La myopie corrigée de Hubble
‘La myopie de qui?’ demanderez-vous peut-être. La myopie du télescope spatial Hubble, ce bijou technologique de 1,6 milliard de dollars dont le mal s’est soudain révélé en 1990.
LE TÉLESCOPE spatial Hubblea est “probablement le satellite scientifique le plus sophistiqué jamais construit”, explique dans l’Encyclopédie internationale d’astronomie (angl.) le professeur Robert Smith, de l’Université Johns Hopkins. Dans son livre Les guerres de Hubble (angl.), Eric Chaisson en parle comme de “l’observatoire le plus grand, le plus complexe et le plus puissant jamais envoyé dans l’espace”. “Le code informatique de quatre millions de lignes nécessaire pour en commander et en contrôler quotidiennement les opérations (un des codes les plus longs du secteur civil) témoigne du haut degré de complexité de Hubble”, explique l’auteur dans la revue Astronomy. Cet observatoire tourne en orbite à 615 kilomètres au-dessus de nos têtes; soit bien au-dessus de l’atmosphère terrestre, qui déforme la lumière.
“L’excellence des images du télescope spatial Hubble (...) ne dépendra que des lois de l’optique et de la qualité des miroirs, ainsi que de la précision et de la stabilité avec laquelle il peut être pointé vers ses champs d’investigation”, déclare le professeur Smith avant le lancement. Il est loin de se douter à quel point il dit vrai!
Lancement: de la jubilation à la déception
Avril 1990, le grand jour est arrivé: Hubble est embarqué par la navette Discovery pour être placé sur orbite. L’opération est un succès, à la grande joie des opérateurs au sol. Tout “montre que le télescope n’a subi aucun dommage lors du lancement et qu’il semble prêt à entamer une mission d’exploration qui pourrait durer plus de 15 ans”, signale John Noble Wilford dans le New York Times. Le télescope “devrait observer des étoiles et des galaxies lointaines avec une précision 10 fois supérieure à celle jamais atteinte”, ajoute-t-il. La revue Time parle d’“une nouvelle fenêtre sur l’univers” et poursuit: “Affranchi de toute interférence, l’œil perçant du télescope Hubble, en scrutant les étoiles les plus éloignées, remontera très loin dans le temps.” Astronomes et ingénieurs, en proie à une excitation grandissante, attendent les premières images. Mais que se passe-t-il?
À l’évidence, on a vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué. En mai 1990, les images en question arrivent; or, au lieu de l’extraordinaire précision attendue, les astronomes découvrent des photos floues. “Ces observations accréditèrent l’idée épouvantable que l’observatoire orbital souffrait d’un grave défaut d’optique”, écrit Eric Chaisson. Le télescope a donc un défaut! Effectivement, l’un des deux miroirs présente une tare. L’aberration est infime (de loin inférieure à l’épaisseur d’un cheveu), mais elle suffit à troubler la vue de Hubble. La déception est immense.
À qui la faute?
Comment expliquer l’onéreuse myopie du télescope? Dans Les guerres de Hubble, Eric Chaisson, qui a travaillé au projet, cite de nombreuses causes: “Les défauts physiques criants de Hubble découlent de la myopie des ingénieurs, qui se sont manifestement évertués à ne pas voir l’ensemble. En témoignent l’optique mal usinée et mal testée par des ingénieurs trop sûrs d’eux et n’ayant bénéficié d’aucun vrai conseil technique ni scientifique émanant de sources autres que leur firme avare d’informations (...) [, ainsi que] le montage sur Hubble de pièces usagées, telles que ces gyroscopes de plusieurs dizaines d’années [testés pendant 70 000 heures — ‘testés à mort’, selon les termes d’un ingénieur], et de cartes de mémoire conçues pour des véhicules spatiaux d’un autre âge.”
Une fois terminé, le miroir principal de Hubble, d’un diamètre de 2,40 mètres, devait subir un dernier test. Mais, rapporte le New York Times, l’idée avait été abandonnée pour des questions de temps et d’argent. Le professeur Roderic Scott, alors directeur scientifique de la société de recherche optique chargée de la fabrication du miroir et aujourd’hui décédé, avait bien demandé que soient effectués des tests supplémentaires. Mais ses avertissements étaient restés sans écho. Si bien qu’une fois dans l’espace, Hubble n’avait pu que transmettre des images floues.
L’opinion d’Eric Chaisson? “Peut-être ce vaisseau spatial, avec ses myriades de pièces [plus de 400 000, et 42 000 kilomètres de fils électriques] et son énorme système d’appui au sol, est-il trop compliqué pour notre civilisation relativement inexpérimentée sur le plan technique. Selon le livre de la Genèse, quand, à Babel, les descendants de Noé tentèrent de bâtir une tour dont le sommet atteindrait les cieux, Dieu les punit pour leur audace. Peut-être un télescope spatial beaucoup moins complexe, une machine plus efficace, plus progressive dans son évolution, nous aurait-elle valu une réprimande moins sévère.” “L’idée largement répandue que la méthode scientifique est objective, exempte de tous préjugés, que les scientifiques gardent et ont toujours gardé la tête froide, est une vaste plaisanterie, ajoute M. Chaisson. La science moderne, comme presque tout dans la vie, est profondément subjective.” Pour l’auteur, l’ambition et la jalousie ne sont pas étrangères aux difficultés de Hubble.
Espoirs anéantis
L’énumération de quelques titres glanés dans la presse résume le feuilleton Hubble. “La navette à 615 kilomètres d’altitude, porteuse d’un télescope et d’un rêve”, lit-on dans un journal. De son côté, Scientific American titre: “L’héritage de Hubble: grâce au télescope spatial, l’astronomie entre dans une ère nouvelle.” En juillet 1990, Time doit nuancer son optimisme: “Sombres perspectives pour les hautes sphères scientifiques: les espoirs placés dans la navette de la NASA [Agence aéronautique et spatiale américaine] s’évanouissent, et Hubble voit trouble.” La revue Science, plus objective, écrit: “Hubble: les astronomes évaluent les dysfonctionnements. Rarement erreur aussi infime n’a causé autant de remous. Sur un télescope de 1,6 milliard de dollars, les micromètres ont de l’importance.” En décembre 1990, sous le titre “L’orgueil démesuré de Hubble: un exemple de cécité avérée”, la même revue dit: “Le grave défaut optique du télescope spatial Hubble est la conséquence de négligences multiples, conclut le rapport final de la commission d’enquête de la NASA.”
Mais tout n’est pas perdu. En mars 1992, un article publié dans la revue Smithsonian et intitulé “Les images fantastiques d’un télescope spatial défectueux” dit: “Si beaucoup de ses fonctions demeurent gravement perturbées, le télescope n’en submerge pas moins les astronomes de précieuses données. (...) On lui doit des surprises, comme ces images d’amas globulaires (considérés traditionnellement comme les structures les plus anciennes de l’univers) à l’époque radieuse de leur jeunesse. Il a également sondé le cœur d’une galaxie lointaine et confirmé ainsi l’existence en son centre d’un trou noir avaleur d’étoilesb.”
“Quitte ou double pour la NASA”
Enfin, en novembre 1993, le gros titre tant attendu des scientifiques et des astronomes s’étale dans la revue Science News: “Événement: la NASA tente de réparer le télescope spatial Hubble.” C’est, explique New Scientist, “la mission de réparation la plus ambitieuse de l’histoire des vols spatiaux”. Une équipe de sept astronautes devra récupérer le télescope et le réparer en soute. Cette opération, qualifiée de “quitte ou double” et de “rendez-vous avec le destin”, sera-t-elle un succès?
Les astronautes-ophtalmologues vont réaliser une véritable prouesse scientifique: en cinq sorties, ils corrigent l’optique de Hubble et dotent le télescope d’une nouvelle caméra, grande comme un piano. Il aura fallu trois ans avant de pouvoir remplacer les éléments défectueux et installer des dispositifs de correction. Le coût des soins? Un spécialiste parle de... 263 millions de dollars!
En janvier 1994, c’est le dénouement. On relève des gros titres comme “La myopie corrigée du télescope Hubble” et “Hubble: enfin une vue divine”. “Un Hubble mieux que le neuf”, annonce Astronomy, qui rapporte les réactions des astronomes de l’Institut scientifique du télescope spatial devant les premières images: “Absolument incroyable.” “Le grand frisson.” Et le professeur Edward Weiler, directeur scientifique du projet, de se réjouir d’“une réparation qui dépasse toutes nos attentes”.
Utilité
L’intervention ne tarde pas à porter ses fruits. En juin 1994, Time signale la découverte de preuves concrètes en faveur de l’existence des trous noirs. Hubble, explique la NASA, a observé un “nuage de gaz discoïde tournant à la vitesse étourdissante de 1,9 million de kilomètres à l’heure”. Ce nuage, distant d’environ 50 millions d’années-lumière et situé au centre de la galaxie M87, aurait, pour une taille identique à celle du système solaire, une masse égale à celle de deux à trois milliards d’étoiles de la taille du soleil! Selon les calculs des savants, il y régnerait une température de 10 000 °C. L’incroyable force gravitationnelle exercée par un énorme trou noir autour duquel le disque tournerait est actuellement la seule explication plausible à ce phénomène.
Hubble a également fourni d’excellentes images de la comète Shoemaker-Levy 9 alors que celle-ci suivait sa trajectoire fatale vers Jupiter, sur laquelle elle s’est désintégrée en juillet 1994. La précision des images de galaxies que nous envoie le télescope spatial est telle qu’un savant a décrit ainsi la réparation: “Un petit changement sur un miroir, un bond de géant pour l’astronomie.” Maintenant, lit-on dans Scientific American, “la résolution de Hubble est au moins 10 fois meilleure que celle de n’importe quel instrument au sol, ce qui lui offre un champ de vision mille fois supérieur [à celui des autres télescopes]”.
Hubble oblige les théoriciens à réviser quelque peu leurs idées sur l’âge de l’univers. En effet, ils se trouvent devant ce qui, en l’état actuel des connaissances, ressemble à un paradoxe. Les données les plus récentes fournies par le télescope spatial, explique John Noble Wilford, “laissent fortement à penser que l’univers est beaucoup plus jeune que les savants ne le croyaient. Peut-être n’a-t-il pas plus de 8 milliards d’années”, au lieu des 20 milliards qu’on lui a parfois données. Le problème, c’est que, “selon des calculs fiables, certaines étoiles auraient 16 milliards d’années”. Cette remarque du journaliste n’a donc rien de surprenant: “L’univers semble décidé à dérouter les cosmologistes, tout en dévoilant les limites affligeantes de leur savoir.” Et d’ajouter: “Ceux qui acceptent l’univers comme champ d’investigation doivent également accepter la probabilité que, malgré leur intelligence supérieure et leur ingéniosité, nombre des grandes questions resteront hors de leur portée.”
L’homme doit apprendre l’humilité que Jéhovah enseigna à Job quand il lui demanda du milieu d’une tempête de vent: “Peux-tu nouer les liens des Pléiades, desserrer les cordes d’Orion, amener la Couronne en son temps, conduire l’Ourse avec ses petits? Connais-tu les lois des Cieux?” — Job 38:31-33, Jérusalem.
L’avenir
Le télescope Hubble porte en lui la promesse de grandes révélations dans l’avenir immédiat. “Grâce au télescope spatial Hubble, écrit un astronome, nous verrons la forme de beaucoup de galaxies proches de quasars [ou radiosources quasi stellaires, les objets les plus lumineux de l’univers].” Quant à la découverte de l’origine des galaxies, Richard Ellis, de l’université de Cambridge, affirme: “Nous sommes au seuil d’une époque passionnante.”
Sa curiosité continuera d’inciter l’homme à accroître sa connaissance de l’univers, à vouloir comprendre son commencement, sa raison d’être. Cette connaissance devrait éveiller dans nos cœurs de la vénération pour le Créateur de l’univers, Jéhovah Dieu, qui a dit: “Levez vos yeux en haut et voyez. Qui a créé ces choses? C’est Celui qui fait sortir leur armée d’après le nombre, et qui les appelle toutes par leur nom. Par suite de l’abondance d’énergie vive, car il est également puissant par la vigueur, pas une d’entre elles ne manque.” — Ésaïe 40:26; Psaume 147:4.
[Notes]
a Le télescope Hubble doit son nom au célèbre astronome américain Edwin Powell Hubble (1889-1953), qui fit progresser les connaissances scientifiques sur ce que l’on appelle aujourd’hui les galaxies. À quoi ressemble ce télescope? Avec ses quelque 13 mètres de long et ses 4 mètres de diamètre, il a grosso modo la taille d’un wagon-citerne ou d’une tour de trois étages. Lors de son lancement, il pesait un peu plus de 12 tonnes.
b Les trous noirs seraient des régions de l’espace dans lesquelles une ou plusieurs étoiles se seraient effondrées sur elles-mêmes et ‘où l’attraction gravitationnelle deviendrait si forte qu’elle piégerait même des particules se déplaçant à la vitesse de la lumière [300 000 kilomètres à la seconde]’. Ainsi, ‘ni la lumière, ni la matière ni aucun signal d’aucune sorte ne pourraient s’échapper’. — Encyclopédie internationale d’astronomie.
[Schéma, pages 16, 17]
(Voir la publication)
A: Miroir principal.
B: Miroir secondaire.
C: Remplacement de quatre gyroscopes, destinés à pointer le télescope.
D: Remplacement d’un panneau solaire endommagé.
E: Installation de la nouvelle caméra planétaire à grand champ.
F: Le COSTAR (Corrective Optics Space Telescope Axial Replacement) corrige l’aberration du miroir.
G: Remplacement du système électronique de positionnement des panneaux solaires.
[Illustration, page 16]
En haut, à gauche: la galaxie M100 telle que la voyait Hubble avant réparation.
[Crédit photographique]
Photo: NASA
[Illustration, page 17]
Ci-contre, à gauche: installation de la nouvelle caméra planétaire.
[Crédit photographique]
Photo: NASA
[Illustration, page 17]
Ci-contre, à droite: la galaxie M100 telle que la voyait Hubble après réparation.
[Crédit photographique]
Photo: NASA
[Crédit photographique, page 15]
Photo: NASA