Allemagne (1re partie)
L’ALLEMAGNE a exercé une influence profonde sur l’Histoire. Son peuple a la réputation d’être travailleur et respectueux de l’autorité. Ces qualités ont contribué beaucoup à la croissance économique de cette nation, si bien qu’aujourd’hui l’Allemagne de l’Ouest, avec une population de plus de soixante millions d’âmes, est l’un des géants industriels du monde. Elle fait du commerce d’un bout à l’autre de la terre. Et pour remplir les besoins de son économie florissante, ces dernières années, il lui a fallu faire venir plus de trois millions d’“hôtes travailleurs” de Grèce, de Yougoslavie, d’Italie, d’Espagne, du Portugal, de Turquie et d’autres pays.
L’influence de l’Allemagne s’est également fait sentir dans d’autres domaines. Pendant la Première Guerre mondiale, de 1914 à 1918, les armées allemandes avancèrent vers l’est, en Russie, et vers l’ouest, en Belgique et en France. Avant la fin du conflit, elles faisaient la guerre contre vingt-quatre nations alliées. L’Allemagne a été vaincue. Mais peu de temps après, un vétéran de cette guerre, Adolf Hitler, commença à se hisser au pouvoir. En 1933, en tant que chef du Parti national-socialiste, il devint chancelier de l’Allemagne. Il ne tarda pas à subjuguer le peuple allemand par un règne de terreur, et en 1939, il plongea le monde dans un autre conflit universel bien plus étendu et destructeur que le premier.
Que faisaient les Églises pendant ce temps ? Tous les dimanches, conformément au concordat signé en 1933 entre le Vatican et l’Allemagne, le clergé catholique pria pour que le Ciel bénisse le Reich allemand. Le clergé protestant protesta-t-il ? Bien au contraire, en 1933, les pasteurs protestants s’engagèrent solennellement à soutenir sans réserve l’État nazi. En 1941, bien après le commencement de la Seconde Guerre mondiale, l’Église évangélique protestante de Mayence rendit grâces à Dieu d’avoir donné Adolf Hitler au peuple allemand.
DÉVELOPPEMENTS RELIGIEUX ANTÉRIEURS
Il est intéressant de se rappeler que ce fut en Allemagne que, le 31 octobre 1517, Martin Luther afficha sur la porte d’une église de Wittenberg ses quatre-vingt-quinze thèses protestant contre des pratiques qu’il considérait en désaccord avec la Parole de Dieu. Mais cette protestation religieuse fut bientôt mêlée à des intérêts politiques, de sorte que, bien avant le vingtième siècle, non seulement l’Église catholique mais aussi les Églises protestantes avaient montré sans erreur possible qu’elles faisaient partie du monde.
Cependant, à mesure que le temps approchait où Dieu allait donner “le royaume du monde” à un roi céleste, le Seigneur Jésus Christ, une œuvre devait s’accomplir en Allemagne, comme partout dans le monde (Rév. 11:15). Cette œuvre serait effectuée par des hommes possédant une foi véritable et acceptant la Bible comme la Parole de Dieu, et qui comprendraient que pour être de vrais disciples du Christ, ils ne devaient pas faire “partie du monde”. (Jean 17:16; I Jean 5:19.) Pourquoi ? Parce que, au lieu de soutenir un gouvernement humain quelconque, ils devaient annoncer le Royaume messianique de Dieu comme la seule espérance de l’humanité (Mat. 24:14; Dan. 7:13, 14, Da). Qui allait saisir cette occasion ?
Dans les années 1870, en Amérique, Charles Taze Russell avait commencé à réunir un groupe d’étudiants de la Bible qui s’intéressaient vivement à la seconde venue du Christ. Ils comprenaient la nécessité de partager les choses merveilleuses qu’ils apprenaient dans la Parole de Dieu. À mesure que l’œuvre progressait et que la diffusion d’imprimés bibliques atteignait des proportions importantes, il devint nécessaire de former une association déclarée, comme aujourd’hui sous le nom de Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania, dont le premier président était frère Russell.
Reconnaissant l’importance d’annoncer la bonne nouvelle jusqu’aux extrémités de la terre, en 1891, la Société Watch Tower demanda à frère Russell de faire un voyage à l’étranger pour déterminer les possibilités d’y étendre l’œuvre (Actes 1:8). Pendant ce voyage, frère Russell visita Berlin et Leipzig, mais son rapport déclarait : “Nous ne voyons (...) rien qui nous permette d’espérer effectuer une moisson ni en Italie, ni en Autriche, ni en Allemagne.” Cependant, après son retour, il prit des dispositions pour publier en allemand plusieurs livres et tracts. Des Allemands qui avaient émigré aux États-Unis lurent ces imprimés de la Société et en envoyèrent à leurs parents et amis en Allemagne, en les encourageant à les utiliser pour étudier la Bible.
Au bout de quelques années, en 1897, le premier numéro de La Tour de Garde en allemand, intitulée Zions Wacht-Turm und Verkündiger der Gegenwart Christi, fut publié à Allegheny, en Pennsylvanie. Charles T. Russell était le rédacteur en chef et son adjoint était Otto A. Kötitz. Les trois premiers volumes de L’Aurore du Millénium avaient déjà été publiés en allemand aux États-Unis.
Pour faciliter l’expédition des imprimés en Allemagne et dans d’autres pays européens, un dépôt fut ouvert à Berlin, au 66 de la rue Nürnberger. Sœur Margarethe Giesecke était chargée de l’envoi de 500 exemplaires de chaque numéro de la Zions Wacht-Turm. Au début de 1899, ce dépôt d’imprimés fut transféré de Berlin à Brême.
L’ŒUVRE COMMENCE LENTEMENT
Malgré les efforts accrus déployés pendant 1898, la situation amena la Société à publier la déclaration suivante : “Bien que nous reconnaissions l’intérêt et le zèle de nos chers lecteurs, nous nous voyons obligés de les informer que leurs commandes d’exemplaires de La Tour de Garde pendant l’année écoulée n’ont pas répondu à notre attente, ce qui nous incite à poser la question suivante : Devrions-nous arrêter complètement l’impression de La Tour de Garde ou peut-être ne l’imprimer qu’une fois tous les deux ou trois mois ?” Pendant quelque temps, elle fut imprimée trimestriellement, mais elle contenait deux fois plus de pages.
Les résultats obtenus au début n’étaient pas extraordinaires, mais les efforts déployés n’étaient assurément pas vains. Pour plus de commodité, en 1902, un bureau fut ouvert à Elberfeld (Wuppertal), avec frère Henninges comme responsable. En octobre 1903, frère Russell envoya frère Kötitz en Allemagne pour diriger l’œuvre, et frère Henninges se vit confier une tâche spéciale en Australie. Frère Kötitz avait quitté l’Allemagne avec ses parents et émigré aux États-Unis, où il commença à servir Jéhovah au printemps de 1892. Sauf pendant une courte interruption, il avait travaillé comme rédacteur adjoint de La Tour de Garde en allemand jusqu’à ce que frère Russell l’envoie en Allemagne. Pour le bureau central, les résultats obtenus en 1903 laissaient à désirer. Le rapport annuel pour cette année-là déclarait : “La filiale allemande a été ouverte dans d’assez bonnes conditions, pourtant nous avons été déçus. Les frères allemands ne semblent pas apprécier suffisamment l’unité du ‘corps’ et de l’œuvre de la ‘moisson’. (...) Nous pensons néanmoins poursuivre la mission pendant 1904, afin de donner à ce champ une chance équitable, tout en nous tournant vers le Seigneur pour qu’il nous guide et nous indique s’il existe des champs plus favorables pour l’emploi de notre temps et de notre argent qui lui sont consacrés.”
Ce furent là des années difficiles pour la prédication de la bonne nouvelle en Allemagne. Des ennemis religieux et politiques s’étaient déjà manifestés. Le nationalisme s’était épanoui après la création de l’“Empire allemand” en 1871, et cet esprit était favorisé non seulement par les hommes politiques, mais encore par les chefs religieux. Dans les églises, on pouvait entendre des slogans comme “nous voulons un christianisme allemand, mais non américain”. Ainsi, les jeunes pousses issues des graines de la vérité étaient soumises, en quelque sorte, à une subite gelée printanière. Heureusement, les premiers signes que les efforts déployés n’avaient pas été vains ne tardèrent pas à se manifester.
LES PREMIÈRES CONGRÉGATIONS
En 1902, une sœur chrétienne alla habiter Tailfingen, à l’est de la Forêt-Noire. Elle avait appris la vérité en Suisse, et à présent elle s’efforçait de la communiquer aux habitants de Tailfingen. Elle s’appelait Margarethe Demut, mais du fait qu’elle parlait continuellement de l’“âge d’or” à venir, les habitants l’appelaient “La Marguerite d’or”. Par son activité, elle fit connaissance avec un homme qui, en compagnie de sa sœur et de deux autres hommes, cherchait la vérité. Ces gens avaient déjà fréquenté l’Église méthodiste. Après avoir lu le tract que sœur Demut avait laissé chez eux, ils écrivirent aussitôt pour commander les volumes de L’Aurore du Millénium. Ils étaient connus dans toute la région comme des gens pieux, et leur conduite exemplaire leur valait le respect de tous. Ainsi fut fondée l’une des premières congrégations d’Allemagne, et elle en vint à être connue parmi les habitants sous le nom de “congrégation du Millénium”.
Ces chrétiens furent aidés avec zèle par une autre sœur, Rosa Möll. Puisqu’elle parlait du “Millénium” à qui voulait l’entendre, elle reçut bientôt le sobriquet de “Rose du Millénium”. Cette sœur, aujourd’hui âgée de quatre-vingt-neuf ans, sert Jéhovah depuis plus de soixante ans, dont huit années dans le camp de concentration de Ravensbrück.
Les graines de la vérité commencèrent à pousser également dans le Bergische Land, au nord-est de Cologne. Un représentant de la Société Watch Tower en Suisse était venu habiter cette région vers 1900. Il s’appelait Lauper. À Wermelskirchen il rencontra Gottlieb Paas, qui avait quatre-vingts ans, et Otto Brosius, presbytre et membre du comité directeur de son Église, ainsi que sa femme Mathilde. Ces gens cherchaient la vérité et après avoir étudié les livres de la Watch Tower, ils se rendirent compte qu’ils l’avaient trouvée. Ils ne tardèrent pas à organiser des réunions dans un restaurant de Wermelskirchen. Nombre de membres des familles Paas et Brosius assistèrent aux réunions, si bien qu’il y avait souvent une assistance de soixante-dix à quatre-vingts personnes. Peu de temps après, Gottlieb Paas mourut, et sur son lit de mort il tendit un exemplaire de La Tour de Garde et déclara : “Voilà la vérité, gardez-la.”
Entre-temps, dans le comté de Lübbecke, en Westphalie, environ vingt-cinq hommes et femmes venant de différents endroits, se réunissaient pour étudier la Parole de Dieu. Ils étaient membres d’une Église protestante, mais ils ne fréquentaient plus régulièrement les offices, car ils rentraient souvent chez eux insatisfaits, surtout lorsque le pasteur prêchait au sujet du feu de l’enfer. L’un de leurs voisins, qui se rendait à Sarrebruck pour assister à une vente aux enchères, trouva dans le train un tract disant que les flammes de l’enfer n’existent pas. Pensant que cela intéresserait ses voisins, qu’il appelait les “gens pieux”, il leur remit le tract dès son retour. Ils passèrent immédiatement commande de tous les livres disponibles, qui leur fournirent désormais des matières pour l’étude. Il leur fallut un certain temps avant de quitter l’Église protestante et de se faire baptiser, mais entre-temps ils reçurent régulièrement la visite des frères pèlerins envoyés par la Société Watch Tower. Ainsi furent posés les fondements de la congrégation de Gehlenbeck, une “congrégation mère” qui allait donner naissance à bien d’autres.
Il y eut de l’accroissement dans d’autres régions encore. En 1902, le propriétaire d’une ferme laitière nommé Cunow apprit la vérité et posa les fondements de plusieurs congrégations à l’est de Berlin. À Dresde, frère Miklich, chef d’atelier au chemin de fer, et sa femme eurent connaissance de la vérité à peu près à cette époque. La congrégation de Dresde grandit si rapidement pendant les années 1920, qu’elle comptait bientôt plus de 1 000 frères et sœurs et devint la plus grande congrégation d’Allemagne.
LA DIFFUSION DE LA BONNE NOUVELLE EST ACCÉLÉRÉE
Malgré la dépense, les frères décidèrent d’insérer dans les journaux des numéros spécimens de huit pages de La Tour de Garde de Sion. Cette entreprise fut grandement bénie, comme le montrent les lettres reçues. En voici un exemple :
“J’ai lu en entier le spécimen de La Tour de Garde, inséré aujourd’hui dans le Tilsiter Zeitung. Cela m’intéresse (...) et j’aimerais recevoir d’autres publications expliquant la mort et l’enfer. Veuillez m’envoyer le livre mentionné dans votre tract. (...) P. J., Prusse-Orientale.”
La Tour de Garde d’avril 1905 déclarait :
“Plus de un million et demi de spécimens de La Tour de Garde ont été distribués, ce qui a été un bon commencement. Nous nous réjouissons des résultats. Bien des âmes affamées ont répondu, et le nombre des abonnés à La Tour de Garde a atteint le nombre de 1 000.”
À mesure que la semence, la parole relative au Royaume de Dieu, continuait à être semée par tous les moyens possibles, les résultats devenaient de plus en plus évidents. Certains, à l’exemple de frère Lauper, devinrent colporteurs, afin de visiter très rapidement le plus de territoire possible.
CERTAINS CHERCHAIENT LA VÉRITÉ
En 1905, alors qu’il diffusait La Tour de Garde près de Berlin, frère Lauper remit son dernier exemplaire à un baptiste âgé du nom de Kujath. Son fils Gustav venait de rentrer d’un congrès baptiste, où il avait été troublé par un avertissement solennel prononcé contre un pasteur nommé Kradolfer, qui avait commencé à enseigner que l’âme est mortelle. Frappé par cet avertissement, Gustav se mit à lire la Bible, invitant son père et ses amis à l’aider à chercher la vérité sur cette question. En août 1905, Gustav Kujath visita son père, qui habitait à une heure de trajet de chez lui et qui lui montra l’exemplaire de La Tour de Garde que frère Lauper lui avait laissé. C’était exactement ce que les deux recherchaient. C’était de la “nourriture en temps voulu”. — Mat. 24:45.
Kujath père prit aussitôt plusieurs abonnements à La Tour de Garde et prêta cinq séries du périodique à d’autres personnes. Au bout d’un certain temps, ses enfants allaient reprendre les exemplaires prêtés, et Kujath les remettait à d’autres personnes encore. Ainsi, bien des gens eurent connaissance du message. Naturellement, tout cela était mal vu par les baptistes, si bien qu’ils l’exclurent de leur Église à la Saint-Sylvestre de 1905, en lui disant : “Vous suivez la voie du Diable.” Par la suite, plus de dix de ses parents quittèrent l’Église baptiste.
Le fils Kujath avait également compris que les chrétiens ne devaient pas négliger de se réunir. C’est pourquoi il écrivit au bureau de la Société Watch Tower à Elberfeld, en demandant l’adresse des personnes avec qui il pouvait se réunir pour étudier. Frère Kötitz ne put lui donner que l’adresse de Bernhard Buchholz, un jeune homme de dix-neuf ans qui habitait Berlin. Kujath se mit aussitôt en rapport avec lui. À l’époque, Buchholz faisait partie d’un groupe appelé “la Congrégation du Sauveur”. Il venait de brûler les volumes de L’Aurore du Millénium, croyant qu’en tant qu’orphelin et chômeur à cause d’un délit léger qu’il avait commis, il ne pouvait être la seule personne à Berlin digne de recevoir la vérité. Mais Kujath l’encouragea à étudier les livres avec lui, l’incitant même à devenir colporteur. Peu de temps après, Kujath le prit chez lui.
Pour financer la diffusion de la bonne nouvelle dans ce territoire, Kujath renonça à son projet de bâtir une nouvelle maison. Il vendit le terrain où il allait la construire et utilisa l’argent pour transformer deux pièces chez son père, afin d’en faire une salle de réunions. En 1908, un groupe d’entre vingt et trente personnes a pu être formé.
À peu près à la même époque, le baron von Tornow, propriétaire de grands domaines en Russie, commença à chercher la vérité. Dégoûté de la vie licencieuse menée par la noblesse russe, il avait décidé de se rendre en Afrique, en passant par la Suisse, pour y travailler comme missionnaire. La veille de son départ, il visita une petite chapelle de montagne en Suisse. Alors qu’il en sortait, quelqu’un lui tendit un tract de la Société Watch Tower. Le lendemain, au lieu de partir pour l’Afrique, il se mit en devoir de se procurer d’autres imprimés de la Société. Ce fut vers 1907.
En 1909, il assista à une réunion d’une congrégation de Berlin, habillé en aristocrate et accompagné de son valet. La simplicité du lieu de réunions et des gens qu’il y rencontra le déçut, car il pensait que ces vérités inestimables méritaient une belle présentation. Cependant, ce qu’il entendit l’impressionna. Des mois plus tard, ayant surmonté ces sentiments, il revint à la salle. Cette fois-ci, sa mise était beaucoup plus modeste et il ne se fit pas accompagner de son valet. Par la suite, il reconnut que vraisemblablement il ne serait pas revenu s’il n’avait pas lu le passage biblique suivant : “Car vous voyez votre appel, frères, qu’il n’y a pas beaucoup de sages au sens charnel qui ont été appelés, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup qui sont de naissance noble ; mais Dieu a choisi les choses folles du monde, (...) pour qu’aucune chair ne se glorifie au regard de Dieu.” — I Cor. 1:26-29.
Convaincu à présent qu’il avait trouvé la vérité, il rentra en Russie, vendit tous ses domaines, et s’installa à Dresde. Disposé maintenant à vivre modestement, il consacra toutes ses richesses au service de Jéhovah.
TOURNÉES DE CONFÉRENCES BIEN ORGANISÉES
En 1913, le bureau de Barmen organisa trois tournées de conférences à la demande de frère Tornow, qui les finança en grande partie. Frère Hildebrandt, un boulanger de Golnow, en Poméranie, vendit sa maison et participa également aux frais. Un groupe itinérant composé de cinq frères et de quatre jeunes sœurs fut d’abord formé, puis divisé en deux groupes plus petits.
Frère Hildebrandt, qui s’occupait de l’“intendance” et des imprimés, partit avant les autres, accompagné de trois ou quatre sœurs, dont deux, aujourd’hui âgées, s’efforcent toujours de soutenir les intérêts du Royaume. Après avoir trouvé un logement pour eux-mêmes et pour le groupe qui arriverait quelques jours plus tard, ils allaient chercher les cartons de tracts et d’autres imprimés qui avaient été envoyés au bureau de poste. Après avoir indiqué sur les tracts, à l’aide d’un tampon, l’adresse de la salle et l’heure de la conférence (pour que les tracts servent aussi de feuilles d’invitation), ils les pliaient de façon à en mettre 1 200 ou 1 600 exemplaires dans chacune des serviettes en cuir que frère Tornow avait achetées spécialement. Les frères et sœurs travaillaient dur pour distribuer les tracts, s’efforçant d’être à la première porte à 8 h 30 et travaillant le plus souvent jusqu’à sept heures du soir, ne prenant qu’une heure à midi pour se restaurer. Ils n’avaient pas le temps de faire des pauses café.
Quelques jours plus tard, frères Buchholz, Tornow et Nagel arrivaient à leur tour. Frère Buchholz prononçait les discours. En règle générale, les salles étaient combles et beaucoup de personnes remettaient leur adresse, si bien qu’il fallait trois frères pour les visiter toutes le lendemain.
La deuxième tournée de conférences amena l’équipe à Wittenberg, Halle et jusqu’à Hambourg. La troisième tournée conduisit ce groupe jusqu’à la frontière russe, de sorte qu’un bon témoignage fut rendu dans ces régions orientales avant la Première Guerre mondiale.
FIDÈLEMENT ATTACHÉS À LA VÉRITÉ
En 1908, l’œuvre commençait à progresser dans le Siegerland. Otto Hugo Lay, qui a maintenant quatre-vingt-dix ans, eut connaissance de la vérité en 1905, grâce à un collègue de travail. Deux ans plus tard, lui et ses deux enfants se retirèrent de l’Église et refusèrent de payer l’impôt de l’Église, qui fut néanmoins prélevé d’office. Le fonctionnaire voulait coller le timbre fiscal derrière un meuble où il serait invisible, mais frère Lay protesta, en disant que tout le monde devait le voir, pour qu’il ait l’occasion d’expliquer l’affaire à qui voulait l’écouter. En 1908, il fut baptisé dans une baignoire à Weidenau et commença à fréquenter la congrégation de Siegen.
Hermann Herkendell apprit la vérité en 1905, grâce à un tract qu’il avait trouvé dans un train. Jeune instituteur, il se rendait à Iéna, afin de poursuivre ses études à l’université. Mais le contenu du tract l’impressionna tellement qu’il se retira bientôt de l’Église luthérienne. Aussitôt, on lui interdit de faire des cours de religion à l’école. Peu de temps après, il fut suspendu de ses fonctions d’instituteur.
En 1909, frère Herkendell représentait déjà frère Kötitz pour visiter les congrégations, et à la fin de l’année son nom parut pour la première fois dans La Tour de Garde, à propos d’une tournée organisée par la Société pour ses “pèlerins”. En 1911, il se maria avec la fille de frère Jander, riche propriétaire d’une fonderie. En guise de dot, la jeune sœur Herkendell demanda à son père de leur donner de l’argent pour un voyage de noces plutôt particulier. Le jeune couple désirait passer sa lune de miel à prêcher le message du Royaume aux Russes d’expression allemande. Le bureau de Barmen lui fournit les adresses des Germano-Russes. Le voyage dura plusieurs mois et s’avéra très fatigant, car souvent il fallait marcher plusieurs heures pour se rendre de la gare à l’endroit où habitaient les frères et les personnes bien disposées. Ce couple ne disposait d’aucun moyen de transport personnel, et les communications par lettre on télégramme n’étaient pas sûres, si bien qu’on venait rarement les chercher à la gare. Combien de jeunes époux seraient disposés aujourd’hui à passer ainsi leur lune de miel ?
Pendant quelque temps durant la Première Guerre mondiale, frère Herkendell eut le privilège d’être responsable du bureau de Barmen. Après la guerre, il servit de nouveau comme pèlerin. Il mourut en 1926, pendant une tournée comme pèlerin.
Le rapport annuel pour 1908 était encourageant, car pour la première fois la plupart des tracts avaient été distribués personnellement par les lecteurs de La Tour de Garde, un nombre relativement petit étant diffusé par le moyen des journaux. Toutefois, ce fut par cette dernière méthode qu’un jeune homme de dix-huit ans eut connaissance de la vérité à Hambourg. Après avoir achevé ses études, il se mit à lire la Bible quotidiennement, avec le désir sincère de la comprendre. Quelques années plus tard, en 1908, il lut le tract intitulé “La vente du droit d’aînesse”, qui l’intéressa beaucoup. Bien que ses collègues de travail se soient moqués de lui, il écrivit aussitôt à la Société à Barmen pour commander les six volumes des Études des Écritures. Peu après, il eut l’occasion de rencontrer frère Kötitz, qui l’invita à venir le visiter à Barmen. Le jeune homme accepta l’invitation, en précisant qu’il viendrait à Barmen pour se faire baptiser. C’est ce qu’il fit au début de 1909. Le surveillant de filiale reconduisit à la gare ce jeune homme, désormais frère, en lui demandant avant qu’il ne parte s’il aimerait être pionnier. Le jeune frère répondit qu’il écrirait à la Société lorsqu’il serait prêt à entreprendre ce service.
Ce jeune frère s’appelait Heinrich Dwenger. Il ne tarda pas à s’organiser de manière à commencer le service de pionnier le 1er octobre 1910. Depuis lors, il a eu le privilège de travailler dans la plupart des services de presque tous les Béthels de la Société Watch Tower en Europe. Périodiquement, il a eu la joie de voyager comme représentant de la Société, et il a souvent remplacé des surveillants de filiale pendant des moments difficiles. Nombre de frères ont appris à l’aimer et à reconnaître son bon travail. À présent, à l’âge de quatre-vingt-six ans, il se réjouit d’être toujours en bonne santé spirituelle et physique après avoir passé sans interruption plus de soixante ans dans le service à plein temps.
FRÈRE RUSSELL VISITE DE NOUVEAU L’ALLEMAGNE
En 1909, l’organisation fut de nouveau améliorée par le transfert du bureau dans des locaux plus spacieux à Barmen. Naturellement, cela augmenta les frais. Sans hésitation, frère Cunow vendit sa maison et utilisa l’argent pour meubler le nouveau Béthel. De grands efforts furent également déployés en 1909 pour édifier les frères spirituellement. En février, les frères de Saxe demandèrent à frère Kötitz de prononcer des conférences publiques. Six fois, il put rendre témoignage devant un auditoire d’au moins 250 à 300 personnes.
Mais le point culminant de 1909 fut sans aucun doute la visite si longtemps attendue de frère Russell en Allemagne. Après une courte halte à Hambourg, il arriva à Berlin, où un groupe de frères l’accueillit. Ils se rendirent aussitôt à la salle, artistement décorée, où entre cinquante et soixante frères attendaient patiemment l’arrivée de frère Russell. Celui-ci parla sur le rétablissement des choses qu’Adam a perdues, soulignant particulièrement le privilège de ceux qui espéraient devenir membres du corps du Christ. Après avoir pris un léger repas ensemble, ils se rendirent à la Salle Hohenzollern, où le discours public devait être prononcé. La salle était comble ! Une foule de 500 personnes écouta le discours intitulé “Où sont les morts ?” Une centaine de personnes durent rester debout, tandis que quatre cents autres durent repartir faute de place. On leur remit cependant des tracts. Plus tard, à Dresde, entre 900 et 1 000 personnes vinrent écouter le discours de deux heures prononcé par frère Russell.
La prochaine étape fut Barmen, où environ mille personnes entendirent sa conférence. Le lendemain après-midi, 120 frères se réunirent à la Maison de la Bible, et le soir, quelque 300 personnes vinrent écouter frère Russell répondre à des questions bibliques. Cette réunion marqua la fin de la visite de frère Russell en Allemagne, et peu après 23 heures le même soir, il prit le train pour Zurich, en Suisse, pour assister à une assemblée de deux jours.
Au cours de l’année, les frères allemands avaient été encouragés à employer leurs ressources pour soutenir l’œuvre du Royaume en Allemagne, indépendamment de l’aide extérieure. Mais à la fin de l’année, les frais d’imprimerie, de port des lettres et des colis, de publicité, de location de salles pour les conférences, de voyage, de location des bureaux, d’éclairage, de chauffage, etc., s’élevaient à 41 490,60 marks, alors que le montant des contributions ne s’élevait qu’à 9 841,89 marks, ce qui laissait un déficit de 31 648,71 marks, comblé par le bureau de Brooklyn. Dans son rapport annuel, frère Russell écrivit : “Quelles sommes considérables la Société n’a-t-elle pas dépensées en Allemagne pour faire connaître la vérité ! (...) Les efforts que nous avons faits en Allemagne sont comparativement plus grands que dans tout autre pays. Nous sommes en droit d’attendre des résultats correspondants, — à moins que la majorité des Allemands consacrés soit déjà émigrée aux États-Unis.”
Pendant le voyage qu’il fit en 1910, frère Russell s’arrêta pendant une dizaine d’heures à Berlin, où il s’adressa à deux cents personnes qui attendaient sa visite.
Ce fut à peu près à cette époque qu’Emil Zellmann, conducteur de tramway à Berlin, commença à attirer l’attention publique en saisissant chaque occasion de lire la Bible ou de rendre témoignage aux passagers, parfois même entre les arrêts du tram. Un jour, alors qu’il lisait tout en conduisant, il fit rire ses passagers en annonçant non le prochain arrêt mais “le Psaume 91”, qu’il était en train de lire. Bientôt, plus de dix de ses collègues de travail et leurs familles assistaient aux réunions. Ce petit groupe actif fit beaucoup pour répandre la bonne nouvelle à Berlin. Ces frères devaient commencer leur travail à 5 heures du matin, mais leur zèle exemplaire les incitait souvent à se rendre au dépôt deux heures plus tôt, afin de laisser des tracts sur les sièges des tramways qui allaient être mis en service.
En 1911, frère Russell prononça des discours sur le sujet “Le sionisme et les prophéties”. Ces conférences ne manquèrent pas de soulever l’indignation de certains assistants. Par exemple, à Berlin, une centaine de personnes essayèrent de l’interrompre, et quittèrent la salle au début du discours, tandis qu’à peu près 1 400 assistants restèrent assis et suivirent attentivement l’exposé de frère Russell jusqu’à la fin.
Dans son rapport sur ses voyages, frère Russell parla de nouveau du développement de l’œuvre en Allemagne, disant que ‘le nombre des frères et des personnes bien disposées avait augmenté’, mais qu’il ‘était déçu du peu d’intérêt suscité, compte tenu de la population importante, des efforts déployés et de l’argent dépensé’. L’expérience de plusieurs années avait montré que les conditions de croissance en Allemagne étaient, au début, moins favorables par exemple qu’en Amérique. Un pourcentage important de la population allemande était catholique, il y avait de nombreux socialistes, dont la majorité étaient contre la Bible, et la plupart des gens instruits s’étaient éloignés de Dieu.
Le voyage que frère Russell fit en Europe en été 1912 le conduisit à Munich, à Reichenbach, à Dresde, à Berlin, à Barmen et à Kiel. Pour son discours public, il choisit le sujet intéressant “Au-delà de la tombe”. Cette conférence fut annoncée au moyen d’immenses calicots portant une représentation de plusieurs Églises bien connues pour avoir enseigné les doctrines de l’immortalité de l’âme et des supplices éternels. Au premier plan, il y avait une Bible entourée d’une chaîne dont un chaînon venait d’éclater. À l’arrière-plan, frère Russell était représenté, la main tendue vers la Bible. Ces calicots firent sensation dans plusieurs villes, et dans certains endroits la police les interdit. Malgré cela, des auditoires de 1 500 à 2 000 personnes écoutèrent le discours à Munich, à Dresde et à Kiel.
Le discours public avait également fait l’objet d’une large publicité à Berlin. Exceptionnellement, de grandes annonces avaient été insérées dans les journaux à plusieurs reprises, et des affiches avaient été collées un peu partout dans la ville. En outre, on avait loué les services de “petits camelots”, qui d’habitude vendaient les principaux journaux. Ces garçons étaient habillés de pantalons bleu et blanc et portaient de petits chapeaux coquins tenus en place par une mentonnière. Ces hommes-sandwichs parcoururent rapidement les rues de la ville sur des patins à roulettes. Quand les Berlinois voyaient ces garçons, ils savaient qu’ils annonçaient quelque chose d’important.
Dès lors, on comprend pourquoi au début de l’après-midi une foule de personnes se dirigeaient vers le Friedrichshain, la salle la plus grande de la ville, pouvant contenir environ 5 000 personnes, pour écouter le discours de frère Russell. Plusieurs heures avant l’ouverture de la salle, tout le quartier était plein de monde. La foule, sans précédent, grandissait d’heure en heure, et les moyens de transport urbains étaient complètement débordés. Les gens aisés arrivaient en calèche. À cause de l’affluence, bien des gens ne parvenaient pas à s’approcher de la salle. Tout le quartier était fermé par la police. On estima que quelque 15 000 à 20 000 personnes ne purent pénétrer dans la salle archicomble. Profitant de la situation, des frères zélés distribuèrent des milliers de tracts et un grand nombre d’exemplaires des Études des Écritures et d’autres imprimés parmi les milliers de personnes qui n’avaient pu entrer dans la salle. Frère Russell pouvait donc partir avec la conviction qu’un témoignage impressionnant avait été donné pendant sa visite à Berlin, qui devait s’avérer être la dernière.
L’année 1913 fut marquée par le désir sincère de consacrer, si possible, encore plus d’énergie, de temps et d’argent à l’annonce de la bonne nouvelle du Royaume parmi un plus grand nombre de personnes. Les sermons de frère Russell furent publiés dans l’hebdomadaire Der Volksbote, qui touchait un autre public. On publia également des écrits en braille pour les aveugles. La Société se montra même disposée à fournir gratuitement des imprimés aux frères qui accepteraient de les distribuer.
Le programme chargé de frère Russell ne lui permit pas de visiter l’Allemagne en 1913, mais les frères furent réjouis de recevoir frère Rutherford, alors conseil juridique de la Société. Pour chacun de ses discours, les salles étaient combles, et souvent on refusait du monde. À Dresde, par exemple, 2 000 personnes prirent place dans la salle, tandis que 7 000 à 8 000 personnes durent repartir faute de place. Pendant le discours à Berlin devant 3 000 personnes, des perturbateurs firent tellement de bruit que frère Kötitz, qui traduisait pour frère Rutherford, eut du mal à se faire entendre. Il faut se rappeler qu’à cette époque-là il n’y avait pas de matériel de sonorisation, si bien qu’il fallait une voix puissante pour dominer la situation. Frère Kötitz fournit des efforts désespérés mais dut renoncer lorsqu’il se fit une lésion à un poumon. Aussitôt, un frère sauta sur une table et cria : “Que penseront les Américains de nous autres Allemands ?” Là-dessus, les perturbateurs se turent. Frère Kötitz parvint à terminer la traduction du discours, mais des frères qui l’ont connu disent qu’il ne s’en remit jamais complètement.
Il était particulièrement réjouissant à la fin de l’année de constater que tous les frais de l’œuvre avaient été couverts par des contributions volontaires, et qu’il y avait même un petit surplus. Ainsi, les frères allemands terminèrent une année remplie de bénédictions, convaincus qu’une nouvelle année d’activité zélée les attendait, l’année que beaucoup d’entre eux considéraient comme ‘la dernière de la moisson’.
1914 — L’ANNÉE TANT ATTENDUE
Mil neuf cent quatorze était là, l’année historique que nombre de lecteurs de La Tour de Garde attendaient depuis des dizaines d’années. La première moitié de l’année passa aussi tranquillement que l’année précédente. Certes, une atmosphère tendue existait en Europe, mais comme la violence ne fit pas éruption, les ennemis du Royaume se mirent à faire des remarques désobligeantes, bon nombre mettant trop de hâte à annoncer avec joie la défaite des “Millénaristes”. Mais cela n’ébranla pas la foi de ceux qui, depuis de nombreuses années, participaient à l’œuvre de témoignage.
Le temps passait. Plusieurs pays d’Europe procédaient à des manœuvres militaires “au cas où” une guerre éclaterait. Tout semblait calme, mais les pas cadencés des militaires ressemblaient au grondement d’un volcan qui est sur le point d’entrer en éruption. Soudain, le monde entier retenait son souffle. Un coup de feu avait retenti à Sarajevo. Bientôt, dans les grandes villes du monde entier, les crieurs de journaux annoncèrent la nouvelle : la guerre la plus sanglante de l’histoire humaine avait commencé, conflit que les historiens qualifièrent pour la première fois de “guerre mondiale”. Pour beaucoup, cette guerre frappa comme un coup de foudre, et soudain les moqueurs se turent. Frère Grabenkamp de Lübecke déclara à ses fils : “Eh bien, mes garçons, l’heure est arrivée !” Les frères du monde entier avaient les mêmes sentiments que lui. Ils attendaient ces événements ; mieux, Jéhovah leur avait ordonné de les annoncer ! Ils savaient que ces choses étaient le signe avant-coureur de bénédictions ineffables que Jéhovah allait prodiguer aux hommes.
À présent, ils pouvaient regarder en arrière et constater que le témoignage qu’ils avaient rendu s’était vérifié. Par exemple, frère Dathe, qui fut baptisé avec sa femme en 1912, adressa des années plus tard la lettre suivante à son ami et frère Fritz Dassler :
“Pendant les deux dernières heures que j’ai passées à côté de ma chère femme malade, le 23 juin 1954, deux heures et demie avant qu’elle ne s’endorme dans la mort, nous nous sommes rappelé le jour lointain du 28 juin 1914, qui a toujours été important pour nous. C’était un dimanche d’été, et il faisait très beau. Cet après-midi-là, nous avons pris notre café sur le balcon et nous étions émerveillés par le bleu intense du ciel. L’air était pur et sec. Il n’y avait pas un nuage. J’ai parlé des nouvelles du jour. Rien ne semblait troubler le calme et la sérénité qui régnaient sur toute la terre. Et pourtant, nous attendions les signes visibles du commencement du règne du Christ cette année-là. Déjà les journaux triomphaient, publiant un article diffamatoire après l’autre contre les vrais croyants qui avaient annoncé la fin du monde pour 1914. Mais le lundi 29 juin 1914, nous avons ouvert le journal de bonne heure le matin et vu la manchette : ‘L’héritier du trône d’Autriche assassiné à Sarajevo !’ Du jour au lendemain, les cieux politiques s’obscurcirent. Quatre semaines plus tard, la Première Guerre mondiale éclata. Soudain, nous étions devenus pour nos adversaires les plus grands des prophètes.”
Le désir de ces fidèles serviteurs d’accomplir la volonté révélée de Jéhovah les aida à comprendre qu’une œuvre plus grande restait à faire même après 1914. Jéhovah guidait son peuple de manière à accomplir son dessein. Un bon exemple de cela est fourni par le témoignage extraordinaire rendu par le “Photo-Drame de la Création”. Le matériel nécessaire, les films, les images peintes sur verre et les instructions étaient arrivés en Allemagne peu avant la guerre. Les premières parties de la représentation étaient même arrivées plus tôt, et avaient déjà été projetées à des assemblées tenues le 12 avril 1914 à Barmen, et du 31 mai au 2 juin à Dresde. Des frères de Russie et de l’Autriche-Hongrie étaient présents à cette dernière assemblée.
Lorsque le reste du film arriva en Allemagne trois semaines avant la guerre, la Société prit aussitôt des dispositions pour projeter le Photo-Drame dans la salle municipale d’Elberfeld. Vu l’intérêt montré par le public, la salle s’avéra trop petite, si bien qu’il fallut faire deux projections. Mais le premier grand succès fut obtenu à Berlin, où il fut projeté deux fois par jour devant des auditoires nombreux. La série de projections (en quatre parties projetées quatre jours consécutifs) fut présentée cinq fois, du 1er au 23 novembre 1914.
Cependant, la guerre créa des problèmes, dont le premier fut la rupture provisoire des rapports avec les États-Unis.
LA SURVEILLANCE DE L’ŒUVRE CRÉE DES PROBLÈMES
Le peuple de Dieu en Allemagne entrait maintenant dans une période de grandes épreuves, caractérisée par des problèmes concernant la surveillance de l’œuvre. Vers la fin de 1914, onze ans environ après que frère Russell eut autorisé frère Kötitz à rentrer en Allemagne pour y surveiller l’œuvre, soudain ce frère fut attaqué de plusieurs côtés à la fois et accusé d’avoir commis des inconvenances. Cela provoqua un malaise parmi les frères, si bien que frère Russell le déchargea de ses fonctions.
À cause du besoin d’un plus grand nombre de pèlerins en Allemagne, frère Russell, après un moment d’hésitation, y envoya des États-Unis un frère du nom de Conrad Binkele, ancien prédicateur méthodiste qui ne connaissait La Tour de Garde que depuis un an environ. Frère Binkele arriva en Allemagne an moment où les problèmes parmi les serviteurs commencèrent à prendre des proportions sérieuses. En 1915, il se vit confier la surveillance de l’œuvre en Allemagne.
Mais frère et sœur Binkele ne tardèrent pas à rentrer aux États-Unis. Dans un message d’adieu imprimé en caractères gras à la dernière page de La Tour de Garde d’octobre, ils déclarèrent qu’‘à cause des conditions, ils étaient à bout de ressources’. Les “conditions” dont ils parlaient faisaient sans doute allusion aux difficultés qui ne cessèrent de croître au cours de l’année 1915. En octobre, frère Russell se vit obligé de s’occuper spécialement du problème et de prendre les mesures qui s’imposaient. Dans “Une lettre personnelle de frère Russell aux Étudiants de la Bible allemands”, il déclara :
“Brooklyn, octobre 1915
“Chers frères,
“Je pense souvent à vous dans mes prières et mon désir sincère est que le Seigneur vous bénisse. Nous compatissons à vos tribulations de la guerre qui vous touchent directement ou indirectement. Nous désirons également vous dire que nous sommes sensibles aux tribulations que vous avez connues pour avoir soutenu les intérêts de la vérité en Allemagne. Il ne nous appartient pas de nous juger les uns les autres, ni de punir en prononçant un jugement définitif. Si des frères égarés se repentent, nous devrions être prêts à laisser au Seigneur le soin de prononcer le jugement final et de fixer le châtiment. ‘Le Seigneur jugera son peuple.’ — Héb. 10:30.
“Cependant, dans l’intérêt de la vérité, de la justice et de la bonne conduite, et à cause de l’influence exercée par les représentants de la Société, il nous paraît nécessaire de désigner de nouveaux représentants de la Société en Allemagne. À cause de la guerre, les services postaux et télégraphiques sont irréguliers, de sorte qu’il est compréhensible que pendant un certain temps il y ait eu des malentendus au sujet de la direction du bureau de Barmen. Nous pensons que notre cher frère Binkele a fait de son mieux et a traité les affaires correctement, compte tenu des circonstances. Mais comme vous le savez, frère Binkele est rentré en Amérique.
“Nous désirons informer les frères allemands que désormais toutes les affaires de la Société seront traitées par un comité de trois frères : Ernst Haendeler, Fritz Christmann et Reinhard Blochmann. (...)
“Chers frères, je vous conseille de collaborer sous tous les rapports avec la nouvelle direction du bureau de Barmen. Le Corps du Christ est uni. Ne permettez pas qu’il y ait des divisions dans le corps, tout comme l’Apôtre nous le dit.”
Mais cette disposition ne réussit pas davantage, car frère Blochmann fut obligé de quitter Barmen, et frère Haendeler était décédé avant même que la lettre de frère Russell n’arrive en Allemagne. Puisque la tension ne baissa pas durant les mois qui suivirent, en février 1916, frère Russell désigna un “comité de surveillance” composé de cinq frères : H. Herkendell, O. A. Kötitz, F. Christmann, C. Stohlmann et E. Hoeckle.
Cependant, même ce “comité de surveillance” ne dura pas longtemps. Quelques mois seulement après sa création, frère Binkele rentra en Europe, s’établit à Zurich, en Suisse, et fut établi comme le représentant officiel de la Société pour l’Allemagne, la Suisse et les Pays-Bas, tandis que frère Herkendell fut chargé de la rédaction des imprimés.
Frère Kötitz, qui avait été remplacé, en 1914 par frère Binkele, s’occupait depuis cette date de la projection du Photo-Drame. Il continuait à subir des attaques de la part de certains frères, qui cherchaient à réaliser leurs désirs égoïstes, au lieu de contribuer à la paix intérieure de l’organisation. Elisabeth Lang, qui collabora pendant des années avec frère Kötitz, le trouva un jour assis sur un banc dans un jardin public près de la salle où le Photo-Drame devait être projeté. Il lui dit qu’il venait de recevoir une nouvelle lettre d’accusation destinée visiblement à lui enlever ses derniers privilèges de service. Il relata qu’il avait eu le privilège de travailler aux côtés de frère Russell pendant une dizaine d’années avant d’être établi responsable de l’œuvre en Allemagne. À présent, il lui arrivait souvent de s’examiner pour voir s’il avait été digne de cette charge. Il se consolait, cependant, en se disant : “Si pendant mes vingt-quatre années d’activité j’ai aidé ne serait-ce qu’une seule personne à se montrer digne de faire partie des 144 000, alors j’aurai eu le privilège d’accomplir 1/144 000e partie de l’œuvre.”
Il est compréhensible que ces attaques incessantes aient miné sa santé, qui avait également été sévèrement atteinte par la lésion au poumon dont il avait été victime à Berlin. Ainsi, le 24 septembre 1916, à l’âge de 43 ans, frère Kötitz mourut. Annonçant sa mort dans La Tour de Garde, la Société mentionna sa “fidélité”, ajoutant que “son zèle, son endurance, sa constance, sa foi robuste, sa volonté, son dévouement et sa fidélité dans l’accomplissement de ses devoirs sont reconnus et appréciés de tous les chers frères”.
Peu après, les frères allemands reçurent la nouvelle que le 31 octobre de la même année, environ cinq semaines après le décès de frère Kötitz, frère Russell lui-même avait achevé sa course terrestre. Certains frères en furent tellement découragés qu’ils abandonnèrent la course. Mais la majorité d’entre eux prirent la nouvelle de la mort de frère Russell comme un encouragement à consacrer davantage de temps et d’énergie à la poursuite de l’œuvre qu’ils avaient commencée.
À cause de la guerre, il y eut plusieurs changements de surveillant. D’octobre 1916 à février 1917, ce fut Paul Balzereit ; de février 1917 à janvier 1918, ce fut frère Herkendell, et de janvier 1918 à janvier 1920, ce fut frère M. Cunow, qui lui-même fut remplacé par frère Balzereit.
LA NEUTRALITÉ
La Première Guerre mondiale fournit au Diable l’occasion de soulever des doutes parmi les frères sur la question de la neutralité, et cela même à la Maison de la Bible à Barmen, où frères Dwenger, Basan et Hess étaient tous susceptibles d’être appelés sous les drapeaux. Alors que frères Dwenger et Basan étaient bien décidés à refuser de prêter serment ou de porter les armes, frère Hess était indécis. Il finit par être envoyé au front en Belgique, comme compagnon d’armes de ceux qui ne plaçaient pas leur confiance dans le Royaume de Dieu. On ne le revit jamais. Plus tard, frères Dwenger et Basan furent appelés à leur tour. Frère Basan rentra bientôt chez lui, mais frère Dwenger fut obligé de travailler aux archives dans un bureau militaire. Il accepta de faire ce travail, puisqu’il n’était pas incompatible avec sa façon de comprendre la question à cette époque-là. Frère Balzereit, un pèlerin, exprima cependant son désaccord avec frère Dwenger lorsque celui-ci lui dit que si le cas se présentait, il refuserait de prendre les armes. Frère Balzereit lui fit cette remarque : “Te rends-tu compte des conséquences pour l’œuvre si tu adoptes une telle position ?”
À cause de l’incertitude qui régnait parmi eux, tous les frères ne gardèrent pas une stricte neutralité chrétienne à l’égard des affaires des nations. Un nombre considérable d’entre eux firent leur service militaire et combattirent au front. D’autres refusèrent le service combattant mais acceptèrent de servir comme sanitaires. Certains, cependant, tinrent bon et refusèrent toute participation à la guerre. Ils furent jetés en prison. Ayant adopté cette position, Hans Hölterhoff fut cruellement mis à l’épreuve lorsque, pour l’intimider, on l’amena devant un peloton d’exécution. Il finit par être condamné à deux ans de prison par un tribunal militaire.
Étant donné l’incertitude qui régnait parmi les membres du peuple de Dieu sur un sujet aussi important que la neutralité chrétienne, nous remercions vraiment Jéhovah d’avoir continué à s’occuper d’eux avec miséricorde.
UNE PLUS GRANDE EXPANSION MALGRÉ LES CONDITIONS DÉFAVORABLES
Le Photo-Drame de la Création a énormément contribué à l’expansion au cours de ces années-là. Il a été projeté dans des villes moins importantes, telles que Kiel, où vivait une dame très fortunée, qui devint bientôt une sœur. Elle a été si impressionnée qu’elle a aussitôt fait don à la congrégation d’une grosse somme de 2 000 marks, afin que les quarante-cinq à cinquante personnes qui s’y trouvaient puissent se procurer un meilleur local.
Christian Könninger a remarqué le livre Le divin Plan des Âges. Une crise familiale l’a incité à demander à un Étudiant de la Bible fort connu, appelé Ettel, de lui rendre visite, ce qui a permis de commencer une étude à laquelle sa femme a participé par la suite. Puis, ils ont demandé les adresses d’autres amis de la vérité et des lecteurs de La Tour de Garde habitant dans les villes voisines. Ils sont allés inviter ensemble leurs voisins, leurs amis et leurs connaissances au discours donné dans la maison de frère Ettel. Frère Könninger et les autres frères ont profité de toutes les occasions qui leur étaient offertes pour inviter des orateurs d’Eschweiler et de Mannheim, également par la suite de Ludwigshafen, où les discours étaient annoncés verbalement et au moyen des journaux, des panneaux d’affichage et des pancartes installées sur les devantures des magasins.
En 1917, frère Ventzke, originaire de Berlin, s’efforçait de répandre la vérité en dehors des limites de cette ville. Il emportait un havresac rempli de livres et marchait à pied jusqu’à Brandebourg, ville située à environ cinquante kilomètres à l’ouest de Berlin. Il revenait quelques jours plus tard, seulement après avoir laissé toutes ses publications. À la même époque, des frères pèlerins sont allés dans la ville de Dantzig et ont posé les fondements d’une congrégation dans la maison de frère Ruhnau.
L’ŒUVRE SE POURSUIT SANS INTERRUPTION
Les frères nourrissaient différentes espérances concernant l’année 1918. Certains étaient convaincus qu’elle marquerait le terme de leur course terrestre et ont parlé à plusieurs reprises de cet espoir à leurs amis et à leurs connaissances. Par exemple, à Barmen, sœur Schünke a expliqué à ses compagnes de travail que si un jour elle était absente, ce serait parce qu’elle aurait été “emportée dans sa demeure”. Cependant, lorsque leur attente ne se réalisa point, certains s’en allèrent déçus, comme cela s’était déjà produit en 1914. D’autres ont demandé ce qui allait donc arriver.
Il y avait toujours du travail à faire. La plupart des frères en étaient heureux, car ils désiraient de tout leur cœur rendre un service sacré à Jéhovah. Ils ont continué à travailler et ont constaté que pendant ces moments critiques que traversait l’Allemagne, il y avait davantage d’oreilles attentives qu’auparavant. Cela est confirmé par ce que raconte Fritz Winkler (de Berlin).
En 1919, il était employé à Halle (Saale) et prenait le train chaque samedi pour aller voir ses parents à Gera. Un samedi, un homme et sa fille sont montés à l’arrêt du train. L’homme avait un havresac bien plein et sa fille un sac également rempli de quelque chose. Le train venait à peine de s’ébranler que l’homme, un frère venant de Zeitz, ouvrit son havresac rempli jusqu’au bord de livres Le divin Plan des Âges, et donna un discours aux voyageurs en se servant de la “carte des âges” dessinée sur la première page du livre. En conclusion, il a proposé à tout le monde le premier volume des Études des Écritures. Quand il est descendu du train quelques stations plus loin, son havresac était vide et le sac de sa fille à moitié vide. Ce fait a incité Fritz Winkler à assister à une conférence publique, ce qui lui a permis de connaître la vérité.
L’ŒUVRE EST PASSÉE AU CRIBLE
Mais tout le monde n’était pas d’accord avec la façon dont la bonne nouvelle était proclamée. Surtout certains ‘anciens’, élus d’une façon démocratique par les congrégations, cherchaient davantage à entraver qu’à favoriser l’œuvre. Il a fallu avertir les frères de ne plus discuter avec eux. Il valait mieux les laisser partir et consacrer au ministère du Royaume le temps qui aurait été perdu en de vaines controverses. La Tour de Garde montrait clairement qu’un tel criblage devait venir, puisque les chrétiens ont été exhortés à surveiller ceux qui suscitent divisions et discussions, et à les éviter. Pour cela, il fallait effectuer certains changements dans les pays voisins au cours de l’année 1919, qui se répercutèrent sur les frères et l’œuvre en Allemagne. Pendant cette année-là, par exemple, frère Lauper a commencé à travailler selon son propre point de vue. Par conséquent, il lui a été demandé de renvoyer sa réserve de livres et de périodiques, appartenant à la Société Watch Tower, mais dont il avait eu la charge pendant plusieurs années.
Vers la fin de l’année 1919, les frères ont connu un bien plus grave problème. Quelques années auparavant, frère Russell avait nommé A. Freytag pour s’occuper de l’œuvre en France et en Belgique à partir du bureau de la Société installé à Genève. Il était autorisé à faire paraître une traduction française de l’édition anglaise de La Tour de Garde ainsi que des Études des Écritures. Cependant, il a mal employé cette autorisation et a commencé à publier ses propres ouvrages, mettant ainsi les frères dans un grand désarroi. Freytag a été démis de ses fonctions et le bureau de la Société a été dissous, après quoi un nouveau bureau fut ouvert à Berne sous la direction de frère E. Zaugg et la supervision générale de frère Binkele.
Pendant ce temps-là, les partisans de Freytag ont commencé à tenir des réunions et à travailler parmi les frères d’Allemagne, dont certains n’ont pas conservé une claire vision des choses à cause des critiques de Freytag diffamant la Société et l’accusant de répandre de faux enseignements. En septembre 1920, frère Binkele a trouvé qu’il était indispensable de répondre aux calomnies de Freytag et aux nombreuses questions venant d’Allemagne dans une circulaire de quatre pages. Néanmoins, les graines du doute semées par Freytag ont commencé à germer et un certain nombre de ceux qui ne tenaient pas ferme dans la vérité l’ont suivi et ont créé leurs propres congrégations. Ce groupe existe encore de nos jours en Allemagne.
EN ATTENDANT DE PLUS GRANDS PRIVILÈGES DE SERVICE
À partir du mois de janvier 1919, La Tour de Garde a de nouveau été publiée en seize pages et avec un titre en première page (ce qui n’avait pas été fait pendant les années de guerre pour épargner de l’argent). L’activité de pèlerin a été renforcée, et quatre frères ont visité régulièrement les congrégations. En même temps, ils travaillaient fébrilement sur la traduction du septième volume des Études des Écritures, le livre intitulé Le mystère accompli. En plus, un tract de quatre pages intitulé “La chute de Babylone” a été préparé. Il s’agissait d’un résumé, du livre.
Tout a été minutieusement organisé. À partir du 21 août et au cours des mois suivants, une véritable montagne de tracts et de livres Le mystère accompli ont été distribués. C’était une vaste campagne, bien que tous n’y aient pas participé, surtout pas les ‘anciens électifs’ qui préféraient plutôt se contenter de donner des conférences. Même des frères et des sœurs bien disposés sous d’autres rapports ont hésité à entreprendre cette activité en se rendant compte du contenu du livre.
Frère Richard Blümel, de Leipzig, bien qu’étant baptisé depuis 1918, n’avait pas pris garde au fait qu’il était toujours membre d’une Église de la chrétienté. Il partageait l’opinion de ceux qui disaient : “Si je n’assiste pas aux offices, je ne suis plus membre de l’Église.” Mais en lisant le tract et en comprenant qu’il devrait inviter ses semblables à quitter Babylone, il savait qu’il ne pourrait participer à cette œuvre en toute conscience qu’après avoir abandonné lui-même l’Église. Le 21 août au matin, il faisait officiellement rayer son nom des registres de l’Église et, dans l’après-midi, il sortait pour diffuser le tract La chute de Babylone avec une conscience pure.
Un peu plus tard dans l’année, lors d’une assemblée tenue à Leipzig, frère Cunow, qui avait à cette époque-là la surveillance de l’œuvre en Allemagne, parla de l’expansion — près de 4 000 frères étaient désormais actifs — et annonça que le périodique L’Âge d’Or serait imprimé en Allemagne dès que le bureau central donnerait ses instructions. Les assistants ont manifesté beaucoup d’enthousiasme et ont tous exprimé leur détermination de soutenir l’œuvre sur le plan financier.
LA MOISSON EST MÛRE
Quels changements l’Allemagne a connus en quelques années ! Avant la Première Guerre mondiale, relativement peu de personnes étaient bien disposées pour écouter la bonne nouvelle du Royaume. Cependant, le kaiser, qui en 1914 avait annoncé d’un air de triomphe un avenir glorieux pour l’Allemagne, s’était enfui en exil aux Pays-Bas. L’armée allemande partie pour conquérir la France, était revenue sans gloire dans la patrie. Les mots écrits sur leurs ceintures, “Dieu avec nous !”, s’étaient révélés trompeurs. Les soldats qui étaient revenus avaient constaté la vanité de la guerre, qui n’a jamais été soutenue par Dieu, contrairement aux nombreux efforts du clergé pour les en convaincre.
Un grand nombre de frères encore en vie confirment que cette guerre inutile et absurde les a incités à examiner la vérité. Beaucoup ont refusé de croire que Dieu était impliqué d’une manière ou d’une autre dans cette destruction insensée de la vie humaine ; ils en ont plutôt tenu les membres du clergé pour responsables puisque, pendant ces prétendus “offices religieux du front”, ils promettaient une récompense céleste à ceux qui perdraient la vie dans la bataille. D’autres, en apprenant que leur mari, leur père ou leur fils étaient tombés au “champ d’honneur”, ont commencé à se demander s’ils étaient vraiment montés au ciel ou peut-être descendus dans un enfer de feu comme l’enseignait le clergé. Pour ces personnes, le discours “Où sont les morts ?” venait donc au bon moment. Les frères ont pu diffuser des livres comme jamais auparavant. Deux sœurs engagées dans l’œuvre de colporteur ont déclaré avoir laissé en moyenne 400 volumes des Études des Écritures par mois. Les fidèles serviteurs de Jéhovah profitaient au maximum des possibilités qui leur étaient offertes. Relativement en peu de temps, des congrégations saines se sont épanouies en plusieurs endroits.
Le jeudi 27 mai 1920, sept orateurs ont pris la parole devant 8 à 9 000 personnes assoiffées de vérité dans sept vastes salles situées dans différentes parties de Berlin sur le sujet “La fin est proche ! Que se produira-t-il ensuite ?” L’intérêt manifesté a été si important que 1 500 personnes ont demandé à être visitées, et que 2 500 livres, outre d’autres imprimés, ont été placés.
Désormais, le Photo-Drame a été connu et apprécié. L’une des projections les plus impressionnantes s’est passée dans la Gustav-Siegle-Haus de Stuttgart devant un millier de personnes. L’intérêt fut tel que les frères ont dû laisser leur place aux amis de la vérité. Il a fallu faire une projection spécialement pour eux le dimanche, avec juste une courte pause pour le déjeuner, alors que le programme complet était présenté normalement sur quatre soirs.
Le Photo-Drame a été accepté avec beaucoup de reconnaissance en Saxe, forteresse de la réflexion socialiste, où des congrégations ont commencé à pousser aussi vite que des champignons après la pluie. Entre autres, une congrégation à Waldenburg n’a pas tardé à comprendre une centaine de personnes aux réunions organisées régulièrement dans une vaste ferme pour étudier la Parole de Dieu. Peu de temps auparavant, son propriétaire faisait encore partie du conseil d’administration de l’église.
D’IMPORTANTS PROGRÈS VERS L’ORGANISATION THÉOCRATIQUE
À cette époque-là, frère Rutherford désirait aller lui-même en Allemagne, mais il n’a pu obtenir le droit d’entrée. Il a donc invité vingt-six frères d’Allemagne à venir à Bâle, en Suisse, les 4 et 5 novembre 1920, pour discuter des méthodes et des moyens à employer pour accomplir l’œuvre en Allemagne d’une manière plus pratique. La “filiale allemande” a été dissoute et un nouveau bureau appelé “Watch Tower Bible and Tract Society, Bureau Central Européen” fut constitué. Son siège social se trouvait temporairement à Zurich, mais il devait être transféré à Berne dès que possible. Ce bureau, placé sous la direction d’un surveillant principal entièrement voué au Seigneur et nommé par le président, était chargé de s’occuper de l’œuvre en Suisse, en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Autriche, en Allemagne et en Italie. Chacun des pays énumérés ici devait avoir un surveillant local, également nommé par le président. Cette disposition avait pour dessein d’unir l’œuvre en Europe centrale afin qu’elle soit accomplie de la manière la plus utile.
La conférence de deux jours avec les vingt-six frères venus d’Allemagne, y compris frères Hoeckle, Herkendell et Dwenger, avait particulièrement pour dessein de trouver les méthodes et les moyens les plus efficaces d’accomplir l’œuvre en Allemagne et de choisir le surveillant local. Le comité qui avait servi jusqu’alors en Allemagne pendant de nombreuses années a été dissous. Frère Cunow, qui avait dirigé l’œuvre pendant plusieurs années, a demandé à être relevé de ses fonctions au bureau et à entreprendre l’activité de pèlerin. Il était donc nécessaire de trouver un nouveau surveillant. Paul Balzereit a été choisi pour être le surveillant local en Allemagne et frère Binkele a été nommé comme surveillant principal du Bureau Central Européen.
LA “CAMPAGNE DES MILLIONS”
On a annoncé qu’en février 1921 paraîtrait en allemand le livre Des millions actuellement vivants ne mourront jamais et qu’une campagne de conférences qui s’étendrait sur plusieurs années devait commencer officiellement le 15 février. Les meilleurs orateurs ont été désignés pour donner ces conférences et là où il n’y en avait pas, les congrégations pouvaient écrire à la Société afin qu’elle prenne des dispositions pour leur en envoyer.
De ce fait, la porte menant à un puissant témoignage était ouverte, ce que la plupart des frères avaient cru impossible une année plus tôt. Le rapport annuel de la Société disait : “Jamais auparavant un si grand intérêt ne s’est manifesté en Allemagne comme aujourd’hui. D’immenses foules arrivent et, malgré l’opposition croissante, la vérité se répand.”
Cela était également vrai dans la ville de Constance. Sœur Berta Maurer, qui sert Jéhovah depuis plus de cinquante ans, se souvient encore de la façon dont le discours public “Le monde a pris fin ! Des millions d’hommes actuellement vivants peuvent ne jamais mourir !” a été annoncé sur de grandes affiches pour être ensuite donné dans la plus vaste salle de la ville, dans laquelle Jan Hus avait été condamné à être brûlé sur un bûcher. Des discours supplémentaires ont été donnés et le 15 mai 1921, quinze personnes ont été baptisées — le commencement de la congrégation à Constance.
À Dresde, le discours fit vraiment sensation. La congrégation avait loué trois vastes salles, mais dans certains endroits, deux heures avant le début du discours, la circulation avait été interrompue, car la foule qui venait bloquait les rues. Les salles étaient archicombles. Les orateurs eux-mêmes avaient de la peine à se frayer un chemin parmi la foule pour atteindre les salles. Une fois qu’on lui a promis de recommencer le discours pour ceux qui attendaient, la foule a bien voulu, seulement alors, dégager le passage.
À Wiesbaden, Mme Elisabeth Pfeiffer a trouvé dans la rue une invitation annonçant le discours “Millions”. Elle s’est dit : “Quelle bêtise ! Je vais cependant y aller, car j’aimerais bien voir le genre de personnes qui croient de telles choses.” Elle est donc partie et a été étonnée de voir une vaste foule de gens dans la rue, s’efforçant en vain d’entrer dans la salle de conférences déjà bondée, une école d’enseignement secondaire, où le discours devait être donné. À cette époque-là, les Français occupaient encore le pays et leurs soldats faisaient entrer les gens avec douceur. Quand ils ont vu que la salle était pleine et que des centaines de personnes attendaient encore dans la rue, ils ont parlé à l’orateur, frère Bauer, et ont dit à la foule qui attendait au dehors que ce dernier était prêt à répéter son discours dès qu’il aurait terminé. Quelque trois à quatre cents personnes, y compris Mme Pfeiffer, ont attendu patiemment. Ce qu’elle a entendu au cours de cette soirée l’a si vivement impressionnée qu’elle a ensuite assisté à toutes les réunions et n’a pas tardé à devenir une sœur zélée.
Une autre fois, frères Wandres et Bauer avaient pris des dispositions pour donner un discours, mais contrairement à ce qui arrivait d’ordinaire où les salles étaient bondées, ce soir-là, personne n’est venu tout d’abord. Comme l’heure de commencer le discours approchait, ils sont tous deux sortis dans la rue pour voir si les gens venaient. Ils ont trouvé certaines personnes qui désiraient entendre le discours, mais qui pour une raison inconnue des frères hésitaient à pénétrer dans le bâtiment. Quand elles ont été interrogées sur les raisons de leur attitude, elles ont déclaré qu’étant donné que c’était le 1er avril, elles ne savaient pas s’il s’agissait de plaisantins ayant organisé une joyeuse farce. Cependant, en l’espace d’une demi-heure, trente à quarante personnes sont arrivées pour écouter la conférence.
Frère Erich Eickelberg, de Remscheid, était en train de diffuser l’ouvrage Millions à Solingen quand il lui est arrivé le fait de prédication suivant : Il s’est présenté à un homme qu’il venait de rencontrer en disant : “Je vous apporte la bonne nouvelle que des millions d’hommes actuellement vivants ne mourront jamais mais vivront dans la paix et le bonheur éternels sur la terre. Cet ouvrage le prouve et il ne coûte que 10 pfennigs.” L’homme refusa son offre mais le petit garçon qui se trouvait à côté de lui a dit : “Papa, pourquoi ne l’achètes-tu pas ? Un cercueil coûte beaucoup plus cher.”
L’ORGANISATION EST ÉQUIPÉE EN VUE D’UNE NOUVELLE ACTIVITÉ
De 1919 à 1922, les années d’après-guerre se sont avérées profitables au développement et à la préparation des frères en Allemagne.
La Société, qui désirait fortifier l’œuvre aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, a entrepris les démarches nécessaires sur le plan légal pour que l’œuvre et ses statuts soient reconnus par le gouvernement. C’est ce qui est arrivé le 7 décembre 1921 quand la Watch Tower Bible and Tract Society, constituée à Allegheny, aux États-Unis, en 1884, a été reconnue en Allemagne comme étant une société étrangère légale.
Le message publié au cours de l’année 1922 portait principalement sur le thème “Des millions actuellement vivants ne mourront jamais”. La Société a réservé la journée du 26 février 1922 pour présenter dans le monde entier le sujet “Millions”. Ce jour-là, le discours a été donné en Allemagne dans 121 villes différentes et environ 70 000 personnes y ont assisté. Le 25 juin a été une seconde grande journée de témoignage mondial, puisque 119 conférences, auxquelles ont assisté quelque 31 000 personnes, ont été données en Allemagne. Deux autres séries de “conférences mondiales” semblables ont été données en Allemagne au cours de l’année. Le 29 octobre, 75 397 personnes y ont assisté, et le 10 décembre, 66 143. Ainsi, des milliers de personnes ont été touchées par la bonne nouvelle.
FRÈRE RUTHERFORD VIENT DE NOUVEAU EN EUROPE
En 1922, frère Rutherford a entrepris un grand voyage à travers l’Europe, et il en a profité pour passer par Hambourg, Berlin, Dresde, Stuttgart, Karlsruhe, Munich, Barmen, Cologne et Leipzig. À Hambourg, quelque 500 frères étaient venus assister à une assemblée pendant une journée — cela représentait un excellent accroissement depuis sa dernière visite qui remontait à huit années auparavant. À Stuttgart, une salle contenant 1 200 places seulement était disponible pour la conférence publique ; on a dû refuser l’entrée à des centaines de personnes. À Munich, frère Rutherford s’est adressé à 7 000 personnes dans le “Zirkus Krone” archicomble. Avant le début du discours, on a appris qu’un groupe d’antisémites et un certain nombre de prêtres jésuites étaient présents et qu’ils avaient l’intention de troubler et même, si possible, d’interrompre l’assemblée. Frère Rutherford a déclaré : “Dans cette ville (Munich) et dans d’autres lieux, on raconte que l’Association internationale des Étudiants de la Bible est financée par les Juifs.” Il venait à peine de prononcer ces paroles que des cris comme “C’est vrai”, et d’autres retentirent. Mais frère Rutherford parla avec tant de conviction et de force que ceux qui avaient créé de l’agitation n’avaient plus qu’à se taire, bien qu’ils aient essayé de s’emparer du pupitre de l’orateur pour l’empêcher de poursuivre son discours.
L’événement le plus important qui s’est produit en Allemagne pendant l’année 1922 a été l’assemblée qui s’est tenue dans la ville de Leipzig les 4 et 5 juin. La Société avait choisi la ville de Leipzig comme étant l’emplacement idéal pour tenir une assemblée allemande. Les frères, vivant pour la plupart en Saxe, étaient très pauvres et ils n’auraient pas pu payer les frais d’un long voyage. Leipzig était donc vraiment l’endroit qui convenait le mieux.
Le lundi matin, une session par questions et réponses avec la participation de frère Rutherford fut organisée. Parmi les questions, qui avaient été présentées à l’avance par lettre, une était d’un intérêt particulier. Elle concernait le “Völkerschlacht-denkmal” (Monument de la Bataille des Nations), de Leipzig, inauguré en 1913 avec des cérémonies appropriées et destiné à perpétuer le souvenir d’un soulèvement qui s’était produit aux environs de Leipzig un siècle auparavant. La question relative à ce monument était à peu près la suivante : “Le passage d’Ésaïe 19:19 se réfère-t-il à ce monument quand il déclare : ‘En ce jour-là, il y aura un autel pour Jéhovah au milieu du pays d’Égypte et, à côté de sa limite, une colonne pour Jéhovah’ ?”
Rappelons que trois années plus tôt — à savoir lors de l’assemblée tenue en 1919 à Leipzig — un certain nombre de frères étaient partis voir un matin ce monument de la Bataille des Nations. Au cours de cet après-midi-là, un discours avait été donné par frère Alfred Decker, un ‘ancien électif’ violemment opposé à la vérité par la suite, pour prouver que la colonne mentionnée dans Ésaïe 19:19 s’appliquait vraiment à ce monument de la Bataille des Nations. Le constructeur, le conseiller privé Thieme, a également été invité à cette occasion joyeuse et prié, ainsi que ses architectes, de donner des explications appropriées.
Avant de répondre à la question, Rutherford était allé voir cette réalisation démesurée. Plus tard, en adressant la parole à l’assemblée, il n’a pas mâché ses mots en déclarant qu’Ésaïe 19:19 ne se rapporte absolument pas à ce monument qui n’a été élevé que pour l’ambition dévorante d’un homme sous l’influence du grand adversaire. Il n’existe pas la moindre raison pour que Jéhovah érige un tel monument sur la terre à la fin de l’ère de l’Évangile. Chaque partie de cette œuvre gigantesque témoigne qu’elle vient du Diable, qu’elle est son œuvre et celle de ses alliés et complices, les démons, qui ont influencé les hommes pour élever ce “monument de folie”. Le kaiser allemand avait naguère espéré pouvoir dire : “Autrefois, Napoléon, qui s’était efforcé de conquérir le monde entier, est venu ici, mais ses desseins ont échoué lamentablement — et le kaiser allemand est venu ici, lui aussi a également commencé à conquérir le monde et ses projets furent un vaste triomphe, c’est pourquoi le monde entier doit s’agenouiller devant lui.”
“LA HARPE DE DIEU”
Pour organiser le travail consistant à diffuser rapidement le nouveau livre La Harpe de Dieu, désormais disponible en allemand, la Société a préparé et imprimé cinq millions d’exemplaires d’un tract intitulé “Pourquoi ?” Malheureusement, les imprimeries à qui l’on avait confié l’impression de La Harpe de Dieu étaient sans arrêt en retard sur leur programme, ce qui provoquait également du retard sur la date de parution de cet ouvrage. À cause de l’inflation effrénée, il était impossible de maintenir le prix du livre indiqué sur le tract de la Société : au début du mois de janvier 1923, de 100 marks, ce prix est passé à 250, ce qui équivalait à un quart de livre de margarine, et déjà, le prix de revient du livre Harpe s’élevait à 350 marks. Le contenu du livre a soulevé un grand enthousiasme, non seulement parmi les frères, mais aussi parmi les amis de la vérité.
À Langenchursdorf, appartenant à la congrégation de Waldenburg, un jeune frère appelé Erich Peters, qui avait la parole facile, était si enthousiasmé par le contenu du livre et à l’idée de suivre l’invitation à commencer des études avec cet ouvrage qu’il a demandé à son père l’autorisation d’inviter ses amis et ses voisins au foyer paternel un soir par semaine afin de discuter avec eux de La Harpe de Dieu. Par la suite, tant de personnes ont assisté à cette étude en soirée qu’il a fallu mettre des chaises dans toutes les pièces du rez-de-chaussée. Ce jeune frère, qui parlait avec enthousiasme du Royaume de Jéhovah et des bénédictions qu’il procurerait, se tenait dans l’encadrement d’une porte juste entre les pièces et ainsi tout le monde pouvait le voir et l’entendre. Cet exemple a été rapidement suivi par d’autres congrégations et les classes d’étude du livre “Harpe” sont rapidement devenues une partie intégrante de l’emploi du temps habituel.
LA PREMIÈRE IMPRIMERIE
D’avril 1897 à décembre 1903, La Tour de Garde (édition allemande) fut imprimée à Allegheny (États-Unis), et de janvier 1904 au 1er juillet 1923, dans des imprimeries en Allemagne. Pendant des dizaines d’années, à l’exception des publications qui venaient directement d’Amérique, les livres et autres manuels de la Société furent imprimés par des entreprises commerciales. Afin de réduire les dépenses, on installa par la suite deux presses horizontales et du matériel d’imprimerie à Barmen, bien que la place fût très limitée.
Au début, aucun frère ne connaissait le travail de composition et de reliure ; frère Ungerer, imprimeur expérimenté et typographe de Berne, en Suisse, fut donc envoyé à Barmen pour former les premiers ouvriers volontaires. Leur ardeur au travail et leurs efforts déterminés pour produire des imprimés de qualité, en dépit du peu de matériel mis à leur disposition, étaient étonnants.
Toutes les pièces de la maison à un étage étant utilisées comme chambres à coucher, les presses furent installées sur le palier et dans un hangar en bois de 20 mètres sur 8. Frère Hermann Görtz se souvient encore d’avoir imprimé 100 000 exemplaires supplémentaires de la première édition du périodique L’Âge d’Or (1er octobre 1922). La presse n’étant pas automatique, il fallait introduire manuellement le papier à deux reprises dans la machine. Pendant presque une année les frères ont souvent dû travailler jusqu’à minuit, afin d’exécuter toutes les commandes.
COMMENT CERTAINS ONT CONNU LA VÉRITÉ
D’étranges circonstances ont parfois incité certaines personnes à se tourner vers la vérité ; ce fut le cas de frère Eickelberg, qui assista à une projection du Photo-Drame. Parlant de la “Réforme”, l’orateur dit : “Les protestants ont cessé de protester.” Quelqu’un dans l’assistance cria alors. “Nous continuons de protester !” L’orateur demanda que l’on éclairât la salle, et chaque personne présente se retourna pour voir qui était cet homme “courageux”. Qui cela pouvait-il bien être, sinon un pasteur protestant assis entre deux prêtres catholiques ! Indignés, les assistants demandèrent que le pasteur soit expulsé de la salle. Frère Eickelberg comprit alors que la vérité ne se trouve pas dans les Églises.
Eugen Stark se rendit à Stuttgart pour assister à la projection du Photo-Drame. Il y avait déjà 3 000 personnes dans la salle lorsqu’on annonça que le projecteur était en panne et qu’il était impossible de le réparer ce soir-là. Tous les assistants furent donc invités à revenir le lendemain soir. Déçu, Eugen Stark se rendit chez sa mère, qui appartenait à la Nouvelle Église apostolique. Tous deux arrivèrent à la conclusion que les Étudiants de la Bible ne pouvaient être dans la vérité, sinon un tel incident ne se serait pas produit. Frère Stark décida donc de ne pas assister à la projection le lendemain soir, et d’aller plutôt rendre visite à sa sœur. Toutefois, le tramway dans lequel il était monté passa devant la salle où devait avoir lieu la projection ; il fut étonné de voir qu’un aussi grand nombre de personnes que la veille cherchaient à y entrer. Sans perdre un instant, il sauta en bas du tramway, tombant presque sous les roues. Malgré ses contusions, il se releva et entra dans la salle. Ce qu’il entendit l’enthousiasma à tel point qu’il fit l’acquisition des manuels d’étude biblique proposés et laissa son adresse pour être visité. Désormais, rien ne l’empêcherait d’étudier la Bible.
Alors qu’il fréquentait encore l’école, Kurt Diessner fut écœuré de la religion par un chant que son prédicateur lui enseigna en 1915, en pleine guerre. Ce chant parlait de détruire les nations ennemies et disait que les armées allemandes devaient les rejeter dans les lacs, dans les marais, dans le Vésuve ou dans l’océan. Plus tard, en 1917, on fit fondre les cloches de l’église pour en faire des goupilles de grenades et un journal paroissial publia une photo représentant une grande cloche bénie par un prêtre aux bras étendus. Sous la photo il y avait cette légende : “Et maintenant, allons de l’avant, et mettons en pièces le corps de nos ennemis.” La décision de Kurt Diessner était prise. C’est au début des années 1920 qu’il identifia et embrassa le vrai culte de Jéhovah, et encore maintenant, il entreprend de temps à autre le service de pionnier temporaire.
TRAVAILLANT DE TOUT CŒUR À L’EXTENSION DE L’ŒUVRE
Certains de ceux qui, il y a cinquante ans ou plus, ont entendu l’appel pour le service de Jéhovah et y ont répondu, sont encore parmi nous et parlent avec enthousiasme de leur activité à cette époque-là, quand ils étaient encore “jeunes et forts”. Pauvres sur le plan matériel, ils étaient riches spirituellement.
Minna Brandt, de Kiel, rapporte qu’elle parcourait de longues distances à pied pour prêcher le message du Royaume ; lorsqu’il lui était impossible de rentrer chez elle à la fin de la journée, elle passait la nuit dans les champs, dormant dans une meule de foin. Par la suite, elle fit de l’auto-stop pour se rendre dans les villes du Schleswig-Holstein, situé à l’extrême nord du pays ; le plus souvent, ce sont des conducteurs de camions qui la prenaient à bord. En ces jours-là, les frères disposaient d’un grand haut-parleur dont ils se servaient pour donner des conférences publiques l’après-midi sur les places de marché ou en tout autre endroit approprié, après avoir prêché dans le village le matin.
Ernst Wiesner (qui devint par la suite surveillant de circonscription) et d’autres frères partaient de Breslau et parcouraient entre 90 et 100 kilomètres à bicyclette pour prêcher. Les frères de Leipzig, où Erich Frost et Richard Blümel servaient, montraient beaucoup d’ingéniosité pour attirer l’attention des gens sur le message du Royaume. Pendant un certain temps, ils utilisèrent un petit orchestre composé de frères, qui jouaient tout en marchant dans les rues. Ceux qui les accompagnaient rendaient un bref témoignage dans les maisons situées sur le parcours, et se pressaient ensuite pour rattraper les musiciens.
En 1923, l’attention fut dirigée sur la prédication à plein temps. L’appel suivant fut lancé : “Nous avons besoin de mille pionniers.” Cette annonce mit le peuple de Dieu en émoi, car cela signifiait que sur les 3 642 “ouvriers” alors en activité, un sur quatre était invité à devenir pionnier. L’appel ne fut pas lancé en vain.
Par exemple, Willy Unglaube comprit qu’il était concerné. Il décida donc de devenir pionnier ‘non pas pendant un an ou deux, dit-il, mais aussi longtemps que Jéhovah l’utiliserait dans ce service’. Il travailla dans différentes parties de l’Allemagne et par la suite il servit durant plusieurs années au Béthel de Magdebourg. En 1932, il répondit à l’appel demandant des pionniers pour servir à l’étranger. Il fut d’abord envoyé en France, puis en Algérie, en Corse, dans le sud de la France et de nouveau en Algérie et en Espagne. De là, il partit à Singapour, en Malaisie, à Java, et, en 1937, en Thaïlande, où il demeura jusqu’à son retour en Allemagne, en 1961. Il avait vingt-cinq ans lorsqu’il devint pionnier et maintenant, bien qu’il soit sur le point d’entrer dans sa soixante-dix-huitième année, il est toujours l’un de nos pionniers les plus zélés et les plus productifs.
Le 1er février 1931, Konrad Franke entreprit le service de pionnier. Très tôt dans sa jeunesse il se souvint de son Créateur. Maintenant qu’il est membre de la famille du Béthel, c’est avec joie qu’il songe à ses quarante-deux années de service à plein temps ininterrompu, dont quatorze comme surveillant de filiale d’Allemagne.
LE SERVICE DE PÈLERIN
Les discours encourageants prononcés par les frères pèlerins au cours des années 1920 ont sans aucun doute contribué beaucoup à l’édification des frères. À cette époque-là, les moyens de transport étaient limités et inconfortables. Les frères pèlerins devant couvrir un grand territoire rural, une charrette tirée par un cheval était souvent leur moyen de locomotion. Parfois il leur fallait parcourir de longues distances à pied.
En une certaine occasion, Emil Hirschburger se rendait dans le sud de l’Allemagne où il devait prononcer un discours. Il voyageait en train ; il prit place dans un compartiment et se trouva en compagnie de six hommes dont les vêtements les identifiaient nettement à des prêtres catholiques. Ils s’entretenaient au sujet du discours que frère Hirschburger devait donner, ignorant bien entendu que celui-ci était parmi eux. Il semble qu’ils venaient d’assister à un congrès religieux et que le prêtre de la ville où frère Hirschburger devait se rendre avait reçu l’ordre de le défier en un débat public. Ce prêtre cherchait conseil auprès de ses collègues quant à savoir quels arguments employer pour ne pas être vaincu par “cet Étudiant de la Bible” au cours de la confrontation publique. De toute évidence, aucune des suggestions de ses collègues ne lui donna satisfaction. L’un après l’autre ils descendirent du train, chacun souhaitant bonne chance à ceux qui restaient. Comme le dernier s’apprêtait à le quitter, soucieux, le prêtre demanda confidentiellement à son collègue ce qu’il pensait de cette affaire et s’il lui conseillait de se rendre à cette réunion. Celui-ci ne se fit pas prier pour répondre et dit avec un fort accent souabe : “Eh bien, si vous pensez être prêt à l’affronter, allez-y.” Frère Hirschburger ne le vit pas à la réunion !
LE DRAME DE LA CRÉATION
Au début des années 1920, les films du Photo-Drame étaient pratiquement hors d’usage. Toutefois, la Société put acheter des bobines de films d’actualités ainsi que des films bibliques à des sociétés cinématographiques, et après les avoir modifiés en pratiquant des coupures ou en ajoutant certaines séquences, elle les projeta. Ainsi, des films entièrement nouveaux, d’une longueur de 5 000 à 6 000 mètres, furent assemblés. En outre, les images fixes projetées jusque-là furent remplacées par de nouvelles, prises dans le livre Création ou dans d’autres manuels publiés par la Société Watch Tower, ou achetées dans le commerce. En ce temps-là, la photographie en couleurs n’existait pas, mais Wilhelm Schumann, du Béthel de Magdebourg, travaillait sans relâche, ajoutant de la couleur aux photos en noir et blanc. Les magnifiques vues en couleurs ont toujours laissé une impression durable sur les assistants, et comme la plupart d’entre elles représentaient la merveilleuse création de Jéhovah, le titre du film fut modifié et devint “Drame de la Création”. Sous cet intertitre, l’Annuaire allemand de 1932 rapportait :
“À l’exception du nom et de l’usage de clichés, il ne reste rien de l’ancien Drame de la création. Le texte (...) est tiré du livre Création et d’autres manuels, et le nom ‘Drame de la création’ a également été emprunté au livre Création.”
En 1928, on organisa la première projection à Stettin. On demanda alors à Erich Frost, musicien de métier et chef d’orchestre, de composer une musique d’accompagnement pour le film, qui était évidemment muet. D’autres musiciens ne tardèrent pas à se joindre au groupe. Par la suite, ils utilisèrent leurs instruments pour imiter le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles des arbres. En été 1930, au cours d’une projection à Munich, Heinrich Lutterbach, excellent violoniste, fit la connaissance des musiciens de l’orchestre qui l’invitèrent immédiatement à les accompagner dans leur tournée. Il accepta avec joie, complétant ainsi l’orchestre qui était chaleureusement accueilli partout. Deux ans plus tard, la Société remit à frère Frost un second jeu de films et de clichés, en lui demandant d’aller en Prusse-Orientale. Après cela, frère Lutterbach prit la baguette de chef du petit orchestre.
En 1930, une projection fut prévue à Munich. Le Drame de la Création avait déjà été projeté dans cette ville où il avait remporté un grand succès ; cette nouvelle projection contrariait vivement les conducteurs religieux. En désespoir de cause, ils conseillèrent aux centaines de Munichois appartenant à leurs congrégations de se procurer des tickets aux guichets de location, et de ne pas assister à la représentation. Ainsi, la salle serait vide. Mais les frères eurent vent du complot suffisamment à l’avance pour prendre d’autres dispositions, et finalement le complot se retourna contre ses instigateurs.
LA SOCIÉTÉ DÉMÉNAGE
Les frères responsables se rendirent bien vite compte que le matériel d’imprimerie de Barmen était insuffisant. Sous la direction évidente de l’esprit de Jéhovah, leur attention se porta sur Magdebourg, où un immeuble disponible immédiatement était mis en vente. Forcée de prendre rapidement une décision, la Société acheta l’immeuble de la rue Leipziger. Le transfert de Barmen à Magdebourg eut lieu le 19 juin 1923. Soudain, les troupes françaises occupèrent le Rhin et la Ruhr, y compris Barmen et Elberfeld. Par voie de conséquence, les services postaux, la gare et la banque furent placés sous contrôle français ; il aurait donc été très difficile de servir les intérêts des congrégations à partir de Barmen. Le rapport annuel de 1923 disait ce qui suit à propos de cet événement : “Un matin, le siège central de Brooklyn reçut une note l’informant que la filiale d’Allemagne avait été transférée sans difficulté à Magdebourg. Le lendemain matin, les journaux annonçaient que les Français occupaient Barmen. Nous sommes reconnaissants envers notre cher Seigneur qui nous a protégés et bénis.”
Il était maintenant possible d’imprimer La Tour de Garde dans notre propre imprimerie. Le premier numéro qui sortit des presses fut celui du 15 juillet 1923. Quelque trois ou quatre semaines plus tard, une grande presse à margeur automatique fut installée et on commença l’impression du premier volume des Études des Écritures. Juste après, on imprima le livre La Harpe de Dieu sur la même machine.
Mais il fallait davantage de matériel. Frère Balzereit demanda donc à frère Rutherford l’autorisation d’acheter une presse rotative. La demande étant justifiée, frère Rutherford donna son accord mais à une condition. Il avait remarqué que depuis quelques années frère Balzereit s’était laissé pousser la barbe, qui était devenue semblable à celle de frère Russell. D’autres frères qui désiraient ressembler à frère Russell n’avaient pas tardé à suivre son exemple. Cette tendance risquait de donner naissance au culte de l’homme, ce que frère Rutherford désirait empêcher. Aussi, lors de sa visite suivante et devant toute la famille de la Maison de la Bible, il dit à frère Balzereit qu’il pouvait acheter la presse rotative mais à condition qu’il se rasât la barbe. Frère Balzereit accepta tristement et se rendit ensuite chez le barbier. Au cours des quelques jours qui ont suivi, il y eut des quiproquos et des situations comiques, car les membres de la famille ne reconnaissaient pas toujours l’“étranger” qui était parmi eux.
Une année plus tard, on installa la première partie de la presse au sous-sol, et la seconde fut livrée peu de temps après. On pouvait maintenant parler d’une imprimerie bien équipée et d’un service de reliure productif, capable de sortir des livres de 400 pages au rythme de 6 000 exemplaires par jour.
Durant les années 1923 et 1924 il y eut un grand accroissement dans la diffusion des publications. Afin de satisfaire à la demande, en 1925 la Société acheta un terrain attenant au premier bâtiment. On augmenta et améliora le matériel de l’imprimerie ainsi que celui de la reliure. On construisit un solide bâtiment en béton sur le terrain nouvellement acquis. Au rez-de-chaussée on installa le service de la reliure, les presses horizontales, et il y avait même de la place pour deux presses rotatives ; au premier étage se trouvaient la composition et d’autres services préparatoires, et au deuxième étage, le bureau. Malgré cela, il fallut faire beaucoup d’heures supplémentaires, car la diffusion des publications prenait de plus en plus d’extension. On fit l’acquisition d’une seconde presse rotative en 1928, mais la demande était si importante qu’il fallut établir deux postes de douze heures chacun, les frères travaillant même le dimanche. Ainsi, les machines ont tourné jour et nuit sans interruption pendant plusieurs années. Il en fut évidemment de même pour le service de la reliure, les frères devant terminer le travail une fois les pages imprimées. Ils produisaient 10 000 livres par jour.
Il fut également possible de bâtir une belle salle d’assemblée sur le terrain récemment acquis. Celle-ci était décorée avec goût et comptait environ 800 places assises. Les frères l’appelèrent la “Salle de la harpe”, montrant ainsi leur appréciation pour le livre La Harpe de Dieu.
Les membres de la famille servant à la Maison de la Bible qui pouvaient se libérer le dimanche, prêchaient dans le territoire de Magdebourg et des environs. Ils s’y rendaient en camion (celui-ci étant équipé de sièges amovibles pour cinquante-quatre personnes), en autocar, en train, en voiture ou à bicyclette. Ils couvrirent un rayon de plusieurs centaines de kilomètres et jetèrent les bases de nombreuses congrégations.
Avec le temps, le nombre des ouvriers travaillant à la Maison de la Bible s’accrut et dépassa les 200.
ASSEMBLÉE DE MAGDEBOURG EN 1924
L’événement le plus important de l’année 1924 fut le congrès de Magdebourg, auquel assista frère Rutherford. Environ 4 000 frères et sœurs venus de toutes les parties de l’Allemagne se réunirent en cette occasion. Certains avaient même fait le trajet à bicyclette. La majorité d’entre eux ne purent apporter qu’un pauvre panier pique-nique, car la nation tout entière souffrait de privations. Beaucoup n’avaient pas l’argent nécessaire au voyage et des milliers durent rester chez eux. Ceux qui vinrent à bicyclette durent voyager pendant plusieurs jours. Ils manquaient également d’argent pour se nourrir et se loger. Bon nombre avaient apporté de quoi manger, principalement du pain sec. Lorsque, pendant la session, la faim les tenaillait, les frères sortaient un morceau de pain sec et en prenaient une bouchée. Frère Rutherford en fut si ému qu’il prit immédiatement des dispositions pour que le lendemain chacun des 4 000 congressistes reçoive gratuitement deux saucisses chaudes de Francfort, deux petits pains et une bouteille d’eau minérale. Nous imaginons sans mal la joie des assistants quand ils virent soudain apparaître aux deux extrémités de la salle d’assemblée des grandes marmites pleines de saucisses. Les frères firent la queue pour être servis. Réconfortés par ce repas pris en commun, ils retournèrent s’asseoir dans la salle avec le sentiment d’avoir été invités à un festin.
Dans son discours de bienvenue, frère Rutherford demanda à tous ceux qui avaient déjà fait l’offrande de soi et symbolisé celle-ci par le baptême d’eau de lever la main. En voyant toutes ces mains levées, il dit : “Il y a cinq ans, nous n’atteignions pas ce nombre dans toute l’Europe.”
Durant le discours public, un incident regrettable se produisit dans la salle principale. En raison d’une négligence, une petite veilleuse se brisa sur le sol et une personne irréfléchie cria “au feu”, provoquant une certaine panique. Comme cela se passait au fond de la salle, aucun de ceux qui se trouvaient sur l’estrade ne comprenait la raison de cette confusion. Au premier abord, les frères crurent que des perturbateurs cherchaient à interrompre la réunion. Comme le tumulte persistait, frère Rutherford fit signe à l’orchestre qui se mit à jouer le cantique “J’adore le pouvoir de l’amour”, et les milliers de personnes réunies dans la salle commencèrent à chanter. La vague d’hystérie ne tarda pas à être endiguée et frère Rutherford put poursuivre son discours sans autre interruption.
“ACTE D’ACCUSATION CONTRE LE CLERGÉ”
Tel était le titre d’une résolution prise en 1924 et diffusée dans le monde entier. Les frères d’Allemagne participèrent également à cette diffusion, plus spécialement au printemps de 1925. C’était une résolution très importante qui dénonçait impitoyablement le clergé. Quelle réaction produisit-elle ? Imaginez que l’on agite un bâton dans un nid de guêpes et vous aurez une idée de ce qui se passa. Particulièrement en Bavière, le clergé riposta en entravant les frères dans leur œuvre. Le premier président de la république de Weimar venait de mourir et une nouvelle élection était prévue. Les hommes politiques disaient : “Aucun catholique n’osera poser sa candidature pour devenir président.” Aussi la Bavière catholique releva-t-elle ce défi en examinant avec la plus grande méfiance toutes les publications hostiles à Rome. Utilisant tous les moyens dont il disposait, le clergé passa à l’attaque non seulement en Bavière, mais également dans d’autres régions de l’Allemagne.
Frère Balzereit fut même menacé de mort. Il reçut une lettre anonyme qui disait entre autres :
“Diable déguisé en brebis !
“Les accusations que vous portez contre le clergé causeront votre perte ! Avant que vous ne vous en rendiez compte, vous disparaîtrez et votre mort effraiera vos disciples dont le zèle se refroidira. (...) Vous avez été condamné !
“Nous exigeons que dans les trois semaines qui suivent vous retiriez de la circulation votre tract ‘Acte d’accusation contre le clergé’. En refusant d’exécuter cet ordre, vous signeriez votre arrêt de mort.
“Il ne s’agit pas d’une menace en l’air (...).”
Mais ce n’était pas une raison pour faire un compromis. La petite mais courageuse armée du reste oint prit donc des dispositions contraires. Un tract intitulé “Vrai ou faux ?” fut distribué ; il révélait ces menaces au public. La question soulevée était la suivante : Les accusations renfermées dans le tract “Acte d’accusation contre le clergé” sont-elles “vraies ou fausses” ? Venaient ensuite les déclarations faites par les membres du clergé et des extraits de journaux religieux.
En désespoir de cause, un membre du clergé de Poméranie déposa une plainte auprès du procureur de la république contre la Société Watch Tower et ses dirigeants. Le tribunal de Magdebourg fut donc saisi de l’affaire. Toutefois, le procureur commit l’erreur de lire entièrement la résolution pendant le jugement, réfutant ainsi son argument selon lequel la résolution était dirigée contre le consistoire de Stettin. Toutes les personnes présentes au jugement purent se rendre compte que la résolution dénonçait non seulement le consistoire de Stettin, mais le clergé du monde entier. Tenant compte de ce fait, le tribunal acquitta frère Balzereit, mais déconseilla néanmoins de publier à l’avenir des critiques aussi virulentes contre le clergé.
INFLATION
En août 1921, les proclamateurs avaient reçu la consigne de se montrer économes dans la distribution du tract mensuel L’Étudiant de la Bible, car son impression était coûteuse. Il ne fallait pas le diffuser inconsidérément, mais remettre un exemplaire uniquement à ceux qui manifestaient un intérêt véritable.
Au début de 1922, la Société se vit contrainte d’annoncer que le coût de l’abonnement annuel à La Tour de Garde, imprimée mensuellement à cette époque-là, serait désormais de 16 marks. Un mois plus tard, il fallut le fixer à 20 marks, et en juillet de la même année, à 30 marks. L’inflation prit une telle importance au cours des mois suivants, qu’en octobre la Société dut annoncer qu’à l’avenir elle n’enregistrerait les abonnements que pour une période de trois mois. Dans l’intervalle, le prix de l’abonnement trimestriel était passé à 70 marks. Pour les trois premiers mois de 1923, les frères durent payer 200 marks et pour le second trimestre 750 marks. Le 15 juin, l’abonnement annuel coûtait 3 000 marks, et un mois plus tard, 40 000 marks. Le 1er août, la Société se vit dans l’obligation de supprimer le service des abonnements, le numéro individuel étant remis uniquement contre paiement comptant. Mais le 1er septembre, un exemplaire valait déjà 40 000 marks, un mois plus tard, 1 660 000 marks et le 25 octobre l’inflation était telle qu’un seul numéro coûtait deux milliards et demi de marks. L’argent n’avait plus aucune valeur.
Ce bref aperçu des années critiques dues à l’inflation montre dans quelles difficultés l’œuvre du Seigneur se poursuivit à cette époque-là. En fait, au cours des trois derniers mois de 1923, la diffusion des publications de la Société cessa presque complètement. C’est uniquement avec l’aide de Jéhovah qu’il a été possible de persévérer.
‘ANCIENS ÉLECTIFS’
Le système démocratique consistant à élire des anciens aurait pu, à lui seul, freiner la bonne marche de l’œuvre dans les années 1920. Les opinions différaient quant à la manière d’organiser les élections. Certains exigeaient que les candidats répondent correctement à 85 pour cent au moins des questions VDM (VDM signifie Verbi Dei Minister ou ministre de la Parole de Dieu). C’était le cas à Dresde, par exemple. Toutefois, ce qui arriva aux frères de Halle nous donne une idée du genre de difficultés provoquées par une exigence aussi arbitraire. Certains frères de la congrégation n’avaient pas une bonne attitude à l’égard de l’œuvre, mais ils désiraient néanmoins diriger la congrégation. Quand on leur dit finalement qu’ils n’avaient même pas répondu aux questions VDM et que, par conséquent, ils n’étaient pas qualifiés pour occuper une position de responsabilité au sein de la congrégation, ils prirent immédiatement des dispositions pour satisfaire à cette exigence. Lorsque après cela ils n’obtinrent pas la position pour laquelle ils avaient travaillé, ils déclenchèrent une rébellion et la congrégation se scinda, si bien que sur les 400 proclamateurs appartenant au groupe original, il n’en resta que 200 à 250.
Dans certaines congrégations il y eut souvent de grandes controverses en période d’élection. À Barmen, par exemple, en 1927, eut lieu un vote à main levée en vue de l’élection de certains candidats. Un témoin oculaire raconte qu’avant peu tout le monde criait en même temps, si bien que les frères durent faire voter à bulletin secret, méthode utilisée d’ailleurs par de nombreuses congrégations. À Kiel, l’élection des aînés dut même se faire sous la protection de la police.
Ces incidents se produisirent parce que certains des candidats n’étaient pas des chrétiens mûrs. En fait, quelques-uns d’entre eux s’opposaient même directement ou indirectement à l’œuvre du Royaume.
Par exemple, lorsque la Société encouragea l’étude régulière de La Tour de Garde dans les congrégations, ce sont précisément des “anciens électifs” qui s’opposèrent à cette suggestion et provoquèrent des divisions dans de nombreuses congrégations. À Remscheid, le directeur déclara qu’à l’avenir seuls ceux qui sortaient dans le service du champ le dimanche matin pourraient conduire l’étude de La Tour de Garde ; là-dessus, l’un des “anciens électifs” brandit une chaise, et après avoir proféré des menaces contre le directeur, il quitta la congrégation emmenant quarante personnes avec lui. Un incident semblable se produisit à Kiel, où, malgré les efforts des membres de la Maison de la Bible, 50 frères et sœurs sur 200 abandonnèrent la congrégation.
Jetant un regard sur le passé, nous pouvons certainement affirmer que la seconde moitié des années 1920 marqua un temps d’épuration en Allemagne. Ceux qui, jusque-là, avaient été nos compagnons, devinrent les ennemis jurés du Royaume. Leur départ ne fut pas une perte pour l’organisation de Dieu, car les années 1930 allaient être un temps d’épreuve pour ceux qui étaient demeurés fidèles.
PROBLÈMES JURIDIQUES
De 1924 à 1926, la Direction générale des impôts considéra la Watch Tower Bible and Tract Society comme une organisation philanthropique et n’exigea pas d’impôts sur les publications placées ; mais en 1928, cette exemption fut levée. Il s’ensuivit donc un procès qui connut une grande publicité, car la Société avait veillé à ce que le public sache, par l’organe de La Tour de Garde et de L’Âge d’Or, que le clergé des deux grands systèmes religieux avait déclenché cette attaque. Que les Églises aient été à l’origine de ces difficultés, elles le reconnurent ouvertement par la suite, disant que c’était pour ‘entraver les Étudiants de la Bible dans leur diffusion des enseignements bibliques’. Les frères encouragèrent toutes les personnes aimant la justice à signer une pétition contre cet acte injuste. On comprend que la cour fut profondément impressionnée lorsqu’on lui présenta une pétition ne comprenant pas moins de 1 200 000 signatures. Le jugement fut ensuite rendu en notre faveur.
Un autre moyen utilisé par le clergé pour entraver les progrès remarquables de l’œuvre consistait à amener les frères à être en conflit avec les lois du pays. Dès 1922, on enregistra les premiers cas de “colportage illégal et refus de payer la patente”. En 1923, il y eut d’autres cas, et là encore l’accusation était formulée en ces termes : “Violation des lois relatives au colportage.” Plusieurs jugements sévères furent prononcés. En 1927, on arrêta 1 169 frères que l’on traduisit devant les tribunaux sous l’inculpation de “violation des lois relatives au colportage” et de “colportage sans autorisation”. En 1928, on enregistra 1 660 affaires juridiques et 1 694 en 1929. Entre-temps, le clergé cherchait inlassablement une loi qui, telle une arme, imposerait le silence aux Étudiants de la Bible. Finalement, ils pensèrent avoir trouvé une solution. Voici ce que déclarait à ce sujet le Saarbrücker Landes Zeihing du 16 décembre 1929:
“Malheureusement, la police n’a rien pu faire à propos de l’œuvre des Étudiants de la Bible. Les arrestations effectuées jusqu’à présent (...) se sont toutes terminées par l’acquittement (...). Toutefois, pour un cas semblable, la cour de justice de Berlin a prononcé un jugement de condamnation posant en principe que la diffusion de publications religieuses de maison en maison et dans les rites tombe sous le coup des règlements de police relatifs à l’observance du repos sabbatique du dimanche et des fêtes, dans le cas où un effort physique est impliqué ; il s’agit donc d’un travail considéré comme tel par le public.
“Heureusement, depuis cette décision, plusieurs tribunaux de la Sarre ont prononcé un jugement de condamnation dans des cas semblables. L’occasion nous est donc donnée maintenant de mettre un terme à l’œuvre des Étudiants de la Bible.”
LA BAVIÈRE ENTRE EN ACTION
Les proclamateurs rencontrèrent une forte opposition dans toute l’Allemagne et plus particulièrement en Bavière, où les arrestations furent plus nombreuses que partout ailleurs. Pendant un temps assez court, les lois locales réussirent même à interdire notre œuvre. En 1929, la Société décida de lancer une “attaque d’un jour” au sud de Ratisbonne, en envoyant quelque 1 200 proclamateurs prêcher dans la région un certain dimanche. On loua deux trains spéciaux auprès de la compagnie des chemins de fer ; l’un partirait de Berlin et prendrait les frères de Leipzig, et l’autre partirait de Dresde et prendrait les frères de Chemnitz et d’autres villes de la Saxe. Chaque passager paierait 25 marks, ce qui, à cette époque, représentait une somme importante. Mais les frères étaient tout disposés à faire ce sacrifice. Leur seul désir était de participer à cette offensive, car l’ennemi ne sommeillait pas.
Tandis qu’ils prenaient des dispositions en vue de cette campagne, les frères étaient convaincus que le clergé userait de son influence pour la gêner, s’il apprenait ce qui se préparait. Ils s’efforcèrent donc de garder la chose secrète. Malgré cela, une semaine avant la date fixée, le clergé eut vent, d’une manière on d’une autre, de leur projet. Tout à coup, la compagnie des chemins de fer nous refusa les deux trains spéciaux. Immédiatement toutes les congrégations intéressées furent invitées à louer des autocars. Le clergé l’apprit et prit des mesures pour que ce week-end-là toutes les routes partant de la Saxe soient gardées par un grand nombre de policiers, qui trouveraient bien le moyen d’arrêter tous les autocars remplis d’Étudiants de la Bible, et de les retarder de sorte qu’ils rentrent chez eux sans avoir accompli leur mission.
Entre-temps, la compagnie des chemins de fer apprit que les frères avaient loué des autocars. Comprenant qu’elle laissait passer une bonne affaire, elle nous accorda les deux trains spéciaux à la dernière minute. Sans perdre de temps, les frères annulèrent la location des autocars. Ce changement survenu deux jours seulement avant le départ fut ignoré du clergé. Ainsi, tandis que les forces de police surveillaient les routes, les deux trains spéciaux se rejoignirent à Reichenbach (Vogtland) pour ne former qu’un seul train qui arriva dans la banlieue de Ratisbonne à environ deux heures du matin. Le train s’arrêta ensuite dans chaque gare pour y déposer quelques frères ; certains avaient même emmené leur bicyclette afin de visiter les habitants de la campagne environnante.
Un grand témoignage fut rendu ce jour-là, car chacun avait reçu un nombre suffisant de publications à placer contre contribution et même à donner gratuitement. Les frères avaient décidé de laisser quelque chose dans chaque foyer. Un certain nombre de frères furent arrêtés et dans l’impossibilité de rentrer chez eux avec le train spécial ; néanmoins, ceux qui eurent le privilège de participer à cette campagne ne se lassent pas d’en parler. Nous ne nous trompons pas non plus en disant que nos adversaires aussi se souvinrent longtemps de ce week-end.
LA BANQUE FAIT FAILLITE
Au sein de la crise de l’emploi et de l’instabilité économique, la banque, où avait été déposée la plus grande partie des fonds destinés au financement de l’œuvre en Allemagne et en Europe centrale, fit faillite. La filiale d’Allemagne à elle seule subit une perte de 375 000 marks.
La Société se vit dans l’obligation d’informer les congrégations que l’assemblée prévue pour l’été 1930 à Berlin serait annulée. Elle fit également mention dans la même lettre d’une “interruption possible dans la production”. Cette nouvelle retentit telle une sonnette d’alarme. Bien que les frères fussent très pauvres, nombre d’entre eux n’ayant pas d’emploi, ils étaient immédiatement prêts à donner l’argent qu’ils avaient économisé pour l’assemblée de Berlin ainsi que tout ce qu’ils pourraient soustraire de leurs faibles ressources matérielles, afin que les publications puissent continuer de paraître. En fait, beaucoup sacrifièrent à l’œuvre leurs alliances et d’autres bijoux.
Ainsi, les projets formés en vue de l’extension de l’œuvre avant la faillite de la banque ne furent pas entravés, pas même ajournés. Au printemps de 1930, la Société acheta un terrain situé en bordure de l’ancien terrain. Les vieux bâtiments qui se trouvaient sur ce terrain nouvellement acquis furent démolis et les frères utilisèrent au maximum les matériaux récupérés pour construire un nouveau Béthel comprenant soixante-douze chambres de deux personnes chacune, et une grande salle à manger.
UN PLUS GRAND NOMBRE DE JUGEMENTS
Durant l’année 1930, on enregistra 434 procès nouveaux ; ajoutés à ceux qui étaient en attente, cela faisait 1 522 affaires en instance de jugement.
Mais en 1930 nos ennemis religieux eurent beaucoup de mal à nous accuser d’avoir transgressé la loi, car la circulaire du 19 avril émanant du ministère de l’Intérieur et adressée à tous les officiers de police disait entre autres ce qui suit : “Pour l’instant, [cette] association poursuit un but essentiellement religieux et ne déploie aucune activité politique. (...) À l’avenir, les poursuites judiciaires sous l’inculpation de violation des lois du Reich sur le colportage seront à éviter.”
ASSEMBLÉES À PARIS ET À BERLIN
En 1931, frère Rutherford entreprit de nouveau un voyage en Europe. Il y eut une assemblée à Paris du 23 au 26 mai et une autre à Berlin du 30 mai au 1er juin. En raison de la crise économique en Allemagne, frère Rutherford suggéra que l’on prenne des dispositions pour que les frères habitant le sud de l’Allemagne et la Rhénanie aillent à Paris ; ce serait moins coûteux pour eux que de se rendre à Berlin. Des trains spéciaux partirent de Cologne, de Bâle et de Strasbourg. Les frères apprécièrent ces dispositions, témoin le fait que sur les 3 000 personnes réunies à Paris, 1 450 venaient d’Allemagne.
Le congrès de Berlin eut lieu au Palais des sports. On ne pensait pas réunir une assistance nombreuse, tout d’abord en raison de la crise économique et ensuite parce qu’environ 1 500 frères étaient allés à Paris. Imaginez notre joie en voyant presque 10 000 personnes rassemblées. C’était inattendu !
Frère Rutherford, qui saisissait toutes les occasions pour éliminer les coutumes religieuses du monde encore observées par les frères, avait déjà provoqué une petite révolution lors d’un précédent congrès, par sa tenue vestimentaire. Il avait remarqué que les frères en Europe — y compris l’Allemagne, bien entendu — aimaient beaucoup porter du noir aux assemblées. Les hommes avaient non seulement un costume noir — et même un chapeau haut de forme aux enterrements —, mais ils portaient également une cravate noire, comme le voulait la coutume dans les organisations de la fausse religion. Cette constatation amena donc frère Rutherford à s’acheter un costume de couleur très claire et une cravate bordeaux assortie. Après son départ, beaucoup de frères commencèrent à se débarrasser de leurs vêtements noirs.
À l’assemblée de Berlin, il attira l’attention sur les nombreuses photos de lui et de frère Russell vendues sous forme de cartes postales ou de portraits, certains étant même encadrés. Après avoir remarqué ces photos sur les nombreuses tables installées dans les couloirs autour de la salle, il en parla dans son discours, recommandant aux assistants de ne pas en acheter et priant en termes nets les serviteurs en fonction d’ôter ces portraits de leur cadre et de les détruire, ce qui fut fait. Il désirait éviter tout ce qui aurait pu conduire au culte de l’homme.
Frère Rutherford profita de l’assemblée de Berlin pour visiter le bureau de la filiale de Magdebourg. Comme ses précédentes visites, celle-ci fut semblable à une brise rafraîchissante et libératrice. Peu de temps avant sa visite, des portraits de lui et de frère Russell avaient été accrochés aux murs de toutes les pièces. Dès que frère Rutherford les vit, il les fit tous ôter.
Au fil des années, plusieurs autres choses n’avaient pas non plus échappé à frère Rutherford. Ainsi que bon nombre de membres du Béthel, il avait discerné le danger qu’encourait frère Balzereit. Indéniablement, c’était un excellent organisateur, et sous sa direction l’œuvre fit de bons progrès en Allemagne. Toutefois, il commit une grave erreur en attribuant le mérite du grand accroissement à lui-même plutôt qu’à l’esprit de Jéhovah. Au cours d’un repas au Béthel, il demanda aux membres de la famille de ne plus l’appeler “frère” en présence de personnes du monde, mais de lui dire plutôt “Monsieur le directeur”. Il fit même poser une plaque portant la mention “Directeur” sur la porte de son bureau.
À la même époque, l’intégrité de frère Balzereit envers Jéhovah fut également mise à l’épreuve d’une autre manière. De toute évidence, il avait toujours craint la persécution. En tant que responsable du bureau de la filiale d’Allemagne, il avait été poursuivi au sujet de la diffusion de la résolution “Acte d’accusation contre le clergé”. Certes, il fut acquitté, mais quand le juge le pria de ne plus imprimer à l’avenir des déclarations aussi virulentes, il décida de suivre ce conseil. En conséquence, lorsque des expressions ou des déclarations trop dures, à son avis, paraissaient dans La Tour de Garde ou dans d’autres publications, il les “atténuait”.
Il commença également à cultiver des désirs matérialistes. Balzereit aimait écrire des poèmes qu’il avait eu la joie de voir publier dans L’Âge d’Or, sous le pseudonyme de Paul Gerhard. Il avait également écrit un livre qu’il avait fait publier à Leipzig. Ce livre avait été ajouté à la liste des publications à diffuser par les congrégations qui, ignorant les faits, en commandaient des exemplaires, ce qui était pour frère Balzereit une source de revenus considérables. À une certaine époque, il avait aussi fait construire un court de tennis au Béthel, pas tant pour les membres de la famille que pour son propre plaisir.
Dans le but d’achever à temps le nouveau bâtiment en vue de la cérémonie d’inauguration qui devait avoir lieu pendant la visite de frère Rutherford, frère Balzereit avait augmenté le nombre des membres du Béthel qui était passé de 165 à 230 à la fin décembre 1930; toutefois, il n’avait pas agi honnêtement en cette affaire. Craignant que frère Rutherford n’approuvât pas cette augmentation de personnel, Balzereit s’était arrangé pour envoyer cinquante frères en “tournée de prédication”, de manière qu’ils soient hors de vue. Lorsqu’ils revinrent, on leur demanda s’ils préféraient rentrer chez eux ou entreprendre le service de pionnier. Comprenant que l’œuvre de Jéhovah était plus importante que les hommes, un certain nombre de frères saisirent l’occasion de devenir pionniers tandis que les autres s’en retournèrent chez eux le cœur rempli d’amertume.
LES PERSÉCUTIONS S’INTENSIFIENT
Ce furent une fois de plus les autorités bavaroises qui, en 1931, prirent la tête dans la lutte contre le peuple de Dieu. Faisant une mauvaise application de la loi d’urgence du 28 mars 1931, relative aux troubles politiques, les autorités virent là une occasion d’interdire les publications des Étudiants de la Bible. Le 14 novembre 1931, à Munich, nos livres furent confisqués. Quatre jours plus tard, les officiers de police de Munich promulguèrent un décret, applicable dans toute la Bavière, interdisant toutes les publications éditées par les Étudiants de la Bible.
Sans perdre de temps, les frères interjetèrent appel. En février 1932, le gouvernement de la Haute-Bavière confirma cette interdiction. Immédiatement, les frères firent appel auprès du ministère de l’Intérieur bavarois, qui rejeta leur requête le 12 mars 1932 comme étant “sans fondement”.
À la suite de cette décision du tribunal, le président de la police de Magdebourg prit notre défense le 14 septembre 1932, disant : “Par la présente, nous certifions que l’Association internationale des Étudiants de la Bible ne s’occupe que de questions bibliques et religieuses. Jusqu’ici, elle n’a eu aucune activité politique. Aucune tendance indiquant une inimitié contre l’État n’a été relevée.”
Mais les difficultés continuèrent de s’accroître de mois en mois, même dans les autres États allemands. Paul Köcher s’était rendu à Simmern avec six pionniers spéciaux afin d’y projeter le Photo-Drame écourté, en deux soirées. Toutefois, lorsque les assistants virent sur l’écran David jouant de la harpe et que l’on cita l’un de ses psaumes, la salle tout entière hurla de fureur et l’on dut interrompre la représentation. On ne tarda pas à découvrir que presque tous les assistants appartenaient aux S. A., les sections d’assaut de Hitler.
De pareils incidents se produisirent en Sarre. En décembre 1931, on adressa une requête au gouvernement pour qu’il ordonnât aux officiers de police de ne pas entraver l’œuvre. Des instructions furent données en conséquence, mais le clergé entra dans une telle fureur, que chaque semaine les prêtres mettaient leurs ouailles en garde contre les Étudiants de la Bible, du haut de la chaire. L’hostilité s’intensifia sans cesse, et à la fin de 1932, il n’y avait pas moins de 2 335 affaires en instance de jugement. Malgré cela, l’année 1932 fut la meilleure pour ce qui est de la diffusion des publications.
Le 30 janvier 1933, Hitler devint chancelier du Reich. Le 4 février, il fit promulguer un décret autorisant la police à confisquer les publications ‘constituant un danger pour l’ordre et la sécurité publiques’. Ce décret restreignait également la liberté de presse et de réunion.
LA PÉRIODE D’ACTION DE GRÂCES ET DE TÉMOIGNAGE DU RESTE
Cette année-là, la Commémoration devait avoir lieu le 9 avril. Le reste organisa donc une “Période d’action de grâces et de témoignage” du 8 au 16 avril. Un témoignage mondial fut rendu à l’aide de la brochure La Crise.
Mais les frères d’Allemagne ne purent finir en paix cette période de témoignage de huit jours. La campagne avec la brochure La Crise fut marquée par l’interdiction de l’œuvre en Bavière, le 13 avril, puis en Saxe le 18 avril, dans la Thuringe le 26 avril et au Bade le 15 mai. D’autres États allemands suivirent le mouvement. Frère Franke, qui était pionnier à Mayence à cette époque-là, rapporte que la congrégation qui comptait plus de 60 proclamateurs avait reçu 10 000 brochures à distribuer. Les frères comprirent qu’ils devaient le faire rapidement. Ils s’organisèrent de telle sorte que 6 000 furent distribuées les trois premiers jours de la campagne. Mais le quatrième jour, un certain nombre de frères furent arrêtés et on perquisitionna à leur domicile. La police ne trouva que quelques exemplaires de la brochure, car les frères ayant envisagé cette éventualité, ils avaient caché les 4 000 autres brochures dans un endroit sûr.
Tous les frères arrêtés furent relâchés le jour même. Sans perdre de temps, ils organisèrent une campagne pour la diffusion des 4 000 brochures, que l’on répartit entre tous les frères de la congrégation y participant. Ce soir-là, ils enfourchèrent leurs bicyclettes et se rendirent à Bad-Kreuznach, une ville située à une quarantaine de kilomètres, où ils placèrent le reste des brochures aux habitants, en laissant même quelques-unes gratuitement. Le lendemain on eut la preuve que leur décision avait été la bonne ; en effet, entre-temps la Gestapo avait fouillé les foyers de toutes les personnes connues comme étant des Étudiants de la Bible. Mais les 10 000 brochures avaient disparu !
À Magdebourg, les autorités gouvernementales avaient signalé au bureau de la filiale que la gravure figurant sur la couverture de la brochure (représentant un guerrier tenant une épée couverte de sang) était inacceptable et devait être supprimée. Frère Balzereit, qui, à plusieurs reprises, s’était montré prêt à faire des compromis, donna immédiatement l’ordre d’enlever cette couverture en couleurs.
Cette semaine de témoignage fut angoissante. L’ennemi manifestait chaque jour davantage sa détermination de frapper avec une force implacable. Quel encouragement ce fut lorsque la compilation des rapports révéla que 24 848 personnes avaient assisté à la Commémoration contre 14 453 l’année précédente ! Le nombre des proclamateurs ayant participé à la période de témoignage était également une source de joie : 19 268 contre 12 484 pendant la campagne avec la brochure Le Royaume, une année auparavant. Au cours des huit jours que dura la campagne, 2 259 983 brochures La Crise avaient été diffusées.
LA GESTAPO PERQUISITIONNE AU BÉTHEL
Lorsqu’ils occupèrent les bureaux et l’imprimerie de la Société le 24 avril, les nazis espéraient trouver des éléments pour soutenir l’accusation de collaboration avec les communistes. Si tel avait été le cas, ils auraient pu appliquer une nouvelle loi et confisquer tous nos biens au profit de l’État, comme ils l’avaient déjà fait avec les bâtiments appartenant aux communistes. Après avoir perquisitionné au Béthel, la police téléphona aux autorités gouvernementales pour leur dire qu’elle n’avait trouvé aucun motif d’accusation. L’ordre reçu fut celui-ci : “Il faut que vous trouviez quelque chose.” Mais leurs efforts furent vains et les frères se virent autorisés à reprendre possession des locaux le 29 avril. En ce même jour, le bureau de Brooklyn avait protesté pour confiscation illégale de bâtiments (appartenant à une association américaine) par l’intermédiaire du gouvernement américain.
ASSEMBLÉE À BERLIN, LE 25 JUIN 1933
En été 1933, l’œuvre des témoins de Jéhovah était interdite dans la majorité des États allemands. On perquisitionnait régulièrement aux foyers des frères et nombre d’entre eux avaient été arrêtés. Le flot de nourriture spirituelle fut partiellement interrompu, mais cela ne dura pas. Pourtant, beaucoup de frères se demandaient combien de temps encore l’œuvre pourrait se poursuivre. C’est alors que les congrégations furent informées à bref délai qu’une assemblée se tiendrait à Berlin le 25 juin. Comme beaucoup ne pourraient venir à cause des interdictions, on encouragea les congrégations à envoyer au moins un ou plusieurs délégués. Mais au jour fixé, 7 000 frères étaient présents. Beaucoup avaient voyagé pendant trois jours ; certains avaient fait tout le trajet à bicyclette, d’autres en camion, car les compagnies de transport refusaient de louer des autocars à une organisation interdite.
Accompagné de frère Knorr, frère Rutherford était arrivé quelques jours auparavant en Allemagne pour voir ce qui pouvait être fait en vue de protéger les biens de la Société. Avec frère Balzereit, il avait préparé une déclaration qui serait présentée aux congressistes. Il s’agissait d’une protestation contre l’intervention du gouvernement de Hitler à l’encontre de la prédication effectuée par les témoins. Tous les hauts fonctionnaires du gouvernement, du président du Reich au bas de l’échelle hiérarchique, recevraient un exemplaire de la déclaration, par la voie postale autant que possible. Quelques jours avant l’assemblée, frère Rutherford retourna en Amérique.
Beaucoup d’assistants furent déçus en entendant la “déclaration”, qui, en de nombreux points, n’était pas aussi dure que les frères l’avaient espéré. Frère Mütze, de Dresde, qui, jusque-là avait collaboré étroitement avec frère Balzereit, l’accusa par la suite d’avoir édulcoré le texte original. Ce n’était pas la première fois que frère Balzereit atténuait le langage clair et sans détour utilisé dans les publications de la Société, afin de ne pas avoir d’ennuis avec les agents du gouvernement.
C’est pour cette raison qu’un grand nombre de frères refusèrent d’adopter cette déclaration. En fait, un ancien pèlerin, frère Kipper, refusa de la présenter et un autre frère le fit à sa place. Il serait inexact de dire que la déclaration fut adoptée à l’unanimité ; pourtant, par la suite, frère Balzereit n’hésita pas à affirmer à frère Rutherford qu’il en avait bien été ainsi.
Les congressistes rentrèrent chez eux fatigués et déçus pour la plupart. Ils emportèrent néanmoins 2 100 000 exemplaires de la déclaration, et les distribuèrent rapidement, sans oublier d’en envoyer aux nombreuses personnalités occupant un poste de responsabilité. L’exemplaire envoyé à Hitler était accompagné d’une lettre qui disait entre autres :
“La présidence de la Société Watch Tower de Brooklyn est et a toujours été extrêmement bienveillante à l’égard de l’Allemagne. En 1918, le président de la Société et sept membres du conseil d’administration d’Amérique furent condamnés à 80 ans d’emprisonnement parce que le président avait refusé qu’on utilise deux périodiques, édités par lui en Amérique, à des fins de propagande de guerre contre l’Allemagne.”
Bien que la déclaration ait été atténuée et que beaucoup de frères n’aient pu l’adopter de tout cœur, le gouvernement se fâcha néanmoins et une vague de persécution déferla sur ceux qui l’avaient distribuée.
LE BUREAU DE MAGDEBOURG EST DE NOUVEAU OCCUPÉ
La distribution dans toute l’Allemagne de la déclaration adoptée à Berlin, le lendemain même de l’interdiction de l’œuvre en Prusse, fut le signal permettant à la police de Hitler d’entrer en action. Le 27 juin, tous les officiers de police reçurent l’ordre de ‘perquisitionner immédiatement dans tous les locaux appartenant à des groupements et dans les entreprises, et de confisquer tout ce qui comporterait une marque d’hostilité à l’égard de l’État’. Le lendemain 28 juin, trente S. A. occupaient le bâtiment de Magdebourg, fermaient l’imprimerie et hissaient la svastika sur le Béthel. Selon le décret officiel de la police, il était même interdit d’étudier la Bible et de prier dans les locaux de la Société. Le 29 juin, cette action fut annoncée par radio à la nation allemande tout entière.
En dépit des démarches énergiques entreprises par frère Harbeck, surveillant de la filiale de Suisse, les 21, 23 et 24 août, des livres, des bibles et des gravures pour un poids total de 65 189 kilos furent saisis dans l’imprimerie de la Société, chargés sur vingt-cinq camions et brûlés publiquement à l’extérieur de Magdebourg. L’impression de ces publications avait coûté 92 719,50 marks. En outre, la police confisqua, brûla ou détruisit d’une autre manière, de nombreuses publications saisies dans les congrégations. À Cologne, par exemple, on en détruisit pour une valeur d’au moins 30 000 marks. L’Âge d’Or du 1er juin 1934 rapportait que les biens détruits (meubles, publications, etc.) se chiffraient entre deux et trois millions de marks.
Le montant des pertes aurait été plus élevé encore si des dispositions n’avaient été prises pour faire partir de Magdebourg la plus grande partie des publications, dans certains cas par bateau, afin de les stocker dans d’autres locaux appropriés. Pendant de nombreuses années, il fut ainsi possible de soustraire une grande quantité de publications à la vue de la police secrète. Elles ont été utilisées pour l’activité de prédication clandestine, qui a été déployée durant les années suivantes.
À la suite de l’intervention du gouvernement américain, en octobre la Société rentra en possession de ses bâtiments de Magdebourg. Le décret du 7 octobre 1933 spécifiait que ‘tous les biens de la Société lui étaient rendus afin qu’elle en use librement, mais il lui était interdit d’y déployer une activité quelconque, d’imprimer des publications et d’y tenir des réunions’.
“AMITIÉ AVEC LE MONDE”
Le clergé de la chrétienté n’éprouvait aucune honte à soutenir ouvertement Hitler dans ses efforts pour persécuter les témoins de Jéhovah. Selon le Oschatzer Gemeinnützige du 21 avril 1933, voici ce que déclara le ministre luthérien Otto dans un discours radiodiffusé le 20 avril, jour anniversaire de la naissance de Hitler :
“L’Église luthérienne allemande de la Saxe s’est consciencieusement adaptée à la nouvelle situation et s’efforcera, en étroite collaboration avec les chefs politiques de notre peuple, de communiquer de nouveau à la nation tout entière la force de l’antique Évangile de Jésus Christ. L’interdiction frappant aujourd’hui l’Association internationale des Étudiants sincères de la Bible et ses annexes en Saxe, peut déjà être considérée comme une première manifestation de cette coopération. Oui, Dieu nous a guidés en ce moment décisif. Jusqu’à présent, il a été avec nous.”
DÉBUT DE L’ACTIVITÉ CLANDESTINE
La première année qui a suivi l’avènement des nazis au pouvoir, l’activité de prédication clandestine n’était pratiquement pas organisée et les réunions par petits groupes ne se tenaient pas partout ; mais malgré cela, la Gestapo trouva de nouvelles raisons d’arrêter les frères.
Peu de temps après l’arrestation des premiers frères et la perquisition chez eux, ceux qui raisonnaient objectivement comprirent que ces mesures n’étaient que le prélude à une campagne de persécution plus intense. Ils savaient qu’il serait insensé d’essayer de régler ces questions autour d’une table de conférence. La seule chose à faire était de se battre pour la vérité.
Un grand nombre de témoins hésitaient, pensant qu’il était préférable d’attendre, car Jéhovah interviendrait sûrement pour empêcher que son peuple soit persécuté. Tandis que ceux-ci perdaient leur temps en tergiversations, soucieux de ne pas aggraver les choses par une activité quelconque, les autres proclamateurs étaient déterminés à poursuivre l’œuvre. Des frères courageux ne tardèrent pas à organiser des réunions pour des petits groupes dans leur foyer, tout en sachant qu’ils risquaient de se faire arrêter et de subir de durs traitements.
Dans certains endroits, les frères se mirent à polycopier des articles de La Tour de Garde, quelques exemplaires étant parvenus des pays voisins. Karl Kreis, de Chemnitz, fut le premier à prendre des dispositions dans ce sens. Après avoir préparé les stencils, il les portait à frère Boschan, à Schwarzenberg, où les frères les polycopiaient. Parmi ceux qui étaient employés à cette tâche, il y avait Hildegard Hiegel et Ilse Unterdörfer. Dès l’interdiction de l’œuvre, elles étaient déterminées à ce que rien ne les empêchât de remplir la mission que Dieu nous avait confiée. Sœur Unterdörfer s’acheta une motocyclette et fit la navette entre Chemnitz et Olbernhau, apportant aux frères les exemplaires polycopiés de La Tour de Garde. Chez ceux qui habitaient plus près, elle se rendait à bicyclette pour ne pas attirer inutilement l’attention.
Frère Johann Kölbl fit polycopier 500 exemplaires de La Tour de Garde à Munich, qui furent distribués parmi les frères de cette ville ainsi que dans les vastes territoires de la forêt bavaroise.
À Hambourg, ce fut frère Niedersberg qui prit cette initiative. Il avait été pèlerin pendant plusieurs années avant d’être diminué physiquement par la sclérose en plaques. Malgré ce handicap, il avait servi au mieux de ses possibilités. En ce temps d’épreuve, les frères étaient heureux de lui rendre visite, car leur foi s’en trouvait toujours affermie. Son amour pour les frères l’incita à prendre des dispositions pour qu’ils reçoivent de nouveau régulièrement de la nourriture spirituelle. Il commença à polycopier chez lui La Tour de Garde, apprit à Helmut Brembach à frapper des stencils et à se servir de la machine à polycopier. Puis, voyant que le travail pouvait s’effectuer sans lui, il dit aux frères qu’il avait l’intention de visiter les congrégations de la côte ouest du Schleswig-Holstein, afin de les encourager et de faire en sorte que La Tour de Garde leur parvienne. Une fois encore il expliqua soigneusement aux frères comment envoyer les périodiques, et convint avec eux d’un code grâce auquel il leur ferait savoir le nombre d’exemplaires à fournir à chaque congrégation.
Malgré sa mauvaise santé, le 6 janvier 1934 frère Niedersberg partit de chez lui. C’est au prix de très grands efforts et à l’aide d’une canne qu’il pouvait marcher, mais il était pleinement confiant en Jéhovah. Après avoir visité plusieurs congrégations, ses premiers messages codés arrivèrent à Hambourg et les frères commencèrent à envoyer les exemplaires polycopiés de La Tour de Garde. Frère Niedersberg arriva dans la banlieue de Meldorf, juste au moment où un frère très connu venait de mourir. Comme de nombreux frères des congrégations voisines seraient présents à l’enterrement, on demanda à frère Niedersberg de prononcer le discours. Il saisit cette occasion pour donner une allocution puissante, son but étant d’affermir les frères présents, qui étaient privés de réunions depuis des mois. Comme prévu, l’assistance fut nombreuse et les frères s’en retournèrent dans leurs territoires respectifs grandement encouragés par ce qu’ils avaient entendu.
Il y avait évidemment d’autres personnes à l’enterrement et même des chefs de la Gestapo. Après le discours de frère Niedersberg, ils demandèrent son nom et son adresse, mais ils n’osèrent pas l’arrêter probablement en raison des circonstances. Il put donc poursuivre son voyage, qui lui était de plus en plus pénible. En arrivant chez frère Thode, à Hennstedt, il fut soudain terrassé par un violent mal de tête et il mourut peu de temps après d’une attaque. Ainsi, il avait usé ses dernières forces à prendre des dispositions pour que les frères reçoivent une nourriture spirituelle édifiante. Deux semaines plus tard, la Gestapo se présentait à son domicile, à Hambourg-Altona, pour l’arrêter.
Outre les exemplaires de La Tour de Garde polycopiés en Allemagne, nous en recevions de Suisse, de France, de Tchécoslovaquie, et même de Pologne, sous des formats différents. Au début, un grand nombre d’articles de La Tour de Garde nous parvenaient de Zurich, en Suisse, sous le titre “Le Jonadab”. Après que la Gestapo eut découvert cette méthode, tous les bureaux de poste d’Allemagne reçurent l’ordre de confisquer toutes les enveloppes portant ce titre, et de sévir contre les destinataires. Dans la majorité des cas, ils furent arrêtés.
Par la suite, le titre et l’emballage furent changés pratiquement pour chaque numéro. Dans la plupart des cas, on utilisait le titre de l’article de La Tour de Garde, celui-ci n’apparaissant généralement qu’une seule fois, comme par exemple “Les trois fêtes”, “Abdias”, “Le combattant”, “Le temps”, “Les chanteurs du temple”, etc. Quelques-uns de ces numéros tombèrent néanmoins entre les mains de la Gestapo, qui envoyait alors une circulaire à tous les postes de police d’Allemagne pour les informer que ce périodique était interdit. Mais dans la plupart des cas cette instruction venait trop tard, parce qu’un autre article de La Tour de Garde portant un titre tout à fait différent avait déjà paru. La Gestapo dut bientôt admettre que les témoins de Jéhovah avaient l’avantage dans le domaine de la stratégie.
Il en fut de même avec L’Âge d’Or. Pendant quelque temps, il ne figura pas sur la liste des périodiques interdits. Mais après son interdiction, des frères d’Allemagne le reçurent chez eux ; il leur était envoyé par des frères d’autres pays et particulièrement de Suisse. Ceux-ci veillaient toujours à ce que l’adresse soit écrite à la main et chaque fois par une personne différente.
Plus la Gestapo essuyait d’échecs dans ses efforts pour supprimer ces sources de nourriture spirituelle, plus elle maltraitait les frères. En général, on les arrêtait après avoir perquisitionné à leur domicile, bien souvent sans raison. Dans les locaux de la police, on leur faisait subir généralement de graves sévices pour qu’ils se reconnaissent coupables.
ÉLECTIONS “LIBRES”
Les élections “libres” étaient une autre arme utilisée pour intimider la population et plus particulièrement les témoins de Jéhovah, afin de les forcer à faire des compromis. Ceux qui refusaient de voter sous la contrainte étaient dénoncés comme “Juifs”, “traîtres à la patrie” et “canailles”.
Max Schubert, de Oschatz (Saxe) fut convoqué cinq fois par des militants qui voulaient l’amener au bureau de vote le jour des élections. Des femmes visitèrent sa femme dans le même but. Chaque fois qu’ils venaient le voir, frère Schubert disait à ses visiteurs qu’en tant que témoin de Jéhovah il avait voté pour Jéhovah, et qu’il était par conséquent inutile qu’il vote pour quelqu’un d’autre.
Le lendemain fut une journée pénible pour frère Schubert. Il était employé aux chemins de fer, au guichet de vente des billets, donc constamment en contact avec les gens. Ce jour-là, les voyageurs se firent un devoir de le saluer en disant : “Heil Hitler.” Frère Schubert leur répondit par un “bonjour” ou une salutation semblable. Mais il comprit qu’il se préparait quelque chose. Il en discuta en déjeunant avec sa femme, lui disant de se tenir prête à toute éventualité. Lorsqu’il termina son service cet après-midi-là, un policier vint le chercher vers cinq heures environ et l’emmena chez le directeur local du parti national-socialiste. Une petite charrette tirée par deux chevaux attendait devant la porte. On obligea frère Schubert à se placer au centre et des S. A. s’assirent autour de lui, chacun tenant une torche à la main. Devant la charrette, un S. A. sonnait du cor et à l’arrière un autre jouait du tambour. À tour de rôle ils donnaient l’alarme, afin que tous les habitants viennent voir la procession. Deux des S. A. montés dans la charrette tenaient une grande pancarte portant cette inscription : “Je suis une canaille et un traître à ma patrie parce que je n’ai pas voté.” Très vite quelqu’un rassembla une foule de personnes qui suivirent la procession en répétant inlassablement l’inscription de la pancarte. À la fin de cette phrase ils criaient : “Où l’enverrons-nous ?” Et les enfants parmi la foule répondaient alors à l’unisson : “Au camp de concentration !” Frère Schubert fut conduit pendant deux heures et demie à travers les rues de la ville qui comptait quelque 15 000 habitants. La station de radio Luxembourg rapporta l’incident le lendemain.
Certains frères furent incorporés dans le service civil. Comme ils ne faisaient pas le salut hitlérien et ne participaient pas aux élections et aux manifestations politiques, depuis l’été de 1934 le gouvernement avait étudié un projet de loi qui interdirait les Étudiants de la Bible sur le plan national, de sorte qu’on pourrait les priver du droit au service civil. Pour ce faire, les lois des États ne suffisaient pas, il fallait promulguer une loi nationale interdisant leur activité. C’est ce qui fut fait le 1er avril 1935. Toutefois, certains bureaux avaient déjà agi de leur propre chef.
Ludwig Stickel était le trésorier de la ville de Pforzheim. Le 29 mars 1934, il reçut une lettre du maire disant : “Je vais engager une procédure contre vous dans le but de vous retirer le poste que vous occupez. Vous êtes accusé d’avoir refusé de voter le 12 novembre 1933, aux élections du Reichstag. (...)” Dans une longue lettre, frère Stickel expliqua sa position de chrétien, mais le jugement ayant déjà été rendu, il reçut une note l’informant qu’il avait été licencié à la date du 20 août.
Leur objectif était de priver les témoins de Jéhovah de leur moyen d’existence, en les licenciant, en les éloignant de leur lieu de travail, en fermant leurs entreprises et en leur interdisant d’exercer leur profession.
Gertrud Franke, de Mayence, en fit la triste expérience après que l’on eut arrêté son mari pour la cinquième fois, en 1936, et que la police secrète lui eut signifié qu’elle n’avait pas l’intention de le relâcher de nouveau. Lorsque sœur Franke fut elle-même libérée, — elle avait été détenue en prison pendant cinq mois, — elle se rendit au bureau de placement pour trouver un emploi. Toutefois, comme elle avait fait de la prison, personne ne voulait l’embaucher. Finalement, on obligea le patron d’une cimenterie à l’engager. Deux semaines plus tard, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir qu’à son insu on l’avait inscrite au Front allemand du travail, et que les cotisations avaient été retenues sur son salaire. Reconnaissant les objectifs politiques de cette organisation, elle se rendit immédiatement au bureau de l’entreprise pour protester contre le fait qu’on lui avait pris une somme sur sa paye en vue de la remettre à une organisation qu’elle n’approuvait pas. Elle demanda que cette affaire soit réglée. En conséquence, on la licencia sans délai. Lorsqu’elle se présenta de nouveau au bureau de placement, le préposé lui fit savoir qu’il ne lui chercherait aucun emploi ni ne lui verserait aucune indemnité de chômage. Puisqu’elle refusait de s’affilier au Front du travail, il lui faudrait résoudre elle-même ses problèmes.
DES JEUNES GENS AFFRONTENT DES ÉPREUVES
Bien souvent, on a ôté aux enfants des témoins de Jéhovah toute possibilité de faire des études. Écoutons Helmut Knöller raconter ce qui lui est arrivé :
“À l’époque où l’œuvre des témoins de Jéhovah en Allemagne venait d’être interdite, mes parents se sont fait baptiser pour symboliser l’offrande de leur personne à Jéhovah. Le moment où je devais prendre une décision était arrivé, car j’avais treize ans et l’interdiction était proclamée. À l’école, il fallait souvent prendre des décisions en rapport avec le salut au drapeau. Je choisissais de rester fidèle à Jéhovah et à mon vœu. Dans une telle situation, il était impensable de suivre des études supérieures. J’ai donc appris le commerce en devenant apprenti à Stuttgart ; pour cela, je devais me rendre deux fois par semaine dans une école commerciale où avaient lieu tous les jours des cérémonies au moment où l’on hissait le drapeau. Étant donné que j’étais plus grand que mes camarades de classe, j’attirais davantage l’attention quand je refusais de saluer le drapeau.
“Quand un professeur pénétrait dans la classe, on demandait aux étudiants de se lever, de le saluer en lui disant ‘Heil Hitler’ et d’étendre la main droite. Je ne le faisais pas. Comme de juste, le professeur se tournait vers moi et des incidents comme celui-ci étaient fréquents : ‘Knöller, viens ici ! Pourquoi ne fais-tu pas le “Heil Hitler” ?’ ‘C’est contre ma conscience, monsieur.’ ‘Quoi ? Espèce de porc ! Dehors — insolent — et en vitesse ! Quelle honte ! Traître !’, etc. On m’a ensuite changé de classe. Mon père a parlé au directeur, qui lui a donné l’explication suivante, très caractéristique : ‘Le Dieu dans lequel vous placez votre confiance peut-il vous donner ne serait-ce qu’un bout de pain ? Adolf Hitler le peut et il l’a prouvé.’ En d’autres termes, les gens devaient honorer cet homme et le saluer en disant ‘Heil Hitler’.”
La Seconde Guerre mondiale a éclaté et frère Knöller a été appelé au service militaire après avoir terminé son apprentissage. Il déclare :
“Le 17 mars 1940, j’ai été envoyé au service militaire. J’avais prévu depuis longtemps ce qui allait arriver. Je pensais qu’en me présentant au centre de recrutement tout en refusant de prêter serment, je serais traduit devant une cour martiale et fusillé. En fait, je préférais cela à l’internement dans un camp de concentration. Mais les événements ne se sont pas du tout produits ainsi. Au lieu d’être amené devant une cour martiale, j’ai été mis en prison et nourri au pain et à l’eau. La Gestapo est venue me chercher cinq jours plus tard pour me faire subir un interrogatoire qui a duré plusieurs heures et pendant lequel on a employé toute sorte de menace. Cette nuit-là, on m’a ramené en prison. J’étais vraiment heureux ; je n’éprouvais plus de crainte, mais seulement de la joie dans l’attente de ce que l’avenir me réservait et de la façon dont Jéhovah m’aiderait encore. Trois semaines plus tard, des officiers supérieurs de la Gestapo m’ont lu un mandat déclarant qu’attendu mon attitude hostile envers l’État et le risque que je sois actif au sein de l’organisation interdite des Étudiants de la Bible, je devais rester en détention préventive, autrement dit, dans un ‘camp de concentration’. C’est donc exactement le contraire de ce que j’avais espéré qui m’est arrivé. Le 1er juin, je me retrouvais avec d’autres prisonniers dans le camp de concentration de Dachau.”
Frère Knöller a connu non seulement la vie à Dachau, mais aussi à Sachsenhausen. Par la suite, il a été transféré avec un certain nombre d’autres prisonniers sur une île située dans la Manche : Aurigny. Puis, après un voyage dramatique, lui et ses compagnons sont arrivés à Steyr, en Autriche, où ils sont restés jusqu’à leur libération le 5 mai 1945. Ces années étaient certainement très agitées, au point que frère Knöller, qui avait subi tant de persécution, n’avait pas encore eu l’occasion de symboliser son vœu à Jéhovah par le baptême d’eau. Cependant, les années de fidélité qu’il a passées dans les situations les plus difficiles témoignaient de la réalité de son vœu. Neuf autres frères faisaient partie du petit groupe de survivants qui ont pu revenir chez eux. Tous ont enduré fidèlement les épreuves qu’ils ont subies pendant quatre à huit ans dans les camps de concentration et ils ont saisi avec reconnaissance l’occasion de se faire baptiser à Passau.
DES ENFANTS SONT SÉPARÉS DE LEURS PARENTS
Frère et sœur Strenge ont appris par expérience combien les témoins de Jéhovah avaient peu de chance d’obtenir la reconnaissance de leurs droits juridiques au cours de ces années de trouble. Frère Strenge a été arrêté et condamné à trois ans de prison ferme, après quoi sœur Strenge, désormais seule avec ses enfants, a dû affronter une situation qui exigeait toutes ses forces. Elle déclare :
“Mon fils devait apprendre par cœur un chant et un poème patriotiques à l’école. Ne pouvant accorder cela avec ses croyances religieuses, il a refusé. Le professeur l’a fait conduire entre deux garçons, comme un prisonnier, devant le directeur, un certain Monsieur Hanneberg. Ce dernier lui a déclaré qu’il lui taperait sur le doigt jusqu’à ce qu’il devienne si ensanglanté, si enflé et noir et bleu qu’‘il ne pourrait plus se l’enfoncer dans le [rectum]’. Il a continué de le menacer et lui a dit qu’il ne reverrait plus jamais son père. En conclusion, il a demandé à mon fils de dix ans s’il refuserait de faire le service militaire. Günter a cité la Bible en répondant : ‘Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée.’ Après quoi, le directeur a demandé au professeur de Günter de ‘le punir comme d’habitude’. Ensuite, le directeur l’a renvoyé chez lui, en déclarant qu’il demanderait à la police d’aller le chercher cinq minutes plus tard pour le placer dans une maison de redressement. Mon fils venait à peine de rentrer à la maison qu’une grande voiture de police s’est arrêtée en face de chez nous. J’ai refusé d’ouvrir la porte, bien que plusieurs agents aient exigé brutalement l’entrée. Après un certain temps, les policiers sont allés chez la voisine, lui demandant un témoignage avec des preuves accablantes contre moi. Incapable de les fournir, elle a subi des pressions jusqu’à ce qu’elle finisse par reconnaître nous avoir entendus chaque matin chanter un cantique et prier. Alors, la police est partie.
“Le lendemain matin, vers 10 h 30, les policiers sont revenus. Étant donné que je ne voulais toujours pas ouvrir ma porte, les agents de la Gestapo ont hurlé : ‘Satané Étudiant de la Bible ! Ouvrez !’ Ils sont ensuite allés chercher un serrurier qui vivait à proximité et ils lui ont fait ouvrir la porte.
“Tout en pointant un revolver sur ma poitrine, un des agents de la Gestapo a crié : ‘Donnez-nous les enfants !’ Mais je les serrais contre moi et eux s’agrippaient à moi pour se protéger. Par crainte d’être séparés de force, nous avons crié au secours du plus fort que nous pouvions.
“La fenêtre était ouverte et bon nombre de personnes se sont assemblées devant la maison et ont entendu mes cris de désespoir : ‘J’ai mis au monde mes enfants dans les douleurs les plus vives et je ne vous les livrerai jamais. Il faudrait d’abord me battre à mort !’ Ensuite, terrassée par l’émotion, je me suis évanouie. Après être revenue à moi, j’ai été interrogée pendant trois heures par la Gestapo. Ils ont essayé de me faire accuser mon mari. Plusieurs fois, l’interrogatoire a été interrompu par mes évanouissements. Pendant ce temps-là, la foule qui se tenait en face de notre maison grossissait sans cesse et elle commençait à manifester bruyamment son mécontentement. Finalement, les agents de la Gestapo sont partis une fois de plus, sans avoir accompli ce qu’ils voulaient. Ils avaient désormais décidé d’enlever les enfants en secret. Apparemment dans le dessein d’y arriver, ils m’ont donné l’ordre de comparaître quelques jours plus tard devant un tribunal spécial siégeant à Elblag. Le même jour, mes enfants devaient se présenter chez le tuteur qui leur avait été désigné. Soupçonnant le pire, je lui ai rendu visite la veille du jour prévu, avec les deux enfants. Il a dit que ma fille de quinze ans devait être placée dans un camp de travail tandis que Günter, âgé de dix ans, devait être confié à une famille qui l’élèverait selon les idées du parti national-socialiste. En cas de refus, tous les deux seraient mis dans une école de redressement. Dans mon énervement, je lui ai demandé : ‘Dites-moi, nous sommes toujours en Allemagne ou nous vivons déjà en Russie ?’ Sur ce, il a répondu : ‘Madame Strenge, je préfère oublier ce que vous venez de dire. J’appartiens également à une famille religieuse ; mon père est pasteur !’ Quand j’ai demandé que ma fille soit au moins autorisée à suivre un apprentissage quelque part, il répliqua : ‘Je ne veux pas d’histoire à cause de vous. Je préfère m’occuper de vingt autres enfants que d’un seul Étudiant de la Bible.’
“Le samedi fatidique où je devais me présenter devant le tribunal à Elblag pour défendre ma foi en Jéhovah et dans ses promesses est arrivé. Avant d’y aller, j’ai rendu visite à mon mari en prison afin d’être fortifiée et de pouvoir épancher mon cœur. Quand on l’a fait entrer, je me suis effondrée dans ses bras en sanglotant. Tous les ennuis et les terribles événements des derniers jours défilèrent devant mes yeux : mon mari condamné à trois années de prison, les enfants séparés de moi et l’un de l’autre. Mon esprit était brisé et j’étais à bout de forces. Mais les paroles de mon mari ont été comme celles des anges. Il m’a réconfortée en me parlant de ce qui est arrivé à Job, de ses souffrances et pourtant de sa fidélité inébranlable envers Dieu, de sorte qu’après avoir tout perdu, il n’a pas accusé Dieu d’être injuste. Il m’a expliqué que lui aussi avait reçu d’abondantes bénédictions de Jéhovah après la dure épreuve que constituaient les nombreux interrogatoires et l’adversité. Cela m’a donné de nouvelles forces. Je suis allée à l’interrogatoire la tête haute, pour écouter fièrement avec quel zèle mes enfants avaient fait un témoignage sur Jéhovah et son Royaume, et manifesté leur foi devant leurs maîtres d’école et des hauts fonctionnaires. Le ‘tribunal allemand’ a déclaré que pour n’avoir pas élevé mes enfants d’après les principes nationaux-socialistes et pour avoir chanté avec eux des cantiques à la gloire de Jéhovah, je devais être condamnée à huit mois de prison.”
MIS À L’INDEX PAR DES CAMARADES DE CLASSE
À douze ans, frère Willi Seltz, de Karlsruhe, a connu une expérience différente. Voici ce qu’il déclare :
“Je peux à peine décrire tout ce que j’ai dû supporter jusqu’à présent. J’ai été battu par mes camarades de classe ; lorsque nous faisions des excursions, je devais rester seul, si encore j’avais l’autorisation d’y aller, et je ne devais parler à aucun de mes camarades de classe, du moins ceux qui m’en restaient. En d’autres termes, ‘on me haïssait et on se moquait de moi comme si j’étais un chien galeux’. Mon seul réconfort était de penser à la venue prochaine du Royaume de Dieu (...).”
Le 22 janvier 1937, Willi a été renvoyé de l’école “pour avoir refusé de faire le salut hitlérien, de chanter des hymnes patriotiques et de participer aux fêtes scolaires”.
CONDAMNÉ POUR AVOIR PRIÉ ET CHANTÉ
Max Ruef, de Pocking, s’est également aperçu que des tentatives systématiques étaient faites pour contraindre les témoins de Jéhovah à violer leur intégrité. Il a perdu tous ses moyens d’existence. L’hypothèque qu’il avait prise en vue de faire des transformations chez lui a été annulée. Ne pouvant rembourser l’hypothèque sur-le-champ, tous ses biens ont été vendus aux enchères au cours du mois de mai 1934.
“La persécution ne s’est pas arrêtée pour autant, déclare frère Ruef. Au contraire, sur les instances des chefs politiques, j’ai été accusé à tort et traîné devant le tribunal. Étant donné qu’on ne pouvait retenir aucune accusation contre moi, j’ai été condamné à six mois de prison par un tribunal spécial de Munich pour avoir transgressé l’interdiction de prier et de chanter dans mon foyer. Le 31 décembre 1936, j’ai commencé à purger ma peine. À part le montant d’un loyer s’élevant à 12 reichsmarks, ma femme, qui attendait son troisième enfant, n’a rien reçu d’autre pour subvenir à ses besoins et à ceux des deux autres enfants de neuf et dix ans. Le moment d’accoucher est arrivé. Tous les deux, nous avons envoyé une pétition pour que ma peine soit interrompue pendant quelques semaines, afin que je puisse m’occuper de certaines choses indispensables. Une semaine environ avant la naissance de l’enfant, notre demande a été rejetée et jugée ‘irrecevable’.
“Le 27 mars, on m’a appris que ma femme était morte et qu’on me laissait trois jours de liberté pour régler les affaires indispensables. Je suis tout de suite allé à la clinique où ma femme avait été emmenée après avoir accouché, bien qu’elle soit décédée avant d’y arriver. Le médecin et l’une des infirmières, qui ne savaient pas encore que j’étais témoin de Jéhovah, m’ont fortement recommandé de ‘porter plainte contre le docteur et la sage-femme, car votre femme était en parfaite santé et tout se passait normalement’. Je n’ai pu que répondre avec lassitude : ‘Alors, j’aurais beaucoup à faire.’ Chez moi, j’ai trouvé l’enfant mort dans la chambre à coucher, avec mes deux autres enfants de neuf et dix ans, dans un état d’esprit que vous imaginez. Est-ce que je devais les laisser seuls, sans personne pour s’occuper d’eux, peut-être sans plus jamais les revoir ?”
Les beaux-parents de frère Ruef ont demandé que le corps de sa femme soit transporté à Pocking. En dehors de la famille proche, personne n’avait le droit de parler au cimetière. C’est donc frère Ruef qui a donné le discours d’enterrement de sa propre femme, Jéhovah lui ayant accordé la force nécessaire.
Frère Ruef ne pouvait supporter l’idée d’abandonner ses deux enfants sans personne pour s’en occuper. Dans les quelques heures qui restaient avant l’échéance de sa mise en liberté, il a emmené l’un des deux enfants chez ses beaux-parents, bien qu’ils ne soient pas témoins de Jéhovah, et l’autre chez des frères vivant à proximité de la frontière suisse. Finalement, il a pris la fuite et a traversé la frontière suisse dans des circonstances dramatiques, mais ce pays lui a accordé le droit d’asile ainsi qu’à son enfant.
D’ABORD LA FORCE, PUIS LA “DOUCEUR” POUR BRISER L’INTÉGRITÉ DES FRÈRES
Dans certains cas, des enfants qui avaient été séparés de leurs parents sont devenus faibles dans la foi pendant quelque temps, et ils ont vraiment risqué de se laisser entraîner dans le camp nazi, exactement comme les chefs du mouvement se l’étaient imaginé. Par exemple, Horst Henschel, de Meissen, qui a été baptisé à douze ans en 1943, avec son père, écrit :
“Mon enfance a été marquée de hauts et de bas. Je me suis éloigné — autant que possible — de la Jeunesse hitlérienne : j’étais heureux et je tenais ferme. À l’école, il fallait tous les jours faire le salut hitlérien. Quand je refusais, j’étais battu, mais, fortifié par mes parents, je me réjouissais d’être resté fidèle. Parfois cependant, la crainte du châtiment corporel ou de la situation me faisait dire ‘Heil Hitler’. Je me souviens alors dans quel état je rentrais à la maison, les yeux remplis de larmes et comment nous nous mettions ensemble à prier Jéhovah, ce qui me redonnait du courage pour résister aux prochaines attaques de l’ennemi. Puis, tout recommençait.
“Un jour, la Gestapo est venue perquisitionner à notre maison. L’un de ces S. S. aux larges épaules a demandé à ma mère : ‘Êtes-vous témoin de Jéhovah ?’ Je la vois comme si c’était hier, penchée sur la porte, répondant avec assurance ‘Oui !’, sachant pourtant parfaitement que cela provoquerait tôt ou tard son arrestation. C’est arrivé deux semaines plus tard.
“Ma mère s’occupait de ma petite sœur, qui allait avoir juste un an le lendemain, quand la police est arrivée avec un mandat d’arrêt contre elle (...). Mon père étant encore à la maison à ce moment-là, nous sommes restés sous sa dépendance (...). Deux semaines plus tard, mon père a également été arrêté. Je le revois encore, accroupi devant le fourneau de la cuisine et regardant fixement le feu. Avant de partir à l’école, je l’ai serré dans mes bras aussi fort que je pouvais, mais il ne s’est pas retourné pour me regarder. J’ai bien souvent réfléchi au dur combat qu’il a dû mener et je suis reconnaissant envers Jéhovah de ce qu’il lui ait accordé la force nécessaire pour me donner le bon exemple. Quand je suis revenu à la maison, j’étais seul. Mon père avait été appelé au service militaire et il était allé expliquer son refus au bureau de recrutement de la ville. Il a aussitôt été arrêté. Mes grands-parents et d’autres membres de notre famille — tous opposés aux témoins de Jéhovah et dont certains appartenaient au parti nazi — ont entrepris des démarches pour que ma petite sœur de un an et moi-même soyons mis sous leur garde au lieu d’être placés dans une maison de jeunes ou peut-être même dans une école de correction. Mon autre sœur, qui avait vingt et un ans, a été arrêtée deux semaines après mon père, et elle est morte en prison trois semaines plus tard des conséquences de la diphtérie et de la scarlatine.
“Ma petite sœur et moi vivions désormais chez nos grands-parents. Je me souviens avoir prié à genoux devant le lit de ma petite sœur. Je n’avais pas le droit de lire la Bible, mais je suis passé outre à cette interdiction après qu’une voisine m’eut donné une bible en cachette.
“Une fois, mon grand-père, qui n’était pas dans la vérité, a rendu visite à mon père en prison. Il en est revenu vivement indigné et dans une grande colère. ‘Ce criminel, ce bon à rien ! Comment peut-il abandonner ses enfants ?’ Les mains et les pieds enchaînés, mon père a été conduit devant mon grand-père qui, avec d’autres, s’est efforcé de lui prouver qu’il devait entreprendre le service militaire pour le bien de ses enfants. Mais il est resté fidèle et a fermement repoussé cette proposition. Là-dessus, un agent a fait cette remarque à mon grand-père : ‘Même si cet homme avait dix enfants, il n’agirait pas autrement.’ Cette phrase était terrible pour mon grand-père, mais pour moi, elle prouvait que mon père maintenait son intégrité et que Jéhovah le soutenait.
“Quelque temps plus tard, j’ai reçu une lettre de mon père ; la dernière. Étant donné qu’il ignorait où ma mère était enfermée, c’est à moi qu’il a écrit. Je suis monté dans la mansarde et j’ai lu les premiers mots : ‘Au moment où tu recevras cette lettre, réjouis-toi, car j’ai enduré jusqu’à la fin. Dans deux heures, je vais subir ma condamnation. (...)’ J’étais triste et je pleurais en lisant cette lettre, bien que je n’en aie pas saisi toute la portée comme maintenant.
“Devant tous ces événements capitaux, je suis resté relativement fort. Jéhovah m’accordait sans aucun doute la force indispensable pour résoudre mes problèmes. Mais Satan utilise de nombreuses méthodes pour attirer quelqu’un dans un piège. Je ne devais pas tarder à l’apprendre. Un membre de ma famille a fait une démarche auprès de mes professeurs en leur demandant d’être patients à mon égard. Tout d’un coup, ils sont tous devenus extrêmement gentils avec moi. Les professeurs ne me punissaient plus, même si je ne saluais pas en disant ‘Heil Hitler’, et les membres de ma famille sont devenus particulièrement bons envers moi. C’est alors que j’ai changé.
“De moi-même, je me suis rallié à la Jeunesse hitlérienne. Personne ne m’y obligeait et, de plus, quelques mois seulement nous séparaient de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Là où Satan avait échoué en employant la force, il avait réussi en employant la flatterie et la ruse. Je peux aujourd’hui affirmer qu’une persécution brutale venant de l’extérieur met à l’épreuve notre fidélité, mais que les attaques sournoises et indirectes de Satan sont aussi dangereuses. Je comprends désormais à quelles épreuves la foi de ma mère était soumise en prison. J’avais reçu la dernière lettre de mon père confirmant qu’il était resté fidèle à son vœu jusqu’à la mort et cela m’a procuré beaucoup de force. De son côté, ma mère avait reçu ses vêtements et ses costumes, sur lesquels des taches de sang bien visibles apportaient le témoignage muet des souffrances de sa mort. Par la suite, ma mère m’a confié qu’elle avait eu beaucoup de mal à supporter toutes ces choses, mais à cette époque-là, l’épreuve la plus cruelle venait de mes lettres indiquant que j’avais cessé de servir Jéhovah.
“La guerre a fini rapidement. Ma mère est rentrée à la maison et elle m’a aidé à revenir sur la voie qui mène à l’offrande de soi. Elle a continué de m’élever en cultivant chez moi l’amour de Jéhovah et la fidélité à mon vœu. En jetant un coup d’œil sur le passé, je constate que j’ai connu à cette époque-là pratiquement les mêmes problèmes qu’un grand nombre de nos jeunes frères doivent affronter de nos jours. Mais ma mère n’a jamais cessé de lutter pour m’aider à rester sur le chemin menant à l’offrande de soi. Grâce à la bonté imméritée de Jéhovah, j’ai le privilège d’être dans le service à plein temps depuis vingt-deux ans. Sur ce total, j’ai passé six ans et quatre mois en prison en Allemagne de l’Est, incarcéré comme mes parents.
“Je me suis souvent demandé, ce que j’avais fait dans le passé pour mériter tant de bénédictions de Jéhovah. Aujourd’hui, je crois que les prières de mes parents, y ont été pour quelque chose. Mon père et ma mère n’auraient pu me donner un meilleur exemple de conduite chrétienne que celui qu’ils m’ont donné dans leur vie.”
On connaît 860 cas précis où des enfants ont été enlevés à leurs parents, bien que le chiffre exact puisse être beaucoup plus élevé. Étant donné la cruauté d’un tel traitement, il n’est pas étonnant que les autorités en soient arrivées à empêcher des parents d’avoir des enfants en déclarant simplement qu’un des deux conjoints souffrait d’une “maladie héréditaire”. Selon la loi, il devait alors subir une opération le rendant stérile.
PROCÉDÉS UTILISÉS LORS DES INTERROGATOIRES
Un procédé cruel consistait à laisser le conjoint et d’autres membres de la famille connaître le supplice subi par ceux qu’ils aimaient. Emil Wilde décrit la cruauté de ce traitement. On l’a obligé à entendre de sa cellule les cris de sa femme littéralement torturée à mort.
“Le 15 septembre 1937, dit-il pour commencer, vers cinq heures du matin, deux agents de la Gestapo sont venus perquisitionner à notre domicile, après avoir tout d’abord interrogé mes enfants. Ensuite, ma femme et moi avons été emmenés au siège de la police et nous avons aussitôt été enfermés dans des cellules. Nous devions subir notre premier interrogatoire environ dix jours plus tard. On m’a appris que ma femme devait également être interrogée le même jour, ce qui s’est révélé exact.
“De midi jusque vers une heure, j’ai entendu les cris stridents d’une femme qu’on était en train de rouer de coups. Les cris devenant plus forts, je les ai entendus plus distinctement et j’ai reconnu la voix de ma femme. J’ai sonné et j’ai demandé pourquoi on frappait ainsi ma femme. On m’a répondu qu’il ne s’agissait pas d’elle, mais d’une femme qui méritait d’être punie pour sa mauvaise conduite. En fin d’après-midi, les hurlements ont repris et sont devenus si forts que j’ai de nouveau sonné pour me plaindre des brutalités infligées à ma femme. La Gestapo refusait toujours d’avouer qu’il s’agissait d’elle. Au cours de la nuit, vers une heure du matin, je n’en pouvais plus et j’ai de nouveau sonné. Cette fois, un officier, dont je ne connais pas le nom, est arrivé en disant : ‘Si vous sonnez encore une fois, nous vous ferons subir le même sort que votre femme !’ Un long silence a ensuite régné dans toute la prison, car entre-temps ils avaient transporté ma femme dans un hôpital psychiatrique. Le 3 octobre, Classin, chef geôlier de la Gestapo, est entré tôt le matin dans ma cellule et a déclaré que ma femme était morte à l’hôpital psychiatrique. Je lui ai dit en face qu’ils étaient responsables de sa mort et, le jour de son enterrement, j’ai porté plainte pour meurtre contre la Gestapo. En revanche, celle-ci m’a attaqué en diffamation.
“Cela signifiait que j’aurais deux procès au lieu d’un seul. Lorsque le jugement a eu lieu, deux sœurs se sont présentées au cours de l’interrogatoire spécial du tribunal et ont témoigné en ces termes : ‘Nous avons entendu Madame Wilde crier : “Démons, vous me battez à mort.”’ Le juge répliqua : ‘Mais elles ne l’ont pas vue, elles n’ont fait que l’entendre. Je vous condamne à un mois de prison.’ Plusieurs sœurs, qui ont vu ma femme après sa mort, ont confirmé qu’elle avait été atrocement défigurée par de grosses balafres à la gorge et au visage. On m’a refusé l’autorisation d’assister à l’enterrement.”
Dans d’autres cas, on s’est efforcé d’engourdir les frères par l’hypnose. Quelques-uns ont reçu de la nourriture mélangée avec des narcotiques, de sorte que pendant un certain temps ils ne savaient plus ce qu’ils disaient. Pour en contraindre d’autres à avouer, on les laissait toute une nuit les mains et les pieds attachés derrière le dos. Certains, n’arrivant pas à supporter des tortures aussi horribles, ont fourni à la Gestapo des renseignements sur la façon dont l’œuvre des témoins de Jéhovah était organisée et accomplie.
DES AGENTS ET DES PATRONS BIENVEILLANTS
Bien que des agents se soient servi du ‘nouveau langage puissant et fort’, qui caractérisait particulièrement les chefs du nouvel État, tiré du Führerprinzip (principe du chef), il était cependant réconfortant de trouver çà et là des policiers qui pouvaient encore, dans leurs relations avec les témoins libres ou en prison, faire preuve de compassion pour leurs semblables.
Étant donné son refus de faire le “salut hitlérien” et de s’engager dans le Front du travail, Carl Göhring a été licencié de son emploi dans une compagnie privée des chemins de fer de l’entreprise Leuna à Mersebourg. Le bureau d’emploi n’a pas voulu lui trouver du travail et l’assistance sociale a refusé de subvenir un tant soit peu à ses besoins. Mais Jéhovah, qui sait ce qui est nécessaire à son peuple, a fait en sorte que frère Göhring ne tarde pas à trouver du travail dans une usine de papeterie à Weissenfels. Son directeur, un certain Monsieur Kornelius, engageait tous les frères du voisinage qui avaient été licenciés de leur travail et n’exigeait d’eux rien qui soit opposé à leur conscience.
Comme cela s’est révélé par la suite, il existait d’autres patrons comme cet homme, mais peu nombreux. Grâce à cela, un bon nombre de frères ne sont pas tombés dans les griffes de la Gestapo.
Il y avait aussi certains magistrats qui, dans leur for intérieur, n’étaient pas du tout d’accord avec les méthodes violentes employées par le gouvernement de Hitler. Surtout au début, plusieurs juges faisaient signer aux frères un papier non compromettant, déclarant simplement qu’ils s’abstiendraient de toute activité politique. Étant donné que les frères pouvaient le signer sans faire de restriction, ils ont ainsi pu conserver leur liberté.
Les perquisitions à domicile montraient souvent que tous les agents ne haïssaient pas autant les témoins de Jéhovah que les apparences le faisaient croire. Le frère et la sœur Poddig s’en sont rendu compte quand leur maison a été perquisitionnée. Ils venaient de recevoir du courrier, des exemplaires de La Tour de Garde ainsi que d’autres imprimés, envoyés des Pays-Bas par la sœur charnelle de sœur Poddig. Tout à coup, la sonnette d’entrée résonna, avant qu’ils aient pu commencer à lire quoi que ce soit.
“Vite, s’est écrié sœur Poddig, cachez tout dans le garde-manger et fermez la porte.” Étant donné que cela aurait pu attirer l’attention, elle a cependant décidé au dernier moment de laisser la porte ouverte. Entre-temps, l’agent de la Gestapo, suivi par un S. A., pénétrait dans la maison. “Eh bien, commençons par là !”, dit-il en désignant le garde-manger dont la porte était ouverte. Brusquement, le petit garçon de frère Poddig s’est écrié : “Vous pourriez chercher un bon moment avant de trouver quoi que ce soit dans le garde-manger.” Cela a fait rire l’agent qui a répondu : “Bon, eh bien, passons dans l’autre pièce !” La fouille n’a rien donné. En réalité, frère Poddig et sa famille ont eu l’impression qu’ils — au moins l’agent de la Gestapo — ne désiraient pas trouver quelque chose. Il était évident que le S. A. pensait que la fouille avait été insuffisante et qu’il désirait la poursuivre. Mais l’agent de la Gestapo l’a réprimandé et lui a interdit de chercher davantage. Au moment de partir, il s’est retourné tout à coup et a murmuré à l’oreille de sœur Poddig : “Madame Poddig, écoutez ce que je vous dis. On emmènera vos enfants parce qu’ils n’appartiennent pas à la Jeunesse hitlérienne. Expédiez-les ailleurs, même si ce n’est que pour sauver les apparences.” Frère Poddig écrit : “Les deux agents sont ensuite partis et nous avons pu lire tranquillement notre courrier des Pays-Bas. Nous remercions Jéhovah des nombreux nouveaux points et de La Tour de Garde qui s’y trouvait une fois de plus.”
DÉJOUÉS
Bien sûr, il existe un grand nombre de cas où des agents de la Gestapo ont apparemment été frappés d’aveuglement tandis qu’ils effectuaient leurs perquisitions et où leurs entreprises ont souvent été déjouées par les actions rapides des frères, ce qui montre nettement la protection de Jéhovah et le soutien des anges.
Sœur Kornelius, de Marktredwitz, déclare : “Un jour, d’autres policiers sont venus perquisitionner à notre domicile. Nous possédions plusieurs publications, y compris quelques exemplaires de La Tour de Garde polycopiés. Sur le coup, je n’ai pas vu d’autre possibilité que de les mettre dans une cafetière vide, qui se trouvait justement sur la table. Étant donné qu’ils regardaient partout, ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils trouvent la cachette. À ce moment-là, ma sœur charnelle est arrivée à l’improviste. Immédiatement, je lui ai dit : ‘Tiens, tu peux emmener ton café.’ Tout d’abord, elle semblait interloquée, puis elle a compris ce que je voulais dire et elle est partie aussitôt en emportant la cafetière. Les publications étaient sauvées et les agents n’ont pas remarqué que leurs plans venaient d’être déjoués.”
Voici l’histoire amusante que racontent frère et sœur Kornelius sur Siegfried, leur fils de cinq ans. À l’époque, ce dernier n’avait aucun problème avec le “salut hitlérien” et des choses semblables, car il n’avait pas encore atteint l’âge scolaire. Mais étant donné que ses parents l’élevaient dans la vérité, il savait que les imprimés de ses parents, qu’ils cachaient toujours après les avoir lus, étaient très importants et qu’il ne fallait pas que la Gestapo les trouve. Le jour où il a vu deux agents traverser la cour pour venir chez ses parents, il a aussitôt compris qu’ils chercheraient les imprimés qui étaient cachés. Il a su immédiatement ce qu’il devait faire pour les en empêcher. Bien qu’il n’eût pas encore l’âge d’aller à l’école, il a pris la serviette de son frère plus âgé, l’a vidée de son contenu et l’a remplie d’imprimés. Il a accroché la serviette sur son dos et il est sorti dans la rue. Il a attendu que les agents sortent à leur tour, après avoir fait une fouille infructueuse. Ensuite, il est revenu dans la maison et a caché de nouveau les imprimés à l’endroit où il les avait trouvés.