Le vinaigre: un acide bien agréable
De notre correspondant en France
L’utilisation du vinaigre remonte à fort longtemps. Les légionnaires romains le buvaient mêlé d’eau. Ils l’appelaient acetum.
ON APPELLE aujourd’hui “acide acétique” le composant de base du vinaigre, celui-ci provenant de la fermentation acétique des liquides alcooliques tels que le vin.
Le mot vinaigre est composé de deux mots: vin et aigre. Mais comment au juste le vin devient-il aigre pour se transformer en vinaigre?
L’œuvre de bactéries
Laissez une bouteille de vin ouverte dans une pièce chaude pendant plusieurs semaines, et une pellicule se formera à la surface du liquide. Cette pellicule est constituée d’une concentration de cellules, de micro-organismes présents dans l’air. Ils se sont posés sur le vin, car il s’agit là d’un environnement propice à leur multiplication.
Et maintenant, goûtons. Quelle déception! Notre vin a fermenté, et il est devenu aigre; c’est maintenant du vinaigre. Qui est responsable de cette transformation? Un animal microscopique appelé Acetobacter aceti. Offrez-lui n’importe quelle quantité de vin, de bière ou de cidre, cette bactérie s’y développe à merveille tant que le degré d’alcool n’excède pas 12°.
Les scientifiques la qualifient, elle et sa famille, d’aérobies parce qu’elles ne survivent pas sans oxygène. Voilà pourquoi cette bactérie ne peut travailler qu’à la surface du liquide; si elle coule, c’est la mort par asphyxie, ce qui arrêterait le processus par lequel la boisson alcoolique se transforme en vinaigre.
Acetobacter et ses amies deviennent si nombreuses à la surface du vin qu’elles forment une membrane visqueuse appelée mère de vinaigre. Frileuses, c’est autour de 30 °C qu’elles travaillent le mieux.
Maintenant que nous en savons un peu plus sur le vinaigre, visitons une fabrique traditionnelle à Orléans, capitale française du vinaigre.
La méthode orléanaise
Nous pénétrons dans un immense entrepôt abritant des tonneaux, des fûts et des cuves de toutes formes et de toutes tailles. Certains sont en chêne, d’autres en inox. Un certain nombre servent à stocker le vin lorsqu’il arrive. C’est dans ceux-là que le maître vinaigrier mélange et coupe son millésime, tout en amenant le titre d’alcool à 8 ou 9°. D’autres conteneurs servent à stocker le vinaigre et à le faire vieillir. Finalement, nous arrivons à la partie la plus importante, là où le vin est transformé en vinaigre dans des fûts de 225 litres.
Ces grands fûts alignés sont ainsi placés à l’horizontale pour faire qu’un maximum de vin soit en contact avec l’air, lequel pénètre par un petit trou, ou “œil”, situé dans la partie supérieure de la paroi du tonneau; ce trou permet également au maître vinaigrier de surveiller la fermentation. Tout cela explique pourquoi on ne remplit les fûts qu’aux quatre cinquièmes de leur capacité. Le vin est versé à une température de 30 °C environ, et on lui ajoute une petite dose de bactéries du vinaigre. Celles-ci se mettent au travail, et, trois ou quatre jours plus tard, la mère recouvre la surface du vin.
En deux ou trois semaines, la première “cuvée” de vinaigre est prête. On en soutire une cinquantaine de litres par le robinet situé sur le bas de la paroi du tonneau, puis on le remplace par une quantité équivalente de vin, tout en veillant à ne pas abîmer la pellicule de bactéries qui recouvre la surface.
Environ trois semaines plus tard, on peut à nouveau soutirer la même quantité de vinaigre, et ainsi de suite. Grâce à cette méthode, un fût produit en moyenne deux à trois litres de vinaigre par jour. Cela semble peu de chose, mais la fabrique que nous visitons possédant 2 500 tonneaux, sa production annuelle se compte en centaines de milliers de litres.
Le vinaigre doit maintenant subir divers traitements suivant la qualité souhaitée. Ainsi, il sera débarrassé de ses impuretés, puis on le filtrera pour le clarifier. On le laissera ensuite vieillir plusieurs mois dans de grands fûts en chêne. Finalement, il sera mis en bouteilles avant d’être expédié dans le monde entier.
Si la méthode orléanaise est toujours utilisée dans la fabrication du vinaigre, d’autres procédés ont été mis au point au fil des ans pour sans cesse améliorer et accélérer l’acétification. Citons notamment celui de la fermentation immergée: on injecte constamment de l’air dans le liquide alcoolique, et l’oxygénation ainsi produite favorise un développement rapide des bactéries, avec à la clé un rendement supérieur.
Variété des utilisations
Le vinaigre a une longue histoire. La Bible fait mention de lui, tant dans les Écritures hébraïques que dans les Écritures grecques (Nombres 6:3; Jean 19:29, 30). Ses vertus médicinales sont reconnues depuis des siècles, et Hippocrate en prescrivait à ses patients. On le prenait en inhalations comme stimulant et reconstituant, au même titre que les sels. Dilué dans l’eau, il possède des propriétés légèrement antiseptiques. Quant aux ménagères, elles l’utilisent en addition dans l’eau pour laver la salade ou comme nettoyant domestique à usages multiples.
La vraie vocation du vinaigre reste cependant culinaire. Parce qu’il empêche les micro-organismes de se développer, on l’utilise dans les marinades de viande et de poisson, ou encore pour faire macérer des fruits et nombre de légumes, tels que les oignons, les cornichons et le chou-fleur. D’autre part, il rehausse la saveur des salades, des sauces, des ragoûts et de bien d’autres préparations.
Ainsi, la prochaine fois que vous vous mettrez à table, rappelez-vous que le mets que vous dégustez doit peut-être de sa saveur au vinaigre, un acide bien agréable.