamment comme engrais, comme combustible, pour emballer des marchandises et pour rembourrer des coussins. À l’échelle nationale, ce sont entre 12 et 13 millions de tonnes de riz qui sont récoltées ainsi chaque année.
Au cours des nombreuses manipulations que le riz subit avant d’aboutir à la casserole, il perd malheureusement l’essentiel de sa valeur nutritive, car la grande majorité des consommateurs préfèrent le riz blanc et poli. Comme ce riz ne constitue pas un aliment complet, le régime alimentaire du Japonais doit être équilibré par des produits de complément, légumes verts, viandes et poissons.
La cuisine
Il faut tout d’abord procéder à la cuisson. Comptez une demi-tasse de riz cru par personne. Lavez-le soigneusement sous un filet d’eau froide, jusqu’à ce que celle-ci coule claire. Mettez ensuite le riz dans une passoire et laissez-le égoutter une heure avant de le faire cuire. C’est la qualité du riz qui commande la quantité d’eau à mettre. Par exemple, avec le riz asiatique, on compte en moyenne un volume d’eau équivalent à celui du riz plus un quart, alors qu’avec du riz européen ou américain, on compte un volume d’eau égal à celui du riz plus trois quarts. Mais, de toute façon, rien ne remplace l’expérience personnelle.
Mettez ensuite le riz et l’eau dans une cocotte que vous couvrirez à l’aide d’un couvercle assez lourd. Amenez promptement à ébullition, puis réduisez le feu et laissez cuire doucement pendant une vingtaine de minutes, le temps que le riz ait absorbé toute l’eau. Sans ôter le couvercle, montez alors le feu durant 20 ou 30 secondes, puis retirez la casserole. Laissez alors reposer le riz entre 10 et 20 minutes avant de le servir. Ainsi étuvé, il gonflera mieux.
Voyons maintenant comment équilibrer le régime alimentaire avec les compléments indispensables. Ne croyez pas que la cuisine japonaise soit plus compliquée que les autres; elle serait même parfois plus simple. Le repas japonais de base comporte un potage léger ou bien une soupe épaisse à base de miso, une purée de légumes secs, ensuite vient le plat de résistance, et le repas se termine avec du riz nature bouilli et accompagné de condiments.
Le déjeuner japonais
En japonais, le donburi est un “bol en porcelaine”, mot qui en est venu à désigner le contenu habituel de ce récipient, à savoir du riz cuit sur lequel on verse des préparations arrosées de sauce. Économique et facile à préparer, ce “bol” constitue un en-cas très apprécié en milieu de journée. Il permet à la ménagère japonaise d’accommoder les restes de toutes sortes, car presque tous les aliments conviennent, aussi bien la viande que le poisson ou les légumes.
L’un des “bols” préférés des Japonais est l’oyako donburi, nom qui signifie “bol parent-enfant”, le “parent” étant un morceau de poulet et l’“enfant” un œuf. Pourquoi n’essaieriez-vous pas cette préparation?
Pour six personnes, comptez trois tasses de riz, 350 grammes de poulet désossé, deux naganegi (sorte d’oignon vert allongé et charnu) ou une botte de petits oignons nouveaux, quatre œufs, trois tasses de bouillon de poule, trois quarts de tasse de sauce au soja et trois quarts de tasse de vin blanc ordinaire. Faites cuire le riz comme indiqué plus haut. Découpez le poulet en cubes de grosseur moyenne et émincez les oignons (y compris la partie verte). Mettez le bouillon dans une casserole avec la sauce au soja et le vin blanc. Portez à ébullition et ajoutez immédiatement le poulet. Laissez frémir cinq minutes, ajoutez les oignons et comptez encore une minute de cuisson. Vérifiez si le bouillon est assaisonné à votre goût. Cassez alors les œufs dans un saladier et battez-les bien. Ramenez le bouillon à ébullition et versez doucement les œufs en une seule fois. Laissez sur feu vif, jusqu’à ce que le mélange commence à bouillir sur les bords de la casserole, puis réduisez le feu au minimum et couvrez. Arrêtez la cuisson au bout de trois minutes. Les œufs doivent former à présent une masse molle, dont l’aspect rappelle celui des œufs brouillés. Versez le riz cuit, ou gohan, dans des bols individuels. Ajoutez à la louche le poulet et les œufs, et arrosez avec le bouillon. Décorez à volonté avec des brins de persil haché.
Le régal des Japonais
Si la cuisine exotique ne vous fait pas peur, vous pourriez vous lancer dans la préparation du chirashi-zushi. Commencez par faire bouillir du riz pour quatre personnes. Il vous faudra ensuite du vinaigre, du sel, du sucre, du saké (alcool de riz), deux œufs, 100 grammes de chacun des légumes suivants: haricots verts, carottes, racines de lotus (si vous en trouvez) et gingembre frais ou en conserve, 200 grammes de petites crevettes cuites décortiquées et quatre champignons séchés.
Mettez le riz dans une grande casserole avec deux cuillères à café de sel, deux cuillerées à soupe de sucre et deux cuillerées et demie de vinaigre, et mélangez bien le tout. Coupez les haricots verts en morceaux et faites-les bouillir quelques minutes en veillant à ce qu’ils restent fermes. Égouttez-les et assaisonnez-les avec un quart de cuillerée à café de sel et une demi-cuillerée à café de sucre, et mettez en attente. Faites alors cuire les divers ingrédients à tour de rôle dans le même bouillon, en finissant par les champignons. Ce bouillon se compose d’une tasse d’eau bouillante, à laquelle on ajoute une demi-tasse de sauce au soja, un quart de tasse de saké et une demi-tasse de sucre. Portez-le à ébullition et réduisez le feu. Coupez les carottes en rondelles ou en petits morceaux et faites-les cuire dans le bouillon jusqu’à ce qu’elles soient bien tendres. Ôtez-les alors du bouillon et mettez à la place les racines de lotus pelées et émincées. Faites cuire à feu doux. Mettez dans un bol les œufs accompagnés d’une cuillerée à soupe de sauce de soja et battez-les bien. Faites-en une omelette que vous émincerez ensuite. Égouttez les champignons mis à tremper, coupez-les en morceaux et faites-les cuire deux minutes dans le bouillon. Le moment est venu d’émincer le gingembre le plus finement possible. Il ne reste qu’à mélanger les crevettes, les carottes et les champignons avec le riz et à disposer cette préparation dans quatre assiettes en la dressant en dôme. Disposez artistement le reste des ingrédients sur le dessus et coiffez l’ensemble avec le gingembre.
À présent, régalez-vous. Et, pendant que vous savourez le bon goût de cette cuisine, n’oubliez pas tout le travail qui a été accompli par les fermiers dans les rizières.