Maris et femmes parlent-ils vraiment un langage différent?
GUILLAUME, l’air accablé, pénètre d’un pas lourd dans le bureau de Jean-Louis. Levant vers son collègue un regard amical, ce dernier attend qu’il parle. “Je ne sais pas si je vais arriver à conclure cette affaire, soupire Guillaume; il y a tellement d’obstacles imprévus. Et la direction qui n’arrête pas de me relancer!” “Pourquoi t’inquiètes-tu, Guillaume? le rassure Jean-Louis. Tu sais bien que tu es le mieux placé pour ce travail, et, eux aussi, ils le savent! Prends ton temps, voilà tout. Tu crois que c’est dramatique? Regarde, moi, pas plus tard que le mois dernier...” Et Jean-Louis de raconter les détails amusants d’un petit échec personnel. Quelques instants plus tard, Guillaume quitte le bureau, le sourire aux lèvres, réconforté. Jean-Louis est très heureux d’avoir pu remonter le moral à son ami.
En rentrant chez lui, ce jour-là, Jean-Louis s’aperçoit que sa femme, Barbara, semble, elle aussi, abattue. La saluant avec plus de gaieté que de coutume, il attend qu’elle dise ce qu’elle a sur le cœur. Un silence pesant s’installe, puis elle se décide. “Je n’en peux plus, lâche-t-elle. Ce nouveau patron, c’est un vrai tyran!” Jean-Louis la fait asseoir et, lui passant le bras autour des épaules, il lui dit: “Voyons ma chérie, il ne faut pas te mettre dans cet état! Ce n’est qu’un travail après tout. Les patrons sont comme ça, tu sais. Tiens, tu aurais dû entendre le mien fulminer toute la journée. Maintenant, si tu trouves que c’est trop difficile, tu n’as qu’à démissionner.”
La réponse jaillit, cinglante: “Tu te moques bien de ce que je peux ressentir! Tu ne m’écoutes jamais. Démissionner? Je ne peux pas démissionner! Tu ne ramènes pas assez d’argent!” Sur ces mots, Barbara court s’enfermer dans sa chambre pour pleurer tout son soûl, laissant son mari, abasourdi, planté devant la porte close à se demander ce qui vient de se passer. Pourquoi les paroles de réconfort de Jean-Louis ont-elles eu des effets si différents sur Guillaume et sur Barbara?
Fossé des genres?
Certains attribueront cette différence de réaction à un seul fait: Guillaume est un homme; Barbara est une femme. Des linguistes pensent que les difficultés de communication entre mari et femme tiennent souvent à la différence de genre. Des ouvrages comme Décidément, tu ne me comprends pas! et Les hommes sont de Mars, les femmes de Vénus (angl.) défendent l’idée selon laquelle les hommes et les femmes, tout en parlant le même langage, ont des modes de communication distincts.
Quand il a créé la femme à partir de l’homme, Jéhovah ne s’est manifestement pas borné à réaliser une copie légèrement modifiée du modèle. Avec beaucoup de subtilité et de délicatesse, il a fait en sorte que l’homme et la femme se complètent l’un l’autre sur les plans physique, affectif, mental et spirituel. Sur ces différences innées viennent se greffer les apports complexes de l’éducation, du passé, ainsi que l’influence de la culture, de l’environnement et de la conception qu’a la société de ce qui est masculin ou féminin. Eu égard à ces facteurs, il doit être possible d’isoler certains critères de communication propres aux hommes ou aux femmes. Cela dit, l’homme ou la femme “type” est difficile à cerner et n’existe peut-être que dans les livres de psychologie.
Si la sensibilité est un trait typiquement féminin, cela n’empêche pas de nombreux hommes de montrer une grande douceur dans leurs rapports avec autrui. De même, on dira que la logique est une qualité plutôt masculine; pourtant, bien des femmes possèdent un sens aigu de l’analyse. Ainsi, il n’existe aucun trait de personnalité qui soit exclusivement masculin ou féminin. Mais une chose est sûre: savoir comment l’autre perçoit les choses peut faire toute la différence entre une cohabitation pacifique et la guerre ouverte. C’est particulièrement vrai dans le mariage.
La communication au sein du couple est une prouesse au quotidien. Nombre de maris sagaces peuvent témoigner des dangers que recèle une question aussi innocente que “Comment trouves-tu ma nouvelle coiffure?” Plus d’une femme diplomate a appris en voiture à ne plus poser continuellement la question “Pourquoi ne demandes-tu pas ton chemin?” à son mari, qui ne trouve pas sa route. Plutôt que de considérer les “manies” de l’autre avec mépris, tout en s’accrochant obstinément aux siennes sous prétexte que l’“on est comme on est”, des conjoints qui s’aiment regarderont au delà des apparences. Non pour analyser froidement le mode de communication de l’autre, mais afin de plonger un regard attentionné dans son cœur et dans son esprit.
Si chaque individu est unique, il en est de même de l’entité que forment deux personnes mariées. Puisque nous sommes imparfaits, une authentique communion des cœurs et des esprits ne peut être le fruit du hasard; elle réclame au contraire de grands efforts. Par exemple, il est facile de supposer que les autres partagent notre perception des choses. Souvent, nous comblons leurs besoins comme nous aimerions qu’ils satisfassent les nôtres, nous efforçant peut-être en cela de suivre la Règle d’or: “Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, vous devez, vous aussi, le faire de même pour eux.” (Matthieu 7:12). Toutefois, ces paroles de Jésus ne veulent pas dire que ce qui vous conviendrait sera nécessairement bon pour les autres. Ne souhaitez-vous pas que les autres vous donnent ce que vous voulez ou ce dont vous avez besoin? Par conséquent, ce que vous devriez leur donner, c’est ce dont ils ont besoin. Pareille attitude est particulièrement importante dans le mariage, chaque conjoint s’étant engagé à satisfaire au mieux les besoins de l’autre.
Barbara et Jean-Louis ont pris cet engagement il y a deux ans. Et depuis, ils sont heureux en mariage. Pourtant, même s’ils estiment se connaître assez bien l’un l’autre, des situations surgissent parfois qui révèlent un sérieux problème de communication que les bonnes intentions seules ne peuvent résoudre. “Le cœur du sage fait que sa bouche se montre perspicace”, lit-on en Proverbes 16:23. La perspicacité est effectivement la clé de la communication. Voyons quelles portes elle ouvre dans le cas de Barbara et de Jean-Louis.
La perception masculine
Jean-Louis évolue dans un univers de compétition où chaque élément masculin doit assumer sa place dans la société, qu’il soit subordonné ou supérieur selon les cas. La communication lui sert à établir sa position, sa compétence ou sa valeur. Très attaché à son indépendance, il a tendance à rechigner quand on lui donne des ordres sur un ton péremptoire. Le message sous-entendu “Tu ne fais pas ton travail” le hérisse, même si la demande est logique.
Jean-Louis converse essentiellement pour échanger des informations. Il aime parler de faits, d’idées et de choses qu’il a apprises.
Quand il écoute, Jean-Louis interrompt rarement son interlocuteur, même par des “hmm! hmm! d’accord”, tout occupé qu’il est à emmagasiner les informations. Mais s’il n’est pas d’accord, il n’hésitera pas à le dire, surtout si c’est un ami qu’il a en face de lui. Il montre ainsi son intérêt pour le sujet, en explorant toutes les possibilités.
Quand il rencontre des difficultés, il préfère trouver des solutions seul. Dans ces moments, il fait le vide autour de lui. Ou bien il se plonge dans quelque divertissement pour chasser temporairement le problème de son esprit. Il n’en parle que s’il cherche conseil.
Si un homme qui a un problème vient le trouver, comme l’a fait Guillaume, Jean-Louis estime qu’il est de son devoir de l’aider, sans pour autant lui faire entendre qu’il est incompétent. En général, il agrémentera ses conseils de mésaventures dont il a lui-même été victime, afin de montrer à son ami qu’il n’est pas le seul dans son cas.
Jean-Louis aime les activités entre amis. Il conçoit la compagnie comme l’occasion de faire des choses ensemble.
Il perçoit le foyer comme un refuge, un endroit hors de l’arène où il n’a plus à parler pour s’affirmer, où il est accepté, aimé, apprécié et où on lui fait confiance. Même ainsi, il éprouve parfois le besoin d’être seul, sans que Barbara y soit forcément pour quelque chose. Il a seulement besoin d’un peu de solitude. Il a du mal à confier ses craintes, ses incertitudes et ses peines à sa femme. Il ne veut pas qu’elle s’inquiète. Estimant qu’il lui appartient de prendre soin d’elle et de la protéger, il a besoin de sentir qu’elle lui fait confiance. Il attend son soutien, pas sa pitié. Autrement, il se sent incompétent ou inutile.
La perception féminine
L’univers de Barbara est celui des relations humaines. Pour elle, il est important d’établir et de renforcer ces liens, et la discussion est pour cela un moyen privilégié.
Elle éprouve une dépendance naturelle vis-à-vis de son mari. Elle souhaite que Jean-Louis tienne les rênes de la famille, mais elle se sent aimée quand il lui demande son avis avant de prendre une décision. Quand elle-même doit prendre une décision, elle consulte volontiers son mari, pas tant pour recevoir des conseils que pour lui témoigner sa confiance et marquer leur intimité.
Barbara a beaucoup de mal à demander directement quelque chose. Elle ne veut pas harceler son mari ou lui donner l’impression qu’elle n’est pas heureuse. Elle préfère attendre qu’il remarque quelque chose ou glisser des allusions.
Dans les conversations, Barbara s’arrête sur les menus détails et pose beaucoup de questions, comportement normal compte tenu de sa sensibilité et du grand intérêt qu’elle porte aux gens et aux relations humaines.
Quand elle écoute quelqu’un, elle ponctue les propos de son interlocuteur d’interjections, de signes de tête ou de questions pour montrer qu’elle suit et s’intéresse à ce qui est dit.
Elle s’efforce de déterminer intuitivement ce dont les gens ont besoin. Offrir son aide sans avoir été sollicitée est pour elle une belle marque d’amour. Barbara veut surtout aider son mari à progresser et à s’améliorer.
Face à une difficulté, il lui arrive de se sentir submergée. Elle éprouve alors le besoin de parler, moins pour trouver une solution que pour exprimer ce qu’elle ressent. Elle a besoin de savoir que quelqu’un la comprend et se soucie d’elle. Sous le coup de l’émotion, elle peut être excessive dans ses propos. Le reproche “Tu ne m’écoutes jamais!” n’est pas à prendre au premier degré.
La meilleure amie d’enfance de Barbara n’était pas la fille qui partageait ses activités, mais celle avec qui elle pouvait parler de tout. Dans le mariage, elle recherche donc moins les activités à l’extérieur du foyer qu’un auditeur capable de la comprendre et à qui elle puisse confier ce qu’elle ressent.
Le foyer est un endroit où Barbara peut parler sans se sentir jugée. Elle n’hésite pas à révéler ses craintes et ses soucis à Jean-Louis. Elle n’a pas honte de lui demander de l’aide, car elle a la certitude que son mari est là pour prendre soin d’elle et qu’il se soucie assez d’elle pour l’écouter.
En général, elle se sent aimée et protégée dans son mariage. Mais il arrive que, sans raison apparente, ce sentiment vacille, et il lui faut alors impérieusement de la compagnie et quelqu’un qui la rassure.
Bien que complémentaires, Jean-Louis et Barbara sont donc très différents. Même si tous deux s’efforcent sincèrement de se témoigner un amour et un soutien mutuels, leurs différences peuvent porter en elles le germe de graves malentendus. Voyons comment chacun a perçu la scène de ménage décrite plus haut.
La scène vue par chacun
“À l’instant où j’ai franchi la porte, j’ai bien vu que Barbara n’avait pas le moral, se rappelle Jean-Louis. Je me suis dit qu’elle m’expliquerait ce qui n’allait pas quand elle en aurait envie. Le problème ne m’a pas semblé très grave. J’ai pensé qu’il suffirait de lui faire comprendre qu’il n’y avait pas de quoi se mettre dans cet état et que la solution était toute simple pour qu’elle se calme. Elle m’a fait beaucoup de peine quand elle m’a accusé de ne jamais l’écouter, alors que c’est précisément ce que je venais de faire. J’ai eu l’impression qu’elle me rendait responsable de toute sa détresse.”
“La journée avait été catastrophique, explique Barbara. Je savais que Jean-Louis n’y était pour rien, mais quand il est rentré à la maison tout guilleret, j’ai eu l’impression qu’il faisait exprès de ne pas voir mon chagrin. Pourquoi ne m’a-t-il pas demandé ce qui n’allait pas? Quand je le lui ai expliqué, il m’a fait comprendre que j’étais une idiote, que tout cela n’était que broutilles. Au lieu de me dire qu’il me comprenait, il a fallu que M. Je-sais-tout trouve une solution au problème. Ce n’était pas de solutions que j’avais besoin, c’était de quelqu’un qui me comprenne.”
Malgré ce que pourrait laisser supposer cette petite scène de ménage, Jean-Louis et Barbara s’aiment profondément. Comment la perspicacité pourrait-elle les aider à mieux exprimer cet amour?
En se mettant à la place de l’autre
Jean-Louis a pensé qu’il serait indiscret de demander à Barbara ce qui n’allait pas. Il a donc fait pour elle ce qu’il aurait aimé que les autres fassent pour lui dans cette situation: il a attendu qu’elle s’ouvre et se confie. Désormais, Barbara n’était plus seulement triste à cause de sa dure journée, mais aussi parce que son mari semblait ne pas vouloir la réconforter. Loin de voir dans son mutisme une marque de considération et de délicatesse, elle l’a interprété comme de l’indifférence. Quand elle s’est décidée à parler, Jean-Louis l’a écoutée sans l’interrompre. Elle a alors eu l’impression qu’il n’était pas vraiment à l’écoute de ses sentiments. Pour finir, voilà qu’au lieu de se mettre à sa place il lui propose une solution. C’est comme s’il lui avait dit: ‘Tu as tort d’en faire tout un plat. Ta réaction est excessive. Regarde comme ce petit problème est facile à résoudre.’
La situation n’aurait certainement pas dégénéré si chacun avait été capable de se mettre à la place de l’autre. Voici comment les choses auraient pu se passer:
En rentrant à la maison, Jean-Louis trouve Barbara dans tous ses états. “Qu’est-ce qui ne va pas, chérie?” lui demande-t-il doucement. Éclatant en sanglots, Barbara vide son cœur. Elle ne dit pas: “Tout ça, c’est ta faute!” ni ne laisse entendre à son mari qu’il n’en fait pas assez. Jean-Louis la prend dans ses bras et l’écoute patiemment. Quand elle a terminé, il dit: “Je suis désolé pour toi. Je comprends que tu sois si contrariée.” “Merci de m’avoir écoutée, lui répond Barbara. Je me sens beaucoup mieux maintenant que je sais que tu me comprends.”
Malheureusement, au lieu de surmonter leurs différences, nombre de couples préfèrent divorcer. L’absence de communication fait des ravages dans beaucoup de foyers. Des disputes éclatent qui ébranlent le fondement même du mariage. Comment cela se produit-il? L’article suivant l’explique et dit comment ne pas en arriver là.